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Église Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines
Église Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines | |
Vue d'ensemble de l'église | |
Présentation | |
---|---|
Culte | Catholique romain |
Début de la construction | juillet 1634 |
Fin des travaux | 1680 |
Architecte | Francesco Borromini |
Style dominant | Architecture baroque |
Site web | www.sancarlino.eu [archive] |
L'église Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines est une église de la Rome baroque, située dans le rione (quartier) Monti, construite par Francesco Borromini pour un petit couvent d’un ordre espagnol : les Trinitaires Déchaux1. Ce fut la première réalisation indépendante de Francesco Borromini.
L’église, dédiée à saint Charles Borromée, se nomme en italien, San Carlo alle Quattro Fontane (en), mais du fait de ses petites dimensions, les Italiens l’appellent le plus souvent San Carlino. Elle doit son nom au carrefour sur lequel elle se trouve et dont les quatre angles sont décorés d’une fontaine représentant le Tibre et l’Arno d’une part, Diane et Junon d’autre part, l’une d’elles est intégrée dans la façade de l’église. Cette réalisation de Borromini est considérée comme étant un des chefs-d’œuvre de l’architecture baroque.
Histoire
Le projet put voir le jour grâce au financement et au patronage du cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII.
L’histoire de la petite communauté des trinitaires qui confièrent à Borromini la construction du couvent et de l’église de San Carlino commence en 1610, lorsque le général de l’ordre, fra Gabriele dell’Assunzione, fut envoyé à Rome afin de traiter avec la Curie du problème de la réorganisation de l’ordre. En 1611 fut acquise par l’ordre, une maison située à un angle du carrefour des Quatre Fontaines. Les possessions des trinitaires s’agrandirent ensuite par donations et nouvelles acquisitions. Entre 1612 et 1614 furent réalisés de petits travaux de transformation de l’ensemble immobilier qui comprenait dès lors plusieurs bâtiments. En 1634, fra Giovanni dell’Annunciazione, procurateur des trinitaires, fit abattre trois maisons afin de pouvoir édifier le couvent et l’église. Le de la même année, l’architecte Francesco Borromini qui avait été choisi, signa les conventions de travaux, qui commencèrent immédiatement et la première pierre de fondation fut placée le . La construction du cloître et des salles adjacentes commença le et le , les travaux de la zone d’habitation du couvent (réfectoire, cuisine, cellules et la bibliothèque) étaient achevés. Le le cloître et les salles adjacentes étaient construits. Le 23 du même mois, le cardinal Barberini bénit le couvent et le lendemain les moines vinrent y habiter ; c’est dire que les travaux furent menés diligemment. Toutefois, achevée la partie du couvent nécessaire à la vie de la petite communauté, survint une période de crise due à une extrêmement pauvreté et les travaux de l’église et de la sacristie ne commencèrent que le . La première pierre de fondation fut mise en place le , en présence du cardinal Barberini. Le la construction de l’église était achevée et le 26 du même mois, le cardinal Barberini y célébra la première messe. Entre 1641 et 1644, furent exécutés les travaux de finition de la façade donnant sur la via Quattro Fontane. C’est au cours de cette même année 1641 que Pierre Mignard réalisa une Annonciation à fresque, au-dessus de la porte principale. En 1642, Giovanni Domenico Cerrini, dit le Cavalier Perugino2, réalisa le tableau de sainte Ursule et en 1643 celui de sainte Agnès. Toujours en 1643, fut fondue la grande cloche du campanile, il fut alors probablement mis en place une structure provisoire en bois. En 1646, Pierre Mignard acheva son tableau pour l’autel majeur, représentant la sainte Trinité adorée par saint Charles Borromée, ainsi que les deux saints de l’ordre, Jean de Matha et Félix de Valois. L’église ne fut consacrée que le , par le cardinal Ulderico Carpegna. Entre 1656 et 1659 fut construit le premier campanile, de forme triangulaire. Le , les pères approuvèrent un décret par lequel ils concédaient à Borromini le choix d’un emplacement dans la crypte, afin de réaliser une chapelle et un autel pour sa sépulture. Mais l’ultime volonté de Francesco fut d’aller rejoindre dans la tombe Carlo Maderno, à San Giovanni Battista dei Fiorentini. À la mort de Borromini, le , la construction de la façade fut brutalement interrompue. En 1670, son neveu Bernardo, prit en charge la suite des travaux, dans la stricte observance des volontés et dessins laissés par Francesco. En , fut abattu le campanile triangulaire, le nouveau de forme quadrangulaire fut élevé rapidement. Les travaux de la façade reprirent en 1675. Le de cette année-là, fut commandée à Antonio Raggi, la statue de saint Charles Borromée, elle fut placée au milieu de la façade, dans la niche au-dessus de la porte principale. Quelques travaux se poursuivirent encore à travers les siècles jusqu’à nos jours3.
Description
Le cloître
Le minuscule cloître à plan mixtiligne dérive d’un octogone. Il est entouré de deux niveaux de galeries. L’inférieur est composé de serliennes qui sont convexes aux angles, alors que le niveau supérieur, orné de simple colonnes, est embelli par une balustrade. Le thème de l’octogone se retrouve dans les chapiteaux des colonnes de l’étage supérieur, ainsi que dans la forme du puits qui complète la vision du cloître. Il est à noter que l’ouverture du puits est elliptique. Borromini parvint à donner un aspect accueillant à un lieu tellement exigu qu’il aurait pu être oppressant.
L'église
D’aucuns ont prétendu que pour élaborer San Carlino, Borromini se serait inspiré de l’église Saint-André du Quirinal, œuvre de Bernini. Il suffit de constater que Saint-André ne fut commencée qu’en 1658, soit vingt-quatre ans après San Carlino, pour décider qu’il s’agit là d’une pure calomnie et d'une bien grande méconnaissance de la personnalité de Borromini4.
La plus grande contrainte à laquelle l’architecte dut faire face ici, est sans nul doute l’étroitesse des lieux. On dit que l’église tout entière tiendrait en un seul pilier de la basilique Saint-Pierre5. Il s’employa donc à créer des perspectives ayant pour but de donner l’illusion d’un espace plus vaste.
Le schéma directeur de San Carlino dérive de celui d’un plan central. Il est basé sur la figure géométrique de deux triangles équilatéraux ayant une base commune et dans lesquels se trouve inscrite une ellipse, le diamètre des colonnes est inscrit entre deux rectangles concentriques qui déterminent le centre des absides semi-circulaires. La complexité de la construction démontre combien Borromini possédait l’art de la géométrie (voir le schéma ci-dessous)3.
Quatre arches reprennent l’entablement elliptique de la coupole qui est construite en brique. Cet humble matériau, avec le stuc, seront presque exclusivement employés pour l’ensemble du complexe, cela du fait de la pauvreté des moines, ce qui convenait bien aux goûts simples de Borromini en ce domaine. La coupole est ornée d’un ensemble de caissons dont la taille diminue en allant vers le haut de la voute. Les caissons ont divers thèmes qui s’alternent dans leur disposition : cercle inscrit dans un octogone, hexagone, croix. Ils forment un ensemble fort original, éclairé zénithalement par une lanterne ovoïde et par des fenêtres latérales placées sur l’entablement elliptique. Le raccordement de la coupole au corps de l’édifice est réalisé par quatre pendentifs.
Le mouvement ondulatoire des murs et le rythme alternatif des formes convexes et concaves donnent à ressentir la pulsion vivante d’un corps plastique.
La présence récurrente d’éléments réunis trois à trois se rapporte à la Trinité et à l’ordre trinitaire des moines pour lesquels l’édifice fut conçu (on notera ce nombre trois pour les anges sur les pendentifs, les niches, les rangs de caissons dans les niches au-dessus des autels, la décoration de feuilles et de fleurs des fenêtres, sans parler des angles des triangles équilatéraux qui régissent l’ensemble du bâtiment, ceux du triangle inscrit dans un cercle qui contient une colombe en son centre, au sommet de la lanterne).
Le campanile
Le campanile constitue une des énigmes de l’histoire de l’église. À l’origine il fut construit par Borromini, très probablement de forme triangulaire. L’énigme réside dans le fait qu’il fut ensuite démoli et reconstruit par Bernardo. Durant la réunion capitulaire du , la communauté des Trinitaires du couvent décida la démolition du campanile qu’elle trouvait disproportionné et d’en construire un plus petit et adapté. Paradoxalement le nouveau, de forme quadrangulaire réalisé par Bernardo a plus ou moins la même hauteur et est nettement plus large, il ne se distingue du précédent que par le disgracieux couronnement pyramidal qui se substitua à l’élégant volume cylindrique d’origine3.
La lanterne
Dans la structure de la lanterne apparaît pour la première fois le motif des absides raccordées, développé d’une façon inédite par le contraste entre les colonnes de contrefort et les murs rentrants. La structure rythmique correspond à une cohérente abréviation de l’église en dessous3.
La crypte
La crypte reprend le même schéma que celui de l’église supérieure, elle possède une voute à 8 segments fondée sur des piliers et deux chapelles dont l’une devait recevoir la dépouille de Borromini mais qui, selon ses ultimes volontés, fut enterré à San Giovanni dei Fiorentini. Sobre et austère cette partie du complexe de San Carlo reprend les canons linguistiques de l’architecte.
La façade
Borromini élabora sa façade sur deux niveaux. La partie inférieure est caractérisée par une succession de surfaces, concave, convexe, concave, alors que le niveau supérieur présente trois parties concaves dont la centrale supporte un édicule convexe. Cette alternance rythmique des formes crée une façade dynamique pleine de mouvement, agrémentée d’une magnifique décoration, comme la niche au-dessus de la porte dans laquelle se trouve la statue de saint Charles Borromée encadrée par deux anges dont les ailes lui procurent un abri, et le médaillon ovale et concave placé à la partie supérieure que supportent deux anges, il fut un temps où il était décoré de l’image de saint Charles.
LE GÉNIE TRAGIQUE DE FRANCESCO BORROMINI: À L'INTÉRIEUR DU SAN CARLO ALLE QUATTRO FONTANE DE ROME
https://www.througheternity.com/en/blog/art/tragic-genius-borromini-san-carlo-alle-quattro-fontane-rome.html#
Jeu 19 nov.2020
PARTAGER SUR Le 3 août 1667, Francesco Borromini se suicida d'une manière qui rappelle davantage une tragédie shakespearienne que la vraie vie; au point culminant de l'une des crises de dépression qui ont vaincu l'architecte de plus en plus fréquemment à mesure que sa vie progressait, Borromini tomba littéralement sur sa propre épée.
Mais même ce dernier acte de défi contre un monde qui n'a jamais vraiment accepté sa personnalité irascible ou son talent idiosyncratique ne s'est pas déroulé comme prévu. Se frayer un chemin avec une épée est beaucoup plus difficile que Shakespeare ou les sources anciennes ne le feraient penser, et Borromini a survécu à son propre coup mortel pendant quelques heures, réussissant même à laisser derrière lui un récit de première main de l'événement sanglant. Les nuages sombres de la maladie mentale qui ont précipité son suicide désespéré ont tourbillonné au-dessus de ce génie troublé pendant la majeure partie de sa vie et ont profondément affecté le cours de sa carrière professionnelle.
Je me tiens à l'un des grands carrefours de Rome, perché sur la crête d'une colline qui plonge sur les quatre côtés vers certains des monuments les plus reconnaissables de la ville. Au nord, l'obélisque de Trinità dei Monti s'élève majestueusement vers le ciel en haut de la Place d'Espagne (caché à notre vue derrière se trouve un autre obélisque, celui de la Piazza del Popolo, une façon assez grandiose d'informer les voyageurs qu'ils sont enfin arrivés dans la ville éternelle); au sud, la forme imposante de la basilique de Santa Maria Maggiore domine le panorama lointain; aux tours ouest encore un autre obélisque, marquant maintenant le siège de la présidence italienne au sommet de la colline du Quirinal, et à l'est on distingue simplement la Porta Pia, la porte conçue par Michel-Ange dans les anciens murs auréliens qui marquaient le la plus à l'est de la ville de la Renaissance.
C'est une encapsulation fascinante de l'état d'esprit des urbanistes des XVIe et XVIIe siècles qui étaient en grande partie responsables de l'apparence de la ville aujourd'hui, mais pas de ce qui m'a amené à cet endroit. La minuscule église de San Carlo alle Quattro Fontane, l'une des contributions les plus durables de Borromini au paysage urbain incomparable de Rome, est coincée au coin de cet important carrefour.
Essayer de bien voir cette façade est cependant une expérience frustrante. Les routes sont si étroites ici qu'il n'y a tout simplement pas assez d'espace pour tout prendre, littéralement nulle part où se tenir. Du seul point de vue qui vous est permis par la rue étroite, il est presque impossible de donner un sens à ce bâtiment, et impossible de découvrir une logique architectonique derrière la myriade de formes devant vous. C'est complexe et capricieux, et précisément à cause de cela, une chose d'une incroyable beauté.
Obligé de rester trop près de l'église, peut-être appuyé maladroitement contre l'une des quatre fontaines qui donne son nom au carrefour, on a l'impression d'une étendue de pierre constamment ondulante, ondulante et mouvante comme les vagues de la mer, ou les sables du désert. Les murs de pierre épais et solides sont traités comme s'ils étaient faits de l'argile la plus tendre. C'est une façade qui semble trahir hardiment la sensibilité d'un sculpteur plutôt que d'un ingénieur.
Est-il facile d'imaginer que nous pouvons voir le fonctionnement interne de l'esprit d'un architecte dans les structures qu'il crée? Une telle analyse psycho-biographique est depuis longtemps hors de vogue dans les cercles académiques sérieux, considérée comme une relique malvenue de l'influence omniprésente de Freud sur le paysage critique du XXe siècle. Il faudrait savoir qu'il ne faut pas se laisser séduire par le fantasme romantique d'un génie troublé déversant sa psyché dans le tissu de ses œuvres comme autant de pages de son journal. Il est cependant extrêmement difficile de prendre la hauteur intellectuelle face au corpus architectural de ce grand génie du baroque italien.
Entrer à San Carlino de Borromini est une expérience vertigineuse. Les formes se transforment les unes dans les autres. Une courbe convexe devient soudainement concave et il est impossible de déterminer exactement comment et quand la transformation a eu lieu. Toute la façade de cette petite église pourrait tenir à l'intérieur d'un seul pilier de soutien de l'énorme dôme de Saint-Pierre, dans la décoration de laquelle la main de son grand rival Bernini est partout apparente. Et pourtant, c'est peut-être une église plus audacieuse, plus innovante que tout ce que même Bernini lui-même avait jamais tenté.
Où Bernini a combiné peinture, sculpture et architecture pour créer des ensembles artistiques complets et unifiés comme les décors théâtraux de Saint-Pierre et de Santa Maria della Vittoria (parfaitement adaptés aux préoccupations pédagogiques populistes de la Contre-Réforme), Borromini a intégré la sculpture et l'architecture par une procédure radicalement différente. Il n'est pas exagéré de dire qu'il a littéralement sculpté avec l'espace, sculptant de fabuleuses sculptures dans l'immanence pure de l'air. Le zèle religieux de Bernini a assuré sa position d'architecte préféré de la papauté pendant une grande partie de sa carrière, mais la philosophie architecturale de Borromini n'était pas moins en phase avec le projet de glorifier Dieu. En effet, qu'est-ce qui pourrait être plus spirituel, ou plus proche aux yeux des fidèles, du processus créatif du créateur divin originel que cela?
L'évocation par Borromini de la conjuration vertueuse du firmament par une puissance supérieure est si subtile et spirituelle à sa manière qu'il n'est pas nécessaire de partager la frénésie religieuse de cette époque révolue pour l'apprécier. C'est l'architecture comme affect, un lieu de rencontre entre architectonique et psychologie. L'expérience de ce bâtiment n'est pas objective. Vos premières pensées ne portent pas sur les stress, les supports et autres questions pratiques de ce type, mais plutôt sur la manière dont nous nous engageons dans l'espace que nous habitons, sur son impact sur nous et sur les possibilités infinies de l'espace lui-même.
Quelque chose de l'homme, bien sûr, doit entrer dans l'œuvre. La création artistique est une entreprise trop profondément personnelle pour que l'on puisse simplement séparer la personnalité des fruits du travail de cette personnalité. Comme le Caravaggio, un éleveur d'enfer autodestructeur avant lui, la vie troublée de Borromini et sa mort excessivement mélodramatique ne peuvent manquer de remuer l'imagination de quiconque a eu le privilège de s'émerveiller et de s'interroger sur la complexité impressionnante du dôme en tire-bouchon qui était son dernier point d'exclamation radical à l'église de San Ivo alla Sapienza, ou aux formes complexes et vertigineuses de San Carlino.
Il est, bien sûr, excessivement simpliste d'imaginer que nous pouvons comprendre le caractère unique de l'œuvre de Borromini comme une manifestation de sa psyché fragile, et ne rend guère justice à son importance en tant qu'architecte. Mais c'est une impulsion naturelle d'essayer de comprendre le génie, de découvrir une différence génétique unique qui peut l'expliquer. Pourquoi sommes-nous si fascinés par la vie non conventionnelle de Michel-Ange et du Caravage? Pourquoi Freud était-il si obsédé par Léonard de Vinci?
Que les formes tordues et apparemment illogiques qui s'imposent dans notre champ de vision à San Ivo et San Carlino constituent une métaphore profonde de l'état torturé de l'âme de l'architecte ou non, elles signifient néanmoins avec une clarté cristalline l'esprit d'un homme qui a pensé à le monde, et a compris son métier, d'une manière étonnamment originale, étonnamment nouvelle. D'un seul coup, Borromini a renversé la primauté du plan architectonique, prééminente depuis que les Grecs ont développé et codifié pour la première fois une théorie de l'architecture, et a inauguré l'ère de l'espace entre - le triomphe du vide. Cette reconceptualisation dramatique de ce que l'architecture pourrait accomplir sous-tend encore notre idée moderne de l'environnement bâti aujourd'hui, près de 350 ans après le dernier acte désespéré de Borromini.
Jeu 19 nov.2020
PARTAGER SURLe 3 août 1667, Francesco Borromini se suicida d'une manière qui rappelle davantage une tragédie shakespearienne que la vraie vie; au point culminant de l'une des crises de dépression qui ont vaincu l'architecte de plus en plus fréquemment à mesure que sa vie progressait, Borromini tomba littéralement sur sa propre épée.
Mais même ce dernier acte de défi contre un monde qui n'a jamais vraiment accepté sa personnalité irascible ou son talent idiosyncratique ne s'est pas déroulé comme prévu. Se frayer un chemin avec une épée est beaucoup plus difficile que Shakespeare ou les sources anciennes ne le feraient penser, et Borromini a survécu à son propre coup mortel pendant quelques heures, réussissant même à laisser derrière lui un récit de première main de l'événement sanglant. Les nuages sombres de la maladie mentale qui ont précipité son suicide désespéré ont tourbillonné au-dessus de ce génie troublé pendant la majeure partie de sa vie et ont profondément affecté le cours de sa carrière professionnelle.
Je me tiens à l'un des grands carrefours de Rome, perché sur la crête d'une colline qui plonge sur les quatre côtés vers certains des monuments les plus reconnaissables de la ville. Au nord, l'obélisque de Trinità dei Monti s'élève majestueusement vers le ciel en haut de la Place d'Espagne (caché à notre vue derrière se trouve un autre obélisque, celui de la Piazza del Popolo, une façon assez grandiose d'informer les voyageurs qu'ils sont enfin arrivés dans la ville éternelle); au sud, la forme imposante de la basilique de Santa Maria Maggiore domine le panorama lointain; aux tours ouest encore un autre obélisque, marquant maintenant le siège de la présidence italienne au sommet de la colline du Quirinal, et à l'est on distingue simplement la Porta Pia, la porte conçue par Michel-Ange dans les anciens murs auréliens qui marquaient le la plus à l'est de la ville de la Renaissance.
C'est une encapsulation fascinante de l'état d'esprit des urbanistes des XVIe et XVIIe siècles qui étaient en grande partie responsables de l'apparence de la ville aujourd'hui, mais pas de ce qui m'a amené à cet endroit. La minuscule église de San Carlo alle Quattro Fontane, l'une des contributions les plus durables de Borromini au paysage urbain incomparable de Rome, est coincée au coin de cet important carrefour.
Essayer de bien voir cette façade est cependant une expérience frustrante. Les routes sont si étroites ici qu'il n'y a tout simplement pas assez d'espace pour tout prendre, littéralement nulle part où se tenir. Du seul point de vue qui vous est permis par la rue étroite, il est presque impossible de donner un sens à ce bâtiment, et impossible de découvrir une logique architectonique derrière la myriade de formes devant vous. C'est complexe et capricieux, et précisément à cause de cela, une chose d'une incroyable beauté.
Obligé de rester trop près de l'église, peut-être appuyé maladroitement contre l'une des quatre fontaines qui donne son nom au carrefour, on a l'impression d'une étendue de pierre constamment ondulante, ondulante et mouvante comme les vagues de la mer, ou les sables du désert. Les murs de pierre épais et solides sont traités comme s'ils étaient faits de l'argile la plus tendre. C'est une façade qui semble trahir hardiment la sensibilité d'un sculpteur plutôt que d'un ingénieur.
Est-il facile d'imaginer que nous pouvons voir le fonctionnement interne de l'esprit d'un architecte dans les structures qu'il crée? Une telle analyse psycho-biographique est depuis longtemps hors de vogue dans les cercles académiques sérieux, considérée comme une relique malvenue de l'influence omniprésente de Freud sur le paysage critique du XXe siècle. Il faudrait savoir qu'il ne faut pas se laisser séduire par le fantasme romantique d'un génie troublé déversant sa psyché dans le tissu de ses œuvres comme autant de pages de son journal. Il est cependant extrêmement difficile de prendre la hauteur intellectuelle face au corpus architectural de ce grand génie du baroque italien.
Entrer à San Carlino de Borromini est une expérience vertigineuse. Les formes se transforment les unes dans les autres. Une courbe convexe devient soudainement concave et il est impossible de déterminer exactement comment et quand la transformation a eu lieu. Toute la façade de cette petite église pourrait tenir à l'intérieur d'un seul pilier de soutien de l'énorme dôme de Saint-Pierre, dans la décoration de laquelle la main de son grand rival Bernini est partout apparente. Et pourtant, c'est peut-être une église plus audacieuse, plus innovante que tout ce que même Bernini lui-même avait jamais tenté.
Où Bernini a combiné peinture, sculpture et architecture pour créer des ensembles artistiques complets et unifiés comme les décors théâtraux de Saint-Pierre et de Santa Maria della Vittoria (parfaitement adaptés aux préoccupations pédagogiques populistes de la Contre-Réforme), Borromini a intégré la sculpture et l'architecture par une procédure radicalement différente. Il n'est pas exagéré de dire qu'il a littéralement sculpté avec l'espace, sculptant de fabuleuses sculptures dans l'immanence pure de l'air. Le zèle religieux de Bernini a assuré sa position d'architecte préféré de la papauté pendant une grande partie de sa carrière, mais la philosophie architecturale de Borromini n'était pas moins en phase avec le projet de glorifier Dieu. En effet, qu'est-ce qui pourrait être plus spirituel, ou plus proche aux yeux des fidèles, du processus créatif du créateur divin originel que cela?
L'évocation par Borromini de la conjuration vertueuse du firmament par une puissance supérieure est si subtile et spirituelle à sa manière qu'il n'est pas nécessaire de partager la frénésie religieuse de cette époque révolue pour l'apprécier. C'est l'architecture comme affect, un lieu de rencontre entre architectonique et psychologie. L'expérience de ce bâtiment n'est pas objective. Vos premières pensées ne portent pas sur les stress, les supports et autres questions pratiques de ce type, mais plutôt sur la manière dont nous nous engageons dans l'espace que nous habitons, sur son impact sur nous et sur les possibilités infinies de l'espace lui-même.
Quelque chose de l'homme, bien sûr, doit entrer dans l'œuvre. La création artistique est une entreprise trop profondément personnelle pour que l'on puisse simplement séparer la personnalité des fruits du travail de cette personnalité. Comme le Caravaggio, un éleveur d'enfer autodestructeur avant lui, la vie troublée de Borromini et sa mort excessivement mélodramatique ne peuvent manquer de remuer l'imagination de quiconque a eu le privilège de s'émerveiller et de s'interroger sur la complexité impressionnante du dôme en tire-bouchon qui était son dernier point d'exclamation radical à l'église de San Ivo alla Sapienza, ou aux formes complexes et vertigineuses de San Carlino.
Il est, bien sûr, excessivement simpliste d'imaginer que nous pouvons comprendre le caractère unique de l'œuvre de Borromini comme une manifestation de sa psyché fragile, et ne rend guère justice à son importance en tant qu'architecte. Mais c'est une impulsion naturelle d'essayer de comprendre le génie, de découvrir une différence génétique unique qui peut l'expliquer. Pourquoi sommes-nous si fascinés par la vie non conventionnelle de Michel-Ange et du Caravage? Pourquoi Freud était-il si obsédé par Léonard de Vinci?
Que les formes tordues et apparemment illogiques qui s'imposent dans notre champ de vision à San Ivo et San Carlino constituent une métaphore profonde de l'état torturé de l'âme de l'architecte ou non, elles signifient néanmoins avec une clarté cristalline l'esprit d'un homme qui a pensé à le monde, et a compris son métier, d'une manière étonnamment originale, étonnamment nouvelle. D'un seul coup, Borromini a renversé la primauté du plan architectonique, prééminente depuis que les Grecs ont développé et codifié pour la première fois une théorie de l'architecture, et a inauguré l'ère de l'espace entre - le triomphe du vide. Cette reconceptualisation dramatique de ce que l'architecture pourrait accomplir sous-tend encore notre idée moderne de l'environnement bâti aujourd'hui, près de 350 ans après le dernier acte désespéré de Borromini.
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