La mort à Venise,Mann ou l’enchanteur pourrissant…
J’ai passé quelques jours à Venise,il y a deux ans. Journées d’hiver et de brume : quais à la lumière rasante , matinées ouateuses et brouillées, tombées de nuit brutales qui transforment les étroits canaux en coupe gorge, aux lumières incertaines ; on avance dans un labyrinthe inquiétant, envahi d’eau presque immobile aux remous gras et funèbres comme si une inondation insidieuse était en train de s ‘étendre entre palais, courettes, hospices, cloitres, casa ceci casa cela, ou demeures vides aux ornements gothiques en train de se délabrer. Toutes ces lentes ondulations noires en train de clapoter le long de portails de bois en train de moisir font penser à une agonie architecturale au ralenti.
J’étais surpris de l’extraordinaire acuité de thomas Mann pour capter ce caractère funèbre de la ville, comme si la thématique de sa nouvelle « la mort à Venise » émanait du décor, car dés qu’on quitte le grand canal et sa circulation incessante, ce sont remous gras, maisons aux volets clos avec un air d’abandon,, palais déserts, fenêtres vides, ambiance couvée. On suit des ondulations douceâtres qui viennent léchouiller des escaliers de pierre érodés, portails vermoulus protégés par de lourdes grilles de prison, et cette mouillure perpétuelle charriant des pourrissements, ces franges d’écume le long d’embarcations bâchées avec des toiles aux auréoles jaunes pisse, tout ça laisse une impression de fermentation malsaine , domaine de lourds secrets, avec l’odeur rance que soulève soudain une barque à moteur.
La nouvelle de Mann s’inscrit admirablement cet enchantement pourrissant, car nous sommes pris dans une ambiance de lente putréfaction. Cela est d’autant plus évident que le texte explore avec une intelligence insinuante, un sentiment de vieillissement, de naufrage, de décrépitude physique, de l’écrivain célèbre -et las- Gustav Aschenbach. Il est seul, devenu « le grand écrivain officiel « qu’on étudie en classe » en Allemagne, manière d’être coincé dans le sarcophage de la culture officielle. Et si on parcourt toute la correspondance de thomas Mann suinte ce sentiment d’etre asphyxié dans la feutrine de la célébrité , les hommages et les récompenses.
La rencontre avec le bel adolescent polonais Tadzio, sorte d’archange blond entouré et gardé par sa famille polonaise pépiante, va secouer, happer, bouleverser notre écrivain .on a tout dit de ce chavirement d’un écrivain si bourgeois qui découvre, le trouble, l’obsession de la Beauté et de la jeunesse, ce qui ébranle tout son psychisme. Aschenbach prend conscience que son œuvre, si bourgeoise, n’a pas pris en compte l’Eros, la panique,découverte de la part inquiétante et dionysiaque de toute vie,comme un abime qui s’ouvre. . La lagune, lieu de fermentation, de touffeur, de moiteur, d’imminence de catastrophe est la magnifique métaphore de la part morbide qui se révèle à Aschenbach en quelques jours .
Je n’avais pas bien compris dans mes précédentes lectures de cette nouvelle , combien il y a un parallélisme étonnant entre la décomposition morale d’une ville (les notables, les commerçants, et la municipalité cachent le cholera pour ne pas faire fuir les touristes et faire marcher le tiroir- caisse..), la moisissure de ses murs avec la décomposition accélérée des certitudes d’un écrivain bourgeois devenu l’esclave de ses sens face au jeune Tadzio .Aschenbach découvre que sa dignité sociale devient un leurre avec une libido en ébullition. La fièvre malsaine qui s’ empare de Venise ,ce choléra, répond exactement à la fièvre d’Aschenbach . au marécage d’une ville, cette serre chaude pleine de germes mortels répond le marécage libidinal dans lequel s’enfonce Aschenbach . au secret d’une ville répond le secret de l’écrivain et la découverte de son homosexualité.
Ces deux secrets morbides sont extraordinairement entrelacés par thomas Mann. Et l’ironie des phrases n allège pas l’atmosphère mais ajoute un glacis chirurgical au récit de la connaissance de soi.. La tragédie d’Aschenbach se joue dans une prose à reflets aquatiques sombres comme si Mann voulait it nous plonger dans ce qu’il a appelé « « l’aristocratique morbidité de la littérature » dans sa nouvelle « Tonio Kröger » rédigée en 1903, donc neuf ans avant « La mort à Venise » puisant dans les mêmes sources de la morbidité et d’un érotisme à tendance pédophile qui ressemble,pour le bourgeois Mann, à une brulure et à une culpabilité.
De plus son itinéraire est subtilement ponctué de personnages (ca fait penser à un jeu d’échecs) qui annoncent la Mort :le promeneur du cimetière de Munich, le gondolier muet, sorte de Charon qui mène l’écrivain au pays des morts, les musiciens grimaçants, ricanant, railleurs, qui jouent d’ d’une inquiétante obséquiosité et de contorsions douteuses devant ce parterre de grands bourgeois mondains, parfumés, proustiens, à la terrasse du grand hôtel.
La vraie nature érotique du « bourgeois » Aschenbach-si bien cachée dans le mensonge de sa prose académique- est brutalement révélée dans le formidable rêve d’une nuit, cette orgie qui semble sortie du « Salammbô, » de Flaubert. ( ce que Thomas Mann appelle joliment « les privilèges du chaos »).. A la découverte de sa vraie nature trouble et de sa décrépitude de vieillard libidineux, « vieux beau » tourmenté par une jeunesse, s’ ajoute la perversité du jeune Tadzio qui, dans ses promenades dans le dédale de ruelles empestées, jouit et savoure son ascendant sur le vieil homme.
Aschenbach, lorsqu’il est mis au courant de l’épidémie cachée ( ô ironie par un employé anglais d’une agence et non pas par un italien), éprouve un premier geste charitable admirable que le Aschenbach grand bourgeois vénéré aurait pu revendiquer face à ses lecteurs, mais dans un retournement faustien, si brutal, Aschenbach prend la résolution plus excitante et cruelle de se taire. Il ne va pas avertir la famille de Tadzio de la maladie qui s’étend sur la lagune et les menace. comme si l’homme profond, voulait exercer sa nature criminelle et devenir une figure du Mal ou son zélé collaborateur. Le docteur Faustus est déjà là. . Le vieillard désirant ne veut pas lâcher sa jeune proie. Ambiance de morbidité absolue.
la part cachée, tyrannique,érotique, dionysiaque, avide, féroce, de l’écrivain atteint là un sommer de perversité. : j’entraine tout le monde dans la Mort ce qui e donne l’ullsion den être le maitre.. Point ultime.
les visites chez le barbier de l’hotel pour se faire teindre les cheveux et mettre du rouge aux joues pour mimer une jeunesse perdue, et masquer sa déchéance physique ont sans doute eu pour conséquence de multiplier rancœur, amertume et désir de vengeance métamorphosée en jubilation d’imaginer la destruction des autres .
Enfin, thomas Mann cultive la métaphore d’une ville qui s’enfonce dans la vase,pour nous révéler le fond pessimiste de sa vraie nature d’écrivain. Il pose clairement une équivalence entre pulsion érotique et source d’énergie pour écrire. Dans pas mal de lettres et confidences à ses proches, il ne cache pas le fonds trouble et libidinal, le « fumier » ou le « compost », sur lequel fleurit une œuvre.
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Il écrit tranquillement : « laisser le style suivre les lignes du corps ».c’est déjà tout le programme que va développer « la montagne magique », qu’il commencera à écrire un an plus tard.. car il y a non seulement la fascination pour corps parfait, en pleine éclat(Tadzio) mais fascination aussi forte pour le corps malade et en constant déséquilibre qui fascine tout autant Mann .A cet égard il faut savoir que toute sa vie Thomas Mann a souffert de migraines, de nausées, de fièvres, de coups de fatigue ,d’insomnies, de vertiges, de mauvaise digestion, de malaises soudains..Ses lettres, ses journaux forment la grande litanie d’un homme qui ne cesse de somatiser. Et de consulter des médecins. ***
Chez lui le culte de la Forme prend sa source dans les couches explorées par Freud… Le récit parabole de « La mort à Venise » annonce la « maladie » et les pathologies d’un Occident tout entier (nous sommes en 1912, n’oublions pas…) Mann, déjà marqué par le Nietzsche dionysiaque, et le pessimisme de Schopenhauer devait lire deux ans plus tard le livre de Spengler « déclin de l’Occident » dont il a dit : »c’est un essai qui rejoint tout ce que je pensais déjà, une des lectures capitales de ma vie ! » .
L’Europe, chez lui, devient un sanatorium. En sommes nous sortis?
La philosophie de Nietzsche par Thomas Mann
LA PHILOSOPHIE DE NIETZSCHE À LA LUMIÈRE DE NOTRE EXPÉRIENCE
in
Études — Goethe, Nietzsche, Joseph et ses frères
traduction par Philippe Jaccottet
Éditions Rencontre, Lausanne, 1965 (Mermod, 1949)
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Thomas Mann La mort à Venise (1912) Luchino Visconti Mort à Venise (1971)
Thomas Mann (1875-1955) commence par publier des nouvelles en revues. Il rencontre le succès en 1901 avec Les Buddenbrook ; déclin d’une famille puis avec Tristan en 1903 et La mort à Venise en 1912. Il affiche des convictions nationalistes et conservatrices jusque dans les années vingt mais sous l’influence de son frère cadet, le romancier Heinrich Mann, il se prononce peu à peu pour la démocratie et dénonce le nazisme. Après la publication de La montagne magique en 1924, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1929. En 1933, il profite de conférences à l’étranger pour s’installer en Suisse. En 1938, il part pour les Etats-Unis dont il revient en 1952 pour résider à nouveau en Suisse jusqu’à sa mort en 1955.
Luchino Visconti (1906-1976) devient assistant de Jean Renoir en 1936 (Une partie de campagne, Les bas-fonds) et réalise son premier film, Les amants diaboliques en 1943. Parmi une longue filmographie, on peut citer La terre tremble (1948), Senso (1954), Rocco et ses frères (1960), Le Guépard (1963), Les damnés (1969), Ludwig (1973)… Le livre La mort à Venise est une nouvelle d’une centaine de pages construite en six chapitres. Le premier chapitre se déroule à Munich vers 1910. L’écrivain Gustav Aschenbach (ou d’Aschenbach parce qu’il avait droit à la particule depuis son cinquantième anniversaire) fait une longue promenade qui l’a conduit jusqu’au cimetière du Nord où il attend le tramway. Pour se distraire, il déchiffre les inscriptions qui ornent le fronton de la chapelle des morts lorsque la vue d’un homme étrange le tire de sa rêverie. Un chapeau de Manille à grands bords droits lui donne l’air de venir d’un pays exotique. Aschenbach se détourne et oublie l’homme mais il ressent une forte impression qu’il parvient à analyser : « C’était envie de voyager, rien de plus ; mais à vrai dire une envie passionnée, le prenant en coup de foudre, et s’exaltant jusqu’à l’hallucination ». Ensuite, nous faisons plus ample connaissance avec Aschenbach, son enfance, son parcours, son œuvre, ses conceptions artistiques. On y apprend aussi qu’il vit seul, que sa femme est morte très tôt, lui laissant une fille aujourd’hui mariée. Au milieu du mois de mai, il prend le train pour Trieste et le bateau pour l’île de Pola, près de la côte d’Istrie. Mais il pleut, l’hôtel est peuplé par une petite bourgeoisie autrichienne fermée aux étrangers et il n’y a pas de plage de sable. « Où va-t-on quand on veut du jour au lendemain échapper à l’ordinaire, trouver l’incomparable, la fabuleuse merveille ? Il le savait. Que faisait-il ici ? Il s’était trompé. » Et sans plus attendre, il quitte Pola pour Venise. Sur le bateau, son attention est attiré par « un faux jeune homme », un vieux beau fardé à outrance et il en est horrifié. Arrivé à Venise, un gondolier « étrange, sinistre et résolu » s’impose pour l’emmener sur l’île du Lido. Image de Charon, passeur des Enfers chargé de mener sur sa barque les âmes des morts jusqu’au royaume d’Hadès. A l’hôtel, la société est plus diverse et plus ouverte qu’à Pola. Des Américains, des Russes, des Anglais, des Allemands, des Français… Des Polonais aussi, et parmi eux, « un adolescent aux cheveux longs qui pouvait avoir quatorze ans, d’une si parfaite beauté qu’Aschenbach en fut confondu ». A partir de cette minute, le romancier est obsédé par le jeune Tadzio. « Et son cœur était rempli et agité d’une tendresse paternelle, de l’inclination émue de celui dont le génie se dévoue à créer la beauté envers celui qui la possède ». Mais dès le lendemain, la chaleur est si lourde, l’air si épais et chargé d’émanations malodorantes, qu’il se sent très mal et décide de quitter Venise pour une petite plage située non loin de Trieste. Le jour suivant, il regrette déjà un peu sa décision et se demande s’il n’aurait pas dû espérer une adaptation au climat vénitien ou une amélioration du temps. Le hasard lui vient en aide. De l’hôtel, sa malle a été envoyée par erreur vers Côme. Il refuse de voyager sans bagage et se réinstalle au Lido pour attendre le retour de sa malle. « Une joie extravagante, une incroyable gaieté souleva sa poitrine et le secoua comme un spasme ». Il ne sait pas alors qu’il ne quittera plus jamais Venise ». Les chapitres suivants décrivent avec précision les pensées et les promenades de l’écrivain. Il observe Tadzio sur la plage, il suit la famille polonaise qui visite les ruelles de Venise, il rêve… Mais il découvre aussi qu’on blanchit la ville au lait de chaux et que des rumeurs d’épidémie commencent à circuler. Depuis quelques années, le choléra asiatique avait fait son apparition dans plusieurs ports de la Méditerranée et cette année-là, il arrivait à Venise. Sans avoir jamais adressé la parole à Tadzio, Aschenbach ressent un irrépressible désir de plaire, de séduire. « En face de l’adolescent délicieux dont il s’était épris, son corps vieillissant le dégoûtait ; à voir ses cheveux gris, les traits marqués de son visage, il était pris de honte et de désespérance ». Il va s’abandonner aux soins du coiffeur de l’hôtel. Les cheveux noircis, les sourcils redessinés, les yeux agrandis au khôl, les rides effacées par le fond de teint, le visage blanchi et légèrement carminé, les lèvres colorées d’un ton framboise, « Aschenbach découvrait dans la glace un adolescent en fleur ». Ainsi fardé il va suivre Tadzio dans les rues de la ville empoisonnée… Epuisé, il va acheter des fraises trop mûres et trop molles… Et peu à peu, il ressent les premiers malaises, les premiers vertiges. Quand la famille polonaise termine les préparatif de son départ, il s’installe dans une chaise longue sur la plage, regarde le bel adolescent profiter de son dernier bain et il meurt sur cette dernière vision. La genèse de cette nouvelle Lors d’une rencontre en 1951, Thomas Mann a expliqué à Luchino Visconti que ce texte était très autobiographique. « Rien n’est inventé, le voyageur dans le cimetière de Munich, le sombre bateau pour venir de l’Ile de Pola, le vieux dandy, le gondolier suspect, Tadzio et sa famille, le départ manqué à cause des bagages égarés, le choléra, l’employé du bureau de voyages qui avoua la vérité, le saltimbanque, méchant, que sais-je… Tout était vrai... L’histoire est essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son Art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction. Ce que je voulais raconter à l’origine n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante dix ans, pour une jeune fille de Marienbad : une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue "La Mort à Venise". A cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les. choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle. Stefan George a dit que dans "La Mort à Venise" tout ce qu’il y de plus haut est abaissé à devenir décadent et il a raison ». Un personnage prénommé Gustav… Thomas Mann admirait beaucoup Gustav Malher, compositeur et chef d’orchestre exigeant et rigoureux. L’écrivain a été très affecté par la mort du musicien le 18 mai 1911. Il a effectué son voyage à Venise une semaine plus tard, du 26 mai au 2 juin, et s’est plongé dans l’écriture de La mort à Venise en juillet 1911 pour l’achever un an plus tard. Dans la nouvelle, Gustav Malher est devenu Gustav Aschenbach, romancier. Le film C’est vingt ans après sa rencontre avec Thomas Mann que Visconti entreprend l’adaptation de la nouvelle. Les pensées et rêveries d’un écrivain sont difficiles à rendre en images sauf à abuser à l’extrême de la voix off. Pour résoudre ce problème, le réalisateur procède à plusieurs modifications, toujours au plus proche des conceptions de l’auteur, et introduit des flash-back. Il revient notamment aux sources du texte et Aschenbach redevient musicien. Le film est accompagné par l’adagietto de la cinquième symphonie du compositeur. Mahler avait éprouvé la douleur de perdre sa fille, victime très jeune du typhus. Des flash-back évoquent la mort de la fillette et le petit cercueil blanc. Pour faciliter l’expression des conceptions du romancier sur l’art et la beauté, Visconti emprunte au Docteur Faustus (1947) de Thomas Mann. Un autre musicien, Schönberg, prend les traits d’Alfred et donne la réplique à Aschenbach dans plusieurs flash-back. Pour le reste, le film reste plutôt fidèle aux chapitre III à VI de la nouvelle. En 1970, pour trouver le garçon blond susceptible d’interpréter Tadzio, Visconti a prévu un périple par la Suède, la Finlande et la Pologne. Dès son passage à Stockholm, il a repéré Bjorn Andresen mais il a poursuivi le voyage comme prévu et n’a donné son avis définitif qu’à la fin de toutes les auditions de garçons blonds. Ce voyage se terminait à Venise pour des repérages dans l’Hôtel des Bains en hiver et a donné lieu à un documentaire de trente minutes, A la recherche de Tadzio, réalisé pas Visconti pour la télévision italienne. Les bonus du DVD Le DVD bonus (Warner Bross, édition collector, un DVD film et un DVD bonus) offre une heure de documents très intéressants. Aux sources de Mort à Venise (20 mn) : Un entretien avec le scénariste, Nicola Badalucco, qui a rencontré Visconti pour Les damnés et qui explique le travail d’adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, l’origine et les raisons des divers changements entre l’œuvre écrite et l’œuvre filmée. L’emprise du carnavalesque (20 mn) : Une analyse assez technique de la construction du film, des cadrages, des plans, des travellings… par Suzanne Liandrat-Guigues. Un entretien (18 mn) avec le costumier, Pierro Tozzi qui raconte, entre autres, comment Silvana Mangano s’est retrouvée dans la distribution. Une autre comédienne avait été contactée mais à la lecture du scénario, elle a découvert qu’il s’agissait d’un rôle sans dialogue et elle a refusé. En l’apprenant, Silvana Mangano a proposé d’interpréter gratuitement le rôle de la mère de Tadzio. Un beau cadeau pour Visconti qui tenait beaucoup à ce personnage très proche de sa propre mère.
Serge Cabrol
Une bonne adresse pour en savoir plus sur Luchino Visconti :http://emmanuel.denis.free.fr/visconti.html | Le livre / Le film Thomas Mann (1875-1955) Prix Nobel 1929 Luchino Visconti (1906-1976) Gustav Aschenbach (Dirk Bogarde) Tadzio (Bjorn Andresen) La mère de Tadzio (Silvana Mangano) Gustav Mahler (1860-1911) Arnold Schönberg (1874-1951) |
========================================================================https://brunorigolt.org/2009/03/06/classe-de-seconde-12-la-mort-a-venise-thomas-mann/Classe de Seconde
12… « La Mort à Venise » (Thomas Mann)
La Mort à Venise (1912)
La séquence 6 qui va débuter mi-mars va être l’occasion de lire une nouvelle de l’écrivain allemand Thomas Mann : La Mort à Venise (Der Tod in Venedig) et de la rapprocher du film de Luchino Visconti Morte a Venezia (1971). La nouvelle est considérée comme lue à partir de la rentrée de mars 2009.
Si l’on s’en tient à l’histoire, la nouvelle de Thomas Mann ne réserve que peu d’action. Le schéma narratif est lui-même assez prévisible. Voici comment l’encyclopédie en ligne Wikipedia la résume : « Le personnage principal est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination. » Comme vous le voyez, point de suspens et encore moins d’action. C’est donc davantage dans une optique symbolique et intertextuelle qu’il nous faudra lire La Mort à Venise.
Publiée dès 1912 en tirage limité et un an plus tard pour le grand public, la nouvelle de Thomas Mann préfigure le processus de décadence qui affecte la société bourgeoise, et plus largement la crise de valeurs qui va précipiter l’Europe dans la première guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si Aschenbach est l’archétype (le modèle) même de l’artiste : apolitique, au sommet de la gloire littéraire, anobli, il mène dans un quartier chic de Munich une existence de bourgeois, sans se préoccuper le moins du monde des tensions croissantes qui vont déclencher le retournement majeur de l’économie et de la société juste avant la guerre. Il y a d’ailleurs une part autobiographique dans la nouvelle : en premier lieu Thomas Mann avait entrepris un voyage à Venise au printemps 1911 avec son frère et sa femme Katia, précisément au Grand Hôtel des Bains du Lido, là même où descend Aschenbach. Mais il y a également un rapport d’analogie très net entre l’écrivain et le personnage de la nouvelle : tous deux sont conservateurs politiquement et l’on pourrait voir dans le journal que Thomas Mann publiera en 1918 Considérations d’un apolitique, un écho à l’apolitisme d’Aschenbach. Il y a aussi dans la nouvelle de Thomas Mann une profonde nostalgie perceptible : celle du mythe romantique d’une Allemagne forte et conquérante en contradiction avec les bouleversements de l’histoire.
Quand Thomas Mann écrit La Mort à Venise, il a trente-six ans, mais il est en proie à cette époque à une profonde crise existentielle. En premier lieu, sa rencontre avec le compositeur Gustav Mahler, va le bouleverser. Lui si conservateur va être révélé à une musique profondément novatrice qui va influencer d’ailleurs sa conversion politique et intellectuelle après la guerre (Thomas Mann se ralliera aux idées libérales). Visconti dans son film fera d’ailleurs d’Aschenbach un compositeur. Le fameux adagietto de la Cinquième symphonie de Mahler rythme sur le plan musical de nombreuses scènes du film de Visconti (pour écouter cet « adagietto », cliquez ici). Il est donc certain que la rencontre avec Mahler introduit un renouveau dans la vie de Thomas Mann. À cet égard, le grand critique littéraire allemand Hans Mayer a écrit que « Thomas Mann tue son Aschenbach pour […] se débarrasser des conflits et des maximes esthétiques de son existence antérieure » (Hans Mayer, Thomas Mann, PUF 1994).
Au niveau des thèmes, il ne vous aura pas échappé que le « mythe romantique » et la mort hantent la nouvelle : pourquoi Aschenbach va-t-il mourir? D’un point de vue autobiographique, comme je l’indiquais plus haut, les événements rapportés dans la nouvelle eurent lieu vers la fin mai, début juin 1911. Thomas Mann et sa femme Katia avaient rencontré à l’Hôtel des Bains une famille polonaise. Le jeune baron qui s’appelait Vladislav et que l’on appelait Wiachio est le portrait du jeune Tadzio dans la nouvelle. Quant au choléra, on releva vers 1911 plusieurs cas. Mais ce qui surprend à la lecture du texte, c’est qu’on a l’impression que Tadzio est une sorte de messager de la mort. Ne vous attachez surtout pas à un quelconque aspect « sexuel » dans cette nouvelle : l’amour d’Aschenbach pour Tadzio est la métaphore d’une impossible quête : quête de l’impossible désir d’un amour lui-même impossible. C’est donc davantage à un niveau allégorique que vous devez appréhender la nouvelle de Thomas Mann. Une allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite. Ici Tadzio est l’allégorie et de la perfection esthétique et de l’interdit. C’est ce qui va précipiter Aschenbach vers la mort.
Autant dans le film de Visconti, c’est l’aspect politique qui est mis en avant, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres de ses réalisations (ici la décomposition d’une classe sociale, la bourgeoisie ; dans Le Guépard l’effondrement de l’aristocratie), autant dans la nouvelle de Thomas Mann c’est plutôt le thème romantique de la mort qui est mis en scène, et même de la mort choisie au terme d’un processus d’auto-destruction : Aschenbach meurt précisément parce qu’il prend conscience qu’il n’a plus rien à dire. Vous avez à cet égard certainement remarqué en lisant l’ouvrage, les nombreuses allusions à la Grèce antique. Elles ont sur le plan symbolique une signification capitale et se rapportent à l’opposition Apollon/Dionysos. L’antithèse entre l’aspect « dionysiaque » de l’œuvre (ce qui renvoie à la passion, à la sensualité, à l’excitation, etc.) et l’aspect « apollinien » (ce qui évoque davantage l’ordre, la mesure et ici l’épuisement, la fatalité) est essentielle pour comprendre le dualisme du texte.
Il faut enfin noter bien évidemment l’importance symbolique de Venise. La ville est en effet source d’un conflit intérieur : la traversée de la cité des Doges par exemple est l’apothéose dans la nouvelle de la lutte symbolique entre l’envie voluptueuse et dionysiaque de fuir vers une destination « exotique », et le tragique « métier de vivre » qui ramène l’écrivain à son devoir moral, selon une logique davantage apollinienne. Dans cette lutte, l’image de Venise, ville mouvante, instable (la lagune) s’impose comme principe régulateur du récit : avant d’être une ville, elle est d’abord un espace onirique et symbolique : un lieu et un non-lieu à la fois…
Crédit photographique : Bruno Rigolt (pour l’ensemble des images)
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Thomas Mann, La Mort à Venise
23 septembre 2015
par
http://temporel.fr/Thomas-Mann-La-Mort-a-Venise
Venise, labyrinthe et infini, dans La mort à Venise de Thomas Mann
La mort à Venise (Der Tod in Venedig, 1913) de Thomas Mann suit deux chemins qui se complètent, celui de la graduelle décomposition tragique de toute certitude, ainsi que celui de la Moralité médiévale, la mort apparaissant par deux fois au protagoniste et l’incitant à une mise en perspective de son existence et de son art. Le tragique lui-même revient à sa source dionysiaque. La forme et le style s’opposent à l’abîme. Thomas Mann fut lecteur de Nietzsche et, comme l’écrit Hans Mayer, récuse dans cette nouvelle « les antithèses établies par Schiller entre morale et sensualité, entre esprit et Eros » [1]. Venise offre son décor à cette ultime initiation d’un célèbre homme de lettres – poète –, que l’auteur conduit jusqu’aux origines, lui prêtant un guide « aux étranges yeux couleur d’aube » [2] pour une fin qui est aussi un commencement. Chez Henry James, Venise n’apparaissait, dans Les papiers d’Aspern, qu’en tant que labyrinthe ; dans La mort à Venise, la cité se tourne également, au Lido, vers la mer et l’infini. Le narrateur aborde d’ailleurs cette fois-ci « du côté de la mer une Venise autre que celle qu’il découvrait autrefois en venant par terre » [3].
Ces deux aspects correspondent aux deux mouvements de l’œuvre : la pénétration du labyrinthe tragique et de ses signes indubitables, qu’il faut décrypter, à la manière d’Œdipe dans Œdipe-Roi ; et le mouvement inverse, conversion de l’abîme en infini de jouvence et de lumière, sur le mode platonicien et apollinien. Venise présente une réalité ambiguë, la vérité s’y dissimulant sous le masque de la corruption et du sarcasme.
Les signes du tragique et ses profondeurs
Hans Mayer rapporte que Thomas Mann commença à écrire La Mort à Venise en juillet 1911, après un séjour qu’il fit dans cette ville avec sa famille en mai et juin de la même année. Quelques cas de choléra avaient alors été recensés. Comme la rédaction de cet ouvrage dura un an, la première guerre balkanique (1912) put avoir une incidence sur l’incipit : « Par un après-midi de printemps de cette année 19.. qui des mois durant sembla menacer si gravement la paix de l’Europe » [4]. On note dès l’abord que le récit individuel s’inscrit dans un contexte historique menaçant de tragédie ; on remarque également que la dimension européenne du propos est immédiatement soulignée. On la retrouvera dans l’Hôtel des Bains, avec les différentes nationalités qui s’y côtoient. Ensuite, dans la bouche de l’honnête Anglais qui dit la vérité sur l’épidémie, la scène s’étend au monde, de l’Inde jusqu’à Moscou et la Méditerranée. Munich, puis Venise, sont donc des villes situées dans un ensemble plus vaste dont elles sont, qu’elles le veuillent ou non, solidaires, de même que l’histoire individuelle ne peut éluder la grande Histoire.
Toutefois, Thomas Mann prend soin de ne pas dater exactement le moment de son récit, qu’il se contente de situer au vingtième siècle. La première parution, en 1912, laissait aux lecteur un choix de douze années. 19.. était un signe de contemporanéité. Cette légère imprécision esquisse pour nous maintenant une dimension historique que nous savons tragique, (et nous pouvons lire cette nouvelle comme prémonitoire du désastre à venir), mais la tragédie se situe également sur une scène qui échappe à la temporalité de l’événement précisément daté et historique. L’instant s’inscrit dès lors dans l’esprit du récit, que célèbre l’auteur dans ses Histoires de Jacob (1933). La narration, créant ses figures, ou ses modèles, saisit l’immédiat dans l’instant du sujet pour l’inscrire dans sa continuité propre, son éternité modelée. Aschenbach, le « ruisseau de cendres », se fait figure de notre mortalité, rencontrant ainsi d’autres figures, mythiques pour la plupart, et s’attachant aussi à une tradition de pensée. Son prénom l’attache à la personne de Gustav Mahler (Visconti, dans son film, songeant au personnage d’Adrian Leverkühn du Docteur Faustus, fait d’Aschenbach un musicien, ce que conteste Hans Mayer), qui mourut le 18 mai 1911.
Mentionnant la définition que donne, cité par Gustave Flaubert (un autre « Gustave ») dans une lettre à Louise Collet, Cicéron de l’éloquence, « motus animi continuus » [5] ou « mouvement continu de l’âme », Thomas Mann se place dans cette continuité de la personne qui, dans l’élan de la parole, ou « élan du mécanisme créateur », se projette dans l’avenir tout en s’adressant à autrui. Il situe le récit « au commencement de mai », dans la période ascendante de l’année, qui mène au solstice d’été. La fin s’entoure d’une atmosphère automnale, confirmant le déclin de l’astre, divinisé dans la nouvelle. Le fait que son errance mène le protagoniste au « cimetière du Nord » [6] ajoute un signe tragique à la notation historique que contient l’incipit. Les inscriptions sur la chapelle euphémisent la mort comme entrée dans la maison de Dieu et lumière éternelle, mais la référence à l’Apocalypse réunit le destin individuel et la crainte collective, plus tard incarnée par l’épidémie, conformément au verset 6, 7 de la Révélation de Jean : « Alors, on leur donna pouvoir sur le quart de la terre, pour exterminer par l’épée, par la faim, par la peste et par les fauves de la terre. » (Bible de Jérusalem.) Thomas Mann débute ainsi le chapitre 6 : « Depuis quelques années déjà le choléra asiatique tendait à se répandre, et on le voyait éclater en dehors de l’Inde avec de plus en plus de violence. Engendrée par la chaleur dans le delta marécageux du Gange, avec les miasmes qu’exhale un monde d’îles encore tout près de la création, une jungle luxuriante et inhabitable, peuplée seulement de tigres tapis dans les fourrés de bambous, l’épidémie avait gagné tout l’Hindoustan où elle ne cessait de sévir avec une virulence inaccoutumée » [7]. Les quatre fléaux sont bien présents dans la Mort à Venise, l’épée dans l’incipit ; la misère à Venise, au chapitre 5 (« un mendiant, accroupi sur les marches, clamant sa misère, tendait son chapeau, en montrant le blanc de ses yeux comme s’il était aveugle » [8]), augmentée du « mercantilisme rapace de la reine des mers » [9], autre forme, figurée, de l’appétit ; le choléra, et ces tigres que Thomas Mann mentionne déjà à la fin du premier chapitre en disant qu’il veut partir au loin afin de se ressourcer : « Pas trop loin, pas précisément jusqu’au pays des tigres. » [10] Parlant de l’œuvre d’Aschenbach, l’auteur énonce une exigence littéraire à laquelle il se soumet dans son récit : « Pour qu’une œuvre de haute intellectualité agisse immédiatement et profondément sur le grand public, il faut qu’il y ait secrète parenté – voire même identité entre le destin personnel de l’auteur et le destin anonyme de sa génération. » [11] L’apparition de la figure étrange auprès des bêtes de l’Apocalypse, au premier chapitre, confirme le lien du récit individuel et des mythes collectifs : « ... sous le portique, au-dessus des deux bêtes de l’Apocalypse qui gardent le perron, la vue d’un homme étrange vint le tirer de sa rêverie et imprimer à sa pensée un tout autre cours. » [12] Grâce à ces modèles ancestraux, la narration se situe dans le « mouvement continu de l’âme » humaine et relie l’instant au devenir.
L’être énigmatique, qui « appartenait au type roux » [13], avait « l’air d’être étranger, de venir de pays exotiques », partage certains traits propres à la face de la mort : « ... ses lèvres, qui semblaient trop courtes, découvraient entièrement des dents longues et blanches dont les deux rangées saillaient entre les gencives », et fixe l’écrivain, lui donnant « envie de voyager » [14]. Toute l’ambivalence de l’existence terrestre, les « mille merveilles », les « mille horreurs de la terre », se présente à son imagination. L’emploi du mot « lagune » dans la description du « chaos primitif » qu’il entrevoit évoque Venise, que le titre de la nouvelle nous a mise dans l’esprit. La « profusion » se confond avec « l’abîme », dont, dans l’Apocalypse, surgit la Bête (11, 7). C’est, dans La mort à Venise, la première apparition du tigre : « ... il voyait étinceler les prunelles d’un tigre tapi entre les cannes noueuses d’un fourré de bambous – et il sentit son cœur battre plus fort, d’horreur et d’énigmatique désir. » [15] Le questionnement d’Aschenbach sur son œuvre se place dans ce contexte apocalyptique, unissant « son Moi et le Moi européen » [16], qui tient à la fois du tragique et de la lutte, visant à un renouveau. Nous reviendrons dès lors sur un autre aspect de « l’homme au panama, ce compagnon d’un moment qui n’était pas indifférent » [17], et qui disparaît mystérieusement, sans s’attarder, à la fin du premier chapitre.
Venise apparaît au personnage dans toute son ambivalence, splendide et annonciatrice de la mort avec ses gondoles « d’un noir tout particulier comme on n’en voit qu’aux cercueils » [18]. Le gondolier lui-même se fait passeur vers l’autre monde dans cette remarque d’Aschenbach : « ... et si d’un coup de rame par-derrière tu m’envoies dans l’Hadès, j’accorderai que tu m’as bien conduit. » [19] Avec l’apparition de Tadzio, une autre veine tragique, celle du dieu qui meurt, s’esquisse. Thomas Mann emprunte au monde grec ses figures, faisant allusion au goût des Phéaciens pour ce que Fellini appelait la dolce vita. Ayant comparé T adzio à un « petit Phéacien », il cite le chant VIII de l’Odyssée : « ... toujours nous avons aimé le festin, la cithare, et les chœurs, les vêtements que l’on change sans cesse, les bains chauds, et le lit. » [20] Alcinoos y est qualifié par Homère de « semblable à un dieu » et Thomas Mann nomme aussitôt Eros en songeant à la statuaire grecque afin de rendre compte de la « beauté vraiment divine de ce jeune mortel » [21]. Nous nous trouvons dans le monde de l’épopée et du mythe, mais aussi de l’esthétique, la beauté consolant du fatum. Contemplant l’enfant dans la mer, il le fait naître au monde comme Vénus : « Il revint, traversa les flots en courant, la tête haute, soulevant en écume l’onde qui résistait à ses jambes ; de voir cette forme vivante, à la fois gracieuse et rude dans sa prévirilité, se détacher sur l’horizon lointain du ciel et de la mer, surgir telle une figure divine et s’échapper, la chevelure ruisselante, de l’élément liquide, c’était un spectacle à inspirer des visions fabuleuses, quelque chose comme une poétique légende des âges primitifs, rapportant les origines de la beauté et la naissance des dieux. » [22] La nouvelle s’ouvrait sur le tragique de la fin des temps, mais nous remontons là à l’origine, la beauté se faisant promesse d’une possible réparation, en dépit du règne implacable de la Nécessité. Toutefois, l’attrait de la beauté est aussi un destin si l’on en croit la tentative infructueuse d’Aschenbach d’échapper au malaise que lui donne l’air étouffant de Venise. La cité s’édifie alors dans son esprit comme un cosmos, le soleil étant « le dieu au visage ardent » [23] conduisant son « quadrige enflammé ». Au début du chapitre 4, Thomas Mann décrit un bien-être phéacien fondé sur l’équilibre des quatre éléments, le feu du ciel, « l’éther azuré », les « mystérieuses confidences » de la mer et le sable brûlant. Il nomme Okéanos [24], puis évoque le dialogue de Socrate avec Phèdre à l’ombre d’un platane au bord de l’Ilissos. Dans le Phèdre (385-370), ou « De la Beauté », Platon développe sa propre pensée sur l’amour, la dialectique et les Idées. La contemplation de la beauté invite l’âme à la réminiscence des origines, lui permettant de retrouver ses ailes ; le désir, allié à la philosophie, mène au bonheur ainsi qu’à l’absolu.
L’apparition d’Eos, la déesse de l’aurore, aux doigts de rose et à la robe de safran, annonce un renouveau en dépit des signes tragiques repérés jusque-là, et qui reviennent avec l’analogie entre Tadzio et Hyakinthos, une des figures du dieu qui meurt. Il fut tué par le vent d’ouest, jaloux d’Apollon, alors que ce dernier lui enseignait à lancer le disque, que de son souffle il fit dériver jusqu’à frapper Hyakinthos à la tête. De son sang surgit la jacinthe. Evoquant aussi Narcisse, Thomas Mann aura peut-être pensé au tableau du Caravage qui se trouve à Rome, à la Galerie Barberini, et correspond assez bien à sa description du jeune amoureux de sa propre image.
Dans la Venise aux relents de phénol, le sentiment du tragique reprend le pas et l’amour devient « démon qui se complaît à fouler aux pieds la raison et la dignité de l’homme » [25]. Eros fournit toutefois une justification au protagoniste : « De nombreux capitaines de l’Antiquité avaient accepté le joug de cet amour, car aucune humiliation ne comptait quand elle était commandée par Eros, et des actes qui eussent été blâmés comme marques de lâcheté s’ils avaient été commis à toute autre fin, génuflexions, serments, prières instantes et gestes serviles, de tels actes, loin de tourner à la honte de l’amant, lui valaient au contraire une moisson de louanges. » [26] Néanmoins, le dieu se fait « railleur » [27], soutenu en cela par le sarcasme de la comédie vénitienne. La raillerie tourne au tragique avec le déferlement dionysiaque (« la divinité étrangère ! » [28]) décrit ensuite : « ... quelque chose descendait en avalanche et se précipitait vers lui : un tourbillon, une cascade d’hommes, d’animaux, un essaim, une meute en furie » [29]. Dionysos, fils de Zeus et victime de la jalousie d’Héra, fut un dieu voyageur que ses errances menèrent jusqu’en Inde. Sur son chemin, un tigre, envoyé par Zeus, l’aida à franchir le Tigre. La folie des ménades qui envahit le rêve d’Aschenbach signe la crise intérieure induite par le cheminement labyrinthique sur l’abîme à la suite de Tadzio. Thomas Mann le nomme « drame du corps et de l’esprit » [30] ; ces forces déchaînées paraissent venir du dehors sans qu’il en soit au-dehors et « brisaient sa résistance, faisaient violence aux forces profondes de son esprit, bouleversaient tout, et laissaient l’édifice intellectuel de sa vie entière ravagé, anéanti ». On se souvient, non seulement des « Dithyrambes à Dionysos » évoqués plus haut en note, mais aussi de La naissance de la tragédie (1871) : « Apollon m’apparaît comme la vertu de transfiguration inhérente au principe d’individuation, qui seul permet une rédemption par l’apparence, tandis qu’à l’appel mystique de la jubilation dionysiaque le lien de l’individuation se rompt et la voie s’ouvre qui mène aux Mères de l’être, au noyau intime des choses. » [31] Ce cheminement que Goethe avait fait suivre à son personnage dans le Second Faust (1831) mène aux divinités pré-olympiennes échappant à toute représentation. Sources de toute chose, elles sont le principe du monde avant que cet élan créateur ne parvienne à se figurer dans le visible. On peut les comparer à l’aleph primordial. On songe également au langage sans image ou parole obscure (askopon êpos [32]) qu’Eschyle attribue à Hermés, le dieu psychopompe. On pourrait rapporter à Dionysos « cette étrange silhouette de voyageur qui avait éveillé dans son cœur vieillissant le juvénile désir de partir » [33], et qu’on percevait au début comme figure de mort. Outre de la « divinité étrangère », Thomas Mann parle d’une « monstrueuse douceur » [34] dans Venise « frappée par le fléau et laissée à l’abandon », ce que Nietzsche présente comme caractéristique du dieu tragique : « Dans son existence de dieu lacéré, Dionysos possède la double nature d’un démon cruel et sauvage et d’un souverain indulgent et doux. » [35] Dans le rêve d’Aschenbach, la musique assume le rôle que Nietzsche, suivant en cela son maître Schopenhauer, lui donne dans la tragédie : « Car la musique, nous l’avons dit, diffère de tous les autres arts en ceci qu’elle n’offre pas l’image des phénomènes ou plus exactement de l’objectivité adéquate du vouloir, mais l’image immédiate du vouloir, qu’elle représente donc l’être métaphysique de tous les objets physiques, l’être en soi de tous les phénomènes. » [36] La musique que perçoit le rêveur annonce tout d’abord le délire, puis l’accompagne jusqu’à ce qu’il s’identifie aux êtres livrés à l’ivresse de la bacchanale : « Aux coups des timbales son cœur retentissait, son cerveau tournait, il était pris de fureur, d’aveuglement, une volupté l’hébétait et de toute son âme il désirait entrer dans la ronde de la divinité. » [37] Nietzsche fait du chant la source de tout art. Notons aussi l’usage marquant que fait Mahler des timbales. Aschenbach atteint à l’origine démonique de la vie : « De ce rêve, la victime s’éveilla anéantie, bouleversée, livrée sans défense au démon. » Le personnage meurt à lui-même ainsi qu’à la forme qu’avait prise jusque-là son art : « ... c’est à l’abîme que mènent forme et style ; eux aussi – à l’abîme. » [38] Il parvient au cœur du labyrinthe : « Il avait à surmonter certains accès de vertige qui n’étaient qu’à demi de nature physique et s’accompagnaient d’une crise d’angoisse, de la sensation qu’il n’y avait ni issue ni espoir, sans qu’il s’expliquât si cette sensation se rapportait au monde extérieur ou à sa propre personne. » Venise offre le décor parfait pour cette figuration du labyrinthe et de l’abîme.
Venise, abîme et labyrinthe
Venise ouvre, particulièrement à l’hôtel des Bains au Lido, une scène européenne, voire mondiale : « Un horizon s’ouvrait, ample, accueillant mille choses. On entendait parler à mi-voix les principales langues de la terre. » [39] La situation de l’hôtel, en bord de mer, double ce vaste horizon d’une résonance infinie : « Le spectacle de la plage, de cette jouissance insouciante et sensuelle que le civilisé trouve au bord de l’infini, l’intéressait et l’amusait autant que jamais. » [40] Toutefois, cette confrontation internationale n’élude pas les conflits. Tadzio, le jeune Polonais, reconnaît dans les hôtes russes « l’ennemi » [41], et l’infini prend vite des allures d’abîme : « Son amour de la mer avait des sources profondes : le besoin de repos de l’artiste astreint à un dur labeur, qui devant l’exigence protéiforme des phénomènes a besoin de se réfugier au sein de la simplicité démesurée ; un penchant défendu, directement opposé à sa tâche, et par cela même si séduisant, pour l’inarticulé, l’incommensurable, l’éternel, le néant. Le repos dans la perfection, c’est le rêve de celui qui peine pour atteindre l’excellence ; et le néant n’est-il pas une forme de la perfection ? » [42] La nouvelle initiation à laquelle s’apprête Gustav Aschenbach consiste donc en un retour orphique aux origines, au chaos matriciel, à l’informe en sa qualité paradoxale, exprimée par l’oxymore : « la simplicité démesurée ». Venise, ainsi que le développement secret, sur le mode du mystère dionysiaque, de l’épidémie ravageuse (Aschenbach cherche auprès des « initiés » [43] à « participer au secret »), se prête à cette forme de descente aux enfers, image d’une crise, d’un questionnement, d’une errance orientée. Cet orient, ou possibilité d’un nouvel éveil dans le sillage d’un guide (le mot vient du latin oriri, se lever, naître), est immédiatement suggéré dans la suite immédiate de la citation précédente : « Or, comme il laissait ainsi sa rêverie plonger dans le vide, la ligne horizontale au bord de l’eau fut tout à coup franchie par une forme humaine, et quand il ramena son regard échappé vers l’infini, il vit le bel adolescent, qui, venant de gauche, passait dans le sable devant lui. » [44] Tadzio apparaît comme la figure de la promesse d’une forme appelée à naître de l’abîme au terme des errances dans le labyrinthe de l’élan créateur échappant au visible, donc sans limites et, dès lors, démesuré.
L’épreuve du labyrinthe s’impose tout d’abord ; il est initiation avec son « étroit passage » [45]. Il s’établit un lien entre la scène extérieure (« le labyrinthe troublé des canaux » [46] et la chaleur insupportable) et la sensation intérieure (« ... il tremblait de fièvre, les artères battaient sous son crâne »), tellement que le protagoniste cherche tout d’abord à fuir. Dans cette première errance, il lui manquait son guide : « ... le reste fut chemin de croix, descente à tous les abîmes du regret. » [47] Telle est la réaction que provoque, sur le départ, l’apparition du jeune adolescent, et il ressent de nouveau combien il est attaché à cette ville si ambivalente. L’expérience du retour l’est elle-même, ambivalente : « Et toujours ce rire intérieur le chatouillait à la pensée de cette malchance qui, se disait-il, n’aurait pu atteindre plus complaisamment un favori de la Fortune. » [48] L’initiation se joue des caprices de la Nécessité.
Les errances suivantes sont liées à la personne de Tadzio. L’initiation (encore « un passage étroit » [49]), entre « transe mortelle » et « ivresse », se fait extase, que nous qualifierons de démonique en songeant à Goethe, l’adolescent devenant la figure du « démon » [50] qui habite le poète. Le gondolier lui-même devient passeur : « Mais son conducteur, qui semblait bien au fait de semblables missions, savait toujours, par d’habiles manœuvres , des biais rapides et des raccourcis, lui remettre devant les yeux l’objet de son désir. » La ville se fait complice de cette poursuite amoureuse qui égare Aschenbach loin de ses certitudes acquises. La dimension d’abîme de Venise tient à sa splendeur déchue, à sa corruption actuelle et à la pénétration insidieuse de la maladie. La cité s’en voit personnifiée. « C’était Venise, l’insinuante courtisane, la cité qui tient de la légende et du traquenard, dont l’atmosphère croupissante a vu jadis une luxuriante efflorescence des arts et qui inspira les accents berceurs d’une musique aux lascives incantations. » [51] Elle préside à la désorientation du poète en proie à sa démesure : « Où vais-je ? pensait-il alors consterné. Où vais-je ? »
L’abîme s’ouvre au cœur du labyrinthe et du secret. Thomas Mann parle d’un « marécage » [52] où se dissimule « la mort écœurante » [53], qui le pousse à « estimer caduque la loi morale ». Une fois encore, la scène extérieure paraît émaner de l’errance intérieure. Son rêve le plonge dans un univers sans fond et sans limites, qu’il décrit en termes suggérant l’Apocalypse, citée au tout début : « Et son âme connut le goût de la luxure, l’ivresse de s’abîmer et de se détruire. » [54] Cette déchéance appelle le sarcasme ; la mascarade vénitienne est un rire sur l’abîme. Son propre corps vieillissant lui devient un abîme, qui « le dégoûtait » [55]. Il fait appel à l’« homme au cosmétique » [56] qui lui fabrique un masque de jouvence semblable à celui du « vieux beau » [57] ou « faux jeune homme » rencontré au début sur le bateau. Le « dieu railleur » [58] s’exprime également à travers les musiciens ambulants qui viennent porter le rire à l’hôtel. L’un d’eux, sorte de « polichinelle » [59], devient le masque d’un rire sardonique. Par les « dédales du centre de la cité empestée » [60], par le « labyrinthe », Aschenbach atteint son propre abîme : « L’abîme, nous le renierions volontiers pour nous rendre digne. Mais où que nous nous tournions il nous attire. » [61] Cette catabase, descente aux enfers ou descente en soi, s’avère dépouillement initiatique des limites et étreinte du sans fond. A ce moment-là, les yeux de Tadzio, « étranges » [62] prennent une « couleur d’aube » [63].
Une aube nouvelle
L’étrange apparition du début, au cimetière du Nord, « appartenait au type roux » [64], type d’Esaü, auquel s’affronta Jacob comme à un ange, ou à Dieu lui-même, lors d’un combat nocturne dont il sortit vainqueur, mais claudiquant (Genèse 32). Une lutte oppose, à la fin de la nouvelle, Jaschou et Tadzio, le premier terrassant le second qui « se redressa tout à fait et s’éloigna lentement » [65]. Aschenbach, à ce moment-là, se trouve en position d’observateur, comparable, « une couverture sur les genoux, à mi-chemin entre la mer et la rangée des cabines » [66], à l’appareil photographique, « au bord de l’eau », un « voile noir posé dessus » et claquant au vent. Sa lutte, il l’a menée avec les visages sardoniques, les masques de fausse jeunesse et la certitude confiante de sa notoriété. Atteignant à l’abîme sans forme ni style, il ne distingue plus très bien entre les péripéties de la scène du drame et son égarement intérieur : « ... il n’y avait ni issue ni espoir, sans qu’il s’expliquât si cette sensation se rapportait au monde extérieur ou à sa propre personne. » [67] La complexité toute de mystère, d’appel de l’infini et de la beauté, de péril et d’extase dionysiaque qu’a révélée Venise se confond avec la personne du poète et les exigences de son œuvre. Thomas Mann fait alors reprendre à Aschenbach son dialogue socratique en suggérant que le poète authentique ne peut se limiter aux contraintes que lui impose Platon dans sa cité juste, celle d’édifier la jeunesse. Ce n’est plus Socrate qui parle à Phaidros, mais le poète, qui ne prône pas la connaissance dialectique tenue dans les limites du principe de contradiction, mais ce qu’il nomme « connaissance dissolvante » [68], qui « n’est ni digne ni sévère ; elle sait, elle comprend, elle pardonne – elle n’a ni rigidité ni forme ; elle est en sympathie avec l’abîme, elle est l’abîme. » Le service de la beauté se présente comme une étreinte de l’abîme aux fins d’élévation. Thomas Mann réintègre la conception platonicienne quand il écrit que « le poète n’est pas capable de durable élévation, il n’est capable que d’effusions ». Dans le Phèdre, Platon décrit l’âme comme composite ; « le cocher gouverne l’attelage, mais l’un de ses chevaux est excellent et d’excellente race, l’autre est tout le contraire et par lui-même et par son origine. Il s’ensuit fatalement que c’est une tâche pénible et malaisée de tenir les rênes de notre âme. » [69] La ré alité vénitienne rend visibles les complexités de l’âme, qui se confond avec l’œuvre puisqu’elle est mouvement : « ... le mouvement même est l’essence et l’idée même de l’âme » [70], écrit Platon. L’âme est le principe de continuité que révèle la parole en son « mouvement continu », selon la citation attribuée à Cicéron au début de la nouvelle ; il s’ensuit que le poème authentique ne peut s’affranchir de cette complexité labyrinthique sous peine de n’être plus que carcasse, vide et digne, de forme et de style. « Vois-tu maintenant qu’étant poètes nous ne pouvons être ni sages ni dignes ? qu’il nous faut nécessairement errer, nécessairement être dissolus, et demeurer des aventuriers du sentiment ? » [71] Si l’on se rapporte aux concepts kantiens du Beau et du Sublime, Thomas Mann choisit le sublime, c’est-à-dire une sorte de conversion du labyrinthe et de l’abîme en œuvre d’art, une révélation à la lumière de la nuit matricielle aux aveugles élans. Kant se contente de lier le sublime à l’émotion ; l’écrivain, au début du vingtième siècle, à la suite de Goethe et de Nietzsche, fait l’expérience d’une absolue étrangeté : « Ainsi parce que l’enfant parlait une langue étrangère, sa parole revêtait la dignité de la musique ; un soleil glorieux répandait une somptueuse lumière sur lui et la sublime perspective de la mer formait toujours le fond du tableau et en faisait ressortir la beauté. » [72]
Le mouvement de l’âme, qui lutte contre l’écoulement du « sablier » [73], veille à la continuité qui attache Eros et le Verbe, [74] et fait de la passion l’initiation à la vérité et de l’abîme le cœur matriciel du possible. Thomas Mann prend Saint Sébastien comme figure de la lutte contre le destin, l’art étant un acte capable de « se dresser contre le destin » [75] et de « garder de la grâce ». L’œuvre est également « statue et miroir », lutte avec la résistance qu’oppose la matière : « Cette volonté ne régnait-elle pas en lui aussi, quand, rempli de passion lucide, il dégageait du bloc marmoréen de la langue la forme légère dont il avait eu la vision et qu’il présentait aux hommes comme statue et miroir de beauté intellectuelle ? » [76] Le point de vue, dans ce quatrième chapitre, demeure idéaliste. Le mouvement de l’âme va ensuite plus profond, tellement qu’à la fin, Tadzio est qualifié de « psychagogue » [77], ou conducteur (du grec agô, mener, conduire) de l’âme. Il est le mouvement continu de l’âme d’Aschenbach, qu’il porte par-delà ses propres limites, celles de son style et de sa mort, lui montrant « le large » [78] : « ... il tendait le doigt vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans le vide énorme et plein de promesses. » Rituellement la descente aux enfers à la rencontre des ombres conduit à un questionnement de l’avenir, étendue sans figures distinctes qui, si dans l’esprit leur perspective s’ébauche, demeurent inconnues : « Au bord du flot il s’arrêta, la tête basse, traçant de la pointe du pied des figures dans le sable humide [...]. Séparé de la terre ferme par une étendue d’eau, séparé de ses compagnons par un caprice de fierté, il allait, vision sans attache et parfaitement à part du reste, les cheveux au vent, là-bas, dans la mer et le vent, dressé sur l’infini brumeux. » Les figures que dessine Tadzio sur le sable nous demeurent invisibles ; il devient lui-même « mouvement » vers l’infini, qu’Aschenbach tente d’« accompagner » du regard. « Aschenbach était assis là-bas, comme le jour où pour la première fois repoussé du seuil, son regard avait rencontré le regard de ces yeux couleur d’aube. » Il s’instaure, d’Aschenbach à Tadzio, une continuité de mouvement et de reflet ; « repoussé du seuil », le poète ne franchit qu’en l’autre la passe initiatique que traverse l’écrivain dans l’épreuve d’écrire le livre. Dans l’échange inattendu de leurs regards s’établit le lien d’un reflet, pareil au « sourire de Narcisse penché sur le miroir de la source » [79]. Entre l’œuvre et l’intime altérité de la source se déploie le mouvement continu d’un retour sur soi qui s’ouvre sur l’infini. La nuit sans cesse tend vers l’aube et son infini de promesse. Le passé aspire dans le présent à une continuité réflexive porteuse d’avenir.
Venise offre le lieu parfait pour une telle vision, entre splendeur passée et mystère de l’instant présent ; labyrinthe, abîme (« cela rappelle les silencieuses et criminelles aventures de nuits où l’on entend que le clapotis des eaux, cela suggère l’idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d’événements funèbres, d’un suprême et muet voyage. » [80]) et infini de la mer ; singularité vernaculaire (« Entendu ! des ordres sont lancés aux gondoliers qui dans leurs gondoles se disputent en patois vénitien. » [81]) et internationalisme. Thomas Mann calque sa nouvelle sur cette complexité, puisqu’il fait appel à des figures diverses, qu’il nomme ou ne nomme pas. Il assemble mythe et philosophie grecs ainsi que tradition biblique. Il mêle les différentes strates de l’expérience humaine, individuelle, historique, philosophique, mythique et artistique. Et pourtant, cette œuvre, complexe, ne se referme guère en une totalité de certitude, mais sur une « vision sans attaches et parfaitement à part du reste » [82]. Tadzio, entre terre et mer, se trouve sur un seuil, qu’Aschenbach ne peut pour l’instant franchir, mais sa présence au loin garantit que la quête réflexive que poursuit le récit est appelée à un mouvement continu grâce à un certain nombre de figures en perpétuelle métamorphose. Thomas Mann avait auparavant mis en garde contre l’illusion de la simple répétition alors qu’Aschenbach se demandait « s’il serait donné au touriste venu pour flâner de retrouver l’enthousiasme ancien » [83] : « Car ce qui est, est à jamais, même si la tournure courante consiste à dire ‘Ce fut’. [...] Fête de la Narration, tu es l’habit de parade du mystère vital [...]. » [84] Thomas Mann nomme « Descente aux enfers » son « Prélude » aux Histoires de Jacob (1933) : « Descendons intrépidement ! Nous enfoncerons-nous sans arrêt dans l’abîme insondable du puits ? » Et il avait écrit auparavant : « Qu’on apprenne donc au peuple que l’âme est errante ! » [85] Jacob, dans cet ouvrage, avec « sa tendance à associer les idées » [86] qui « dominait sa vie intérieure au point de la modeler », devient figure de ce récit qui sans cesse ressource au présent l’humanité en l’ouvrant à l’avenir. « Son âme, frappée, se détournait et se perdait dans l’infini, émue par des accords et des correspondances où le passé et le pressentiment de l’avenir se confondaient dans l’instant présent. »
Thomas Mann fait suivre le nom d’Esaü du qualificatif « le Roux » [87] et nomme « singulier » [88] l’être qu’affronte Jacob toute la nuit, le retenant jusqu’à l’aube afin de connaître son nom, qui demeure un mystère. « L’épreuve faite, l’Homme avait manœuvré de manière à ne point livrer son nom, mais en revanche, il en avait donné un à Jacob. » [89] Nommant « Homme » la personne que Jacob embrasse, « visage vers visage » [90] (Genèse 32, 31), l’écrivain saisit la qualité réflexive de cette étreinte d’une altérité fraternelle et temporelle, le nom nouveau tournant Jacob vers l’avenir. La narration est le lieu de cette « alliance dans laquelle les besoins mutuels de l’humain et du divin dépendaient si étroitement l’un de l’autre, qu’on ne saurait dire de quel côté était venue l’initiative d’une collaboration » [91] ; il s’agit de « fusion » [92] et de « réciprocité », démarche réflexive plus que polémique, comme l’indique la fin de La mort à Venise. « Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. » [93] Cette fois-ci, c’est Aschenbach, non pas « l’Homme », qui ne s’attarde pas. Tadzio, une fois décrit comme « cet écho épique vibrant dans son âme » [94], devient ensuite « Narcisse penché sur le miroir de sa source » [95] lorsqu’il se trouve face à Aschenbach, « visage vers visage », dans la réciprocité du poète et de la figure créée. La mort singulière n’altère pas la « Fête de la Narration » ; Thomas Mann n’abandonne pas la conception platonicienne de l’âme comme mouvement éternel : « Le Sage saura que la Doctrine n’est que le vêtement qui recouvre le mystère de l’omniprésence de l’Ame, et que la vie entière lui appartient, quand la mort a détruit sa prison individuelle. » [96] La nouvelle de la mort d’Aschenbach fut accueillie avec une « religieuse émotion » [97].
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https://www.deuxiemepage.fr/2014/11/02/mort-a-venise-analyse/
Mort à Venise en ut mineur
Mort à Venise en ut mineur
2 novembre 2014
Avec Mort à Venise (1971), le cinéaste italien Luchino Visconti a réussi à durablement marquer les esprits. Tout d’abord en rendant célèbre l’Adagietto de la Cinquième symphonie de Gustav Mahler, puis en signant une des plus belles histoires d’amour que le septième art a vu naître. En y apposant ce fameux air, Visconti a mis en scène la passion amoureuse d’un compositeur en villégiature à Venise pour un jeune éphèbe. Mais le lien entre le compositeur autrichien et le film de Visconti s’arrête-t-il à la simple utilisation de cette musique classique ?
Aujourd’hui, la thématique de l’homosexualité dans le film est peut-être la seule chose que l’on retient de ce long-métrage. Peut-être pour son caractère sulfureux, où l’on voit un cinquantenaire devenu veuf s’éprendre d’un jeune adolescent. Peut-être aussi pour l’homosexualité assumée de Visconti, nous obligeant ainsi parfois à associer le personnage d’Aschenbach au réalisateur. Pourtant, se dégage en filigrane un lien, certes beaucoup moins manifeste, entre Gustav Mahler – dont deux compositions sont utilisées dans le film – et le personnage principal d’Aschenbach, interprété ici par le majestueux Dirk Bogarde.
Le mimétisme Mahler-Aschenbach
Les liens entre Gustav Mahler et le personnage d’Aschenbach sont nombreux et dépassent la simple utilisation de la musique du compositeur dans le film. On peut ainsi noter que Thomas Mann, auteur de la nouvelle dont s’inspire le film, était un grand admirateur de Mahler. À tel point que la description physique d’Aschenbach présente dans le roman fait fort penser à celle du compositeur. Néanmoins, l’écrivain ne confirmera cette ressemblance entre Gustav Aschenbach et Gustav Mahler que plusieurs années après la parution de son roman. En 1921, l’artiste allemand Wolfgang Born illustre la nouvelle de Thomas Mann dans une édition spéciale. Ce dernier a été tellement impressionné par le travail de l’artiste qu’il lui a écrit une lettre de remerciement, dans laquelle il révèle pour la première fois l’inspiration suscitée par Gustav Mahler pour le personnage d’Aschenbach :
L’écriture de mon roman a été influencée, au début de l’été 1911, par l’annonce de la mort de Gustav Mahler. J’avais eu la chance de le rencontrer précédemment à Munich, et sa forte et intense personnalité m’avait faite grande impression. Sur l’île de Brioni où je résidais lors de sa mort, j’ai suivi ses dernières heures dans la presse vénitienne et donna ainsi à mon protagoniste, non seulement le prénom de ce grand musicien, mais j’ai également laissé apparaître le masque de Mahler en y décrivant son apparence1.
Visconti s’est lui-même laissé influencer par ce jeu de mimétisme en accentuant la ressemblance physique entre Gustav Mahler et l’acteur Dirk Bogarde.
« La marche funèbre » d’Aschenbach
Dans son film, Luchino Visconti utilise ainsi habilement l’Adagietto de la Cinquième symphonie de Gustav Mahler dans Mort à Venise, faisant de cette mélodie le thème principal de son film. Elle se fait ainsi entendre pas moins de six fois.
Luchino Visconti n’a pas choisi au hasard cette musique de Gustav Mahler, et son utilisation se pose dans une volonté d’accentuer ce mimétisme entre son personnage principal et le compositeur autrichien. Il faut néanmoins repenser la Cinquième symphonie dans son contexte pour comprendre ce lien, et plus particulièrement y déceler le caractère morbide qui se cache derrière cette musique empreinte d’une très grande mélancolie. Peu de temps avant de commencer sa composition, Mahler a connu la mort de près, pris par une violente hémorragie intestinale. Ce n’est pas pour rien que le premier mouvement de la Cinquième symphonie s’intitule Trauermarsch, soit littéralement « marche funèbre ». C’est donc sa propre marche vers la mort que le compositeur a créée. Mais cette marche funèbre se substitue parfaitement à la décadence d’Aschenbach : la fragilité qui ressort de la Cinquième symphonie ne fait plus qu’une avec le mal-être du personnage. Un désespoir qui est présent dès le tout début du film.
Le film s’ouvre ainsi sur les eaux bleues de Venise au son de l’Adagietto de cette Cinquième symphonie. Ce dernier correspond au quatrième mouvement de la symphonie et est relativement bref (à peine plus de cent mesures), ne servant que de tremplin au Rondo finale. Le désespoir et l’ennui d’Aschenbach dans cette scène d’ouverture ne font qu’un avec la marche funèbre de Mahler. Il s’agit là d’un passage musical particulièrement douloureux.
Le quatrième mouvement commence donc avec un tempo très lent où se font entendre les arpèges d’une harpe. Les premiers violons montent, repris par les violoncelles et la basse qui ponctue le tout de quelques pizzicati. Le son des cordes et de la harpe n’est pas sans signifier la rêverie romantique, traduisant alors parfaitement l’état de songerie dans lequel semble plonger Aschenbach durant cette scène.
Puis, apparaît au loin la cité vénitienne. C’est alors que le ton du mouvement se fait plus pressant et la harpe, elle, devient alors muette. Le ton s’intensifie aux deuxièmes violons, puis repris par les violoncelles dans une forme plus resserrée. Les cordes deviennent plus intenses et l’atmosphère raréfiée concorde parfaitement avec la douleur grandissante
d’Aschenbach. Après le glissando du point culminant, la harpe se fait à nouveau entendre et la belle mélodie s’élève vers une émotion extrême avant que l’Adagietto ne s’achève tout doucement.
Une vision romantique de la mort
Cette symphonie est particulière pour son absence de participation du lied (de chant, ndlr) et cela confirme l’extériorisation de l’intérieur qui se fait sentir dans cette Cinquième. Dans la composition de Mahler, le sentiment dicte la modulation et l’accord. Mahler cherchait à réduire à l’indispensable les moyens d’expression, comme il le confie d’ailleurs à son amie altiste Natalie Bauer-Lechner :
La voix humaine serait tout à fait hors de propos ici. Il n’y a pas d’appel pour les mots, tout est dit en terme purement musical2.
Mort à Venise vient renforcer cet alliage de l’image avec le sentiment musical. L’importance donnée à la musique du long-métrage va jusqu’à prendre l’ascendant sur les dialogues. C’est dans la scène finale que cette primauté du son sur la parole se confirme avec la mort du personnage principal.
Finir sur une telle note peut néanmoins laisser un certain goût d’inachevé. On pourrait penser que Visconti aurait pu filmer la mort d’Aschenbach en y apposant la mélodie du Rondo finale. Pourtant, ce choix de l’Adagietto pour conclure exprime une démarche très mahlérienne. Le compositeur était influencé par le mouvement romantique et cela durant toute sa vie. Alors qu’il était à la tête de l’Opéra de Vienne en 1905, il décida de supprimer la Scena ultima de Don Giovanni, finissant ainsi l’opéra de Mozart sur la disparition du héros derrière un rideau noir. Il estimait que cette dernière scène était en discordance avec l’ensemble de l’opéra. On retrouve donc bien cette vision romantique avec la mort solitaire et tragique du héros sur une plage vénitienne dépeuplée, le tout orchestré par l’Adagietto de Mahler. Le choix du titre du film lui-même n’est d’ailleurs pas anodin : Mort à Venise ne laisse ainsi présager aucun espoir pour le personnage d’Aschenbach. Sa mort est inéluctable et tout n’est qu’une question de temps.
Une décadence magnifiée par Mahler
Une autre musique de Mahler utilisée par Visconti vient renforcer ce lien entre le compositeur et le personnage du réalisateur : le quatrième mouvement de la Troisième symphonie. Cette dernière reprend les étapes de la Création3, le Sehr Langsam utilisé ici correspondant à la naissance de l’Homme. Dans son livre dédié au compositeur, le chef d’orchestre Bruno Walter rapporte que lors d’un voyage en train, il fut interrompu dans sa contemplation du paysage par Gustav Mahler qui lui déclara :
Inutile de vous attarder sur le paysage, j’ai tout mis dans ma nouvelle symphonie4 !
Cette contemplation de la beauté de la nature est transposée dans l’admiration que porte Aschenbach au jeune Tagzio (joué par Björn Andrésen). Le passage dans lequel est utilisée cette Troisième symphonie est notable. Aschenbach se retrouve face à Tagzio sur une plage vénitienne. Un jeu s’ensuit entre les deux personnages, se tournant autour, Tagzio finissant finalement par partir en courant. Aschenbach y apparaît particulièrement souffrant.
Dans ce passage, une voix mezzo soprano se fait entendre et introduit ainsi un lied. Le texte n’est pas une composition de Mahler, mais elle provient en réalité du Zarathoustra de Nietzsche.
« Ô homme prends garde !
Que dit minuit profond ?
J’ai dormi, j’ai dormi,
D’un rêve profond je me suis éveillé :
Le monde est profond,
Et plus profond que ne pensait le jour.
Profonde est sa douleur,
La joie – plus profonde que l’affliction.
La douleur dit : Passe et finis !
Mais toute joie veut l’éternité
— veut la profonde éternité5 ! »
Que dit minuit profond ?
J’ai dormi, j’ai dormi,
D’un rêve profond je me suis éveillé :
Le monde est profond,
Et plus profond que ne pensait le jour.
Profonde est sa douleur,
La joie – plus profonde que l’affliction.
La douleur dit : Passe et finis !
Mais toute joie veut l’éternité
— veut la profonde éternité5 ! »
Cet extrait est d’autant plus intéressant puisqu’il a une véritable signification. En apposant ce texte nietzschéen à cette scène spécifique, Visconti met à distance l’idéal et la réalité, filmant ainsi la décadence d’Aschenbach qui s’enfonce dans les tréfonds de son âme. Comme Thomas Mann l’écrivait si bien, cette nouvelle met en scène « le drame du corps et de l’esprit6 ». L’écrivain était par ailleurs un grand admirateur de Nietzsche et son inspiration est indéniable lorsqu’on perçoit le pessimisme latent du personnage. Le philosophe avait également cette fascination du néant qui se retrouve dans l’ensorcellement mortel de la beauté physique de Tagzio sur Aschenbach.
La musique de Mahler sonne ici comme un avertissement pour le personnage d’Aschenbach, qui se laisse aller à cette contemplation du jeune éphèbe, cette beauté charnelle que le compositeur a perdue. C’est de sa propre beauté dont il est dépossédé par l’âge et c’est sa propre mort qu’il observe. Mais c’est aussi la contemplation d’un amour perdu, Tagzio étant ici l’analogie d’Esmeralda, la défunte femme d’Aschenbach. Ainsi, en choisissant ce quatrième mouvement, qui a pour thème la naissance de l’homme et la marche funèbre de la Cinquième symphonie, Visconti pose ici une tension entre la soif de l’éternité et la finitude terrestre de l’être humain.
Quand Mahler reprend vie
On découvre ainsi que le lien qui unit Gustav Mahler au personnage d’Aschenbach dépasse la simple ressemblance physique. La musique du compositeur autrichien trouve ici une résonance particulière chez ce héros tragique. Que ce soit la Cinquième ou Troisième symphonie, ces compositions embrassent la lente marche vers la mort d’Aschenbach pour ne faire finalement qu’un. Elles viennent même amplifier cette tragédie en prenant le dessus sur l’image et en y interprétant les sentiments que Visconti a souhaité recréer à travers son film. Avec Mort à Venise, le cinéaste italien n’a pas simplement souhaité filmer la décadence de son personnage face à une tragique histoire d’amour. Il a redonné vie à Gustav Mahler.
1 Jean Matter. Mahler, L’Âge d’Homme, Paris, 1990.
2 Natalie Bauer-Lechner. Souvenirs de Gustav Mahler : Mahleriana, L’Harmattan, Paris, 1999.
3 Dans l’ordre, les mouvements de la symphonie correspondent aux forces telluriques, à la végétation, aux animaux, à la naissance de l’homme, aux anges, puis finalement à l’amour.
4 Bruno Walter. Gustav Mahler, 1936, Vienne.
5 Friedrich Nietzche. Ainsi parlait Zarathoustra, Le Livre de Poche, Paris, 1972.
6 « Ein köperhaft-geistiges Erlebnis », in Thomas Mann, Mort à Venise, Paris, p. 234.
2 Natalie Bauer-Lechner. Souvenirs de Gustav Mahler : Mahleriana, L’Harmattan, Paris, 1999.
3 Dans l’ordre, les mouvements de la symphonie correspondent aux forces telluriques, à la végétation, aux animaux, à la naissance de l’homme, aux anges, puis finalement à l’amour.
4 Bruno Walter. Gustav Mahler, 1936, Vienne.
5 Friedrich Nietzche. Ainsi parlait Zarathoustra, Le Livre de Poche, Paris, 1972.
6 « Ein köperhaft-geistiges Erlebnis », in Thomas Mann, Mort à Venise, Paris, p. 234.
Pour aller plus loin :
- « Variations sur le mythe de Ganymède dans Mort à Venise de Thomas Mann et de Luchino Visconti », écrit par Joanna Rajkumar
- Henri-Louis de La Grange. Mahler vol. 2 : L’âge d’or de Vienne, Éditions Fayard, Paris, 1991.
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