Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Joseph Staline
Homme d'État soviétique (Gori, gouvernement de Tiflis, 1878 [officiellement 1879]-Moscou 1953).
Maître incontesté de l'Union soviétique, de 1929 à sa mort, Staline est l'un des personnages marquants de l'histoire du xxe siècle. Il symbolise la lutte du peuple soviétique contre le nazisme et apparaît en même temps comme le créateur d'un régime totalitaire. Qu'on le considère comme l'héritier de la révolution russe ou, au contraire, comme son fossoyeur, Staline fut à la fois l'un des hommes les plus adulés et les plus honnis de son époque.
Le révolutionnaire professionnel (1879-1917)
Né en Géorgie, dans l’Empire russe, où il s’initie au militantisme, d’abord nationaliste, puis socialiste, Iossif Vissarionovitch Djougatchivili (qui prendra en 1912 le pseudonyme de Staline [du russe stal, acier]) alterne à partir de 1901 périodes de clandestinité et d’emprisonnement.
Rallié aux bolcheviks, partisans d’une conquête du pouvoir par la révolution, il s’affirme progressivement au sein de leur parti et auprès de son leader, Lénine. La révolution qui éclate en février 1917 permet à Staline alors déporté en Sibérie de rentrer en Russie.
La montée vers le pouvoir (1917-1928)
Agissant avec prudence au sein du parti, Staline est en charge de la question des nationalités, dont il garde la responsabilité en tant que commissaire du peuple, après la prise de pouvoir des bolcheviks par la révolution d’Octobre.
Très actif durant la guerre civile entre Blancs partisans de l'ancien régime, et Rouges révolutionnaires, il devient en 1922 secrétaire général du parti et dispute dès lors l’héritage de Lénine aux autres dirigeants, parmi lesquels Trotski. À la fin de 1928, il apparaît comme le maître absolu de l’Union soviétique.
L'ère stalinienne (1928-1953)
Tournant le dos à l’internationalisme prolétarien, Staline entreprend de construire à marche forcée « le socialisme dans un seul pays », par l’industrialisation, la planification et la collectivisation autoritaires, et au prix d’une terreur politique destinée à éradiquer toute forme d’opposition ou de simple « fractionnisme » au sein du parti comme de la société.
Alors qu’il croit s’en être prémuni par le pacte germano-soviétique, Staline est pris de court par l'invasion hitlérienne de 1941. Mais, après avoir vacillé, son pouvoir sort renforcé de la « grande guerre patriotique » qui fait de l’Union soviétique une puissance mondiale, dotée d’une zone d’influence en Europe de l’Est.
Après la guerre commence alors une phase de restalinisation violente, marquée par une reprise de la terreur et une accentuation du culte de la personnalité de Staline.
À sa mort, en mars 1953, des millions de personnes, volontaires ou réquisitionnées, assistent à ses funérailles solennelles. Dès 1956, le secrétaire général du parti communiste d'URSS, Khrouchtchev, amorce un processus de déstalinisation, mais qui touche bien plus la personne de Staline que le régime totalitaire qu’il a forgé (→ stalinisme).
1. LA FORMATION D'UN RÉVOLUTIONNAIRE PROFESSIONNEL (1879-1917)
1.1. LA JEUNESSE D'UN RÉVOLTÉ (1879-1899)
UNE ENFANCE DIFFICILE (1879-1894)
Iossif Vissarionovitch Djougachvili est né à Gori, à l’époque gros bourg de Géorgie. Son père, Vissarion, est un pauvre cordonnier, qui va marquer profondément l'enfance de Iossif par sa brutalité. Les difficultés financières amènent Vissarion Djougatchvili à quitter Gori pour aller travailler dans une usine de chaussures à Tiflis (actuelle Tbilissi), la capitale de la Géorgie. À sa mort, son fils n'avait que onze ans. Sa mère, Ekaterina, une ancienne serve, travaille durement, en faisant des lessives chez des employeurs, pour lui assurer des études.
LE SÉMINARISTE DJOUGATCHVILI (1894-1899)
Après avoir fréquenté l'école orthodoxe de Gori, Iossif est admis en 1894 au séminaire orthodoxe de Tiflis – seule façon pour un jeune homme pauvre de pouvoir continuer des études. Il y reste cinq ans avant d'en être expulsé. On sait peu de chose sur ses études. Il régnait une discipline sévère dans cet établissement, qui était aussi un lieu de fermentation politique.
La Géorgie est alors une possession russe, et il y existe un mouvement national d'opposition à la domination des tsars ; en outre, les idées révolutionnaires ont pénétré le pays. En 1886, le principal du séminaire a été tué par un étudiant exclu, et, en 1893, peu de temps avant l'entrée de Iossif Djougachvili, une grève des séminaristes a contraint les autorités à fermer quelque temps l'établissement.
L'APPRENTISSAGE DE LA POLITIQUE
Dans une telle atmosphère, Djougatchvili fait un apprentissage plus révolutionnaire que religieux. En 1895, il publie dans la revue nationaliste Iberya un poème patriotique sous la signature de Sosselo (le « petit Jojo »). Ses lectures deviennent « subversives » : c'est ainsi qu'il est mis au cachot pour avoir lu les Travailleurs de la mer de Victor Hugo. En 1898, il adhère à un cercle clandestin nationaliste, Messame-Dassi (le « troisième groupe »), où dominent les idées socialistes, et il est chargé d'organiser des cercles d'études pour les ouvriers. La même année, dans un rapport, le directeur du séminaire écrit : « Djougatchvili est généralement irrespectueux et grossier envers les autorités. » En mai 1899, le jeune homme est exclu du séminaire.
1.2. LE MILITANT RÉVOLUTIONNAIRE (1899-1917)
LA CLANDESTINITÉ
Dès lors commence pour Iossif Djougatchvili la vie difficile du militant révolutionnaire. Il vit en donnant des leçons, puis travaille à l'observatoire de Tiflis tout en militant activement et en lisant avec passion les ouvrages socialistes, ceux de Marx en premier lieu. En 1901, il bascule dans la clandestinité : il y vivra, à quelques exceptions près, jusqu'au début de la révolution, qui marque la chute du tsarisme (mars 1917).
À la fin de l'année 1901, il part pour Batoumi, important port industriel à la frontière turque. C'est là qu'il prend son premier surnom, Koba (« l'Indomptable », nom turc d'un héros populaire géorgien). En avril 1902, il est arrêté : c'est sa première incarcération, mais non la dernière. Il restera en prison un an, sera ensuite condamné à trois ans de déportation en Sibérie orientale, mais s'évadera en janvier 1904.
Dans l'intervalle, il a participé, en septembre 1901, à la création d'un journal clandestin en géorgien Brdzola (la Lutte). Il se sépare alors du groupe nationaliste Messame-Dassi. À partir de 1903, il défend les thèses des bolcheviks au sein du parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), auquel il va désormais attacher ses pas.
DURANT LA RÉVOLUTION DE 1905
À la suite de la guerre russo-japonaise et des défaites russes de l'année 1904, la révolution gronde en Russie. Grèves et manifestations ont lieu dans tout l'Empire et sont particulièrement importantes dans les régions caucasiennes, où milite Koba-Djougatchvili. Celui-ci participe même à la création d'une organisation militaire destinée à préparer l'insurrection.
Toujours dans la clandestinité, Koba prend une part active à la révolution de 1905. Il est élu délégué à la conférence nationale du parti bolchevik qui se tient à Tammerfors, en Finlande (alors occupée par les Russes). C'est sa première sortie hors du Caucase et sa première rencontre avec Lénine. En avril 1906, Koba se rend à Stockholm au IVe Congrès du POSDR. En 1907, il est à Londres pour participer au Ve Congrès du parti. Son rôle politique est déjà important.
L'AGITATEUR DU CAUCASE
Après Londres, Koba gagne Bakou dont il fait, avec Stepan Chaoumian (le « Lénine du Caucase »), le centre des activités bolcheviques dans la région. Dans ce grand centre pétrolier, son activité est considérable auprès des ouvriers du pétrole, parmi lesquels se côtoient plusieurs nationalités : Azerbaïdjanais, Géorgiens, Arméniens et Russes.
En même temps, il participe à la direction de brigades chargées d'organiser des attaques contre les banques et les transferts d'argent. Ces « expropriations » seront nombreuses dans le Caucase (la plus importante aura lieu à Tbilissi et servira, pour une large part, à alimenter les caisses du groupe bolchevik). Cependant, Koba se heurte à Chaoumian et cherche à l'évincer, au point que ses camarades le soupçonnent de l'avoir dénoncé à la police – dès cette époque, le caractère du futur Staline est marqué par sa brutalité.
DE PRISON EN PRISON (1908-1917)
En mars 1908, Koba est de nouveau emprisonné et déporté ; il s'évade en juin 1909 et reprend sa place à la direction clandestine du comité de Bakou. Réarrêté en mars 1910, il s'évade encore en février 1912. Il n'a pas pu participer au congrès de Prague (janvier 1912), au cours duquel est consommée la scission du POSDR entre un parti menchevik (« minoritaire ») réformiste et un parti bolchevik (« majoritaire ») révolutionnaire.
Koba est coopté au Comité central bolchevik et devient un de ses principaux dirigeants de l'intérieur. En avril 1912, il est à Saint-Pétersbourg, capitale de l'Empire tsariste, où il participe à la création du journal Pravda (la Vérité). C'est lui qui en signe le premier éditorial. Il est arrêté une fois encore et déporté en Sibérie occidentale, d'où il s'évade une nouvelle fois.
Après un séjour en exil à Cracovie (alors en territoire autrichien), puis à Vienne, Koba prend le risque de revenir à Saint-Pétersbourg, mais est arrêté huit jours après (février 1913) sur dénonciation de Malinovski, député bolchevik et agent de l'Okhrana, la police politique du tsar.
Déporté dans le nord de la Sibérie, étroitement surveillé, il reste quatre ans dans cette région au climat pénible et éloignée de tout. C'est la révolution qui éclate en février-mars 1917 qui va le libérer.
STALINE ET LA QUESTION NATIONALE
Pendant son séjour à Cracovie, où Lénine l'a appelé, en novembre 1912, à venir travailler auprès de lui, il rédige, à sa demande, plusieurs articles sur les problèmes nationaux. C'est au bas d'un article sur « le Marxisme et la question nationale » qu'apparaît pour la première fois la signature Staline (« l'homme d'acier »). Dans cet article, tout en défendant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, il présente une vision très centraliste du problème des nationalités dans l'Empire russe. Surtout, Staline donne une définition restrictive de la nation, qui, selon lui, ne peut exister sans territoire. S'y esquisse déjà la politique impérialiste qu'il mettra en application, une fois parvenu au pouvoir.
2. LA MONTÉE DE STALINE VERS LE POUVOIR (1917-1928)
À partir de 1917, l'histoire de Staline se confond avec celle de la révolution et de l'Union soviétique.
2.1. D'UNE RÉVOLUTION À L'AUTRE (MARS-NOVEMBRE 1917)
Devant le succès du mouvement révolutionnaire à Petrograd (nouveau nom de Saint-Pétersbourg, débaptisée en 1914 après l'entrée en guerre contre l'Allemagne) et son extension en province, le tsar Nicolas II a abdiqué le 15 (le 2, selon l'ancienne datation) mars 1917. Un Gouvernement provisoire s'est formé, dirigé par le prince Lvov. La bourgeoisie gouverne, mais doit composer avec le soviet de Petrograd, dirigé par les mencheviks, les bolcheviks et les S-R (socialistes-révolutionnaires, non marxistes).
UN BOLCHEVIK DE COMPROMIS
C'est le 25 mars 1917 que Staline, de retour de déportation revient à Petrograd. En l'absence de Lénine – encore en Suisse –, il joue un rôle important dans la direction du parti bolchevik, en particulier à la Pravda. Tout en combattant les positions de la droite du parti bolchevik – représentée par Kamenev, favorable à un « soutien critique » du Gouvernement provisoire et proche des mencheviks –, il critique la gauche du parti, qui, avec Molotov, exige la rupture complète avec le Gouvernement provisoire.
Cette attitude centriste de Staline est vivement critiquée par Lénine dès son retour de Suisse le 16 avril. Lénine considère qu'il faut combattre vigoureusement la politique du Gouvernement provisoire, dirigée par la bourgeoisie et soutenue par le soviet de Petrograd et les mencheviks.
Pendant ce temps, la guerre continue, et le Gouvernement provisoire se refuse à toute réforme importante. Après quelques hésitations, Staline se rallie aux thèses de Lénine ; il est élu au Comité central du parti lors de la septième conférence panrusse, où il défend la résolution proposée par Lénine.
De mai à novembre 1917, il soutient Lénine sans défaillance et joue un rôle essentiel dans l'organisation du parti bolchevik, en même temps qu'il s'affirme comme un spécialiste du problème des nationalités.
STALINE, DIRIGEANT OFFICIEUX DU PARTI
Quand Lénine doit replonger dans la clandestinité à la fin de juillet 1917, après une tentative de prise de pouvoir par l'aile avancée des militants ouvriers, marins et soldats (que le parti bolchevik a d'ailleurs désavouée), c'est Staline qui dirige le parti, de nombreux leaders, Kamenev et Trotski, entre autres, ayant été arrêtés et emprisonnés. Malgré la répression, l'influence bolchevik se développe rapidement chez les ouvriers, dans l'armée et même chez les paysans, pourtant davantage tournés vers les S-R.
Le Gouvernement provisoire, dirigé depuis le 6 août par Aleksandr Kerenski, se refuse à mettre fin à la participation de la Russie à la guerre et mécontente une opinion de plus en plus sensible au mot d'ordre de paix.
En septembre 1917, le commandant en chef de l'armée, le général Lavr Kornilov, tente avec la complicité du Gouvernement provisoire un coup d'État destiné à instaurer une dictature militaire pour contrer l'ascension des bolcheviks. Ceux-ci organisent la lutte contre Kornilov et font échouer le putsch. En même temps, ils deviennent majoritaires aux soviets de Petrograd et de Moscou, ainsi que dans un grand nombre de soviets de villes et de régiments.
LE SOUTIEN À LÉNINE
C'est alors que Lénine, toujours dans la clandestinité, propose de préparer une insurrection pour éliminer le Gouvernement provisoire, complice du putsch militaire. Il faudra près d'un mois au Comité central du parti bolchevik pour se décider : c'est chose faite le 23 (10) octobre 1917.
Pendant cette période, Staline est, avec Iakov Sverdlov et Trotski, un des plus solides soutiens de Lénine. Il ne joue pas cependant dans la préparation de l'insurrection un rôle majeur, pas aussi important du moins qu'il ne le prétendra par la suite, mais sans doute plus essentiel que ne le dira Trotski. Représentant du parti au Comité révolutionnaire du soviet de Petrograd et membre du Bureau politique (→ Politburo) du parti, organisme qui vient d'être créé au sein du Comité central, Staline est à Smolnyï (quartier général de l'insurrection) un des principaux relais du parti.
Pour en savoir plus, voir l'article révolution russe de 1917.
2.2. STALINE PENDANT LE « COMMUNISME DE GUERRE »
COMMISSAIRE DU PEUPLE AUX NATIONALITÉS
Au lendemain de la révolution d'Octobre et la prise du pouvoir par les bolcheviks, lorsque le Conseil des commissaires du peuple (en fait le gouvernement) est constitué, Staline est nommé commissaire aux Nationalités. Ce poste peut apparaître comme secondaire. En réalité, il est délicat et crucial, car l'Empire russe que la révolution fait s'effondrer est une mosaïque de nationalités extrêmement diverses.
Le nouveau pouvoir soviétique va, dès le 15 novembre, proclamer les droits des peuples de Russie :
– 1 « égalité et souveraineté des peuples de Russie ;
– 2 « droit des peuples de Russie de disposer d'eux-mêmes jusqu'à séparation et constitution d'un État indépendant ;
– 3 « suppression de tous les privilèges nationaux ou religieux ;
– 4 « libre développement des minorités nationales et groupes ethniques habitant le territoire russe. »
– 1 « égalité et souveraineté des peuples de Russie ;
– 2 « droit des peuples de Russie de disposer d'eux-mêmes jusqu'à séparation et constitution d'un État indépendant ;
– 3 « suppression de tous les privilèges nationaux ou religieux ;
– 4 « libre développement des minorités nationales et groupes ethniques habitant le territoire russe. »
Ces principes posés, il reste à les appliquer, et ce n'est pas chose facile.
Les puissances étrangères utilisent la situation pour renforcer leurs positions dans les anciennes colonies russes. Ici et là, les nationalistes de droite combattent les bolcheviks, souvent encore très faibles dans certaines régions périphériques de l'Est, dans le Caucase et même en Finlande.
Enfin, la guerre civile menace de toutes parts, et le conflit continue avec l'Allemagne, qui, même après la signature du traité de Brest-Litovsk en mars 1918, poursuit ses opérations en Ukraine. Après l'armistice du 11 novembre 1918 (signé en l'absence de la Russie), Britanniques et Français relaient Allemands et Turcs contre la Russie soviétique.
UN PERSONNAGE-CLÉ DU PARTI
Staline, dans la tâche qui lui est confiée, fait preuve de doigté et de diplomatie, du moins dans les premières années du nouveau régime. Sa position personnelle est forte, encore qu'obscure. Il est l'un des quatre membres de l'exécutif du Comité central désigné après la révolution (avec Lénine, Trotski et Sverdlov) ; il est également nommé représentant du parti bolchevik à l'exécutif du Conseil des commissaires du peuple (une sorte de cabinet restreint composé de trois bolcheviks, Lénine, Trotski et Staline, et deux S-R de gauche). C'est dire s'il est en fait, après Lénine et Trotski, l'un des premiers dirigeants de la Russie soviétique.
Au moment des vives discussions qui opposent entre eux les dirigeants bolcheviks avant la signature du traité de Brest-Litovsk, Lénine est longtemps mis en minorité, mais Staline est un de ceux qui le soutiennent.
EN LUTTE CONTRE LES « BLANCS »
La guerre civile, cependant, s'étend et, dès l'été 1918, elle fait rage sur tout le territoire de l'ancien Empire tsariste entre les Rouges, les révolutionnaires, et les Blancs, partisans de l'ordre ancien. Comme tous les dirigeants bolcheviks, Staline se rend sur le front. À l'origine, il est chargé d'assurer le ravitaillement en blé de la capitale, et son quartier général se trouve sur la Volga, à Tsaritsyne, la future Stalingrad (rebaptisée ainsi en son honneur en 1925). En octobre-novembre 1919, les armées blanches, après de violents combats, subissent une défaite écrasante. Trotski, commissaire du peuple à la Guerre, et Staline se disputent les lauriers de la victoire.
L'ANTAGONISME ENTRE STALINE ET TROSTKI
Rappelé à Moscou avec les honneurs de la guerre, Staline repart à plusieurs reprises pour le front en 1919 contre le général Anton Denikine, puis en 1920 lors de la campagne de Pologne qui se termine par la défaite de l'Armée rouge (et Staline, qui en est le commissaire politique, en est rendu largement responsable par Trotski).
C'est cependant au cours de cette période qu'il se constitue un groupe de fidèles, Caucasiens et Russes, qui l'accompagneront dans son ascension au pouvoir.
Décoré de l'ordre du Drapeau rouge, Staline n'a, sans doute, pas la popularité de Trotski au lendemain de la guerre civile, mais il apparaît dans les cercles dirigeants bolcheviks comme un organisateur efficace. C'est pourquoi Lénine, tout en lui laissant le commissariat du peuple aux Nationalités, lui confie la direction de l'Inspection ouvrière et paysanne, un organisme de contrôle destiné à lutter contre la bureaucratie.
UN PAYS À RECONSTRUIRE
À l'héritage déjà lourd du tsarisme s'ajoute celui de la guerre. Vainqueurs, les bolcheviks se trouvent à la tête d'un pays ruiné et meurtri, après quatre ans de guerre étrangère et trois ans de guerre civile. Il y a eu au total, de 1914 à 1922, plus de 13 millions de victimes, dont 8 millions au cours de la terrible famine de l'hiver 1921-1922. L'industrie n'existe pratiquement plus, et l'agriculture est si ralentie qu'à peine la moitié des terres cultivées en 1913 sont ensemencées en 1921.
La Russie soviétique, d'autre part, reste isolée. À ses frontières, les grandes puissances établissent un « cordon sanitaire » destiné à contenir le « péril bolchevik ». Proclamée le 30 décembre 1922, l'URSS n'est reconnue qu'en 1924 par la France et la Grande-Bretagne, en 1933 par les États-Unis. Un arrière-plan qu'on ne doit pas perdre de vue quand on étudie le rôle de Staline à partir de 1922.
2.3. L'AFFIRMATION DE L'AUTORITÉ DE STALINE SUR LE PARTI (1922-1928)
De 1922 à 1928, alors que la nouvelle économie politique (NEP), lancée par Lénine, permet de reconstruire le pays pratiquement sans aide étrangère (les grands pays industriels boycottant l'Union soviétique pendant de longues années), au sommet de l'appareil du parti se livrent d'âpres luttes d'influence, dont Staline va sortir finalement vainqueur.
STALINE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PARTI
Le 3 avril 1922, après le XIe Congrès du parti, Staline est élu secrétaire général. C'est un poste relativement nouveau, à l'origine plutôt administratif. Les circonstances vont lui donner une importance grandissante.
En effet, Lénine tombe gravement malade quelque temps après. Avant d'être écarté totalement des affaires par la maladie, il a eu le temps de juger avec sévérité l'action de Staline. Dans des notes rédigées en décembre 1922, considérées comme son testament, il a critiqué la conduite répressive de Staline en Géorgie et lui a reproché de ressusciter le chauvinisme russe et d'utiliser les méthodes autoritaires des tsars. « Le camarade Staline devenu secrétaire général a maintenant un énorme pouvoir entre les mains et je ne suis pas sûr qu'il sache toujours user de ce pouvoir avec assez de prudence. » « Staline est trop brutal », ajoute-t-il, et il propose de le remplacer au secrétariat général par un « homme plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades […] ».
L'HÉRITAGE DISPUTÉ DE LÉNINE
Néanmoins, Staline reste secrétaire général, et son autorité s'affirme au fil des ans. Jusqu'à la mort de Lénine, le 21 janvier 1924, les assauts contre Trotski de la « troïka » que Staline forme avec deux autres membres du Politburo – Zinoviev et Kamenev –, sont relativement modérés, d'autant que le pays est alors en crise.
Staline se prononce contre la révolution permanente prônée par Trotski, il accuse ce dernier de mener une activité fractionnelle au sein du parti, d'avoir des vues économiques erronées, et critique ses Leçons d'Octobre parues en octobre 1924. Il parvient peu à peu à l'isoler, en envoyant ses partisans à l'étranger ou dans des régions reculées de l'URSS, ou en les démettant simplement de leurs fonctions.
Trotski, condamné par une résolution du Comité central de janvier 1925, n'intervient pas en faveur de Kamenev et de Zinoviev, attaqués à leur tour par Staline lors du XIVe congrès du parti en décembre, mais il s'allie à eux l'année suivante. Cela n'empêche pas Staline de l'emporter : Trotski et Zinoviev sont exclus du parti le 15 novembre 1927, et leurs partisans le sont lors du XVe congrès du parti, un mois plus tard.
LES RAISONS DE LA VICTOIRE DE STALINE SUR SES RIVAUX À LA SUCCESSION DE LÉNINE
Tout en jouant à certains moments la modération, Staline met ses opposants dans la position d'« aventuristes », de destructeurs de la cohésion du parti, dont il se présente comme le seul garant. Son entreprise est facilitée par le fait que ses adversaires eux-mêmes renoncent à utiliser toutes les armes à leur disposition ; ainsi, Trotski et Nadejda Kroupskaïa, la veuve de Lénine, vont jusqu'à nier l'existence du « testament » de Lénine au nom de l'unité du parti.
Staline sait aller jusqu'au bout de son point de vue et le parti bolchevik, compte tenu des nécessités du moment, serre les rangs derrière lui. La révolution, en effet, a échoué partout ailleurs qu'en Russie, et il semble peu probable qu'elle triomphe de sitôt. La construction du « socialisme dans un seul pays », option que défend Staline, s'impose dès lors comme un impératif, en opposition à l'internationalisme prôné par Lénine.
Au-delà des querelles personnelles entre les « héritiers de Lénine » – Staline, Trotski, Kamenev, Boukharine, Zinoviev –, il y a des choix fondamentaux à faire. Staline les fait avec le plus de netteté, et sans hésiter à évincer brutalement ses opposants.
3. STALINE MAÎTRE DE L'URSS (1928-1953)
3.1. L'ORDONNATEUR DE LA DICTATURE TOTALITAIRE (1928-1941)
LES MOYENS DU POUVOIR : UN PARTI UNIQUE RENOUVELÉ, UN APPAREIL RÉPRESSIF TOUT-PUISSANT
À la fin de 1927, une fois Trotski, Zinoviev et Kamenev exclus du parti bolchevik, l'autorité de Staline est désormais incontestable. Staline domine le parti, et le parti domine les soviets et l'État. La construction du socialisme dans un seul pays devient le mot d'ordre du parti. Un parti unique mais qui reste faible malgré sa victoire, en raison même des conditions dans lesquelles il a triomphé. La Russie tsariste n'avait ni traditions ni structures démocratiques. La guerre civile a conduit les bolcheviks à répondre par la « terreur rouge » à la « terreur blanche ». La police politique (la Tcheka, devenue la Guépéou en 1922) a pris une importance démesurée.
D'abord au service du parti et orientée vers la défense de la révolution, la « Commission extraordinaire » (Tcheka) à laquelle avait dû se résoudre Lénine est rapidement devenue une institution permanente, un appareil d'État – la dénomination GPU (Guépéou) en est révélatrice : Administration Politique d'État –, qui étend son contrôle jusque sur le parti. Depuis la révolution, le parti n'a cessé de croître : en 1929, ses effectifs sont trois fois plus nombreux qu'à la mort de Lénine, mais il ne compte pratiquement plus de vieux bolcheviks, sa base ouvrière se réduit au profit d'une couche de fonctionnaires, et le niveau intellectuel des nouveaux venus est aussi limité que leur expérience politique. Comme moyen de concrétiser le changement radical et rapide où s'engage Staline, le parti paraît inadéquat. Cela explique au moins en partie le glissement du système politique vers les forces de sécurité, dont Staline fait l'instrument de son volontarisme.
INDUSTRIALISATION, COLLECTIVISATION ET PLANIFICATION À MARCHE FORCÉE
Fort des succès de la nouvelle économie politique (NEP), Staline engage alors l'Union soviétique sur la voie de l'industrialisation accélérée. L'URSS est en effet, en 1929, encore un pays rural pour les quatre cinquièmes, et la révolution, après avoir nationalisé les terres, les a distribuées aux paysans. Afin d'industrialiser rapidement, il faut, du fait de l'absence d'investissements étrangers, utiliser les capitaux d'origine rurale. Le drame, c'est que la collectivisation des terres, à la fois nécessité économique et donnée de principe de l'économie socialiste, va se faire dans la plus grande hâte et par des mesures violentes : en janvier 1930, Staline décrète « la liquidation des koulaks (paysans aisés) en tant que classe ». L'exode rural massif et la déstructuration de l'économie rurale se traduisent par une terrible famine qui, en 1932-1933, fait plusieurs millions de victimes, en Ukraine principalement.
La planification permet de concentrer les forces disponibles sur les secteurs décisifs de l'industrie lourde, mais cela ne peut se réaliser qu'au prix d'une mobilisation de toutes les énergies s’accompagnant d’une fuite en avant : les objectifs initiaux du premier plan quinquennal sont doublés, triplés, quintuplés suivant les branches. Assortie de la disparition de toute la sphère privée pour les individus, puis de l'embrigadement, voire de l'asservissement, des classes laborieuses, la course à la production se traduit aussi par les mouvements de « compétition socialiste » : « travailleurs de choc » à partir de 1929, puis stakhanovisme à partir de 1935.
LA TERREUR POLITIQUE STALINIENNE
L'économie socialiste fait des progrès sérieux – l'industrialisation sera une réalité en 1939 –, l'évolution culturelle est considérable et l'analphabétisme est éliminé chez les moins de quarante ans ; seule l'agriculture piétine, en raison de la collectivisation.
En même temps, les méthodes de plus en plus autoritaires de Staline se heurtent à la résistance naissante de nombre de communistes, même si le monolithisme du parti est devenu total en 1933 après l'éviction de Boukharine (1929) et de l'« opposition de droite ».
Pour imposer sa volonté transformatrice, Staline doit s'appuyer sur un appareil policier puissant et renforcer les institutions étatiques. Démasquant complots et réseaux de sabotage, réels ou imaginaires, il réorganise la police politique (la Guépéou est remplacée par le NKVD en 1934), qu'il confie à Guenrikh Iagoda, cadenasse tout l'appareil d'État et se débarrasse systématiquement de tous ceux qui critiquent ou pourraient critiquer sa politique.
L'assassinat en décembre 1934 de Kirov, secrétaire du parti à Leningrad (ex-Petrograd, débaptisé en 1924) et successeur potentiel du secrétaire général, ouvre une ère de terreur.
Cent dix-sept exécutions capitales sont immédiatement ordonnées à la suite de cet attentat (en 1937, Staline « révèlera » que le principal assassin de Kirov était en fait Iagoda, l'un de ses plus proches collaborateurs et l'instrument de sa politique terroriste). Staline fait procéder à une vague de purges massives.
Lors des procès de Moscou, de 1936 à 1938, sont jugés et condamnés la plupart des dirigeants de la révolution (des prototypes plus modestes de ces grands procès, visant des intellectuels et des mencheviks, avaient déjà été organisés au début des années 1930) ; l'épuration s'étend rapidement à des centaines de milliers de cadres administratifs, militaires, économiques et culturels.
Sous le contrôle du NKVD, les camps de travail forcé se remplissent de millions de personnes, dont la plupart disparaissent dans ce qui sera plus tard connu sous le nom de Goulag.
UN CHEF PUISSANT ET ADULÉ, MAIS ISOLÉ
Le stalinisme s'exprime également dans le culte du chef, dont les portraits et les statues sont omniprésents. Au XVIIe Congrès du parti, dit « des vainqueurs », en février 1934, Staline est devenu, dans la description de Kirov, « le plus grand homme de tous les temps et de tous les pays ». Cette vénération atteint son apogée en 1936 – année de l'adoption de la nouvelle Constitution soviétique, dite « stalinienne » –, puis lors des 60e et 70e anniversaire de Staline, en 1939 et 1949. Staline vit jusqu'en 1933 au Kremlin, dont il ne sort guère, sinon pour les cérémonies officielles sur la place Rouge. La plupart de ses compagnons de jeunesse et même ses amis de la révolution disparaissent tragiquement, dont un grand nombre sur son ordre. Le pouvoir suprême accentue le côté solitaire – et brutal – de sa personnalité. Une solitude que ne compense aucune vie familiale.
Très jeune, Staline a épousé Ekaterina Svanidze, qui est morte en 1906 (leur fils deviendra général de l'Armée rouge). Après la révolution, il s'est remarié avec une très jeune fille, Nadejda Allilouïeva, qui se suicidera en 1932 dans des circonstances restées mystérieuses ; il fera fusiller par ailleurs deux de ses beaux-frères, et quatre de ses belles-sœurs seront déportées.
3.2. LE CHEF DE L'ARMÉE ROUGE (1941-1945)
UN CONFLIT MAL ANTICIPÉ
En 1939 commence la Seconde Guerre mondiale. L'Union soviétique reste neutre jusqu'en juin 1941 en vertu du pacte de non-agression avec l'Allemagne hitlérienne (août 1939). Les Occidentaux (France et Grande-Bretagne) ont refusé de signer avec l'URSS un accord militaire et économique face à l'Allemagne hitlérienne. À Munich, en septembre 1938, Français et Britanniques ont traité avec Hitler sans consulter l'URSS, tandis que les États-Unis restent neutres jusqu'en décembre 1941. Si, du point de vue soviétique, le pacte germano-soviétique se justifie – il faut gagner du temps –, on comprend mal, en revanche, que Staline ait pu être surpris par l'agression hitlérienne du 22 juin 1941, car le gouvernement soviétique a reçu des informations précises à ce sujet. Avec les difficultés de 1932-1933, dues aux conditions de la collectivisation des terres, les défaites qui suivent l'invasion allemande seront le plus grand échec de Staline. Pendant plus d'une semaine, il disparaît même de la scène politique.
LE MARÉCHAL STALINE
Le 3 juillet 1941, Staline s'adresse cependant aux Soviétiques pour les appeler à la lutte contre l'envahisseur. Président du Conseil des commissaires du peuple depuis le 6 mai 1941 (où il remplace Molotov), il devient président du Comité d'État pour la défense, puis commandant en chef de l'Armée rouge (août), concentrant ainsi dans ses mains tous les pouvoirs civils et militaires.
En octobre 1941, malgré la menace allemande, Staline décide de rester à Moscou. Le 6 novembre, il prononce, à la station de métro Maïakovski, un discours qui en appelle ouvertement aux sentiments patriotiques et, le lendemain, à l'occasion du 24e anniversaire de la révolution d'Octobre – alors les Allemands sont à moins de 100 km de la capitale –, il passe en revue les troupes sur la place Rouge.
Staline parvient à inspirer au peuple une véritable foi dans son infaillibilité, à dissiper les doutes et les rancoeurs des années précédentes ; se conciliant par des concessions l'Église orthodoxe et restaurant dans l'armée les valeurs traditionnelles, il mobilise la population au service de la « grande guerre patriotique ». Les succès militaires soviétiques, surtout après la terrible bataille de Stalingrad (février 1943) permettent au « petit père des peuples » adulé de ses concitoyens de s'attribuer une stature de grand chef militaire. En 1943 il se fait maréchal, en 1945 généralissime.
Pour en savoir plus, voir l'article Seconde Guerre mondiale.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale s'achève, l'URSS, dont la participation à la victoire sur Hitler a été décisive, bénéficie d'un prestige énorme dans le monde, et Staline est au zénith de sa gloire. Son culte est célébré avec une intensité croissante tant en URSS que dans les démocraties populaires : érection de statues monumentales, diffusion d'une littérature dithyrambique, etc.
3.3. LE MAÎTRE DU CAMP SOCIALISTE (1945-1953)
La victoire de l'URSS a été obtenue au prix de sacrifices immenses : plus de 20 millions de morts (700 000 rien que pour les victimes civiles de Leningrad) et près de la moitié du pays dévasté par les nazis.
PUISSANCE MILITAIRE ET GUERRE FROIDE
Il faut donc reconstruire le pays, et cela demande du temps et de nouveaux sacrifices. Lors des conférences de Téhéran (nov.-déc. 1943), Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet-août 1945), Staline a défendu avec habilité et ténacité les acquisitions de l'URSS, il a tenté de trouver un accord pour l'après-guerre avec ses alliés occidentaux britanniques et américains, mais l'URSS ne possède pas encore la bombe atomique (la première n'éclatera qu'en 1949). Il lui faut dépenser des sommes énormes pour rattraper son retard militaire, ce qui ne peut qu'entraver le développement économique.
Pourtant, malgré la guerre froide (marquée par le blocus de Berlin et la guerre de Corée), l'URSS connaît un certain développement industriel et culturel après 1947. Les industries spatiale et nucléaire sont créées à cette époque ; cependant, les biens de consommation ne progressent pas aussi vite, et les difficultés agricoles sont considérables.
STALINE ET L'IMPÉRIALISME SOVIÉTIQUE
Après la victoire, Staline scelle la domination soviétique sur la majeure partie de l'Europe de l'Est. Subordonnant encore plus qu'auparavant toute visée internationaliste aux intérêts de l'URSS, il crée alors le Kominform (1947), qui impose aux partis communistes (notamment après la rupture avec la Yougoslavie de Tito en 1949) le soutien inconditionnel de la politique soviétique et l'adoption du dogmatisme diffusé par son collaborateur Jdanov. La dernière période voit Staline régner sans partage sur ce nouvel empire, dans un style ouvertement autocratique, et le congrès du parti n'est plus réuni avant 1952.
LE RETOUR À LA TERREUR
Vénéré à l'égal d'un dieu, Staline, qui a depuis longtemps l'obsession du complot, devient de plus en plus méfiant et soupçonneux. Ne gouvernant plus qu'avec une poignée de responsables (Jdanov, Malenkov, Beria, Boulganine, puis Khrouchtchev), il durcit de nouveau son emprise. Il écarte les militaires vainqueurs de la guerre, comme le maréchal Joukov, et s'apprête même à éliminer des collaborateurs proches ; les camps de travail forcé accueillent tous ceux qui doutent ou pourraient douter du « génie du chef ».
Sur le plan idéologique, le régime devient de plus en plus nationaliste grand-russe et xénophobe, ce qui prend, entre autres, la forme d'une campagne contre le « cosmopolitisme » à partir de 1948.
En janvier 1953, l'« affaire des blouses blanches », prétendu complot de médecins juifs ayant soigné des membres du parti qui auraient empoisonné des dirigeants soviétiques et prévu d'en assassiner d'autres, donne le signal à la fois d'une vaste purge et d'une répression antisémite. Peut-être l'affaire est-elle fabriquée de toutes pièces, ou correspond-elle à une machination dirigée par Beria, qui se savait menacé par Staline dont il était pourtant l'exécuteur des basses œuvres, Khrouchtchev et Molotov qui cherchent à écarter Staline ?.
LA MORT DU « PETIT PÈRE DES PEUPLES »
Depuis près de vingt ans, Staline vit solitaire dans une « datcha » près de Moscou, à Kountsevo. Il passe l'été sur les bords de la mer Noire, dans le Caucase et ne se montre jamais en public, sinon le 1er mai et le 7 novembre, lors des grands défilés sur la place Rouge.
Dans la nuit du 1er mars 1953, dans sa datcha, Staline est victime d'une hémorragie cérébrale, dont il meurt le 5 mars 1953. Ce qui s'est exactement passé dans les heures qui précèdent et suivent cette attaque, et notamment le comportement des dirigeants du parti présents autour de lui comme Beria, demeure controversé.
Embaumé, son cadavre est placé dans le mausolée de la place Rouge à Moscou, à côté de celui de Lénine, quelques mois après une cérémonie funèbre où des millions de personnes ont pleuré le « petit père des peuples », le vainqueur de Stalingrad.
LA DÉSTALINISATION INACHEVÉE
Pourtant, dès l'année suivante, le nom de Staline commence à disparaître des journaux. En 1956, devant le XXe Congrès du parti communiste de l'URSS, le secrétaire général Khrouchtchev, dans une séance à huis clos, présente un rapport secret visant à démontrer que les succès obtenus par l'URSS sont dus pour l'essentiel au parti et non à son défunt dirigeant, dont le culte de la personnalité, les méthodes brutales et les erreurs stratégiques sont dénoncées.
Il s'agit donc d'une mise en cause de Staline seul plus que du stalinisme et des méthodes qu'il a mises en œuvre : la déstalinisation amorcée lors du XXe Congrès est restée largement inachevée.
Pour en savoir plus, voir l'article stalinisme.
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Adolf Hitler
Homme d'État allemand (Braunau, Haute-Autriche, 1889-Berlin 1945).
Né en Autriche et soldat pendant la Première Guerre mondiale, Hitler devient le chef du parti nazi en 1921. Après un putsch manqué (1923), il expose la doctrine national-socialiste dans Mein Kampf et la met peu à peu en application après son arrivée au pouvoir en 1933. Il transforme l’Allemagne en un État totalitaire dont il se proclame le « Guide » (Führer) et sa politique extérieure mène à la Seconde guerre mondiale, guerre totale marquée par la domination allemande sur l’Europe et le génocide des Juifs.
Formation
Après des études médiocres et un échec aux Beaux-Arts, Hitler s’ouvre aux milieux pangermanistes et antisémites de Vienne. Profondément marqué par la guerre, la défaite de 1918 et la situation pré-révolutionnaire qui en résulte en Allemagne, il entre en 1920 au parti nazi (NSDAP), dont il prend bientôt la direction.
Le chef du parti nazi (1921-1933)
Hitler fait du parti une machine de guerre contre la République parlementaire de Weimar. Sa tentative de putsch à Munich le conduit en prison où il rédige Mein Kampf, guide d’action plus que traité de doctrine. Il en ressort une haine viscérale des Juifs, rendus responsables de tous les maux de l’Allemagne, une aspiration pour son pays à l’hégémonie continentale, voire mondiale, une exaltation de la violence et du principe du chef (Führerprinzip). Ce centralisme, il l’applique d’abord dans son propre parti, d’où sont exclus toutes les tendances opposées, jusqu’à l’élimination physique de ses adversaires (→ Nuit des longs couteaux, 1934).
La prise du pouvoir (1933-1934)
D’abord freiné par la prospérité des années 1920, le parti nazi est ensuite servi par les conséquences de la crise de 1929. Hitler cultive l’ambiguïté pour puiser des voix dans tous les groupes sociaux : chômeurs, ouvriers, petits bourgeois, enseignants, grande bourgeoisie d’affaires. Le 30 janvier 1933, il devient chancelier du Reich et, le 2 août 1934, président. Entre ces deux dates, il a réduit à néant toute forme d’opposition (→ camps de concentration), pris les premières mesures antisémites et doublé les institutions de la république d'organes et d’agents nazis.
Le Führer du IIIe Reich
Entre 1934 et 1939, Hitler transforme l’Allemagne en un État totalitaire où rien n’échappe au contrôle du Führer ou de ses représentants. Le régime remporte des succès sociaux (disparition du chômage, industrialisation par l’armement) et extérieurs (« coups de force » sur la Rhénanie, l’Autriche, la Tchécoslovaquie) qui expliquent sa popularité, mais provoquent la réaction tardive des puissances occidentales et le début de la Seconde Guerre mondiale.
De 1939 à 1941, Hitler est le maître de la plus grande partie de l’Europe et organise un système continental fondé sur l’asservissement au Grand Reich allemand et la mise en œuvre du génocide des Juifs d’Europe (→ Shoah). Mais l’entrée en guerre de l’URSS, puis des États-Unis en 1941, renversent progressivement la situation. Hitler, de plus en plus coupé des réalités, ne peut empêcher l’invasion de l’Allemagne par les Alliés et se suicide le 30 avril 1945.
1. LES DÉBUTS DE HITLER (1889-1920)
1.1. ENFANCE ET JEUNESSE (1889-1907)
Hitler n'est pas un Allemand ; ce fils de douanier est un Autrichien, né le 20 avril 1889 à Braunau, petite ville à la frontière austro-allemande. Il fait ses études en Haute-Autriche, en particulier à Linz, et fréquente le collège moderne (Staatsrealschule) jusqu'en 1905. Il est peu travailleur, et comme il le dit lui-même : « J'étudiais ce qui me plaisait ; je sabotais complètement ce qui me paraissait sans importance ou ne m'intéressait pas. »
Son père, avec lequel il s'entendait mal, meurt dès 1903, mais laisse à sa famille des ressources très convenables, ce qui dément tous les documents montrant Hitler dans la misère. Même quand il habite un foyer pour hommes, il semble bien que ce soit pour éviter de servir dans l'armée des Habsbourg, qui règnent sur l'Autriche-Hongrie. Hitler mène alors une existence oisive, fréquentant les théâtres, découvrant la musique wagnérienne et consacrant de nombreuses heures à l'élaboration de projets architecturaux plus ou moins fantaisistes. Il perd sa mère (1907), qu'il adorait.
1.2. LES ANNÉES DE FORMATION (1908-1914)
LES ANNÉES VIENNOISES (1908-1913)
Hitler se rend à Vienne en 1908 pour entrer à l'école des Beaux-Arts, où il n'est pas accepté. Il est de même écarté de l'école d'architecture, mais son séjour dans la capitale de l'Empire austro-hongrois le marque profondément. Il vit de sa peinture et vend relativement bien ses aquarelles.
Élevé dans l'antisémitisme par ses maîtres de Linz, il est, de plus, influencé, pendant toute cette période viennoise, par le mouvement social-chrétien autrichien, animé par Karl Lueger (1844-1910), et le parti de Georg von Schönerer (1842-1921), violemment antisémite. Il lit avec avidité Georges Sorel, Nietzsche, Schopenhauer et les pamphlets racistes d'Adolf Lanz. Sa haine s'accroît contre les Juifs, les sociaux-démocrates, les syndicats, le parlement et les Habsbourg. Très vite, il établit un lien entre marxisme, social-démocratie, parlementarisme et judaïsme (→ national-socialisme). Il est aussi impressionné par les structures de l'Église catholique, qui inspireront plus tard l'organisation de son parti.
Dans ce monde cosmopolite qu'est la Vienne des années d'avant-guerre – où cohabitent Allemands, Tchèques, Polonais, Hongrois, Croates et Italiens – se développe chez lui un pangermanisme exacerbé. Hitler vitupère le système des Habsbourg, qui condamne à mort le germanisme « en 10 millions d'êtres humains ». Dès ce moment, il se tourne vers l'Allemagne, où il s'installe en mai 1913.
Si court ait-il été, le séjour à Vienne a profondément marqué Hitler, qui y a conçu l'idée d'une grande nation allemande.
LE SÉJOUR À MUNICH (1913-1914)
Pendant près d'un an et demi, Hitler vit à Munich, capitale de la Bavière (alors Land de l'empire allemand), où il lit beaucoup, et des ouvrages fort divers, de manière souvent superficielle, sans esprit critique, prêt à accepter toute idée qui rejoindrait les siennes propres.
1.3. HITLER SOLDAT (1914-1920)
LA GUERRE (1914-1918)
En août 1914, il s'engage, bien qu'Autrichien, dans l'armée bavaroise, alors que, quelques mois plus tôt, le réfractaire qu'il était avait été déclaré inapte au service. Dès octobre 1914, il est au front de l'Ouest, où il fait preuve de bravoure et remporte plusieurs citations. Blessé à deux reprises, il est même décoré de la croix de fer de première classe, fait très rare pour un simple caporal, grade qu'il n'a jamais dépassé car ses supérieurs estiment qu'il n'a pas les qualités d'un chef. Gravement blessé aux yeux par les gaz, il est envoyé en Poméranie, où il apprend la fin de la guerre et la proclamation de la République de Weimar (9 novembre 1918).
UNE ANNÉE D'ATTENTE (1918-1919)
Hitler est renvoyé à Munich, où certains pensent qu'il aurait vainement essayé, avant la chute des soviets, d'adhérer au communisme. En tout cas, il a probablement porté un brassard rouge et transigé jusqu'en 1919 avec les troupes des conseils d'ouvriers et de soldats, dont certains veulent étendre la révolution bolchevique à la Bavière, voire à l'Allemagne. Mais dès l'entrée des troupes légales à Munich, il est désigné pour enquêter, au sein d'une commission militaire, sur les événements révolutionnaires, puis il est envoyé dans un cours de formation civique antibolchevique. Il devient Bildungsoffizier, commissaire politique d'un régiment bavarois, et reste dans la Reichswehr (armée allemande) jusqu'au 1er avril 1920.
L'ENTRÉE AU PARTI OUVRIER ALLEMAND (1919-1920)
Hitler adhère en 1919 au parti ouvrier allemand (Deutsche Arbeiterpartei), fondé par un ouvrier de Munich, Anton Drexler, qui change son nom dès 1920 en « parti national-socialiste des travailleurs allemands » (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP), abrégé en parti « nazi ». Il y rejoint un ingénieur, Gottfried Feder – le premier théoricien du parti –, et le capitaine Ernst Röhm, le futur chef des SA. Très vite, Hitler entre au comité directeur du mouvement, puis en prend la direction (1921).
2. HITLER CHEF DU PARTI NAZI (1921-1933)
2.1. LES DÉBUTS DU PARTI NATIONAL-SOCIALISTE
De ce NSDAP, qui, en 1919, comptait soixante membres, Hitler fait un véritable parti bien à lui, dont le journal, Völkischer Beobachter, tire en 1922 à 20 000 exemplaires ; d'abord hebdomadaire, cet organe devient quotidien à partir de 1923. La même année, le parti nazi domine tous les autres groupuscules extrémistes, rassemblant 55 000 militants. Dès lors, la vie de Hitler se confond avec celle de son parti. Aux côtés du général Ludendorff, l'ancien caporal est devenu l'une des deux grandes figures de l'extrême droite munichoise, et sa réputation commence à s'étendre hors de Bavière.
Dès 1921, Hitler crée un service d'ordre qui deviendra les sections d'assaut, les SA (Sturmabteilung), et associe à son parti des hommes qui prendront bientôt des responsabilités importantes : Hermann Göring, Rudolf Hess, Otto et Gregor Strasser, Alfred Rosenberg, Wilhelm Frick, Röhm et enfin Ludendorff. Deux tendances apparaissent rapidement : l'une autour des frères Strasser est nettement socialiste, hostile au grand capital et veut transformer profondément l'économie allemande ; Alfred Rosenberg, au contraire, qui sera le penseur du parti nazi, est le tenant de la lutte contre le bolchevisme.
2.2. LE PUTSCH DE MUNICH ET LA CAPTIVITÉ (1923-1924)
Les 8 et 9 novembre 1923, Hitler tente à Munich un coup d'État, qui échoue lamentablement : seize nazis sont tués par la police munichoise. Lui-même arrêté, il est condamné à cinq ans de forteresse ; il ne reste que neuf mois (1923-1924) à la prison de Landsberg, où il rédige Mein Kampf (Mon combat), exposé confus de ses idées et de son programme, qui paraît en 1925 et 1926. (Il donnera une formulation plus structurée dans ce que l'on appelle le « Deuxième Livre », rédigé en 1928, mais jamais publié de son vivant.)
2.3. LA RÉORGANISATION DU PARTI PAR HITLER (1924-1929)
REPRISE EN MAIN (1924-1926)
Dès sa sortie de prison, Hitler réorganise son parti, lui donne un caractère moins révolutionnaire et développe son influence sur l'électorat de l'Allemagne du Nord. Il pactise avec les milieux industriels et critique l'anticléricalisme et les tendances au paganisme du parti. En 1926, il nomme Goebbels – un tout jeune intellectuel, dynamique, ancien ami des Strasser – Gauleiter (chef de district) à Berlin ; il peut ainsi renforcer son influence en Allemagne du Nord.. Lors de la réunion de Bamberg, le 14 février 1926, Hitler réussit à restaurer son autorité. Usant de son charisme, il s'impose comme la seule figure capable d'assurer la survie et la cohésion d'un mouvement aux multiples tendances. C'est à partir de cette date que s'élabore le mythe du Führer, du « Guide », fondé sur un rituel sophistiqué, l'usage du salut hitlérien et l'application du principe du chef (Führerprinzip), qui consiste en un respect absolu de la hiérarchie.
RÉORGANISATION TOTALE DU PARTI ET STRUCTURES ANNEXES (1926-1929)
Tout autour du parti, Hitler fonde des associations nombreuses. Les troupes de choc SS (Schutzstaffel) sont instituées en 1925 ; la Jeunesse hitlérienne (→ Hitlerjugend) suit peu après, ainsi que les Associations nationales-socialistes d'étudiants, d'enseignants, de femmes, etc. En même temps, il donne une structure très centralisée au parti, dont les chefs locaux – y compris les Gauleiter – sont nommés directement par lui.
En dépit de cette consolidation interne, le NSDAP subit le contrecoup de la stabilisation économique et sociale de la république de Weimar, sensible à partir de 1924. Malgré ses 100 000 adhérents et sa solide organisation bureaucratique, le parti nazi n'obtient que 2,6 % des voix et 12 sièges de députés aux élections législatives de 1928.
2.4. L'ASCENSION DU PARTI NAZI (1929-1933)
Mais le développement de la crise économique et les talents d'organisateur de Hitler donnent bientôt au parti toutes ses chances. Le vote protestataire, traduisant le désespoir d'une population confrontée à un taux de chômage élevé, profite essentiellement au parti nazi ; celui-ci mobilise l'opinion sur le thème à la fois vague et exaltant de la « communauté du peuple » (Volksgemeinschaft). Dès 1929, il progresse rapidement.
En 1930, il compte 6 400 000 électeurs et 107 députés ; en juillet 1932, 13 750 000 électeurs et 230 députés ; en novembre 1932, 11 750 000 électeurs et 196 députés. À l'élection présidentielle de mars 1932, Hitler a mis le maréchal Hindenburg en ballottage.
Le NSDAP est devenu le premier parti d'Allemagne grâce à sa démagogie, à sa violence, grâce aussi à sa propagande, qui trouve un large écho dans l'opinion publique. En 1933, quand il prend le pouvoir, le parti nazi a déjà plus d'un million d'adhérents, recrutés dans les classes moyennes, mais aussi dans la classe ouvrière.
3. LES IDÉES DE HITLER
Ce qui frappe chez Hitler durant toute cette période, c'est sa démagogie et en même temps son sens de l'action politique. Tout cela apparaît nettement à la lecture de son œuvre essentielle, Mein Kampf, compilation à la fois autobiographique et politique dans laquelle il définit le national-socialisme.
3.1. LE PROGRAMME DE 1920
La théorie en avait été exposée une première fois en février 1920, de manière abrégée, dans le programme en vingt-cinq points du parti ouvrier allemand, inspiré par la société de Thulé, organisation clandestine de l'Ordre germanique fondée en 1912 par le Bavarois Rudolf von Sebottendorff. Le programme avait été rédigé en grande partie par Gottfried Feder, avec la collaboration de Dietrich Eckart et d'Alfred Rosenberg. Le rôle de Feder fut sans doute essentiel, d'autant qu'à cette époque celui-ci apparaissait comme un véritable théoricien politique. C'est lui qui forgea cette formule qui eut tant de résonance : « Lutte contre l'esclavage capitaliste. » En même temps, inspiré par Hitler et par la société de Thulé, le programme du parti nazi eut dès le début un net caractère antisémite.
3.2. LES THÈMES DE MEIN KAMPF
La doctrine de Hitler n'est pas vraiment originale : l'idée du grand Reich allemand est empruntée aux pangermanistes ; celle de la supériorité de la race germanique émane du comte Joseph Arthur de Gobineau, de Houston Stewart Chamberlain et de Nietzsche ; l'apologie de la guerre et de la violence, le culte de la force se trouvent déjà chez Ernst Moritz Arndt et Hegel.
Mais les idées de Hitler sont marquées par son caractère passionnel, dû à son tempérament personnel autant qu'à la crise qui frappe l'Allemagne à l'issue de la Première Guerre mondiale. Hitler désigne les Juifs comme les responsables de la défaite : race décrétée impure, ils cherchent à souiller l'ethnie aryenne et à propager les idéologies néfastes : marxisme, internationalisme, individualisme et libéralisme. Il faut donc débarrasser le Reich des Juifs, le régénérer par le sang aryen (→ Aryens) ; les Allemands seront guidés par le Führerprinzip. Pour contrecarrer les clauses du traité de Versailles, l'Allemagne se constituera un « espace vital » (Lebensraum).
3.3. UNE PROPAGANDE PLUS QU'UNE DOCTRINE
En fait, l'idéologie de Hitler et du parti nazi est inconsistante : tout Mein Kampf est dominé par l'idée de propagande. Il faut impressionner, et ce sera la raison fondamentale de l'installation de Hitler au Berghof, le « nid d'aigle », sur l'Obersalzberg, près de Berchtesgaden, et de l'édification des palais hitlériens colossaux. Au plan des idées, il faut viser le plus bas possible avec le moins de scrupules possible. Mein Kampf n'est pas un traité idéologique : c'est un guide d'action. Et Hitler sera aussi servi par son sens de la propagande, du discours politique à caractère souvent hystérique, de la mise en scène. Il sera d'ailleurs remarquablement épaulé par ses collaborateurs, tels Goebbels ou Albert Speer.
Hitler, petit-bourgeois lui-même, utilise la peur des petits-bourgeois d'être prolétarisés. Il leur promet le pouvoir, et c'est pourquoi il sera suivi. Mais, parti de formules utopiques contre le profit et les trusts pour séduire la petite bourgeoisie, il s'appuie très vite sur les classes dirigeantes. Au fur et à mesure que le parti grandit, que ses chances d'arriver au pouvoir se précisent, son programme devient de moins en moins social.
Pour en savoir plus, voir l'article national-socialisme.
4. HITLER À LA TÊTE DU IIIe REICH (1933-1945)
4.1. LA MISE EN PLACE DE LA DICTATURE (1933-1934)
Hitler est arrivé à la chancellerie grâce à son sens politique, à sa capacité d'utiliser les hommes, à son cynisme et à son bluff. Ceux qui l'ont appelé sont convaincus qu'ils sauront le contrôler, mais c'est le contraire qui, très vite, se produit.
L'ACCESSION LÉGALE DE HITLER AU POUVOIR (1933)
En dépit des succès remportés lors des élections de 1930 et de 1932, la majorité absolue est cependant loin d'être atteinte par le parti nazi. Mais les conservateurs qui gouvernent sans majorité parlementaire sont également dans l'impasse. Il leur manque le soutien populaire indispensable à l'établissement définitif du régime autoritaire qu'ils appellent de leurs vœux. C'est pourquoi bien des dirigeants conservateurs, notamment le magnat de la presse Alfred Hugenberg, se rallient à l'idée défendue par Franz von Papen, l'un des proches du président Hindenburg, de la participation de Hitler au gouvernement : l'objectif de von Papen est de « ligoter » Hitler dans un cabinet à dominante conservatrice, tout en récupérant la force mobilisatrice de son parti.
Le 30 janvier 1933, Hindenburg décide, après bien des réticences – il traite Hitler de « caporal bohémien » –, de nommer ce dernier chancelier du Reich, à la tête d'un gouvernement qui ne comprend que deux nazis, Hermann Göring et Wilhelm Frick.
LA MISE AU PAS DE L'ALLEMAGNE
Le 4 février 1933, sous le prétexte de lutter contre la « menace communiste », les nazis obtiennent du vieux président Hindenburg la promulgation d'une ordonnance autorisant l'État à interdire toutes réunions et publications qui menaceraient sa sécurité. En Prusse notamment, la police, dirigée par Göring, multiplie les arrestations, qui touchent d'abord les communistes, et épure l'administration de ses éléments démocrates. Rapidement, de nombreux SS et SA sont engagés comme « policiers auxiliaires ».
L'incendie du Reichstag (le Parlement), le 27 février, entraîne la publication par le président du Reich d'une ordonnance « Pour la protection du peuple et de l'État », qui instaure de fait l'État d'urgence et donne tous les pouvoirs au gouvernement de Hitler.
L'ÉLIMINATION DES OPPOSITIONS
La répression se systématise et frappe désormais les sociaux-démocrates et l'ensemble des Allemands hostiles au nazisme ; beaucoup sont assassinés dans les premiers camps de concentration ouverts pour y interner les nombreux opposants. L'interdiction du parti communiste, le soutien des conservateurs et celui, plus réticent, du parti catholique du centre permettent à Hitler d'obtenir du Reichstag, le 23 mars 1933, le vote d'une « loi d'autorisation » (Ermächtigungsgesetz), qui lui assure les pleins pouvoirs pour quatre ans et légalise la dictature. Le 2 mai, les syndicats sont forcés de prononcer leur dissolution, imités dans les semaines qui suivent par tous les partis politiques non nazis. Le 14 juillet, le NSDAP est proclamé parti unique.
Hitler, par un mélange de pseudo-légalité et de violence politique, étend son pouvoir, tirant pleinement parti de l'enthousiasme qu'a suscité son arrivée à la chancellerie ainsi que des divisions de ses opposants. Le 30 juin 1934, lors de la sanglante Nuit des longs couteaux, il se débarasse de Ernst Röhm et des chefs SA les plus gênants, tandis qu'il confie à Göring le soin d'éliminer le général Kurt von Schleicher et l'opposant nazi « de gauche » Gregor Strasser.
HITLER REICHSFÜHRER
Hitler s'acquiert ainsi la reconnaissance de l'armée qui l'aide à succéder sans difficulté au président du Reich, le maréchal Hindenburg, après la mort de ce dernier le 2 août 1934. Le 19 août, plus de 89 % des électeurs allemands ratifient les nouveaux pouvoirs du Reichsführer. En un an et demi, Hitler est parvenu à instaurer un pouvoir sans partage, les opposants politiques ayant été assassinés ou étant internés dans les camps.
4.2. L'ÉTAT TOTALITAIRE
Bien que totalitaire, le nouveau pouvoir nazi se révèle vite d'un fonctionnement chaotique, ne supportant pas la discipline du cabinet ministériel : Hitler préside de plus en plus rarement un gouvernement dont l'ultime réunion a lieu en 1938. Abandonnés à eux-mêmes, les ministères voient par ailleurs leurs prérogatives se restreindre considérablement. Pour les court-circuiter, Hitler crée des institutions spéciales, chargées de missions spécifiques, mais dotées de pouvoirs très larges, qu'il confie à ses lieutenants les plus fidèles.
La police et plus généralement les outils de la politique de sécurité échappent totalement au contrôle du ministère de l'Intérieur ; ils sont entre les mains de Heinrich Himmler, le chef des SS, qui bâtit un véritable État dans l'État. Chargé de la mise en œuvre du plan de quatre ans qui devait permettre d'adapter l'économie à l'effort de guerre, Hermann Göring empiète largement sur les domaines de compétence du ministre de l'Économie.
HITLER ET SON ENTOURAGE DIRECT, CŒUR DU POUVOIR RÉEL
En définitive, dans le système nazi, tout dépend de la volonté du Führer, qui ne prend que rarement l'initiative d'une décision, se contentant de quelques propos vagues qui sont ensuite « interprétés » et présentés sous forme de projets au dictateur, qui donne ou refuse alors son indispensable accord. Cette pratique a été théorisée par le juriste Carl Schmitt. Seuls les dignitaires de l'entourage direct de Hitler détiennent ainsi un pouvoir réel dans un système qui constitue l'une des formes les plus achevées de parti-État totalitaire.
4.3. LES SUCCÈS DU RÉGIME (1933-1939)
En l'espace de six ans, de 1933 à 1939, le régime acquiert une popularité certaine, notamment grâce à la maîtrise du chômage et aux succès en politique extérieure.
LE CONSENSUS INTÉRIEUR
En 1939, le consensus réalisé par le régime auprès de la population est incontestable. Il s’explique par l’impression de la majorité d’avoir retrouvé, après la crise, une certaine sécurité, et même, pour les milieux d’affaires, une vraie prospérité, stimulée par la politique d’armement à outrance mise en œuvre par Göring. La paysannerie est satisfaite de la hausse des prix agricoles et de l’allégement de ses dettes. La quasi-disparition du chômage fait supporter aux ouvriers l’allongement de la journée de travail, la baisse des salaires et le grignotage des libertés syndicales. Les classes moyennes, de plus en plus prolétarisées, qui avaient été le principal soutien de la montée du nazisme, en sont aussi les principales victimes – mais des victimes passives – sauf ceux qui font carrière dans les nombreuses organisations du parti, où ils se signalent par leur fanatisme.
Rien d’étonnant à ce que les oppositions, réduites à leur plus simple expression, soient le fait d’exilés des anciens partis politiques ou de membres des Églises catholique et protestante, choqués par le néo-paganisme des nazis et par la persécution des Juifs, mais peu suivis par leur hiérarchie.
Le principal atout du régime est sa politique expansionniste, qui flatte l’orgueil allemand, blessé par la défaite de 1918.
LES COUPS DE FORCE EXTÉRIEURS
Ne cessant de protester de ses intentions pacifiques, le dictateur concilie habilement concessions apparentes et coups de force audacieux.
– C'est par le bluff que Hitler triomphe des Français, en décrétant en 1935 le rétablissement du service militaire obligatoire et en remilitarisant en 1936 la rive gauche du Rhin (Rhénanie). C'est encore par le bluff qu'il mène en 1938 et en 1939 la politique d'expansion annoncée dans Mein Kampf. Dès 1925, en effet, Hitler déclarait qu'il fallait constituer un noyau allemand de 80 à 100 millions d'habitants en occupant tous les territoires qui, à un moment quelconque, avaient été allemands. Il insistait déjà sur le devoir de dépeupler pour empêcher la prolifération des races inférieures, slave ou juive.
– Hitler essaie d'annexer l'Autriche dès juillet 1934, en laissant ses partisans assassiner le chancelier Dollfuss. En février 1938, il expose sa politique à ses collaborateurs : il vient de se rapprocher de l'Italie fasciste, qui a été pour lui un modèle désormais dépassé. Il organise l'annexion de l'Autriche en mars 1938 (Anschluss). En septembre 1938, misant sur la peur de la guerre et l'anticommunisme des Occidentaux, se jouant du Britannique Sir Arthur Neville Chamberlain et du Français Édouard Daladier à Bad Godesberg et à Berchtesgaden, il prépare l'annexion des Sudètes, qu'il obtient par les accords de Munich (30 septembre).
Dès lors, alors qu’il assume depuis février 1938 le commandement suprême des forces armées (→ Wehrmacht), tout son effort est tendu vers la guerre. En mars 1939, la Tchécoslovaquie cesse d'exister, sa partie tchèque devenant un protectorat allemand. Avec la crise de Dantzig (→ Gdańsk), pendant l'été 1939, il apparaît cependant que la France et la Grande-Bretagne ne sont plus disposées à céder. Mussolini et Göring tentent, en vain, de modérer Hitler. Fort du pacte de non-agression signé entre l'Allemagne et l'URSS le 23 août 1939 (→ pacte germano-soviétique), le dictateur ordonne l'invasion de la Pologne le 1er septembre. C'est le début de la Seconde Guerre mondiale.
4.4. HITLER DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Hitler a-t-il été ou non un chef de guerre ? Incontestablement, c'est lui qui impose l'arme blindée à l'état-major allemand ; c'est lui qui décide d'utiliser la guerre éclair (Blitzkrieg) systématiquement. De tout cela, Hitler profite, et les succès qu'il rencontre contre la Pologne, puis contre la France et dans les Balkans lui donnent peu à peu le sentiment d'être infaillible et le conduisent aux erreurs qui apparaîtront lorsqu'il attaquera la Russie en 1941.
Inventif et audacieux dans l'offensive, Hitler ne parvient pas à concevoir une stratégie défensive, notamment sur le front russe. Les défaites (Stalingrad, février 1943 ; Afrique du Nord, mai 1943) ont de profondes conséquences sur son caractère, et il renonce à toute apparition en public, au désespoir de Goebbels, sur qui retombe tout le poids du maintien de la popularité du régime. De plus en plus taciturne, le Führer ne sort de son silence que pour asséner à son entourage des exposés délirants sur la réorganisation de l'Europe, et il passe l'essentiel de son temps penché sur des cartes d'état-major ; ses proches peuvent observer presque à vue d'œil son vieillissement accéléré, dû au surmenage et à l'abus de médicaments.
Malgré tout, le pouvoir de Hitler reste incontesté jusqu'aux derniers jours de la guerre. Son autoritarisme s'accentue encore après l'attentat dirigé contre lui (20 juillet 1944). En dépit des revers (→ bataille de Stalingrad puis débarquement en Normandie en 1944), Hitler croit pourtant encore à la victoire par les armes secrètes (V1, V2). Il supervise la dernière offensive allemande des Ardennes (décembre 1944-janvier 1945). Puis, voyant que l'Allemagne nazie est battue, il retourne dans l'abri bétonné de la chancellerie où il se tue d'un coup de revolver le 30 avril 1945 alors que les troupes soviétiques investissent Berlin.
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Benito Mussolini
Homme d'État italien (Dovia di Predappio, Romagne, 1883-Giulino di Mezzegra, Côme, 1945).
Au lendemain de la marche sur Rome, fin octobre 1922, Benito Mussolini établit la première dictature fasciste en Europe. Son alliance avec l'Allemagne hitlérienne entraîna l'Italie dans le chaos de la défaite au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Du socialisme au fascisme (1883-1919)
Né dans une famille modeste, d’abord instituteur, Mussolini adhère au socialisme et à sa dénonciation des inégalités d’une Italie qui n’a pas achevé son unité. Devenu journaliste, il se retrouve en 1912 à la tête de la fraction révolutionnaire de son parti.
Pourtant, dès 1914, il rompt avec le socialisme, en se prononçant pour l’entrée de l’Italie dans la guerre, dont il attend une régénérescence globale. En 1919, au sortir d’un conflit décevant pour le pays, il fonde, avec d’anciens combattants et des ultra-nationalistes, les Faisceaux de combat, dont l’objectif est la prise du pouvoir.
Du mouvement fasciste à la dictature totalitaire (1919-1926)
Au bout de trois ans d’une lutte mêlant habilement participation électorale légale et violence comme moyen d'affirmation, Mussolini devient en 1922 président du Conseil. Alors que ses adversaires croient à la normalisation du fascisme, le régime va se transformer par étapes en une dictature, après l’épreuve de force de l’affaire Matteotti (1924-1925), qui a failli entraîner sa chute.
Du Duce à la république de Salo (1926-1945)
Devenu le Duce (chef, guide) incontesté de l’Italie, Mussolini obtient d’indéniables succès intérieurs (politique sociale) comme extérieurs (conquête de l’Ethiopie). Mais son rapprochement avec l’Allemagne nazie à partir de 1936 l’incite à durcir le régime et à mettre sur pied une politique raciale et antisémite. L’entrée dans la Seconde Guerre mondiale s’avère catastrophique pour l’Italie ; elle aboutit en 1943 à la chute de Mussolini, provoquée par son entourage. Rétabli par Hitler dans le nord du pays à la tête d’un Etat fantoche, la république de Salo, Mussolini est exécuté en 1945 par la Résistance italienne.
1. LES ANNÉES OBSCURES (1883-1912)
1.1. UNE JEUNESSE MARQUÉE PAR LA RÉVOLTE
Benito vient au monde le 29 juillet 1883 dans le village de Predappio, au sein d'une famille modeste de Romagne. Son père Alessandro est forgeron et petit entrepreneur. Sa mère Rosa Maltoni est issue de la petite bourgeoisie. L’unité italienne n’est achevée que depuis 1870 et elle reste fragile : le déséquilibre entre le Nord et le Sud de la péninsule et les tensions sociales l’affaiblissent. Avec son caractère anarchiste et brutal, le jeune Mussolini regimbe contre la misère des classes populaires, qu'il partage lui-même. Il doit cependant brider son tempérament turbulent au collège des religieux salésiens de Faenza, puis à l'école normale de Forlimpopoli, d’où il sort avec le diplôme d’instituteur en 1901.
Entre-temps, son père est devenu aubergiste à Forli et écrit dans les journaux locaux des articles enflammés contre la bourgeoisie gouvernante. C’est lui qui inculque à Benito la haine des autorités, des nantis, de tous ceux qui réussissent. Mais parallèlement, après le désastre d'Adoua (1896), où l’armée coloniale italienne subit une lourde défaite face aux Éthiopiens, il collecte de l'argent pour les malades et les blessés revenus de la guerre, et son fils de treize ans jure avec ses camarades d'école de venger les morts d'Adoua.
Ainsi, dès son plus jeune âge, cohabitent en Mussolini le sentiment nationaliste, qui le guidera plus tard, et la rébellion du plébéien dont le Parti socialiste italien (PSI), d'inspiration marxiste, auquel il adhère en 1900, va désormais orienter pour un temps les revendications.
1.2. L'EXPÉRIENCE DU SOCIALISME (1901-1912)
Qu'a fait Mussolini pendant les dix années obscures au cours desquelles il s’écarte progressivement de la collaboration de fait entre le socialisme naissant et le chef inamovible de la majorité parlementaire (1901-1914), le libéral Giovanni Giolitti ? Alors que sous l’effet de la politique sociale plutôt conciliante de ce dernier, le courant réformiste devient prédominant au PSI, son évolution personnelle suit une direction diamétralement opposée.
OUVRIER EN SUISSE (1902-1904)
Son diplôme d'instituteur ne lui a pas servi : l'école forme des maîtres qui restent souvent sans emploi. Ce sera le cas de Mussolini pendant deux ans d'amertume et de débauche désordonnée, au cours desquelles il abandonne toute pratique religieuse. En 1902, une municipalité socialiste très modérée l'appelle enfin en Émilie. Il s'y ennuie au bout de quelques mois et décide de passer en Suisse pour y devenir ouvrier.
À Genève, puis à Lausanne, Mussolini trouve surtout des révolutionnaires et des anarchistes originaires de l'Empire russe principalement, dont l’émigrée ukrainienne Angelica Balabanoff, future dirigeante de l’Internationale communiste, qui exercera une influence essentielle sur son évolution politique révolutionnaire.
Mussolini travaille durement comme maçon, parfois sans abri, au contact des palaces luxueux où affluent les riches étrangers, et sa révolte s'aigrit contre une société inégalitaire. À l'âge où il aurait dû rentrer en Italie pour faire son service militaire, il déserte. Les services du recrutement le condamnent pour la forme à un an de prison.
Il fréquente l'université, les bibliothèques, guide ses lectures des écrivains révolutionnaires Kautsky, Nietzsche, Stirner, Blanqui. Plus tard, il découvre Georges Sorel, dont il exploitera les Réflexions sur la violence, plus tard encore Machiavel. Sa culture et son courage physique le mettent assez rapidement en relief parmi les ouvriers italiens et il devient secrétaire de l'association des maçons de Lausanne. Il s'exerce aussi à parler et à écrire. Sa personnalité inquiète les autorités suisses, qui l'expulsent vers la France, où il restera peu de temps.
AGITATEUR RÉVOLUTIONNAIRE : LE JOURNALISTE MILITANT (1904-1912)
En 1904, une loi d'amnistie permet à Mussolini de rentrer en Italie pour y accomplir son service militaire, mais la police continue à le tenir pour un « dangereux anarchiste ». Il passe deux ans sous les drapeaux des bersaglieri où il laisse le souvenir d'un excellent soldat. On peut alors lui offrir sans crainte un poste d'instituteur à la frontière autrichienne, puis il est nommé professeur de français à Oneglia, dans un collège technique, dont il effraie la direction par ses articles dans le journal des socialistes de Ligurie, La Lima.
1908 le revoit dans son village romagnol auprès des siens. Le jeune homme, tout en retrouvant avec joie le cadre familial, vit sur place les tensions sociales entre propriétaires, souvent très modestes, et braccianti, ouvriers agricoles qui, eux, n'ont pour toute richesse que leurs bras.
Fin 1908, Mussolini gagne le Trentin. La province est alors autrichienne, mais peuplée en majorité d'Italiens. En Suisse, Mussolini a appris aussi l'allemand, et, à Trente, il collabore à deux journaux de langue italienne, auprès du militant révolutionnaire irrédentiste (c’est-à-dire favorable au rattachement à l’Italie des provinces restées autrichiennes après l’indépendance, le Trentin et l'Istrie) Cesare Battisti. Mais lui-même est venu prêcher le socialisme, non l'irrédentisme, et plus tard les nationalistes lui en feront sévèrement grief.
Rentré à Forli en 1909, Mussolini se fiance à Rachele Guidi, qu'il épousera en 1915 et qui restera jusqu'à la fin sa compagne officielle, en dépit des nombreuses liaisons adultérines qu'il entretiendra. Dans cette ville, il est directeur et principal rédacteur du journal socialiste La Lotta di classe. Son inspiration, nourrie de ses lectures et de ses souvenirs de Suisse, est bien plutôt, d'ailleurs, anarchiste que socialiste.
En 1912, une véritable émeute éclate à Forli à l'occasion du départ d'un train chargé de troupes pour la Libye, dont l'Italie entreprend la conquête. « Pas un homme, pas un sou » est le mot d'ordre du parti, et Mussolini l'applique à la lettre. Peu après, il est arrêté et condamné à cinq mois de prison ; admis au régime politique, il écrit sa première autobiographie.
À sa sortie a lieu le congrès de Reggio nell'Emilia (1912), où il devient le porte-parole de la fraction maximaliste du PSI ; puis, grandi par sa participation à l'action révolutionnaire, il est nommé à l'unanimité directeur du journal Avanti !. Mussolini est désormais un personnage politique de premier plan.
2. DU SOCIALISME AU FASCISME (1912-1919)
2.1. MUSSOLINI DIRECTEUR DE L'AVANTI ! (1912-1914)
Au journal, Mussolini élimine les éléments qui lui déplaisent ; il réussit, par de constantes surenchères, à faire monter le tirage de 20 000 à 100 000 exemplaires (chiffre énorme pour l'époque). Mais ses provocations inquiètent les esprits les plus pondérés de la direction du parti.
Toujours en cette année 1912, où Giolitti accorde le droit de suffrage à tous les hommes de vingt et un ans ayant accompli leur service militaire ou ayant atteint trente ans (ce qui fait passer le corps électoral à 8 millions), Mussolini, candidat à Forli, est battu largement, sauf dans son bourg natal ; il est probable que cet échec, alors que 52 socialistes sont élus, l'incite secrètement à réfléchir sur la pertinence de son choix politique.
Néanmoins, il renforce encore son action révolutionnaire dans la forte instabilité sociale qui agite le pays. À Milan, au printemps de 1913, éclate une grève générale de deux jours dans l'industrie, qui se reproduit de nouveau en octobre et se prolonge l'année suivante à Parme, avec un caractère encore plus anarchisant. À Ancône, le 7 juin 1914, une manifestation antimilitariste, dont la répression fait trois morts, déclenche une grève générale en Romagne et dans les Marches ; à Ravenne, on malmène les officiers et l'on va jusqu'à planter des arbres de la liberté. Cette « semaine rouge », dont le souvenir restera longtemps, commence à faire réfléchir les milieux conservateurs.
Giolitti cède alors le gouvernement au libéral de droite Antonio Salandra, qui n'est nullement disposé à prolonger la faveur accordée par son prédécesseur aux organisations socialistes.
2.2. LA RUPTURE AVEC LES SOCIALISTES (1914)
C'est alors qu'éclate la Première Guerre mondiale. En accord avec la majorité de ses camarades socialistes, Mussolini prône la neutralité absolue. Mais à la mi-septembre, la victoire française de la Marne ébranle la confiance des dirigeants et des nationalistes italiens dans la victoire des Empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie ; après avoir magnifié l'alliance germanique, le journal l'Idea Nazionale, le premier, tourne casaque et rappelle que l'Italie a des comptes à régler avec l'Autriche.
Mussolini, lui, hésite encore ; il insère dans l'Avanti ! la protestation irrédentiste de Battisti contre les Italiens qui feraient bon marché des vœux de leurs compatriotes encore soumis à un joug étranger. Puis, sous prétexte qu'une « neutralité active et agissante » serait préférable à la neutralité absolue, Mussolini préconise un changement de position que les chefs du PSI repoussent sans hésitation en même temps qu'ils lui retirent la direction de l'Avanti !.
Déjà Mussolini a pris contact avec un des commanditaires du quotidien bolonais Il Resto del Carlino, qui lui a procuré le papier nécessaire à un nouveau journal – Il Popolo d'Italia (Le peuple d'Italie). D'autres concours lui viennent de grosses firmes industrielles et peut-être de partis socialistes étrangers.
2.3. MUSSOLINI ET LA GUERRE
Le gouvernement, de son côté, poursuit durant l'hiver 1914-1915 une politique irrédentiste en négociant avec l'Autriche les compensations qui pourraient être accordées à l'Italie en échange de sa neutralité. Mais c'est une voie dangereuse qui peut la contraindre à la guerre alors que le pays n'y est préparé ni moralement ni militairement. Moralement, la grande masse du peuple italien ne voit aucune raison de participer au conflit entre grandes puissances ; militairement, au lendemain de la guerre de Libye (→ guerre italo-turque, 1911-1912), les officiers d'active sont très peu nombreux et peu exercés, l'aviation est inexistante – et les magasins sont vides. Néanmoins, l’Italie entre en guerre en mai 1915, mais au côté de l’Entente (France, Grande-Bretagne, Russie), qui s’est montrée plus généreuse, en lui promettant non seulement le Trentin et Trieste, mais aussi l’Istrie et la côte dalmate, également revendiquées par la Serbie, au nom de laquelle l’Entente est pourtant entrée en guerre !
PATRIOTISME
Engagé en 1915, Mussolini combat au front du Carso ; promu rapidement caporal, il est gravement blessé par l'éclatement d'une bombe en 1917. Le roi Victor-Emmanuel III va le visiter à l'hôpital et le félicite. Pour Mussolini, la guerre est finie. Son journal a continué de paraître sous la direction de son frère Arnaldo ; il le retrouve à son retour du front et en accentue encore la tonalité ultra-patriotique, surtout après la cuisante défaite de Caporetto (oct. 1917) puis les victoires de la Piave et de Vittorio Veneto (oct. 1918).
CRÉATION DU PREMIER FAISCEAU DE COMBAT (MARS 1919)
À ces éléments exaltés qu'enflamme le Popolo d'Italia il se mêle des troupes d’élite démobilisées après le conflit mondial, les arditi. Une association d'arditi. Pour ces « ardents », le grand homme est encore le poète (et héros militaire) Gabriele D'Annunzio, qui va bientôt s’enliser dans l’aventure de l’occupation de Fiume (sept.1919). C’est en s’appuyant sur certains des arditi que, le 23 mars 1919, Benito Mussolini fonde le premier des Faisceaux de combat (i Fasci di combattimento), autrement connus sous le nom de Chemises noires.
3. VERS LE POUVOIR (1919-1922)
3.1. UNE SITUATION PRÉ-RÉVOLUTIONNAIRE
Le succès de la révolution de 1917 en Russie a enflammé nombre d'esprits dans les couches populaires et créé une atmosphère favorable aux pires désordres. Ceux-ci ne manquent pas de se produire : grèves incessantes et ruineuses dans l'Italie du Nord, occupations de propriétés foncières dans le Midi pour les mettre en exploitation directe par les paysans pauvres, insultes aux officiers d'une guerre, qui même victorieuse, n'a pas été voulue par le peuple et a causé plus de 500 000 morts. Tout cela va alarmer la bourgeoisie et y alimenter un esprit de vengeance qui explosera en 1920, après l'échec de l'exploitation directe des usines par les ouvriers.
Dans l'immédiat, le mécontentement croissant qui s'instaure en Italie durant toute l'année 1919 profite aux partis de masse : le PSI qui, aux élections de novembre, obtient 156 élus, et le PPI (parti populaire italien), catholique qui en rafle une centaine. Pourtant, le fascisme n'en tire pas encore bénéfice. Mussolini, candidat à Milan sur la seule liste fasciste d'Italie, a essuyé un cuisant échec : 5 000 voix sur les 80 000 qu'il escomptait. C'est que l'agitation de rue provoquée par les anciens combattants des Faisceaux reste superficielle et n'entame guère les couches profondes d'une population ouvrière ou rurale, disciplinée par le socialisme ou par l'Église.
En d'autres circonstances et en tout autre pays que l'Italie, les deux partis vainqueurs des élections auraient fait alliance pour exercer le pouvoir, tout en concédant quelques ministères techniques aux diverses formations libérales. Les chefs du socialisme réformiste – Turati, Modigliani – y étaient disposés, de même que le leader des catholiques du PPI, don Luigi Sturzo, qui depuis longtemps collaborait avec les socialistes sur le plan administratif et municipal. Mais il n'en pouvait être question à la direction du PSI, que le modèle soviétique avait poussée vers le « maximalisme » révolutionnaire.
3.2. MUSSOLINI ET L'AGITATION SOCIALE
L'USAGE DE LA VIOLENCE
Le champ est donc libre pour la bourgeoisie possédante et les théoriciens du nationalisme, qui cherchent une revanche, les premiers sur les classes populaires, les seconds sur la « victoire mutilée » de 1918 – une revanche dans la violence, avec la complicité passive de nombreux corps constitués et d'abord de la police et de l'armée. Les squadristi, groupes paramilitaires issus des Faisceaux, pourchassent bientôt, illégalement et en toute impunité, grévistes, syndicalistes, socialistes et démocrates, que Mussolini rend responsables de la crise du pays.
En favorisant cette violence multiforme, Mussolini regagne le terrain perdu et l'élargit même de façon inespérée, car il reste le seul nom connu des foules parmi tous les jeunes gens qui, de plus en plus nombreux, viennent s'agglutiner autour des gagliardetti (bannières) fascistes et font régner la terreur dans les campagnes en détruisant par le feu et par le pillage coopératives, maisons du peuple, centres récréatifs socialistes, dont ils molestent et parfois tuent les dirigeants, sûrs de rester impunis.
L'ENTRÉE AU PARLEMENT
Le mouvement s'accentue après le retour de Giolitti au gouvernement à l'été 1920. Usant de la tactique temporisatrice qui lui a si bien réussi par le passé, Giolitti contraint d'abord les ouvriers révoltés à constater l'échec de leur tentative d'autogestion des usines. Puis, au printemps 1921, il dissout la Chambre et mise sur les fascistes qu'il inclut dans un « bloc national » de libéraux et de sans-parti qui recueillera les faveurs de l'administration. Trente-cinq fascistes pénètrent ainsi au Parlement, avec leur chef Mussolini et leurs principaux leaders. Mais ils y retrouvent, eux aussi renforcés, leurs adversaires populistes et socialistes, auxquels s'ajoute désormais une petite cohorte de communistes qui viennent de se séparer du PSI.
3.4. « NOUS VOULONS GOUVERNER L'ITALIE »
LE CHOIX CONFIRMÉ DE LA VIOLENCE
Curieusement se révèle alors un Mussolini transformé, mesuré dans ses paroles, respectueux et même bienveillant envers l'Église catholique comme envers la monarchie.
Ce n'est pas une feinte. L'ancien révolutionnaire envisage à ce moment de partager le pouvoir avec le parti populaire et la fraction modérée des socialistes, auxquels il propose, le 3 août 1921, un Pacte de pacification. Mais il a compté sans la rancune de ses anciens compagnons les socialistes maximalistes, et surtout la réaction de ses propres partisans qui, scandalisés par cette volte-face, désavouent le Pacte. Quelques mois plus tard, à Bologne, sommé de choisir entre la honte d'un reniement apparent des principes du fascisme et la surenchère de la violence, Mussolini opte pour celle-ci.
LA CRÉATION DU PARTI NATIONAL FASCISTE (NOVEMBRE 1921)
Puis, pour ressouder ses troupes, Mussolini décide de transformer le mouvement en un parti de masse : le Parti national fasciste (PNF), fondé en novembre 1921 au congrès de Rome, au cours duquel il est réélu triomphalement en tête de la commission exécutive des Faisceaux. C'est durant ce même congrès que l'alliance avec le grand capital est renouée, les fascistes renonçant aux nationalisations envisagées dans le programme initial de 1919.
Dès lors, la vague fasciste est en marche : lors de la grève générale des chemins de fer, déclenchée par les extrémistes du syndicat des cheminots, les fascistes se substituent même aux forces de l'ordre pour contraindre les grévistes, sous la menace du revolver ou du gourdin, à reprendre le travail. De même ils triomphent des coopératives d'ouvriers du port de Gênes.
MUSSOLINI EN « RECOURS PROVIDENTIEL »
Des tractations secrètes sont engagées par Mussolini avec les chefs du parti libéral – les anciens présidents du Conseil Giolitti, Nitti et Salandra – pour savoir quelle place ceux-ci lui réserveraient à leur côté. Dans la famille royale, outre la reine mère Marguerite, Mussolini s'est assuré le concours éventuel d'un cousin du roi Victor-Emmanuel III, le duc d'Aoste. Il n'en aura pas besoin.
Lorsque Luigi Facta, qui a succédé comme président du Conseil à Bonomi, se décide à réagir en décrétant à Rome l'état de siège, il est trop tard. Le roi refuse et sur la suggestion de ses conseillers nationalistes fait appel à Mussolini, qui le 29 octobre accepte de former le nouveau gouvernement.
La « marche sur Rome », organisée parallèlement par Mussolini comme une menace et une démonstration de force, sonne le glas de la démocratie italienne.
4. LE DICTATEUR (1922-1945)
4.1. L'INSTALLATION AU POUVOIR : ENTRE COMPROMIS ET DÉSORDRES
La classe politique escomptait que l’expérience du pouvoir assagirait le fascisme. Et, en effet, Mussolini constitue son premier ministère en y incluant des représentants de tous les partis, excepté les socialistes. Il a pris pour lui, avec la présidence du Conseil, l'Intérieur et les Affaires étrangères, et trois fascistes seulement reçoivent des portefeuilles : Justice, Finances, Terres libérées, assortis, il est vrai, de nombreux sous-secrétariats d'État. Les catholiques du parti populaire italien ont le Trésor et le Travail ; le leader nationaliste Luigi Federzoni, les Colonies ; les autres ministères se répartissent entre les différentes tendances du parti libéral.
Les futurs chefs de la démocratie chrétienne (Alcide De Gasperi, Giovanni Gronchi) votent la confiance, ainsi que les dissidents déjà sortis de ses rangs. Seul don Sturzo reste inébranlable dans son refus, se sachant encore appuyé par l'immense masse de la jeunesse catholique, sinon par le Vatican, où il ne trouve compréhension et appui qu'auprès du seul Pie XI.
Ce moment d'euphorie relative – salué par l'accueil favorable, et parfois enthousiaste, de l'opinion étrangère – se dissipe rapidement. L'arrogance et les exactions des fascistes compromettent le désir d'union de leur chef. En novembre 1922, celui-ci obtient du Parlement les pleins pouvoirs pour rétablir l'ordre que ses propres partisans ont largement contribué à mettre à mal.
Dès 1923, Mussolini met fin à la collaboration avec le parti populaire italien, dont les membres sont obligés de quitter son gouvernement. Les attentats aux biens et aux personnes des socialistes continuent comme par le passé.
4.2. MUSSOLINI ET L'AFFAIRE MATTEOTTI (MAI 1924-JANVIER 1925)
C'est alors que le 30 mai 1924, le député Giacomo Matteotti, secrétaire du groupe socialiste, prononce à la Chambre un véritable réquisitoire contre le gouvernement et demande le rejet de la validation des élections, qui viennent de donner la majorité à une alliance entre fascistes et anciens combattants (65 % des voix), mais où aucun électeur, en fait, n'a été libre de son choix.
Le discours, assorti d'une foule de courageuses précisions, dure deux heures. Écouté en silence par Mussolini, il est haché d'interruptions par ses partisans armés, qui remplissent les tribunes et la majeure partie de l'hémicycle. Le 4 juin, Matteotti récidive, attaque cette fois directement le Duce (le Guide). Le 10, Matteotti ne paraît pas à la Chambre : la preuve est rapidement fournie qu'il a été assassiné.
Il est inutile de laisser croire que Mussolinil n'a pas directement voulu le meurtre de Matteotti : il en a assez dit pour faire comprendre qu'il le souhaitait. Seuls les détails de l'exécution ont été laissés à l'initiative des tueurs.
Ce qui est sûr, c'est que l'émotion provoquée par ce crime sur l'opinion est telle qu'en quelques jours les fascistes perdent toute foi en leur pouvoir, désertent même les ministères, dissimulent leurs insignes et se terrent. Mussolini se voit isolé, vaincu par un coup du sort imprévisible, et fait démissionner d'office les deux membres de son entourage qu'il juge les plus compromis.
Comme il a laissé jusque là une liberté à peu près complète à la presse, les plus importants journaux se déchaînent contre lui, parmi lesquels Il Popolo, créé alors par don Sturzo, et où le jeune démocrate-chrétien Giuseppe Donati orchestre une campagne implacable contre le régime. C'est ainsi qu'est publié le mémoire terriblement accusateur de Cesare Rossi, l'un des sous-ordres limogés par le Duce. Le roi refuse pourtant d'en prendre connaissance, et affirme qu'il n'y a pas eu de crise parlementaire justifiant la nomination d'un nouveau Premier ministre.
Devant le Sénat, où l'opposition au fascisme a fini par grouper une trentaine de sénateurs, Mussolini déclare qu'il obéira au roi si celui-ci exige sa démission : gageure bien inutile, car il pressent bien que le souverain n'en fera rien. Enfin, le 3 janvier 1925, il revendique cyniquement « assumer la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui s’est passé » et réclame d’un même élan « tout le pouvoir pour tout le fascisme ».
Alors commence la vraie dictature.
4. 3. LE DUCE, MAÎTRE ABSOLU DE L'ITALIE (1926-1939)
Avec les lois de « défense de l'État » (dites lois « fascistissimes ») que Mussolini fait voter en 1925-1926 les opposants sont réduits au silence, et le chef du gouvernement n'est plus responsable devant le Parlement. Très vite le Duce agit en homme seul, intervenant souverainement dans tous les domaines, organisant autour de lui un véritable culte de la personnalité, qui n'ira qu'en s'accroissant. Dès 1928, il impose le système de la liste unique (qui transforme les élections en plébiscite) et du parti unique, ce qui élimine définitivement toute opposition interne et lui permet de se lancer dans des aventures extérieures, dont l'Éthiopie sera la première étape. En 1929, il recherche le soutien de l'Église et réconcilie, par les accords du Latran, l'État et le Saint-Siège, s’attachant du même coup le monde catholique. Sa popularité est alors à son faîte.
LE RÉGIME FASCISTE
De 1929 à 1936, la population apporte son consentement, sinon son soutien, au régime, qui tire profit des accords du Latran et d'une politique sociale volontariste. Mettant en œuvre un programme antilibéral, antidémocratique et antisocialiste, Mussolini organise un modèle d'État totalitaire, fondé sur le système des corporations, qui encadrent les travailleurs, sur d'actives organisations de jeunesse (inscription obligatoire) et sur le culte de la personnalité : par le verbe et par le geste, Mussolini éprouve son pouvoir de fascination sur les foules. Se présentant comme un surhomme tout entier voué à la grandeur du peuple italien, il forge son image martiale à grand renfort de propagande et de mobilisation des masses pour des démonstrations de force.
Secondé par le Grand Conseil fasciste, Mussolini se lance dans une politique qui prétend renouer avec le glorieux passé de la Rome antique : grands travaux (assèchement et mise en valeur des marais Pontins, autoroutes, stades), « bataille du blé » et industrialisation poussée. C'est également dans cette visée que s'inscrit la recherche d'un empire colonial, avec l'annexion de l'Abyssinie (Éthiopie) en 1936.
Pour en savoir plus, voir l'article fascisme.
LES VISÉES EXPANSIONNISTES DE MUSSOLINI
Se posant en porte-parole des nations mécontentes du traité de Versailles, Mussolini ambitionne ensuite de manipuler les puissances qui réviseront les frontières. Ainsi, de 1933 à 1935, il tente un rapprochement avec les démocraties occidentales, puis il inspire le pacte à Quatre (Italie, France, Grande-Bretagne, Allemagne), du 7 juin 1933, qui ne sera jamais ratifié.
Lors de l'assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par les nazis (juillet 1934), Mussolini mobilise sur la frontière du Brenner et, en avril 1935, il constitue avec Londres et Paris le front de Stresa afin d'enrayer l'avancée allemande (dès janvier 1935, il a signé un accord franco-italien avec Pierre Laval). Mais l'attaque qu'il lance contre l'Éthiopie (octobre 1935) met fin à la politique de Stresa. Ulcéré par l'hostilité de l'Angleterre, qui entraîne la France, et par les sanctions économiques de la SDN, Mussolini achève victorieusement sa guerre coloniale le 5 mai 1936, sans se soucier des condamnations internationales (→ campagnes d'Éthiopie).
L'ALLIANCE AVEC HITLER (1936-1939)
Cette victoire et une intervention commune Espagne auprès des franquistes pendant la guerre civile rapprochent Mussolini et Hitler. Le 1er novembre 1936, Mussolini proclame l'Axe Rome-Berlin ; plus qu'un accord politique et militaire (négocié en secret), c'est l'amorce d'un resserrement de liens qui vont devenir de plus en plus étroits entre les deux régimes.
Subjugué par la personnalité de Hitler, le Duce désire lui plaire. Pour cela, il sacrifie l'Autriche, annexée par l'Allemagne le 11 mars 1938, et la Tchécoslovaquie qui va subir le même sort (→ accords de Munich, sept. 1938). Surtout, il inaugure en Italie même une politique raciale (lois racistes de 1938 et persécution des Juifs) jusqu'alors inexistante, qui le met dans le sillage de l'idéologie nazie. Enfin, en avril 1939, comme en réplique aux annexions hitlériennes, il annexe l'Albanie mais confirme de ce fait qu'il a perdu toute initiative au profit de Hitler (traité de Berlin, ou pacte d'Acier, 22 mai 1939).
4.4. VERS LA CHUTE (1939-1945)
A LA REMORQUE DE L'ALLEMAGNE
Quand débute la Seconde Guerre mondiale, Mussolini s'en tient tout d'abord à la neutralité, considérant que l'Italie n'est pas prête militairement. Mais, le 10 juin 1940, contre la volonté d'une grande partie de son entourage, il entre en guerre aux côtés de l'Allemagne nazie. Son offensive contre la France (10-24 juin 1940) n'est pas glorieuse, et le conflit dans lequel il s'engage contre la Grèce le 28 octobre 1940 tourne au désastre. Le Duce essuie de lourdes pertes : les colonies africaines sont perdues, 240 000 soldats se retrouvent à partir de 1941 sur le front de l'Est pour épauler la Wehrmacht contre l'URSS et des centaines de milliers de travailleurs italiens partent pour l'Allemagne.
Pour en savoir plus, voir l'article Seconde Guerre mondiale.
LA CHUTE DU DUCE (1943)
À mesure que s'accumulent ces déboires, on s'inquiète, au sein même du mouvement fasciste, de l'obstination du Duce. En fait, celui-ci songe à une paix séparée, mais il n'ose pas s'en ouvrir à Hitler. Des complots se forment et, au cours de la nuit du 24 au 25 juillet 1943, les chefs du parti réunis (Ciano, Dino Grandi, Emilio De Bono, etc.) le somment de remettre ses pouvoirs au roi. Celui-ci le fait arrêter dès le lendemain et le remplace par Pietro Badoglio.
LA RÉPUBLIQUE DE SALO (1943-1945)
Interné dans les Abruzzes, Mussolini est délivré par un commando de parachutistes allemands le 12 septembre 1943 et, sur l'injonction de Hitler, prend la tête d'une « République sociale italienne », État fantoche qui s'installe à Salo, sur les rives du lac de Garde (→ république de Salo). Mussolini fait exécuter les chefs fascistes qui l'ont destitué en juillet, parmi lesquels son gendre Ciano et tente vainement de mettre en place un nouvel ordre, plus radical et antisémite que le fascisme d'avant-guerre.
Lors de la déroute hitlérienne, il s'installe à Milan, d'où il essaie de traiter avec les Alliés, puis, chassé par l'entrée des résistants dans la ville, tente de gagner la Suisse avec une colonne allemande. Arrêté le 27 avril 1945 à Dongo, près du lac de Côme, il est jugé par un tribunal de partisans présidé par le colonel Valerio (Walter Audisio) puis fusillé le lendemain, avec sa maîtresse, Clara Petacci.
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