« Après le sujet, une des qualités les plus intéressantes du paysage est le mouvement, la vie. C’est aussi une des plus difficiles à réaliser. Donner la vie à une œuvre d’art est certes une condition indispensable pour l’artiste digne de ce nom. C’est l’émotion de l’exécutant qui donne la vie et c’est cette émotion qui éveille celle du spectateur. » (Alfred Sisley, janvier 1892).
Il y a cent vingt ans, le 29 janvier 1899, à Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne, le peintre impressionniste britannique Alfred Sisley est mort d’un cancer à l’âge de 59 ans (il est né le 30 octobre 1839 à Paris). Il n’a pas eu le temps d’avoir le succès qu’il aurait mérité de son vivant, ni même la nationalité française qu’il avait pourtant demandée depuis longtemps aux autorités françaises alors qu’il n’a jamais que vécu en France (sauf quelques années). Il est mort très peu aisé et endeuillé (sa femme est morte de maladie quelques mois avant lui, le 8 octobre 1898), mais rapidement honoré : « Au jour où fut annoncée la mort de Sisley après tant de souffrances volontairement et fièrement dissimulées, il y eut un tressaillement dans tout le public renseigné. Les toiles possédées par ceux qui attendaient par le monde le caprice des amateurs furent immédiatement recherchées. », selon le critique d’art Gustave Geffroy (1855-1926).
En effet, les fins connaisseurs connaissaient l’importance artistique de celui qui venait de mourir. Ainsi, dans une lettre du 22 janvier 1899 à son fils Lucien, quelques jours avant la mort d’Alfred Sisley, le peintre Camille Pissaro en avait bien conscience : « Sisley, dit-on, est fort gravement malade. Celui-là est un bel et grand artiste, je suis d’avis que c’est un maître égal aux plus grands. J’ai revu des œuvres de lui d’une ampleur et d’une beauté rares, entre autres, une "Inondation" qui est un chef-d’œuvre. ».
Déshérité par son père à cause de ses choix affectifs, Alfred Sisley a commencé la peinture à Paris en octobre 1862 (il a alors 23 ans) dans un atelier où il a lié amitié avec notamment Auguste Renoir (1841-1919) et Claude Monet (1840-1926). Sisley a fait partie des peintres du mouvement impressionniste qui sont sortis de leur atelier pour peindre directement sur le terrain les paysages et transmettre surtout leurs émotions, leurs "impressions". Le terme "impressionnisme" provient d’un critique et peintre, Louis Leroy (1812-1885), qui a ironisé sur ce mouvement le 25 avril 1874 dans "Charivari", néologisme construit à partir du fameux tableau de Claude Monet "Impressions, soleil levant".
Ce qui importe, dans l’impressionnisme, c’est d’abord la lumière. Pas de trait mais juste des formes, des ombres, des reflets. C’était révolutionnaire à l’époque. Le photographe Nadar (1829-1910) encouragea ce mouvement en louant une grande salle, boulevard des Capucines à Paris, pour faire la première exposition des peintres impressionnistes du 15 avril au 15 mai 1874.
Sisley en fit évidemment partie, exposant quelques tableaux dont "La Machine de Marly" (1873) à propos duquel le critique d’art Ernest Chesneau (1833-1890) a écrit le 7 mai 1874 : « Tout n’est pas également bon dans les envois de M. Sisley ; mais il en est un, "La Seine à Port-Marly", qui est l’absolue réalisation des ambitions de l’école dans le paysage. Je ne sais pas de tableau dans le passé ni dans le présent qui donne d’une façon si complète, si parfaite, la sensation physique de l’atmosphère, du "plein-air". Voilà donc une acquisition toute nouvelle en peinture, et dont il importe de prendre note. ». Le tableau évoqué semble être celui montré ci-dessus, "La Machine de Marly", mais il reste encore une incertitude à ce sujet.
Un autre critique d’art, Léon Roger-Milès (1859-1928), a écrit dans la préface du catalogue d’une autre exposition, une rétrospective des œuvres de Sisley, qui a eu lieu à Paris du 5 au 28 février 1897 : « L’arbre est pour lui l’un des facteurs prépondérants pour exprimer la vie. L’eau aide à exprimer la vie dans l’étendue, l’arbre l’exprime dans le temps. Dans ses toiles, Sisley, pas plus que Corot, ne fait le portrait d’un arbre ; pourtant il les connaît tous ; il les a tous étudiés ; il en fait l’anatomie ; mais ce qu’il nous donne, ce sont des harmonies d’arbres dans la nature ; ce sont des éléments essentiellement variés où s’inscrivent les saisons et les heures, avec le chromatisme spécial de frondaisons. ».
Le collectionneur et critique d’art Arsène Alexandre (1859-1937), quant à lui, a souligné le 1er mai 1899 dans la préface du Catalogue des œuvres d’Alfred Sisley établi juste après sa mort, « l’intrépide bonne humeur de Sisley, à cette époque exempte d’argent et de mélancolie », et a affirmé que ce peintre représentait « la gaieté, l’entrain, la fantaisie ». Il répéta cette confidence que lui avait faite Sisley à propos du "trio" du scherzo dans le Septuor de Beethoven qui lui avait « procuré un ravissement ineffaçable » : « Cette phrase si gaie, si chantante, si entraînante, il me semble que, depuis la première fois que je l’ai écoutée, elle fait partie de moi-même, tant elle répond à tout ce que j’ai toujours été au fond. Je la chante sans cesse. Je me la fredonne en travaillant. Elle ne m’a jamais abandonné. ».
Il y a toujours une certaine émotion à voir peints des paysages qui nous sont familiers. Ainsi, les œuvres de Sisley dans la région parisienne sont toujours très intéressantes, même plus d’un siècle plus tard. Je propose donc ici un petit tour de la région parisienne avec pour guide… Mister Sisley lui-même, of course !
Le voici à Argenteuil, à l’époque un lieu classique des peintres où les habitants et visiteurs avaient un certain niveau de vie et appréciaient les activités nautiques sur la Seine.
Le "Boulevard Héloïse" est vivant et apporte une note sociologique sur la vie quotidienne de l’époque.
La "Passerelle d’Argenteuil", peinte en 1872, peut étonner : où était-elle ? En fait, cette passerelle en bois n’a pas duré très longtemps. Elle fut construite en urgence après la destruction du grand pont pendant la guerre de 1870 et quelques mois après la réalisation de l’œuvre artistique, la passerelle fut détruite et remplacée par un nouveau grand pont.
À Louveciennes, Sisley a peint le même paysage à différentes saisons.
La même vue en hiver, recouverte de neige.
La Seine, fleuve fascinant par sa lumière, ses reflets, a été peinte aussi à Bougival.
À Marly-le-Roi, une autre scène dans un paysage enneigé aurait été inspirée par Hiroshige.
Dans la région de Fontainebleau,où il a séjourné à la fin de sa vie, Sisley a réalisé d’autres beaux paysages où les couleurs, le ciel, les reflets, les ombres frappent l’œil du visiteur dans un spectacle naturaliste.
Le vieux village à Moret-sur-Loing a ainsi été peint par son habitant illustre.
Ainsi que son église avec ses ombres, en "plein soleil".
Après ce petit tour très modeste des œuvres de Sisley (qui a peint environ 1 500 toiles), je termine par cette petite réflexion du critique d’art et collectionneur, Adolphe Tavernier (1853-1945), en préface d’un catalogue consacré à des œuvres de Sisley (vente du 2 au 4 décembre 1907) : « Pourquoi ne pas écrire que Sisley nous apparaît, avec un apport nouveau bien entendu, comme le digne héritier de ce beau maître [Corot], en ces toiles exquises où la force le dispute à la grâce, la poésie à la distinction de la facture, surtout dans cette période de 1872 à 1876, où il produisit des chefs-d’œuvre ? ».
Il y a cent vingt ans, le 29 janvier 1899, à Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne, le peintre impressionniste britannique Alfred Sisley est mort d’un cancer à l’âge de 59 ans (il est né le 30 octobre 1839 à Paris). Il n’a pas eu le temps d’avoir le succès qu’il aurait mérité de son vivant, ni même la nationalité française qu’il avait pourtant demandée depuis longtemps aux autorités françaises alors qu’il n’a jamais que vécu en France (sauf quelques années). Il est mort très peu aisé et endeuillé (sa femme est morte de maladie quelques mois avant lui, le 8 octobre 1898), mais rapidement honoré : « Au jour où fut annoncée la mort de Sisley après tant de souffrances volontairement et fièrement dissimulées, il y eut un tressaillement dans tout le public renseigné. Les toiles possédées par ceux qui attendaient par le monde le caprice des amateurs furent immédiatement recherchées. », selon le critique d’art Gustave Geffroy (1855-1926).
En effet, les fins connaisseurs connaissaient l’importance artistique de celui qui venait de mourir. Ainsi, dans une lettre du 22 janvier 1899 à son fils Lucien, quelques jours avant la mort d’Alfred Sisley, le peintre Camille Pissaro en avait bien conscience : « Sisley, dit-on, est fort gravement malade. Celui-là est un bel et grand artiste, je suis d’avis que c’est un maître égal aux plus grands. J’ai revu des œuvres de lui d’une ampleur et d’une beauté rares, entre autres, une "Inondation" qui est un chef-d’œuvre. ».
Déshérité par son père à cause de ses choix affectifs, Alfred Sisley a commencé la peinture à Paris en octobre 1862 (il a alors 23 ans) dans un atelier où il a lié amitié avec notamment Auguste Renoir (1841-1919) et Claude Monet (1840-1926). Sisley a fait partie des peintres du mouvement impressionniste qui sont sortis de leur atelier pour peindre directement sur le terrain les paysages et transmettre surtout leurs émotions, leurs "impressions". Le terme "impressionnisme" provient d’un critique et peintre, Louis Leroy (1812-1885), qui a ironisé sur ce mouvement le 25 avril 1874 dans "Charivari", néologisme construit à partir du fameux tableau de Claude Monet "Impressions, soleil levant".
Ce qui importe, dans l’impressionnisme, c’est d’abord la lumière. Pas de trait mais juste des formes, des ombres, des reflets. C’était révolutionnaire à l’époque. Le photographe Nadar (1829-1910) encouragea ce mouvement en louant une grande salle, boulevard des Capucines à Paris, pour faire la première exposition des peintres impressionnistes du 15 avril au 15 mai 1874.
Sisley en fit évidemment partie, exposant quelques tableaux dont "La Machine de Marly" (1873) à propos duquel le critique d’art Ernest Chesneau (1833-1890) a écrit le 7 mai 1874 : « Tout n’est pas également bon dans les envois de M. Sisley ; mais il en est un, "La Seine à Port-Marly", qui est l’absolue réalisation des ambitions de l’école dans le paysage. Je ne sais pas de tableau dans le passé ni dans le présent qui donne d’une façon si complète, si parfaite, la sensation physique de l’atmosphère, du "plein-air". Voilà donc une acquisition toute nouvelle en peinture, et dont il importe de prendre note. ». Le tableau évoqué semble être celui montré ci-dessus, "La Machine de Marly", mais il reste encore une incertitude à ce sujet.
Un autre critique d’art, Léon Roger-Milès (1859-1928), a écrit dans la préface du catalogue d’une autre exposition, une rétrospective des œuvres de Sisley, qui a eu lieu à Paris du 5 au 28 février 1897 : « L’arbre est pour lui l’un des facteurs prépondérants pour exprimer la vie. L’eau aide à exprimer la vie dans l’étendue, l’arbre l’exprime dans le temps. Dans ses toiles, Sisley, pas plus que Corot, ne fait le portrait d’un arbre ; pourtant il les connaît tous ; il les a tous étudiés ; il en fait l’anatomie ; mais ce qu’il nous donne, ce sont des harmonies d’arbres dans la nature ; ce sont des éléments essentiellement variés où s’inscrivent les saisons et les heures, avec le chromatisme spécial de frondaisons. ».
Le collectionneur et critique d’art Arsène Alexandre (1859-1937), quant à lui, a souligné le 1er mai 1899 dans la préface du Catalogue des œuvres d’Alfred Sisley établi juste après sa mort, « l’intrépide bonne humeur de Sisley, à cette époque exempte d’argent et de mélancolie », et a affirmé que ce peintre représentait « la gaieté, l’entrain, la fantaisie ». Il répéta cette confidence que lui avait faite Sisley à propos du "trio" du scherzo dans le Septuor de Beethoven qui lui avait « procuré un ravissement ineffaçable » : « Cette phrase si gaie, si chantante, si entraînante, il me semble que, depuis la première fois que je l’ai écoutée, elle fait partie de moi-même, tant elle répond à tout ce que j’ai toujours été au fond. Je la chante sans cesse. Je me la fredonne en travaillant. Elle ne m’a jamais abandonné. ».
Il y a toujours une certaine émotion à voir peints des paysages qui nous sont familiers. Ainsi, les œuvres de Sisley dans la région parisienne sont toujours très intéressantes, même plus d’un siècle plus tard. Je propose donc ici un petit tour de la région parisienne avec pour guide… Mister Sisley lui-même, of course !
Le voici à Argenteuil, à l’époque un lieu classique des peintres où les habitants et visiteurs avaient un certain niveau de vie et appréciaient les activités nautiques sur la Seine.
Le "Boulevard Héloïse" est vivant et apporte une note sociologique sur la vie quotidienne de l’époque.
La "Passerelle d’Argenteuil", peinte en 1872, peut étonner : où était-elle ? En fait, cette passerelle en bois n’a pas duré très longtemps. Elle fut construite en urgence après la destruction du grand pont pendant la guerre de 1870 et quelques mois après la réalisation de l’œuvre artistique, la passerelle fut détruite et remplacée par un nouveau grand pont.
À Louveciennes, Sisley a peint le même paysage à différentes saisons.
La même vue en hiver, recouverte de neige.
La Seine, fleuve fascinant par sa lumière, ses reflets, a été peinte aussi à Bougival.
À Marly-le-Roi, une autre scène dans un paysage enneigé aurait été inspirée par Hiroshige.
Dans la région de Fontainebleau,où il a séjourné à la fin de sa vie, Sisley a réalisé d’autres beaux paysages où les couleurs, le ciel, les reflets, les ombres frappent l’œil du visiteur dans un spectacle naturaliste.
Le vieux village à Moret-sur-Loing a ainsi été peint par son habitant illustre.
Ainsi que son église avec ses ombres, en "plein soleil".
Après ce petit tour très modeste des œuvres de Sisley (qui a peint environ 1 500 toiles), je termine par cette petite réflexion du critique d’art et collectionneur, Adolphe Tavernier (1853-1945), en préface d’un catalogue consacré à des œuvres de Sisley (vente du 2 au 4 décembre 1907) : « Pourquoi ne pas écrire que Sisley nous apparaît, avec un apport nouveau bien entendu, comme le digne héritier de ce beau maître [Corot], en ces toiles exquises où la force le dispute à la grâce, la poésie à la distinction de la facture, surtout dans cette période de 1872 à 1876, où il produisit des chefs-d’œuvre ? ».
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