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dimanche 23 mai 2021

Marcel Proust et la mer

La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s'anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille.

Marcel Proust  / Les Plaisirs et les Jours (1896) de Marcel Proust

Cabourg au temps de Marcel Proust, l'heure du bain (1910) … 
Revoir Le temps retrouvé du cinéaste chilien Raoul Ruiz, 18 ans après la sortie du film, nous replonge, avec ses 24 images/seconde, au cœur du Temps retrouvé mais aussi au cœur de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Immersion nous confirmant s’il en était besoin que cette œuvre cinématographique de Raoul Ruiz, disparu en 2011, est à la hauteur du chef d’œuvre de Proust. Y apparaissent, entre autres, de fulgurantes images de mer avec en particulier ce long travelling final d’anthologie, nous ramenant, de façon poignante et géniale, à cette mer(e) et son kaléidoscope de personnages de La Recherche. La mer, très tôt, avait fasciné Marcel Proust qui, 21 ans avant La Recherche, écrivait dans Les Plaisirs et les Jours [1] que «La mer fascinera toujours ceux [pour qui elle] a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s’anéantir comme la veilleuse des enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n’est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs […]. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui […] en conservant un peu de son lumineux souvenir». La mer de La Recherche du temps perdu était la Manche et la Manche normande. Raoul Ruiz, lui, a tourné de nombreuses scènes de son film en Italie sans nous donner un seul instant l’impression d’avoir quitté la Normandie de Marcel Proust. Alors imaginer une visite de la Manche bordée de sa Côte d>Opale, illuminée par la magie du texte de Marcel Proust nous entraînant au-delà du beau, apparaîtra moins choquante à ses admirateurs et défenseurs les plus farouches. Tel est notre souhait avec l’aide du verbe proustien, de la Manche voisine de la Normandie et des photographies de Pascal Mores qui rassureront les premiers et convaincront tous les autres. Des photographies qui ne se contenteront pas d’illustrer le texte et un verbe qui ne commentera pas les photographies. Chacun vivra de son côté, mais en contrepoint l’un de l’autre, comme la mer et la plage !
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Cet extrait de La Recherche du Temps Perdu nous fait entrer de plein pied dans la magie du verbe proustien et de son geyser d’images, face à la mer ? Non, face à une peinture d’Elstir qui pour Marcel Proust était la synthèse romanesque de Gustave Moreau, Édouard Manet, Whistler, Turner, Claude Monet et Degas. De plus, avant cette descrition, le narrateur nous rappelle que s’il est légitime de parler de progrès et de découvertes en sciences, il ne l’est pas en art. En art, chaque artiste recommence sa propre recherche dans un effort individuel en sachant que l’art antérieur perdra à chaque fois de son originalité. Le narrateur reconnaît que «d’admirables» photographies de paysages et villes sont apparues à la fin du XIXème siècle. «Si on cherche à préciser», ajoute-t-il, «ce que les amateurs désignent par cette épithète «admirable», on verra qu’elle s’applique d’ordinaire à quelque image singulière d’une chose connue, image différente de celles que nous avons l’habitude de voir, singulière et pourtant vraie, et qui à cause de cela, est pour nous doublement saisissante parce qu’elle nous étonne, nous fait sortir de nos habitudes et tout à la fois nous fait rentrer en nous-mêmes en nous rappelant une impression». Pour Elstir, son effort était «de ne pas exposer les choses telles qu’il savait qu’elles étaient, mais selon ces illusions d’optiques dont notre vision première est faite». Cela l’avait amené à «mettre en lumière certaines de ces lois de la perspective, plus frappantes alors, car l’Art était le premier à les dévoiler»


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Le matin, le narrateur en essayant de se sécher après la toilette dans la chambre de son hôtel, «pense déjà au plaisir […] de voir dans la fenêtre […] comme dans les hublots d’une cabine de navire, la mer nue, sans ombrages et pourtant à l’ombre sur une moitié de son étendue que délimitait une ligne mince et mobile, et de suivre des yeux les flots qui s’élançaient l’un après l’autre comme des sauteurs sur un tremplin ! […] je retournais près de la fenêtre jeter encore un regard sur ce vaste cirque éblouissant et montagneux et sur les sommets neigeux de ses vagues en pierre d’émeraude ça-et-là polie et translucide, lesquelles avec une placide violence et un froncement léonin laissaient s’accomplir et dévaler l’écroulement de leurs pentes auxquelles le soleil ajoutait un sourire sans visage. Fenêtre à laquelle je devais ensuite me mettre chaque matin […] pour voir si pendant la nuit […] ces collines de la mer qui avant de revenir vers nous en dansant, peuvent reculer si loin que souvent ce n’était qu’après une longue plaine sablonneuse que j’apercevais à une grande distance leurs premières ondulations, dans un lointain transparent, vaporeux et bleuâtre comme ces glaciers qu’on voit au fond des tableaux des primitifs toscans. D’autres fois, c’était tout près de moi que le soleil riait sur ces flots d’un vert aussi tendre que celui que conserve aux prairies alpestres […] moins l’humidité du sol que la liquide mobilité de la lumière. Au reste, dans cette brèche que la plage et les flots pratiquent au milieu du reste du monde pour y faire passer, pour y accumuler la lumière, c’est elle surtout, selon la direction d’où elle vient et que suit notre œil, c’est elle qui déplace et situe les vallonnements de la mer. La diversité de l’éclairage ne modifie pas moins l’orientation d’un lieu, ne dresse pas moins devant nous de nouveaux buts qui nous donnent le désir d’atteindre, que ne le ferait un trajet longuement et effectivement parcouru en voyage. Quand le matin, le soleil venait de derrière l’hôtel, découvrant devant moi les grèves illuminées jusqu’aux derniers contreforts de la mer, il semblait m’en montrer un autre versant et m’engager à poursuivre, sur la route tournante de ses rayons, un voyage immobile et varié à travers les plus beaux sites du paysage accidenté des heures. Et dès ce premier matin, le soleil me désignait au loin, d’un doigt souriant, ces cimes bleues de la mer qui n’ont de noms sur aucune carte géographique, jusqu’à ce que, étourdi de sa sublime promenade à la surface retentissante et chaotique de leurs crêtes et de leurs avalanches, il vint se mettre à l’abri du vent dans ma chambre, se prélassant sur le lit défait et égrenant ses richesses sur le lavabo mouillé, dans la malle ouverte, où, par sa splendeur même et son luxe déplacé, il ajoutait encore à l’impression de désordre» [3].
que je rêvais maintenant d’une mer qui n’était plus qu’une vapeur blanchâtre ayant perdu la consistance et la couleur « [4].

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«De ces derniers [bancs], on avait un premier plan de verdure et un horizon qui semblait déjà le plus vaste possible, mais qui s’agrandissait infiniment si, continuant par un petit sentier, on allait jusqu’à un banc suivant d’où l’on embrassait tout le cirque de la mer. Là, on percevait exactement le bruit des vagues qui ne parvenait pas au contraire dans les parties les plus enfoncées du jardin, là où le flot se laissait voir encore, mais non plus entendre…» [5].

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«…J’avais la joie de penser que si mes regards ne pouvaient aller jusqu’à elle portant plus loin qu’eux, cette puissante et douce brise marine qui passait à côté de moi devait dévaler, sans être arrêtée par rien jusqu’à Q…, venir agiter les branches des arbres qui ensevelissent S… sous leur feuillage, en caressant la figure de mon amie, et jeter ainsi un double lien d’elle à moi dans cette retraite indéfiniment agrandie, mais sans risques, comme dans ces jeux où deux enfants se trouvent par moments hors de la portée de la voix et de la vue l’un de l’autre, et ou tout en étant éloignés, ils restent réunis. Je revenais par ces chemins d’où l’on aperçoit mal la mer, et où autrefois, avant qu’elle apparût entre les branches, je fermais les yeux pour bien penser que ce que j’allais voir, c’était bien la plaintive aïeule de la terre, poursuivant comme au temps qu’il n’existait pas encore d’êtres vivants, sa démente et immémoriale agitation. Maintenant, il n’était plus pour moi que le moyen d’aller rejoindre Albertine…» .


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«Regardez ces falaises, regardez comme ces rochers puissamment et délicatement découpés font penser à une cathédrale. En effet, on eut dit d’immenses arceaux roses. Mais peints par un jour torride, ils semblaient réduits en poussière, volatilisés par la chaleur, laquelle avait à demi bu la mer, presque passée, dans toute l’étendue de la toile à l’état gazeux. Dans ce jour où la lumière avait comme détruit la réalité, celle-ci était concentrée dans des créatures sombres et transparentes qui par contraste, donnaient une impression de vie plus saisissante, plus proche : les ombres. Altérées de fraîcheur, la plupart, désertant le large enflammé, s’étaient réfugiées au pied des rochers, à l’abri du soleil ; d’autres nageant lentement sur les eaux comme des dauphins s’attachaient aux flancs de barques en promenade dont elles élargissaient la coque, sur l’eau pâle, de leur corps verni et bleu […]. Surtout moi qui, parti pour voir le royaume des tempêtes, ne trouvais jamais dans mes promenades […] peint dans l’écartement des arbres, l’océan assez réel, assez liquide, assez vivant, donnant assez l’impression de lancer ses masses d’eau, et qui n’aurais aimé le voir immobile que sous un linceul hivernal de brume, je n’eusse guère pu  

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Il n’a pas été question avec ces photographies et les extraits de ce chef d’œuvre de vouloir «expliquer» La Recherche du temps perdu. Comment avoir l’outrecuidance de vouloir «expliquer» la magie de ce texte de Marcel Proust ?

Balbec

Balbec est une ville imaginaire qui tient une place importante dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

Balbec est décrite comme une station balnéaire située en Normandie. On y compte entre autres un hôtel fréquenté par l'aristocratie, une digue à la mer et la résidence du peintre Elstir. La station se distingue de l’ancien village appelé Balbec-en-Terre ou Balbec-le-Vieux, où se situe l’Église de Balbec aux motifs orientaux et au linteau bordé de myosotis que Charlus fait graver sur la reliure d'un livre qu'il offre au Narrateur.

Marcel Proust a lui-même souvent séjourné à Cabourg (Calvados), sur l’actuelle Côte Fleurie dont il s'inspire vraisemblablement dans sa description de Balbec. On y retrouve justement un hôtel nommé, comme dans le livre, Grand-Hôtel où l'on peut encore voir la chambre dans laquelle il aimait à séjourner. Le Grand Hôtel de Cabourg comporte comme celui de Balbec un restaurant dont la baie vitrée le rend visible de la promenade qui court le long de la plage et qui porte aujourd'hui le nom de l'écrivain. Il s'est également inspiré de la station balnéaire de Beg Meil (Finistère), où il a séjourné en 1895. Des descriptions inachevées de cette dernière se trouvent dans Jean Santeuil, et la topographie de la recherche, faisant passer le train de Balbec par Lamballe et Vitré, inclinent à placer Balbec en Bretagne. Cette topographie est cependant volontairement impossible à reconstituer, et place définitivement Balbec en dehors de la réalité.

Balbec, présente également une assonance notable avec Bolbec, ville normande du Pays de Caux (Seine-Maritime).

La toponymie joue un rôle important dans la Recherche et l’étymologie du toponyme est donnée dans le roman par le professeur Brichot : « [...] je demandais à Brichot s’il savait ce que signifait Balbec. « Balbec est probablement une corruption de Dalbec, me dit-il. [...] Or donc, continua Brichot, bec en normand est ruisseau [...] C’est la forme normande du germain Bach [...] . Quant à dal reprit Brichot, c’est une forme de Thal, vallée [...]. »1. Il existe effectivement un lieu-dit du Cotentin, à Brillevast du nom de Dalbec, qui est probablement l'ancien nom de la rivière de la Fontaine du Saule. Dans Noms de pays : le nom, qui forme la dernière partie de Du côté de chez Swann (le premier tome de la Recherche), le narrateur décrit en détail les rêveries qu'éveillent chez lui les noms de différentes villes, dont Balbec.

Pour Marie-Magdeleine Chirol, la ressemblance entre Balbec et la ville romaine de Baalbek va au-delà de l'homophonie. C'est une référence antique de plus qui complète celles utilisées par Proust : Rome, Athènes, Carthage. La ville balnéaire de Proust est décrite par le personnage Legrandin d'« antique » et de « géologique ». Marie-Magdeleine Chirol relève également que le Grand-Hôtel « superposé au sol antique » est qualifié de Temple-Palace (Proust) qui renvoie aux Temples-Palais de la ville romaine2.

« Balbec ! La plus antique ossature géologique de notre sol, vraiment Ar-Mor, la Mer, la fin de la terre, la région maudite qu'Anatole France - un enchanteur que devrait lire notre petit ami - a si bien peinte sous ses brouillards éternels comme le pays des Cimmériens, dans l'Odyssée. De Balbec, surtout, où déjà des hôtels se construisent, superposés au sol antique et charmant qu'ils n'altèrent pas, quel délice d'excursionner à deux pas dans ces régions primitives et si belles ! »

— Marcel Proust, Du côté de chez Swann

Bibliographie

  • Sous la direction d’Annick Bouillaguet et Brian G. Rogers, Dictionnaire Marcel Proust, préface d’Antoine Compagnon, Paris, H. Champion, 2004, 1098 pages, 24 cm, (ISBN 2-7453-0956-0) : entrée « BALBEC » par Anne Chevalier, entrée « BALBEC-EN-TERRE » par Anne Chevalier et entrée « BALBEC (pays de) » par Anne Chevalier.
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Franck Ferrand : les vacances de Marcel Proust en Normandie

FIGAROVOX/CHRONIQUE - Franck Ferrand éclaire l'actualité par l'histoire. Cette semaine, il commémore un événement de notre histoire littéraire : voilà cent ans, en juillet 1914, le grand romancier Marcel Proust a fait ses adieux à Cabourg.

Le temps retrouvé, un film de Raoul Ruiz (1999) sur Marcel Proust et son oeuvre. The Ronald Grant Archive/Photograph: The Ronald Grant Arc

Journaliste, écrivain et conférencier, Franck Ferrand consacre sa vie à l'Histoire. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le dictionnaire amoureux de Versailles (Plon, 2013). Ce surdoué anime Au coeur de l'Histoire chaque jour sur Europe 1 et L'Ombre d'un doute chaque mois sur France 3 en première partie de soirée.


A quelques jours des vacances, alors que je m'apprête à rejoindre ma Côte Fleurie, je me plais à rêver aux séjours enchantés qu'y fit Marcel Proust, avant de revenir se claquemurer pour de bon dans son appartement parisien et de faire revivre cette plage, cette jetée, ce Grand Hôtel, ce microcosme sous un nom paré de grâces orientales: Balbec.

Le petit Marcel avait hanté les palaces de la Belle Epoque. Les Roches Noires, à Trouville, où l'on avait conduit, l'automne venant, cet enfant asthmatique, les Réservoirs, à Versailles, où il vint pleurer sa mère adorée, l'hôtel Ritz de Paris, d'où il s'offrait un balcon sur le grand monde, auront ponctué sa vie de veilles douloureuses et de coupables grasses matinées.

« Le Grand Hôtel de Cabourg fut révélé à Proust, simplement, par la lecture d'un article du Figaro je n'invente rien. »

Le Grand Hôtel de Cabourg lui fut révélé, simplement, par la lecture d'un article du Figaro - je n'invente rien. Nous sommes en 1907 ; l'auteur - il est alors surtout le traducteur de Ruskin - se remet lentement, et fort mal, de la mort de sa mère, et nourrit une nostalgie complaisante pour les séjours qu'il effectuait avec elle, du temps de son enfance, sur la côte normande… Dieppe, Trouville donc, Houlgate… Le fameux article annonce la réouverture, à Cabourg, d'un Grand Hôtel désormais pourvu du confort le plus moderne. L'idée l'effleure de s'y installer pour l'été ; en quelques heures sa décision est prise.

Bientôt, à son amie la princesse de Chimay: «Ayant appris qu'il y avait à Cabourg un hôtel, le plus confortable de toute la Côte, j'y suis allé. Depuis que je suis ici, je puis me lever et sortir tous les jours, ce qui ne m'était pas arrivé depuis six ans.» Ce que ne dit pas le courrier, c'est que Marcel est arrivé en Normandie, conduit par un jeune chauffeur, Alfred Agostinelli, pour lequel il éprouve des sentiments très vifs. Cette passion deviendra l'objet véritable des séjours d'été qu'il effectue, sept années de suite, au Grand Hôtel. «Proust a servi Cabourg, écrira Jacques de Lacretelle, mais Cabourg a mieux encore servi Proust. Pourquoi? C'est sans doute que certains paysages, par un pouvoir miraculeux, font éclore en nous des états d'âme et des sentiments qui n'avaient su se faire jour jusque-là. Cabourg, le Cabourg de 1900, plus solitaire et plus secret qu'aujourd'hui, encore un peu sauvage et cependant plein de promesses, a marqué Proust, l'explosion de sa vie sentimentale et de ses dons d'artiste.»

« A la fin du printemps 1914, Agostinelli trouvera la mort loin de Marcel Proust, au large d'Antibes. »

A la fin du printemps 1914, Agostinelli trouvera la mort loin de Marcel, au large d'Antibes. Noyé. La Grande Guerre est sur le point d'éclater, Proust ne remettra jamais les pieds à Cabourg. Il ne verra jamais changer le Grand Hôtel se réformer, se perdre un peu… A la fin du conflit, en 1918, paraîtra le deuxième tome de la Recherche, intitulé A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Toute la seconde partie du roman se déroule en Normandie, dans une cité balnéaire - Balbec - qui ressemble à s'y méprendre à un Cabourg mâtiné de Trouville, au sein d'un palace qui tient un peu des Roches Noires, beaucoup du Grand Hôtel dont il emprunte jusqu'au nom. Un palace de papier bien à l'abri des atteintes du temps, peuplé de clients à jamais élégants, dans leurs tenues estivales de percale écrue et de soie vaporeuse…

Un paragraphe, peut-être - le plus célèbre: «Mais le lendemain matin! - après qu'un domestique fut venu m'éveiller et m'apporter de l'eau chaude, (…) quelle joie, pensant déjà au plaisir du déjeuner et de la promenade, de voir dans la fenêtre et dans toutes les vitrines des bibliothèques, comme dans les hublots d'une cabine de navire, la mer nue, sans ombrages, et pourtant à l'ombre sur une moitié de son étendue que délimitait une ligne mince et mobile, et de suivre des yeux les flots qui s'élançaient l'un après l'autre comme des sauteurs sur un tremplin.» La mer est toujours là, nue, et la ligne, mobile, mince, et les flots qui, depuis cent ans, ne cessent de s'élancer toujours.

Retrouvez Franck Ferrand sur son site http://www.franckferrand.com

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Paysages de bord de mer


Mer et pluie de Whistler

En villégiature à Balbec, le Narrateur ne cesse d’admirer de sa chambre du Grand Hôtel, le paysage de la mer qui change tous les soirs.

Et si, sous ma fenêtre, le vol inlassable et doux des martinets et des hirondelles n’avait pas monté comme un jet d’eau, comme un feu d’artifice de vie, unissant l’intervalle de ses hautes fusées par la filée immobile et blanche de longs sillages horizontaux, sans le miracle charmant de ce phénomène naturel et local qui rattachait à la réalité les paysages que j’avais devant les yeux, j’aurais pu croire qu’ils n’étaient qu’un choix, chaque jour renouvelé, de peintures qu’on montrait arbitrairement dans l’endroit où je me trouvais et sans qu’elles eussent de rapport nécessaire avec lui. Une fois c’était une exposition d’estampes japonaises : à côté de la mince découpure de soleil rouge et rond comme la lune, un nuage jaune paraissait un lac contre lequel des glaives noirs se profilaient ainsi que les arbres de sa rive, une barre d’un rose tendre que je n’avais jamais revu depuis ma première boîte de couleurs s’enflait comme un fleuve sur les deux rives duquel des bateaux semblaient attendre à sec qu’on vînt les tirer pour les mettre à flot. Et avec le regard dédaigneux, ennuyé et frivole d’un amateur ou d’une femme parcourant, entre deux visites mondaines, une galerie, je me disais : « C’est curieux ce coucher de soleil, c’est différent, mais enfin j’en ai déjà vu d’aussi délicats, d’aussi étonnants que celui-ci. » J’avais plus de plaisir les soirs où un navire absorbé et fluidifié par l’horizon tellement de la même couleur que lui, ainsi que dans une toile apparaissait impressionniste, qu’il semblait aussi de la même matière, comme si on n’eût fait que découper son avant, et les cordages en lesquels elle s’était amincie et filigranée dans le bleu vaporeux du ciel. Parfois l’océan emplissait presque toute ma fenêtre, surélevée qu’elle était par une bande de ciel bordée en haut seulement d’une ligne qui était du même bleu que celui de la mer, mais qu’à cause de cela je croyais être la mer encore et ne devant sa couleur différente qu’à un effet d’éclairage. Un autre jour la mer n’était peinte que dans la partie basse de la fenêtre dont tout le reste était rempli de tant de nuages poussés les uns contre les autres par bandes horizontales, que les carreaux avaient l’air par une préméditation ou une spécialité de l’artiste, de présenter une « étude de nuages », cependant que les différentes vitrines de la bibliothèque montrant des nuages semblables mais dans une autre partie de l’horizon et diversement colorés par la lumière, paraissaient offrir comme la répétition, chère à certains maîtres contemporains, d’un seul et même effet, pris toujours à des heures différentes mais qui maintenant avec l’immobilité de l’art pouvaient être tous vus ensemble dans une même pièce, exécutés au pastel et mis sous verre. Et parfois sur le ciel et la mer uniformément gris, un peu de rose s’ajoutait avec un raffinement exquis, cependant qu’un petit papillon qui s’était endormi au bas de la fenêtre semblait apposer avec ses ailes au bas de cette « harmonie gris et rose » dans le goût de celles de Whistler, la signature favorite du maître de Chesca. Le rose même disparaissait, il n’y avait plus rien à regarder. (JF 804/370)

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