CULTURE
LES ENVIES DU « MONDE »
Des musées virtuels pour apprendre et s’évader
Une leçon d’histoire de l’art ? Le décryptage d’un chef-d’œuvre ? La visite guidée d’une maison d’architecte ? Cette semaine, le service Culture du « Monde » vous propose six visites virtuelles comme autant de leçons artistiques.
Publié hier à 00h17, mis à jour hier à 18h19
LA LISTE DE LA MATINALE
Les portes des musées sont fermées pour cause de coronavirus, mais rien n’empêche l’amateur d’art de continuer à découvrir des lieux et des œuvres grâce à Internet. En effet, les initiatives fleurissent et offrent de belles occasions d’explorer des lieux d’ordinaire inaccessibles, comme les réserves du musée d’art asiatique Guimet, de s’interroger sur les rapports entre art classique et pop culture comme au Rijksmuseum, ou encore de visiter douze maisons conçues par l’architecte Frank Lloyd Wright.
Leçons d’histoire à Naples
Si loin soit-il de la Lombardie, le Museo Capodimonte, dont le bâtiment royal domine Naples, n’en est pas moins fermé comme tous les autres musées italiens. L’exposition « Luca Giordano, de la nature à la peinture » qui a eu lieu l’hiver dernier au Petit Palais à Paris devrait y être ouverte depuis le 6 avril. Elle l’est, sur le site du musée qui a pris une extension proportionnelle à la situation actuelle. Commencez par la visite virtuelle salle après salle. L’exercice est aujourd’hui banal, mais, d’une part Capodimonte est l’un des premiers musées italiens qui aient montré ainsi ses collections, et, d’autre part, celles-ci sont d’une diversité étonnante. Après les chefs-d’œuvre attendus – Caravage, Ribera, Giordano et toute la grande peinture napolitaine du XVIIe siècle –, passez par les salles du XIXe siècle pour y découvrir des curiosités d’artistes fort peu connus en France, dont un Après le Déluge de Filippo Palizzi, sujet d’actualité. Il y a aussi l’Appartement royal et l’Armurerie, salon en porcelaine d’un côté, cuirasses de luxe de l’autre.
Mais la principale nouveauté est ailleurs, sur le blog du musée, qui publie un nouvel article par jour depuis début mars – et des articles d’une belle longueur… Les expositions qui devraient finir par ouvrir un jour, Giordano donc et aussi celle du sculpteur Gemito, y sont présentées avec une surprenante abondance de précisions, discussions et documents photographiques. Ainsi, à propos de Giordano une suite de vues d’accrochage du musée depuis l’entre-deux-guerres, dont celles de la période de la seconde guerre mondiale. La restauration de La Transfiguration de Giovanni Bellini, celle d’une Nativité de Luca Signorelli, ou, dans un tout autre genre, à propos de sa toile Vesuvius (1985), la chronique des séjours d’Andy Warhol à Naples à partir de 1976 : il y a beaucoup à lire et à apprendre. Philippe Dagen
Leçons d’ouverture à Amsterdam
Le Rijksmuseum d’Amsterdam a été un musée pionnier en matière de visite virtuelle. On peut depuis longtemps en découvrir, de chez soi, les chefs-d’œuvre. Un plan des salles permet de les repérer, et de s’arrêter à ceux qui nous intéressent. Une série d’analyses de La Ronde de nuit, de Rembrandt, un commentaire de La Laitière de Vermeer (généralement en anglais) accompagnent la vision des tableaux. Mais ses responsables ont aussi exploré des voies moins classiques : ainsi une section intitulée « Is This Art ? » (est-ce de l’art ?) s’intéresse, par de courtes vidéos, aux rapports entre l’art classique et la pop culture. On y a dégusté par exemple le petit film Monsters : From Ancient Mythology to Modern Cinema, qui renvoie sur la chaîne YouTube (par ailleurs une mine en ces temps de confinement) à la section RijksTube Channel. « Les monstres sont partout », dit l’introduction. « Sous nos lits, dans nos armoires, tapis dans l’ombre et toujours présents dans nos cauchemars. » De quoi donner envie de voir comment on les a représentés, en 2 500 ans d’histoire de l’art et jusqu’au cinéma.
Le site montre aussi ce que les visiteurs du musée ne voient jamais : le nettoyage, durant les heures de fermeture, de l’immense tableau Bataille de Waterloo, ou la manière dont on prend soin des œuvres qui doivent voyager pour une exposition. Certains conservateurs semblent goûter l’exercice plus que d’autres, au point qu’on a créé une section spéciale pour Jane Turner, qui dirige le département des estampes : la mini-série (trois films pour l’instant) est intitulée Jane’s addiction.
Mais le musée ne se contente pas de vivre sur ces – beaux – acquis : depuis sa fermeture, pour cause d’épidémie, ses conservateurs continuent de communiquer leur passion auprès du public. Pieter Roelofs, chef du département des peintures et sculptures, a troqué son habituel costume cravate pour un joli tee-shirt, et commente avec un brin d’humour le tableau de Jan Steen, La Joyeuse Famille, une scène plutôt gaie comme l’indique son titre, mais aux sous-entendus des plus moraux : quand les parents boivent, les enfants trinquent.
Enfin l’« addicte », Jane Turner, depuis son joli jardin et en compagnie de son chien, évoque la collection de 750 aquarelles, peintes à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, qui espéraient recenser les animaux et les plantes du royaume de Rodolphe II de Prague. Madame Turner s’est essayée à cultiver certaines des plus amusantes ou intrigantes, dans des pots, pour les comparer avec ses dessins. Il fallait être néerlandaise, issue d’un peuple jadis capable de se ruiner dans l’achat d’un bulbe de tulipe, pour penser à cela. Harry Bellet
Leçons de choses au Grand Palais
Quand on a vu Livie, matrone romaine qui vécut entre le Ier siècle avant notre ère et le premier suivant (c’était l’épouse de l’empereur Auguste), apparaître dans l’encadrement de la porte du bureau, on a cru à un effet secondaire du confinement. Et c’en est un, d’une certaine façon : il s’agit de la réponse du Grand Palais à l’impossibilité d’ouvrir au public. Une image en réalité virtuelle de la statue de Livia Drusilla, téléchargeable sur un téléphone portable, et qui se place où vous le voulez dans votre intérieur. Un bout de Pompéi chez vous, l’éruption et le public en moins, mais un jeu sur Twitter en plus (#expoPompéi) pour essayer de gagner un billet pour visiter l’exposition, quand elle rouvrira.
En attendant, la Réunion des musées nationaux - Grand Palais multiplie les initiatives pour instruire ou distraire petits et grands. Pour les enfants, et en se basant sur les expositions passées − Hokusai, Gauguin, Kupka, Niki de Saint-Phalle −, des coloriages sont proposés mais aussi la création de BD (on recommande évidemment de tester celles obtenues à partir des personnages d’Hokusai). Pour les plus grands, des quiz, des conférences prononcées à l’occasion d’expositions passées. Là, on conseille celle du philosophe Jacques Rancière (sur l’art soviétique) ou des vidéos diffusées sur YouTube ou encore des cours en ligne (MOOC) sur la couleur, l’histoire de l’art ou celle de la photographie. Ha. B.
Leçons de savoir-faire au Louvre
Depuis le confinement, le Musée du Louvre, par le biais de son site Internet, a décuplé le nombre de ses visiteurs virtuels : de 40 000 par jour, ils sont passés à 400 000, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont très amoureux du musée, tant les interfaces sont parfois austères. Mais les activités proposées sur YouTube (135 000 vues supplémentaires sur les vingt-huit derniers jours, dit un communiqué du musée) méritent le détour, avec une mention spéciale pour les conférences filmées en 2012 de Michel Pastoureau sur la couleur au Moyen Age. Le site enregistre aussi de bonnes audiences pour une vidéo sur la technique de la peinture à l’huile. On recommandera également celles consacrées à la fabrication du papier, le dessin au pastel ou la gravure au burin, celle sur l’histoire du Louvre en 800 ans et les dessins animés « Une minute au musée » ou encore la conférence de présentation de l’exposition consacrée à Léonard de Vinci. Ha. B.
Leçons d’architecture avec Frank Lloyd Wright
Alors que nous sommes dans la cinquième semaine de confinement, que nous avons analysé sous tous les angles possibles le moindre centimètre cube de notre intérieur, que nous l’avons reconfiguré ad nauseam, mentalement ou physiquement, jusqu’à en épuiser intégralement le potentiel, la Frank Lloyd Wright Foundation nous lance une invitation alléchante. Durant les six prochaines semaines, douze visites guidées virtuelles de douze maisons du chef de file de l’école d’architecture qu’on a appelé la Prairie School vont être mises en ligne.
Peu de chance que l’architecture de la Fallingwater House nous donne une solution clé en main pour réagencer notre espace domestique mais elle nous initiera, avec celle des autres, à cet art d’habiter magique, perméable à la nature, aux éléments, à la culture japonaise aussi, entre autres, qu’a déployé tout au long de sa carrière ce grand génie de l’architecture américaine. En s’immergeant par la grâce de la vidéo dans les mondes parfaits, chaque fois si singuliers, qu’il a créés un peu partout sur le territoire des Etats-Unis, cette généreuse initiative offre, sous l’intitulé #wrightvirtualvisits, la possibilité d’un coup d’en embrasser une série qu’une vie entière ne vous permettrait sans doute pas de visiter physiquement.
Organisée en partenariat avec la Frank Lloyd Wright Building Conservancy et la Unity Temple Restoration Foundation, elle permet déjà de voir en ligne la Malcolm Willey House, de Minneapolis, Minnesota (1934)… et la Henderson House, à Chicago (1901). Les autres seront mises en ligne au cours des semaines à venir, une chaque jeudi à 10 heures, heure de New York, soit 16 heures, heure de Paris. Isabelle Regnier
Leçons d’art chinois dans les réserves asiatiques du Musée Guimet
La fermeture des musées durant le confinement offre des occasions qui ne se seraient sans doute pas présentées sans cette période de restriction. Ainsi, le Musée Guimet ouvre exceptionnellement une partie de ses réserves, d’ordinaire fermées au public, que l’on peut visiter dans le sillage de la présidente de l’établissement, Sophie Makariou. Chaque semaine, une nouvelle vidéo d’une durée de trois minutes, Guimet Underground, tournée dans les sous-sols du musée parisien, est mise en ligne sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter… La première, diffusée sur la plate-forme YouTube début avril, dévoile une partie des réserves chinoises et notamment les porcelaines et céramiques de la collection de l’explorateur Ernest Grandidier (1833-1912), riche de 6 000 œuvres. Bien que souterraines, ces réserves n’ont rien d’une caverne d’Ali Baba : tous les objets y sont soigneusement répertoriés et rangés sur des étagères, les pièces les plus précieuses, protégées derrière des vitrines.
Le deuxième épisode de la série s’attache à une des œuvres de cet extraordinaire fonds, une double gourde à décor rouge, bleu et blanc sur fond jaune. Des couleurs très difficiles à juxtaposer sans qu’elles se dégradent et qui étaient réservées aux pièces à destination impériale, comme l’explique Sophie Makariou. Indice confirmé lorsqu’elle retourne l’objet et que l’on découvre un cachet – une « marque de règne » – portant le nom de l’empereur Qianlong qui régna entre 1736 et 1795. La caméra s’approche et l’on distingue une ronde de chauves-souris sur la partie supérieure de la gourde. « Un animal signe de bonheur », indique la spécialiste. Une précision qui prête à sourire en pleine pandémie de coronavirus où le petit mammifère est suspecté d’avoir joué un rôle dans la transmission…
Ces courtes vidéos s’ajoutent à d’autres initiatives numériques du Musée Guimet, notamment le mercredi, jour où un contenu pédagogique est mis en ligne sur le site à destination des enfants. Sylvie Kerviel
Le Monde
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