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mardi 28 janvier 2020

BAROC (Dict si Enc.Larousse)

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baroque

Définitions

C'est J. Burckhardt qui, dans son Cicerone en 1860, réhabilita le mot baroque, mais sans se défaire vraiment du préjugé des classiques : " L'architecture baroque parle le même langage que la Renaissance, mais c'est un langage dégénéré. " Cette opinion va heureusement évoluer. Elle sert de point de départ à H. Wölfflin, qui la nuancera quelques années plus tard dans Renaissance und Barock. Pour la première fois, il y est affirmé que le Baroque n'est pas une période de décadence du style classique, mais qu'il a son style propre, irréductible au Classicisme. Cette thèse, Wölfflin la développe dans son œuvre majeure, Principes fondamentaux de l'histoire de l'art (1915). Il divise l'histoire de l'art en cycles et, pour la période exemplaire qui va de la fin du XVe s. au début du XVIIIe s., il met en relief deux modes de vision totalement différents dans les arts plastiques : le Classicisme renaissant et le Baroque du XVIIe s. Son analyse demeure une des approches les plus fines du Baroque, de la peinture en particulier, dont la nature même est difficilement réductible au cadre rigide d'une définition.
   Il établit les cinq catégories d'oppositions suivantes.
   1. Le style classique est linéaire, il s'attache aux limites de l'objet en le définissant et en l'isolant. Le style baroque est pictural, les sujets se rattachent tout naturellement à l'environnement.
   2. Le style classique est construit par plans, le Baroque est construit en profondeur.
   3. Le Classicisme est de forme fermée, le Baroque de forme ouverte.
   4. L'unité du style classique se fait dans la claire distinction de ses éléments, celle du style baroque est une unité indivisible.
   5. Le Classicisme vise d'abord à la clarté, alors que le Baroque subordonne l'essence des personnages à leur relation.
   L'opposition autour de laquelle se concentre l'analyse de Wölfflin est celle qui oppose tactilité et visualité — l'essence sculpturale du Classicisme et l'essence visuelle du Baroque. L'esthéticien suisse ouvre les deux voies, historique et esthétique, dans lesquelles vont progresser les études du Baroque. À sa suite, la critique allemande va étendre le concept de baroque à toutes les formes de la vie spirituelle du XVIIe s. En 1921, dans Der Barock als Kunst der Gegenreformation, W. Weisbach affirme que le Baroque est l'expression de la Contre-Réforme triomphante et de l'absolutisme politique, qui lui donnent ses caractères d'héroïsme et de mysticisme. En 1932, E. Mâle dégage, dans son étude iconographique sur l'Art religieux après le concile de Trente, les thèmes propres à la Contre-Réforme : martyre, vision, extase, mort. E. d'Ors, dans Du Baroque (trad. franç. 1935), définit l'état d'âme qui engendre le Baroque, interprète de ce que la mesure et la règle répriment. On doit rattacher le Baroque au phénomène de civilisation qui oppose rationnel et sensible, masculin et féminin, apollinien et dionysiaque. De la préhistoire à nos jours, d'Ors ne recense pas moins de vingt-deux formes du baroquisme éternel.
   H. Focillon, qui n'a pas consacré d'ouvrages particuliers au Baroque, voit dans ce phénomène un " moment de la vie des formes " où, libérées de leur nécessité par rapport au tout, elles vivent pour elles-mêmes. Les caractéristiques de la phase baroque seraient donc l'oubli des fonctions, la contre-courbe, l'expansion du décor, l'ébranlement de l'espace. L'historien V. L. Tapié a fait en 1957, dans Baroque et Classicisme, une approche sociologique du Baroque en étudiant la propagation du style de la Roma triumphans dans les régions à caractère domanial où la société, faite d'une importante classe paysanne, est fortement hiérarchisée. Les zones de moindre diffusion seraient, par corollaire, celles de structure bourgeoise.
   P. H. Minguet, dans sa thèse sur l'Esthétique du Rococo (1966), soutient que l'architecture allemande du XVIIIe s. ne ressortit pas pour l'essentiel au Baroque proprement dit, mais au Rococo, et il propose une définition positive de ce style.
   Dans le Mirage baroque (1967), P. Charpentrat ne va pas jusqu'à proscrire le mot baroque, mais en souhaite un usage réservé aux opérations approximatives.
   Si la définition du Baroque reste ouverte, comme son étude, on peut en proposer l'approche suivante.
   1. Au sens propre, le terme baroque, qui n'a d'ailleurs jamais été utilisé au XVIIe s., s'applique à un style architectural créé alors à Rome et qui s'est propagé dans d'autres pays. De l'architecture, ce vocable s'est étendu à la sculpture et à la peinture et aux autres formes de la production spirituelle contemporaine.
   2. Si les dates du Baroque varient d'un pays à l'autre, on s'accorde à situer l'ensemble entre le commencement du XVIIe s. et la première moitié du XVIIIe, cela n'impliquant pas pour autant que tout ce qui appartient à cette époque soit baroque.
   3. Entre la fin de la Renaissance et le Baroque, on s'accorde aujourd'hui à insérer la phase maniériste. D'autre part, une esthétique du Rococo est en voie d'être clairement définie. Cette restriction du champ d'application du terme baroque semble utile dans l'effort de clarification entrepris.

baroque (suite)

Baroque et Contre-Réforme

Au début du XVIIe s., l'Europe est bouleversée et divisée à la suite des guerres de Religion. Les forces novatrices de la bourgeoisie et de la Réforme menacent l'Europe des Habsbourg. Les États riches d'avenir — tels que la Hollande, l'Angleterre, la Suède, auxquels se sont jointes les villes marchandes et une France qui, malgré l'absolutisme de ses monarques, trouve sa force dans la richesse de sa bourgeoisie — se heurtent à un monde en pleine gloire mais déjà proche de son déclin. L'Allemagne est divisée en petits royaumes aux structures encore féodales. L'Espagne est à peu près ruinée par les guerres de Philippe II, l'expulsion des morisques et la faiblesse de ses rois. Au milieu de cette Europe en guerre, Rome est en paix. C'est là que naît le Baroque : art triomphal mais aussi art d'illustration, qui marquera l'apothéose d'une Église universelle qui ne l'est déjà plus. Bien qu'on ne puisse réduire le Baroque à son seul aspect religieux, on ne peut négliger le fait qu'il a été diffusé surtout dans les pays pour lesquels la soumission au concile de Trente constituait un fonds culturel commun et qu'il a rencontré de très vives résistances dans tous les pays réformés, en particulier en Hollande. Il faut se garder d'identifier Baroque et Contre-Réforme. Toutefois, du point de vue de l'histoire des idées, on ne saurait oublier l'importance de la défense et de la revalorisation des images : d'une part, elles favorisent, au contraire de la Réforme, l'essor de l'œuvre d'art religieuse ; d'autre part, elles assurent la continuité de la thématique et de la forme de la Renaissance. Si le Baroque n'est pas l'art des Jésuites, il ne faut pas sous-estimer l'influence que les Exercices spirituels de saint Ignace exercent, surtout au début du siècle.

La peinture baroque à Rome

Au XVIIe s., Rome est par excellence la ville où l'on apprend à peindre. Caravage, en s'opposant à la tradition, et les Carrache, en vivifiant l'art de la fresque, ouvrent la voie aux nouvelles conceptions picturales. Le premier, au nom de la réalité, se dégage du raffinement maniériste et la transforme en contrastes de lumière et de ténèbres. Il commence le renouvellement profond de l'iconographie religieuse en substituant à une vision hagiographique de l'histoire une vision actuelle, vive et dramatique. Celui qui regarde le tableau s'insère dans sa perspective et, à travers la lumière, participe à la vision personnelle et inexprimable du miracle : Conversion de saint Paul (v. 1601, Rome, S. Maria del Popolo). Le second artiste qui prépare à Rome l'épanouissement de la peinture baroque est Annibale Carracci. Il entreprend, de 1597 à 1604, la décoration de la Galerie Farnèse, point de départ de la grande décoration baroque. Les scènes sont encore compartimentées selon la méthode maniériste des " tableaux rapportés ", mais tout est unifié par un rythme joyeux et dynamique qui annonce les temps nouveaux.
   Un vigoureux courant classicisant (R. Wittkower emploie le terme de " classical baroque ") domine la première moitié du siècle. Les élèves des Carrache — Dominiquin, Guido Reni, Guerchin — développent à Rome des grands cycles de décoration. Le triomphe de Lanfranco sur le classicisme extrême de Dominiquin révèle l'évolution du goût. Dans la coupole de S. Andrea della Valle (1621-1625), Lanfranco rompt avec le système du compartimentage et s'inspire de la perspective illusionniste de Corrège à Parme.
   En 1621, Guerchin exécute l'Aurore au plafond du Casino Ludovisi — antithèse de celle peinte par Guido Reni au Casino Rospigliosi —, composée comme une frise et selon le principe du tableau rapporté. Guerchin, en fait, instaure la perspective illusionniste et ouvre les architectures sur le ciel. C'est Pierre de Cortone qui réalise les fresques les plus éclatantes de la décoration baroque : peintre, architecte, décorateur et dessinateur de sculptures, il est presque contemporain de Bernin et de Borromini. Dans une de ses œuvres majeures, le plafond du palais Barberini (1633-1639), les architectures et les sculptures feintes se fondent dans un effet de peinture totale, et les allégories complexes sont unifiées dans le mouvement, si bien que tout contenu didactique se transforme en rythme pur. Dans le compartiment principal, la Divine Providence, trônant sur les nuages au-dessus de Chronos et de la Parque, reçoit une couronne d'étoiles de la main de l'Immortalité et montre le blason des Barberini. Le poème emblématique dicté par Bracciolini continue sur les quatre scènes autour du cadre central et illustre le travail temporel du pape. Fait remarquable, les formes aussi continuent sans être interrompues par le cadre, masqué par les atlantes en stuc peint et que débordent les personnages trônant sur les nuées. Le cadre fait alors partie intégrante du tableau, et tout l'espace se trouve profondément unifié. La couleur, influencée par les Vénitiens, est chaleureuse et souligne l'unité de l'œuvre. Le contraste des complémentaires est savamment employé pour rendre évidents non seulement des rapports formels, mais aussi des centres de signification : ainsi dans l'alternance des rouges et des verts des Muses qui soutiennent la couronne de lauriers et dont les intervalles chromatiques rythment le vol des puissants personnages en raccourci. Le cercle qui représente la gloire des Barberini se trouve sur l'orbite d'un autre mouvement circulaire plus général, qui a comme centre la lumière divine. Tout cet enchaînement de significations emblématiques, telles des métaphores filées, est unifié par le mouvement. Dans ce poème sacré tout devient rythme pur, et les formes semblent s'engendrer spontanément l'une l'autre. Dans son Traité, Pierre de Cortone compare la fresque au genre épique, avec un thème principal, mais plusieurs épisodes qui sont nécessaires pour lier les groupes. Ces théories, qui illustrent bien la conception unitaire de la peinture baroque, sont combattues par Sacchi et par ses disciples, qui prennent la relève de la génération classicisante des élèves d'A. Carracci et qui, au nom de la lisibilité de l'œuvre, réfutent le nombre des personnages qu'autorise l'" unité multiple ".
   Gaulli, dit Baciccio, reprend les idées défendues par Cortone contre Sacchi. Dans sa décoration du Gesù (1674-1679), influencée par Bernin, de vraies statues d'anges et l'architecture de l'église se fondent avec la fresque. Ainsi se constitue une entité picturale où il n'y a plus de frontière mais une intégration des différents modes d'expression. L'artiste cherche à surprendre le spectateur par cet éclatement du cadre, où la réalité ne se distingue plus de l'illusion. L'œil ne peut s'arrêter aux personnages, mais traverse des zones de lumière et d'ombre. On ne distingue plus masses et couleurs : la conception mystique de la lumière divine donne au sujet une unité ineffable.
   En 1691, le père Pozzo, auteur d'un Traité de la perspective, décorateur de théâtre et virtuose de la quadrature, illustre, dans la voûte de Saint-Ignace, l'œuvre missionnaire des Jésuites. Ici, le vrai sujet est les gigantesques architectures feintes, qui prolongent les vraies, et parmi lesquelles se perdent de minuscules personnages.

La peinture baroque en Italie, hors de Rome

Le Baroque romain n'est pas le seul Baroque existant en Italie. Des écoles très riches et très différentes se développent : surtout à Gênes, avec G. B. Castiglione, B. Strozzi, G. de Ferrari, A. Magnasco ; à Naples, fief caravagiste où travaillent l'Espagnol Ribera et ses élèves ; à Milan, où Morazzone et Cerano sont influencés par la doctrine borroméenne. C'est à Venise, dont les recherches du siècle précédent ont vivifié toute la peinture européenne de l'époque, que brillent les " derniers feux " du Baroque : la fête se dissout dans la touche " impressionniste " de ses peintres. Les fresques de Tiepolo font déjà partie d'une autre époque.

La peinture baroque dans les Pays-Bas espagnols

Personnalité européenne souvent chargée d'importantes missions diplomatiques, Rubens s'établit à Anvers après un séjour à Rome de 1600 à 1608. Sa peinture se rattache d'un côté à l'art flamand et de l'autre elle assimile la nouveauté des recherches qui de Michel-Ange, à travers les artistes de Parme et de Mantoue, aboutissent à Tintoret. La composition géométrique de la Renaissance, faite de contrastes multiples et équilibrés, ne résiste pas à la vitalité de l'art de Rubens. Toute stabilité est abolie et la bigarrure de l'univers est saisie dans son changement. Les intentions apologétiques des commanditaires favorisent l'explosion de ce monde grandiose et tourbillonnant, où l'histoire devient une vivante allégorie. Les tableaux de la Galerie de Médicis, faits pour le Luxembourg (Louvre), sont un bel exemple de la façon dont Rubens a su transposer les faits de la chronique contemporaine.
   Dans l'Enlèvement des filles de Leucippe (v. 1618, Munich, Alte Pin.), le raccourci et la torsion sont associés à un extraordinaire lyrisme de la couleur. Rubens ne respecte plus les systèmes du clair-obscur italien, obtenu par l'adjonction du noir : les ombres brunes sont rendues incandescentes par du rouge, surtout dans les carnations claires. Les corps des femmes, nacrés et rehaussés de carmin, s'opposent aux corps sombres des ravisseurs dans un jeu de courbes et de contre-courbes, le cheval bai et le cheval pommelé sont intégrés dans une spirale où les oppositions sont prises dans un rythme général qui tourbillonne. C'est à partir de 1620 que Rubens exécute les grandes compositions des Mages de Saint-Michel d'Anvers, l'Assomption de la cathédrale, le Mariage mystique de sainte Catherine et les grands cycles de Saint Charles Borromée à Anvers, de Whitehall en Angleterre ; il dessine aussi les tapisseries pour les carmélites de Madrid. Son rayonnement, immense sur toute l'Europe, marque particulièrement la peinture flamande, sans que personne n'ait su recueillir son héritage grandiose pour entreprendre de nouvelles recherches. Van Dyck, qui travailla dans l'atelier de Rubens v. 1618, avant de voyager en Italie et en Angleterre, fut surtout le portraitiste d'une aristocratie raffinée et languissante. Dans ses tableaux, le mouvement est suspendu, mais le rendu des matières atteint la perfection dans le miroitement des lumières et le chatoiement des satins. Le réalisme de Jordaens évoque surtout des fins de banquet, et la touche légère qu'avait Rubens se transforme dans ce travail en pleine pâte. Les autres ateliers anversois sont partagés entre la tradition de Bruegel et le Caravagisme.

baroque (suite)

La peinture baroque en Europe centrale

La guerre de Trente Ans a retardé l'éclosion de la peinture baroque en Europe centrale. L'Italie, par l'intermédiaire du père Pozzo, qui travaille à Vienne, sera la principale inspiratrice du décor plafonnant, où les fausses architectures en trompe l'œil se multiplient.
   Les grandes réalisations de la peinture de plafond en Autriche sont le fruit de la collaboration de l'architecte Fischer von Erlach avec le peintre J. M. Rottmayr, au château de Vranov en Moravie (1695). Dans l'église Saint-Mathias, à Breslau, Rottmayr unit les trois voûtes architecturales dans une grande composition picturale en ellipse, forme privilégiée du Baroque. Une progression attire l'œil depuis le bord de l'ellipse, qui représente une balustrade où s'appuient des personnages, jusqu'au centre, là où resplendit le clair halo du nom du Christ. D. Gran peint le plafond de la Bibliothèque nationale de Vienne en 1726. Avec P. Troger, l'école viennoise assure son triomphe et s'achemine vers le Rococo.
   Les frères Asam, E. Quirin, architecte et sculpteur, et le peintre Cosmas Damian continuent à Munich, en Bavière, dans l'église de Saint-Jean-Népomucène, l'illusion optique entre peinture et architecture. Le puissant raccourci du plafond peint de la cathédrale de Prague concourt à accentuer l'élan donné par les colonnes torses qui partent de la première galerie. Les effets d'ombre et de lumière sont rehaussés par l'éclairage naturel qui vient des fenêtres et unifie l'atmosphère. Les lignes architecturales contribuent à la mise en scène de la peinture qui se trouve au fond de la galerie.

La peinture baroque en France

Si la France du XVIIe s. est essentiellement classique, elle possède aussi " son " Baroque, ou du moins des affinités avec cette esthétique. Poussin lui-même, pendant ses premières années romaines, y fut sensible. Il est fructueux de comparer ses deux visions des Bergers d'Arcadie. Dans la première version (1629-1630, Chatsworth, Grande-Bretagne), les bergers ont un mouvement de surprise devant un monument funéraire qu'ils viennent de découvrir. Sur le sarcophage, qui sort du cadre, figurent un crâne et l'inscription Et in Arcadia ego. La composition est dominée par les diagonales : celles des corps des bergers, du sarcophage, des arbres et du cadrage même du tableau. Tout est mouvement, la touche est enlevée, la lumière dramatique et la couleur chaude et titianesque. Dans la seconde version (v. 1640, Louvre), le mouvement a disparu avec les diagonales, le coloris s'est refroidi : au lieu d'intensifier le ton chaud par son complémentaire, comme les Vénitiens, il le tempère au moyen d'un ton froid. Le sarcophage, d'où le crâne a disparu, est devenu un bloc classique rectangulaire, autour duquel se groupent, comme sur un bas-relief, les personnages immobiles. L'inscription est devenue le centre réel et idéal d'une composition close où la surprise s'est transformée en méditation philosophique. Poussin refuse volontairement son premier mouvement baroque pour une peinture de plus en plus intelligible. Les peintres français qui, à Rome, étaient résolument baroques vont retrouver en France les influences classiques. Il en est ainsi de S. Vouet. Pendant son séjour à Rome, de 1614 à 1627, il est influencé par Caravage, l'art décoratif des Napolitains et le modelé ferme de Dominiquin ; de retour à Paris, il tempère son éloquence. Dans la Présentation de Jésus au Temple (1641, Louvre), les diagonales sont équilibrées par les verticales des architectures, et la présentation est moins émotionnelle qu'autrefois. Néanmoins, le mouvement agite ces figurations somptueuses, et l'exécution reste rapide et enlevée. Vouet connaît une immense popularité et on lui confie plusieurs décorations, notamment celle de l'hôtel Séguier, où il se souvient des procédés vénitiens et de l'illusionnisme de Corrège. J. Blanchard et F. Perrier subissent également des influences romaines et, même chez le peintre officiel du règne et garant de la doctrine classique, Le Brun, on peut déceler des traits baroques.
   Au début du siècle, les Rubens du cycle de Marie de Médicis, au Luxembourg, suscitent peu d'intérêt ; en revanche, l'artiste flamand influence une partie de la peinture des dernières années du XVIIe s., surtout à la suite de la querelle entre les poussinistes, partisans du dessin, et les rubéniens, défenseurs de la couleur. Charles de La Fosse est influencé par la couleur des Vénitiens vue à travers Rubens. Son esquisse pour le plafond du salon d'Apollon dans les grands appartements de Versailles (musée de Rouen) s'organise selon des schèmes de compositions baroques, mais fait déjà entrevoir la légèreté, la clarté et la grâce rococo. La Fosse résume les tendances de peintres comme Jouvenet et A. Coypel, qui collaborent avec lui à la décoration de la chapelle de Versailles et des Invalides. Le goût du roi et de la Cour change pendant les dernières années du siècle, et une ouverture vers le Baroque s'amorce ; c'est surtout dans les retables de province que l'on a accepté les tendances romaines, parvenues à travers les estampes. Mais c'est plus spécialement dans la décoration éphémère des fêtes et des pompes funèbres, dont les gravures nous ont laissé le souvenir, que s'épanouit en France le style baroque.

La peinture baroque en Espagne

L'Espagne maintient avec rigueur les idées de la Contre-Réforme. La canonisation de plusieurs saints et la campagne en faveur de l'Immaculée Conception fixent une nouvelle iconographie. Les commandes des institutions monastiques sont aussi importantes que celles du palais. Les particularismes régionaux et les attaches avec le passé sont si forts qu'il est difficile de définir les rapports de cette peinture, qui évolue selon ses propres rythmes, avec le Baroque. Les portraits statiques et sculpturaux de Zurbarán révèlent une continuité avec l'art du siècle précédent et sont dans la lignée des retables et des sculptures sévillanes. Aux élévations mystiques de Zurbarán, Murillo oppose une piété plus aimable. Il est le peintre favori de la branche la plus populaire de l'ordre de Saint-François, les Capucins, qui favorisent une dévotion expansive et tendre.
   Velázquez, peintre de la Cour, est en revanche en contact continu avec la peinture européenne : il rencontre Rubens en 1628, voyage à Venise et à Rome (1629 et 1649). Il est donc au centre de toutes les recherches picturales contemporaines. Dans les Fileuses (1657, Prado), la réalité observée et la réalité tissée se retrouvent dans une unité d'atmosphère et de ton, la touche ne respecte plus le contour et réduit les volumes à de pures taches de couleur. Dans les Ménines (1656, id.), œuvre qui reprend notamment le thème des miroirs, les formes se dissolvent sous le jeu de la lumière et de l'ombre : dans ces jeux du regard, la peinture se réduit, comme le dit Lafuente Ferrari, " à pure apparence, pure visualité, réalité subjective jusqu'à la limite extrême où elle paraît s'évanouir ". Toutefois, l'indépendance hautaine de l'art de Velázquez défie toute classification.
   Sous le règne de Charles II, la peinture reflète des caractères plus nettement baroques. Francisco Herrera le Jeune a étudié à Rome et rapporte d'Italie les retables à colonnes torses, les raccourcis, les diagonales. Carreño de Miranda, influencé par la technique de Rubens, reflète sur un ton mineur le faste pompeux et triste de la cour de Charles II. Valdés Leal, après avoir peint avec une technique fougueuse des œuvres où le mouvement s'allie à un coloris brillant, interprète avec une violence macabre le thème de la fuite du temps et des grandeurs déchues dans Los Jeroglificos de nuestras postrimerias. Finis gloriae mundi et in ictu oculi (Séville, hôpital de la Caridad). Les architectures de la sacristie de l'Escorial se prolongent dans la Sagrada Forma, où Cl. Coello crée une illusion de miroir. En fait, si l'on excepte F. Rizi, ce sont surtout des Italiens qui ont exécuté les peintures de plafond en Espagne. En 1692, à la mort de Coello, dont les fresques ont disparu dans un grand incendie, le Napolitain Luca Giordano, qui dut à sa rapidité d'exécution le surnom de " Luca fa presto ", poursuivit l'exécution des fresques de l'Escorial.
   Si le terme baroque est avant tout synonyme d'" architecture ", il existe réellement une peinture qui mérite bien l'épithète de baroque. Conçue en fonction d'un édifice qu'elle modifie ou qu'elle épouse, elle se plaît à l'illusionnisme des murs troués, à l'expansion et au mouvement, aux déséquilibres apparents qui dissimulent une rigoureuse cohérence interne. Qu'il s'agisse du plafond Barberini ou de l'univers de Rubens, cette peinture, décorative ou de chevalet, a créé un nouvel espace dynamique réalisant l'unité dans le multiple, la permanence dans le mouvement.
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l'art baroque

(portugais barroco, perle irrégulière)
Enc.Larousse
Simon Vouet, la Richesse

Le terme baroque désigne une forme d’art, née en Italie, qui s’épanouit entre la fin de la Renaissance et le retour au classicisme. Dominant l'art et l'architecture de l'Europe au xviie s. et dans la première moitié du xviiie s., son influence se poursuit en Amérique latine jusqu'à l'aube du xixe s.

1. LE STYLE BAROQUE

À la fin du xviiie s., est qualifié de baroque un style artistique contraire aux règles classiques et jugé extravagant, voire de mauvais goût. Il faudra attendre la fin de l'emprise du classicisme, en art comme en littérature, pour que « baroque » perde son sens péjoratif et que soit reconnue sa contribution positive et originale dans tous les domaines de l'art, l'architecture, la sculpture, la peinture, ainsi que la musique et la littérature.
Dans les arts plastiques, le baroque propose un style à la fois très structuré, qui joue abondamment de la symétrie, et très dynamique : il insère ses formes dans un puissant mouvement de volutes et de spirales ; par ses effets dramatiques, sa recherche du spectaculaire, il vise à susciter l'émotion. Les caractéristiques qui le définissent trouvent sinon leur justification du moins nombre d'éléments d'explication dans le contexte politique, culturel et religieux bien particulier qui l'a vu naître. Un contexte historique qui permet également de comprendre comment et où ce style s'est répandu.

1.1. LE CONTEXTE HISTORIQUE





C'est dans les pays catholiques que l'art baroque s'est le mieux développé, surtout dans les dernières années de la Contre-Réforme, aux environs de 1600. Pour s'opposer à la progression du protestantisme, l'Église romaine, après le concile de Trente (qui s'achève en 1563), réaffirme ses doctrines traditionnelles et s'engage dans une intense activité missionnaire. En soutien à cet effort, elle va opposer des représentations sacrées grandioses et pathétiques à la prohibition des images prônée par les partisans du culte réformé. Le réalisme et la vraisemblance que les artistes baroques prêtent à leurs représentations du ciel et des saints concourent à cette pédagogie esthétique, tout comme les cadres pompeux dans lesquels les placent les architectes.
Associé aux régimes autoritaires liés à l'Église, le baroque s'épanouit particulièrement dans les États traditionalistes, l'Italie, l'Espagne et certains pays germaniques. Dans les sociétés plus progressistes de l'Europe du Nord, en particulier dans les pays gagnés par la Réforme, il ne se développe que dans l'architecture civile : les architectes baroques conçoivent de somptueux palais pour les monarques européens qui, quelle que soit leur foi, entendent marquer leur puissance par leur magnificence.

1.2. ORIGINES ARTISTIQUES

Le style baroque doit beaucoup à la Renaissance et à sa phase ultime, que l’on nomme maniérisme. À titre d’exemple, les tourbillons inverses des élus et des damnés dans la fresque du Jugement dernier, que Michel-Ange peint pour la chapelle Sixtine de 1536 à 1541, figurent un des mouvements caractéristiques du baroque.
Le style baroque est également influencé – comme le classicisme d'ailleurs – par l'art antique grec et romain, et il use volontiers des ordres architectoniques classiques et de la représentation idéalisée de l'être humain.
Certaines formules typiques du baroque, notamment les façades incurvées, les plans ovales et l'utilisation du trompe-l'œil, ont d'autre part été souvent employées ici ou là : c'est donc l'emploi systématique d'un certain nombre d'éléments stylistiques préexistants, joints à des apports en nombre restreint, qui constitue l'originalité du baroque.

1.3. CARACTÉRISTIQUES DU STYLE BAROQUE

ARCHITECTURE

En architecture, outre l'ovalisation des espaces et l'emploi de la double courbure – concave sur les côtés, convexe au milieu –, les éléments propres au baroque sont les colonnes torses et les frontons spectaculaires. Le fronton baroque présente toutes sortes de variations : brisé en son centre, agrémenté de côtés en volutes, ou incurvé dans son plan vertical.

SCULPTURE

La sculpture baroque se caractérise par des draperies flottantes, des modelés réalistes, l'utilisation du bronze et des marbres colorés, et souvent la combinaison de plusieurs matériaux. Elle se traduit souvent par une surcharge décorative.

PEINTURE

En peinture, le style baroque multiplie les effets d'illusion, associe la perspective au jeu de la lumière et de l'ombre pour obtenir un nouveau type de réalisme.
Tant en peinture qu'en sculpture, l'expression des émotions est intense et insistante, depuis les petits dessins à la plume et les esquisses à l'huile jusqu'aux œuvres les plus monumentales, comme les tombeaux et les autels, où plusieurs disciplines artistiques sont associées dans la recherche de l'effet le plus inattendu et le plus théâtral.

1.4. BAROQUE, ROCAILLE ET ROCOCO

Se pose la question des mutations du baroque, dans sa dernière phase, au cours du xviiie s. Le rocaille fait-il partie du phénomène baroque, ou faut-il le distinguer comme étant d'une nature toute différente ? Et le rococo : rocaille et rococo sont-ils deux termes interchangeables ?
Le débat reste ouvert, néanmoins admettons la filiation évidente du rococo et du rocaille par rapport au baroque : on peut les considérer en effet comme deux manifestations tardives du baroque, mais bien distinctes entre elles et pas forcément concomitantes. Ainsi, le rocaille concerne la France et une mode très particulière qui régna surtout dans les arts décoratifs de la première moitié du xviiie s., avec un apogée entre 1720 et 1740 ; le rococo constitue l' épanouissement tardif – entre 1720 et 1780 –, principalement en France et en Allemagne, d'un style de construction et de décor qui dérive manifestement du baroque italien, mais reçoit aussi des apports français et notamment rocaille.

1.5. LA DIFFUSION DU BAROQUE

Outre l'Italie, les principales aires d'extension du baroque sont :
– d'une part, la péninsule Ibérique avec ses dépendances américaines, qui produit ce que l'on appelle parfois le baroque colonial,
– d'autre part le sud de l'Europe centrale, c'est-à-dire les pays germaniques des Alpes et du Danube, avec des prolongements jusqu'en pays slave, en Bohême (aujourd'hui partie occidentale de la République tchèque) et en Pologne.
Ce sont là des pays éminemment catholiques et, pour ce qui concerne l'Allemagne du Sud et la Bohême, d'autant plus qu'ils sont en contact constant et parfois violent avec le monde de la Réforme.

2. LE BAROQUE ITALIEN

2.1. ARCHITECTURE

ROME

Dans les premières années du xviie s., en Italie, et en particulier à Rome, se trouvent concentrés les meilleurs artistes d'Europe. Le siège de la papauté est le lieu privilégié de l'éclosion d'un style en accord avec la Contre-Réforme. Les multiples ordres religieux font construire ou embellir quantité d'églises ou de couvents, et les prélats aménagent de riches demeures.
L’exemple de l'église du Gesù
Le Gesù, principale église des Jésuites élevée à partir de 1568 par Vignole, allie sobriété des lignes et faste de la décoration. Il sert de modèle très libre aux architectes, qui conservent souvent son fronton triangulaire en l'agrémentant tantôt de volutes, tantôt de colonnes.
Maderno
Le premier artiste marquant, Carlo Maderno, donne dans la façade de Santa Susanna les prototypes des frontispices d'églises baroques. L’influence de la façade du Gesù y est perceptible mais ce qui est nouveau ici, c'est l'articulation plus accentuée, les décrochements, le souci d'éviter la platitude et d'animer la surface. Les éléments ne sont plus fonctionnels, mais concourent à l'effet, un effet volontiers théâtral, avec des jeux subtils d'ombres et de lumière.
Le Bernin




Ces tendances vont s'affirmer avec le Bernin. Gian Lorenzo Bernini, dit le Cavalier Bernin, architecte, peintre et sculpteur, travaille de 1624 à 1678 à la décoration de Saint-Pierre de Rome, qui lui doit sa colonnade, les tombeaux des papes Urbain VIII et Alexandre VII, le baldaquin coiffant le maître-autel et l'autel de la « chaire de saint Pierre ». Cette remarquable concentration d'œuvres est une éclatante manifestation de la volonté de l'Église catholique dans la dernière période de la Contre-Réforme.
Il est incontestable que la personnalité de Michel-Ange hante le Bernin. Michel-Ange, dans son dynamisme tourmenté qui va jusqu'au monstrueux, est bien un ancêtre du baroque. C'est sous la coupole de Michel-Ange que le Bernin place son colossal baldaquin, et il fallait la chaire de Saint-Pierre, avec sa gloire rayonnante qui fut tant imitée, pour compléter cet ensemble solennel, comme à l'extérieur la colonnade, solution audacieuse mais parfaite.
Dans une église comme Sant'Andrea al Quirinale, le Bernin fait un emploi systématique de la ligne courbe et ajoute à la lumière la couleur des matériaux, le contraste des marbres polychromes, du bronze, du stuc. La féerie se précise, toujours dans une note grandiose, et cette féerie est parfaitement organisée, savamment orchestrée. Tous les arts interviennent, non pas chacun à sa place et selon ses propres lois, mais intégrés dans une synthèse où tous se plient et se renforcent ; l'œuvre est avant tout un prodigieux travail d'imagination qui cherche constamment à se renouveler, à aller toujours plus loin dans la contrainte de la matière.
Les réalisations du Bernin dans le domaine de l'architecture civile (palais Barberini) et de l'urbanisme (fontaines de la place Navone) sont tout aussi exemplaires.
Borromini




Architecte avant tout, Borromini fait franchir à l'édifice baroque l'étape décisive qui lui confère une personnalité encore plus accusée. Le Bernin, par souci du monumental, n'avait pas su franchir cette limite.
Borromini joue inlassablement avec les lignes et les surfaces, ne leur laissant aucun répit, préférant toujours sinuosité, ondulation à ce qui est droit et plat, obsédé par l'ovale et l'ellipse. Ses principales œuvres, San Carlino alle Quattro Fontane, Sant'Ivo alla Sapienza, la façade de Sant'Agnese, exerceront une influence très longue et très lointaine, et la meilleure part de l'architecture baroque danubienne lui doit beaucoup.
Guarini
Causant un ébranlement comparable à celui de Borromini, le père Guarino Guarini a laissé ses œuvres majeures dans le nord, à Turin, non loin du domaine germanique. Moine théatin ayant mené une vie errante, il est un théoricien, un visionnaire plus qu’un constructeur. Lui aussi joue avec les lignes courbes, dénature et torture les ordres classiques, cherche les effets d'éclairages mystérieux et des solutions inédites pour les voûtes.
À côté de ces géants, les autres architectes pâlissent quelque peu, même s'ils ont produit davantage. Ainsi Carlo Rainaldi (1611-1691), à qui Rome doit quelques-unes de ses plus belles églises (Santa Maria in Campitelli) ou Pierre de Cortone (1596-1669), heureusement inspiré lui aussi, et dont le génie éclate dans le décor peint.
Plus tard, au xviiie s., les grandes traditions sont maintenues à Rome avec Alessandro Galilei (1691-1736) [façade de Saint-Jean-de-Latran] et Fernandino Fuga (1699-1781) [palais Corsini, Santa Maria della Morte].

HORS DE ROME





Au Piémont, Juvara se pose en rival plus qu'en continuateur de Guarini, sensible à la majesté plus qu'au jeu des courbes (palais Madame à Turin, château de Stupinigi). Son audience internationale étend son influence au xviiie s. Bernardo Vittone (vers 1705-1770) continue les recherches de Guarini dans un esprit rococo.
À Venise, Longhena opte pour un art essentiellement scénographique, et son chef-d'œuvre, Santa Maria della Salute, est partie intégrante du décor de la lagune.
Des artistes originaires de Bologne, les Galli, dits Bibiena, acquièrent au xviiie s. un renom international dans le domaine de l'architecture, de la peinture en trompe l'œil et de la scénographie ; ils construisent un peu partout des salles d'opéra et imaginent des décors de scène en spéculant sur les effets de perspective.
On retrouve le même goût du spectacle dans les grands centres urbains : Gênes, avec ses palais ; Naples, qui se baroquisera avec Luigi Vanvitelli. Mais des variantes régionales apparaissent à Lecce, dont les façades surchargées suggèrent une influence espagnole.
La Sicile une fois encore se montre originale dans son interprétation ; après un tremblement de terre (1693), toute une ville baroque surgit, Noto, restée telle qu'elle a été conçue dans son urbanisme concerté.

2.2. UN ART DE FÊTE

DU SPECTACLE À L'ILLUSION

Le souci de constituer des ensembles, des perspectives, des points de vue appartient bien à l'esthétique baroque, qui sait y intégrer même les monuments d'un autre âge. On peut le sentir à Rome sur la place Navone, où est reprise la forme allongée du stade de Domitien, ponctuée en son centre par les fontaines du Bernin, magnifiée par la grandiose composition de Borromini pour Sant'Agnese, bordée de palais, le tout organisé pour la scénographie.
La place était le lieu privilégié des grands déploiements féeriques pour les célébrations, avec feux d'artifice, architectures éphémères, voire joutes nautiques. Le goût de la fête transparaît non seulement dans les façades mais aussi dans les intérieurs. Là scintillent les ors et les bronzes, tandis qu'à la polychromie des marbres répond le chatoiement des fresques mettant en tourbillon un peuple allègre et coloré ; là, les architectures feintes et audacieuses où se meuvent les personnages semblent prolonger à l'infini l'architecture réelle dans une illusion, un trompe-l'œil qui les mêle intimement ; à ces troupes peintes se joignent les groupes en stuc, débordant sur les arcs et les corniches au risque de noyer quelque peu les membrures de la construction, tout étant sacrifié à l'effet de féerie, voire même de fantasmagorie.

L'APPEL À LA SENSIBILITÉ

Le baroque s'écarte du réel pour verser dans l'évocation d'un monde supraterrestre, où tout devient mystère de l'au-delà, vision immatérielle, assemblée céleste, domaine où la raison cède la place à la mystique, et cela dans une imagerie complexe, parfois ésotérique pour l'homme du xxe s., qui se trouve face à une symbolique chrétienne mêlée à une mythologie païenne annexée sans gêne. Cet univers est celui de la grâce, de la grâce sensible qui aboutit à l'optimisme et à la ferveur, à l'extase dans la communion des saints, et qui renie la sévérité et le pragmatisme de la Renaissance. On se défie de l'intelligence, c'est aux sens que l'on s'adresse.
Le système artistique du baroque répond donc bien à une conception du monde, des rapports de l'homme et de Dieu, très spécifique, éloignée aussi bien de la philosophie antique que de la théologie médiévale et des remises en question de la Renaissance.

2.3. SCULPTURE





Le baroque ne se résume pas seulement à l’architecture. Il est bien davantage un art du décor qui englobe toutes les disciplines, et en premier lieu celle du sculpteur. La sculpture décorative élabore un répertoire de prédilection, cartouches et trophées, formes typiquement baroques dans leur variété infinie. La statuaire tout naturellement participe au faste et au spectacle, et cela d'autant plus facilement que le stuc lui permet toutes les contorsions, toutes les fantaisies.

L’ŒUVRE DU BERNIN ET SON INFLUENCE





À Rome, le grand maître, là encore, est le Bernin. Pour la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria, il sculpte dans le marbre blanc la très théâtrale Extase de sainte Thérèse (1644-1647). Par ailleurs, excellent portraitiste, il est l'auteur de nombreux bustes, dont celui de Louis XIV. Il montre à la fois sa piété envers l'Antiquité et sa formation maniériste dans les grands groupes en marbre de la villa Borghèse, d'où procède une bonne partie de ceux qui peuplèrent les parcs royaux et princiers de l'Europe.
Son influence dans le domaine de la sculpture religieuse est encore plus considérable : le type de l'ange berninien envahit le monde occidental, de même que ses saints révulsés dans l'extase ou pantelants dans le martyre.
Plus faible en regard apparaît le retentissement de l'œuvre de son rival, l'Algarde, qui se veut plus respectueux de l'héritage antique. Le drapé berninien, défiant les lois de la pesanteur et se jouant de la matière, emporte l'adhésion enthousiaste, même si les émules l'alourdissent. Il fera école jusqu'à Canova, et se réclameront de lui des artistes comme Domenico Guidi (1625-1701), Antonio Raggi (1624-1686), Camillo Rusconi (1658-1728) et Filippo Della Valle (1697-1768).
L'empreinte du Bernin se retrouve aussi chez des étrangers sensibles à sa magie et à son art extrême d'animer le marbre (c'est le cas de Pierre Legros (1666-1718) et de Michel-Ange Slodtz) et dans les autres centres d'Italie :
– à Gênes notamment, où elle se combine avec le souvenir de cet autre grand sculpteur baroque qu'est Pierre Puget et où, autour de Glacomo Filippo Parodi (1630-1702) et de Francesco Schiaffino (vers 1690-1765), s'organise une véritable exportation de statuaire religieuse dans toute l'Europe ;
– à Venise et dans le Nord avec Giovanni Bonazza (actif entre 1695 et 1730), où les formes berniniennes s'amenuisent, s'énervent, frôlent la caricature et sont prêtes à passer les Alpes pour alimenter le rococo germanique ;
– à Florence avec Giovanni Batista Foggini (1652-1725),
– à Naples avec Antonio Corradini (1668-1752) et Francesco Queirolo (1704-1762),
– en Sicile avec l'infatigable Serpotta, qui pousse le stuc dans ses dernières limites.

LA STATUAIRE MYTHOLOGIQUE

À côté de la sculpture d'église prospère une statuaire mythologique qui peuple les jardins et les salons et qui ressortit bien à la même esthétique. Au cours du xviiie s., l'art de cour et l'esprit galant venus de France pénètrent la péninsule italienne et s'adaptent sans peine au système baroque, comme on peut le constater dans les jardins de Caserte. Et jamais la sculpture liée à l'urbanisme n'aura créé une œuvre plus séduisante, dans son fracassement d'eau limpide, que la fontaine de Trevi à Rome. Le bassin de Neptune à Versailles, qui en procède, n'atteint pas à son allégresse, de même que l'Enlèvement de Proserpine de Girardon, malgré son habileté, reste en deçà du groupe souverainement traité par le Bernin.

2.4. PEINTURE

HÉRITAGES ET RÉSISTANCES

Le problème de la peinture baroque est plus complexe, car les traditions léguées par la Renaissance et le maniérisme restent plus vivaces et apparemment moins empressées à se plier au nouveau système, à la nouvelle esthétique.
Il subsiste toujours un courant classique et Poussin, à Rome, poursuit son œuvre au-delà des modes. Il en est de même d'un Vélasquez en Espagne ou d'un Rembrandt en Hollande, en apparence insensibles aux impératifs baroques ; une analyse sans préjugé de leur œuvre révèle néanmoins qu'ils ont été touchés eux aussi par cette nouvelle vision du monde et n'ont pu s'en abstraire complètement.
Autre courant de l'époque, le caravagisme n'est-il pas en harmonie avec le baroque, qui lui aussi étudie les effets d'ombre et de lumière ? En vérité, il vivifie la grande peinture baroque et l'empêche souvent de tomber dans le pompeux et la grandiloquence, il sert d'aliment à son sens du drame et à son goût du contraste.
Cependant, en Italie et à Rome en particulier, au xviie s. c'est la seconde génération bolonaise qui triomphe, avec des artistes très maîtres de leurs moyens, comme Guido Renile Dominiquinl'Albanele Guerchin ; ils n'ignorent pas l'apport du Caravage et entretiennent l'héritage des Carrache, mais avec une ampleur nouvelle et en servant une iconologie qui est incontestablement baroque, c'est-à-dire que leurs tableaux ou leurs fresques évoquent le monde irréel des saints ou des héros entourés de leurs symboles dans des attitudes tourmentées et extatiques.

DÉCORS PEINTS ET TROMPE-L'ŒIL





Un des grands inventeurs du baroque occupe à Rome une place essentielle dans le décor peint. Maître des plafonds en trompe-l'œil, Pierre de Cortone fait éclater sous les voûtes du palais Barberini (le Triomphe de la Divine Providence, 1636-1639) les fanfares de sa peinture joyeuse, témoignage à la fois d'une imagination toujours en éveil et d'un sens de la couleur qui n'est plus désormais l'apanage des Vénitiens.
Giovanni Lanfranco (1582-1647) offre degrandes compositions (coupole de Sant'Andrea della Valle). Plus tard, Carlo Maratta (1625-1713), le Père Andrea Pozzo (1642-1709) [voûte de Sant'Ignazio], Luca Giordano (1632-1705) attestent la vitalité de cette peinture.
Il restera au xviiie s. à explorer des formules plus originales, tant il est vrai que l'art baroque se prête aux mutations sans perdre de sa force créatrice. L'intérêt se déplace quelque peu en dehors de Rome, où l'un des plus doués est un Français acclimaté à la ville des papes, Subleyras.

CHRONIQUES ET VUES DE VENISE, DE TIEPOLO À CANALETTO





Venise retrouve une nouvelle splendeur avec Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754), mais surtout avec Giambattista Tiepolo, qui porte la peinture baroque à l'un de ses plus hauts degrés par la fantaisie inépuisable de ses compositions, animées d'une allégresse qui sait traduire des nuances subtiles, servies par un don de la couleur légère et transparente.
La Venise dorée du xviiie s., d'une décadence où les fêtes se succèdent, est célébrée par le pittoresque de Pietro Longhi, la précision du Canaletto, la poésie mélancolique de Guardi.

INQUIÉTUDES D'ARTISTES





Le baroque n'est pas insensible au paysage, mais il y ajoute une intention ou une atmosphère : Salvatore Rosa (1615-1673), à Naples, et surtout Alessandro Magnasco (1667-1749), à Gênes, évoquent un monde fantastique et crépusculaire, par quoi le baroque rejoint une sorte de préromantisme ; cela est vrai aussi pour les ruines antiques, qui témoignent de quelque nostalgie sous le pinceau de Giovanni Paolo Pannini, et d'une sorte de grandeur tragique dans les planches de Piranèse, qui délibérément aborde le monde du rêve, sinon du cauchemar.
Le xviiie s. baroque ajoute donc quelque délire aux outrances précédentes, et la personnalité inquiète de l'artiste ose davantage se livrer, comme pour annoncer la fin d'un monde qui est celui de l'Ancien Régime.
La vague d'anticléricalisme, la déconfiture de l'ordre jésuite donnent à l'art une teinture plus laïque, allant parfois jusqu'à la dérision, mais si ce monde baroque chancelle, il n'en reste pas moins fidèle à ses recettes, même quand la confiance et la vitalité le quittent.

3. LE BAROQUE IBÉRIQUE

L'Espagne, au xviie s., est une grande nation, et un pays riche de l'or drainé du Nouveau Monde. Ce substrat économique a son importance, de même que l'élan pour la propagation de la foi et la réforme catholique : l'art baroque se manifeste volontiers à l'intérieur des églises par la profusion des retables qui magnifient non seulement le maître-autel mais les autels mineurs. La basilique de Saint-Jacques-de-Compostelle dresse sa haute façade dite de l'Obradoiro tel un véritable retable de pierre démesurément agrandi. On retrouve au Portugal cette tendance à transposer sur les façades les retables des intérieurs.

3.1. SCULPTURE : RETABLES ET « PASOS »

LES RETABLES

Le retable n'est pas une invention baroque. Le gothique flamboyant et la Renaissance en avaient largement usé, mais il apparaît bien comme une des formes privilégiées du système baroque, parce qu'il est conforme à la notion d'apparat, de scénographie, de séduction par les sens.
Le retable baroque possède une physionomie propre : véritable architecture avec souvent des ordres superposés, colonnes, pilastres, frontons, niches, consoles, l'accent volontiers mis sur un grand tableau au centre de la composition. De plus, l'or se répand avec insistance : bronze doré, bois doré, stuc doré.
Des grands retables « plateresques », on passe aux immenses constructions baroques, fourmillant de statues et de statuettes, de motifs décoratifs inlassablement répétés et souvent végétaux, le tout dans une débauche ornementale où l'œil s'égare.

LES « PASOS »

Typiques de l’art baroque espagnol, les pasos sont des statues de grande taille qui représentent les personnages de la passion du Christ. Ils sont destinés à être portés dans les processions de la semaine sainte. L'appel à la sensibilité et à la sentimentalité y atteint à une violence et à un réalisme presque insoutenables.
Les personnages prennent des attitudes pathétiques. L'illusion du réel est poussée à l'extrême, les statues sont peintes en couleurs naturelles, les yeux pleurent des larmes presque vraies, cheveux et vêtements sont souvent véritables. Cet expressionnisme n'est pas toujours artistique, cependant les meilleurs sculpteurs de l'époque (Montañés, Alonso Cano, Pedro de Mena) sculptent des pasos, et ce genre atteint parfois à la grandeur tragique. Le goût du pathétique, sinon de l'horreur, appartient bien au monde baroque, et il imprègne aussi toute la grande sculpture, qui doit quelque chose aux pasos.

3.2. LA PEINTURE ESPAGNOLE





Le xviie s. est la grande époque de la peinture espagnole. Mais il serait abusif de la qualifier de baroque, sans y regarder de plus près, tant les artistes majeurs de l'époque expriment une personnalité qui leur est propre.
Chez certains, comme Zurbarán, l'austérité, la gravité, une certaine économie de moyens semblent aux antipodes du baroque. Vélasquez reste fidèle à un classicisme épris d'équilibre dans la composition et de pondération dans les gestes, mais sa lumière, sa couleur doivent beaucoup à l'Italie, il est vrai autant sinon plus aux Vénitiens qu'aux grands baroques.
José de Ribera, avec ses anatomies tourmentées, pantelantes, mérite sans doute l'épithète de baroque, d'un baroque impressionné par le caravagisme, mais il est plus italien qu'espagnol, son principal atelier étant à Naples.
Sont baroques aussi dans leur goût du mystère et leur hantise de la mort les peintres andalous Alonso Cano et Valdés Leal, davantage probablement que Murillo, qui préfère la sentimentalité au pathétique.

3.3. ARCHITECTURE ET DÉCOR SCULPTÉ

LE BAROQUE CHURRIGUERESQUE





Au xviiie s., le baroque espagnol est communément désigné sous le nom de « style churrigueresque », en raison de l'importance attribuée à la famille des Churriguera, dont le représentant le plus important fut José, souvent aidé par ses deux frères. Ce sont des sculpteurs de retables d'origine catalane, qui se font parfois architectes. Un peu abusivement, on leur fait honneur de la dernière phase, particulièrement profuse, des décors intérieurs d'église, qui se traduit par une sorte de grouillement dévorant la structure. En fait, José Churriguera (retable de San Esteban, Salamanque) a le souci d'articuler fortement son décor, ce qui ne sera pas le cas de certains de ses émules.
Les Figueroa jouent en Andalousie le rôle tenu par les Churriguera dans le nord de la Péninsule. C'est au xviiie s. seulement que Séville s'ouvre grâce à eux au baroque. Francisco Hurtado Izquierdo (1669-1725) construit et décore d'extraordinaires sacristies et chapelles du saint sacrement, avec des matières précieuses et une virtuosité dans les assemblages de motifs géométriques qui rappelle les contacts profonds de l'Espagne avec l'art musulman (chartreuse d'el Paular).
À Tolède, le célèbre « transparent » de la cathédrale est conçu selon un principe berninien : la source lumineuse, invisible, diffuse une clarté mystérieuse avec des effets de contre-jour, une Cène sculptée semble planer dans les airs, portée par une gloire et un grouillement d'anges.
Pedro de Ribera (vers 1683-1742) et Teodoro Ardemans (1664-1726) travaillent pour la Cour et les grands d'Espagne, et eux aussi aiment les accumulations, par exemple dans leurs catafalques, qui sont encore plus chargés qu'en Italie. Car, dans l'art baroque, la Mort, elle aussi, devient spectacle, avec tout un répertoire macabre.

L'ART MONARCHIQUE





Le règne de Philippe V (1700-1746) introduit l'influence française, plus sensible dans le mobilier et les jardins que dans les constructions et la peinture. C'est d'ailleurs l'architecte italien Juvara qui est appelé par le roi d'Espagne pour son palais de Madrid. L'aspect le plus baroque de la statuaire des jardins de Versailles et de Marly est quant à lui repris dans le parc du palais de la Granja, par Ardemans. On fait appel à des artistes étrangers, Italiens, Français et même Allemands tels Konrad Rudolf et, à la cour de Portugal, João Frederico Ludovice, alias Ludwig (actif entre 1701 et 1752), constructeur de l'énorme monastère de Mafra.

3.4. LE BAROQUE COLONIAL

En traversant l'Atlantique, le baroque ibérique subit de nombreuses mutations. Il devient le baroque « colonial », qui lui-même présente, selon la région et selon l'époque, des aspects divers.

CARACTÉRISTIQUES

On peut noter quelques constantes : dans l'architecture religieuse, qui prédomine plus encore que sur le vieux continent, la préférence est donnée à la façade encadrée de deux tours, qui s'écarte donc du type romain et reprend un parti gothique ; sur les croisées de transept, on retrouvera souvent une coupole qui rappelle les « cimborios » espagnols plus que les dômes italiens.

ARTISTES

Les architectes et maîtres d'œuvre viennent souvent de la métropole, de l'Andalousie surtout, où se trouvent les ports ; mais l'internationalisme des ordres missionnaires explique la présence d'artistes étrangers : Italiens, Allemands, Flamands entre autres, si bien que l'art de l'Amérique latine n'est pas uniquement la transposition de l'art espagnol et que, à la fin du xviiie s., on y trouve des échos assez inattendus du rococo germanique.
Enfin, les colons s'installent chez des peuples qui ont des traditions artistiques parfois fort originales et y recrutent des artisans : la production des maîtres autochtones ne doit pas tout à l'art occidental, et, dès le xviie s., l'art indigène transparaît dans le décor.

PARTICULARITÉS RÉGIONALES

L'art baroque d'Amérique se différencie bien par rapport à celui de l'Europe, et il fleurira plus longtemps, car les colonies américaines se replieront sur elles-mêmes au moment où les nations occidentales entreront dans l'ère des bouleversements révolutionnaires, et alors que l'assaut du néoclassicisme n'aura pas eu le temps de se répercuter outre-Atlantique.
Mexique




Au Mexique (Nouvelle-Espagne), les architectes du xviie s. aiment dresser à la façade des églises (Puebla, Oaxaca, Mexico) trois ordres de colonnes, mais les membres d'architecture sont entièrement recouverts d'une sorte de tapisserie sculptée qui semble ronger la pierre. En très faible relief, cette ciselure se compose de motifs géométriques ou floraux, généralement très stylisés et d'une exécution assez grossière ; elle a tendance à envahir tout, intérieur comme extérieur, taillée dans la pierre, modelée dans le stuc, et l'on a pensé y retrouver le souvenir de la sculpture précolombienne. Il est certain qu'à des ornements sans patrie se mêlent des motifs et des figures autochtones.
Au début du xviiie s. s'épanouit avec insistance la mode des « estipites », tant aux façades d'églises que dans les retables. Il s'agit de sortes de balustres très compliqués qui font fonction de colonnes ; l'origine est métropolitaine, mais le développement obsédant de la formule appartient bien au Nouveau Monde.
Certaines églises, Taxco, Ocotlán, Tepotzotlán, se distinguent par un élan irrésistible en hauteur.
Amérique centrale
En Amérique centrale, on trouve le « baroque des tremblements de terre », tout en largeur et avec une tendance à exagérer l'épaisseur des membres d'architecture pour bien s'ancrer dans le sol instable. Une ville baroque entière, Antigua (Guatemala), fut abandonnée et subsiste à l'état de ruine émouvante.
Amérique du Sud
En Équateur, la présence indigène est plus sensible qu'ailleurs, notamment dans les ateliers de sculpture très actifs de Quito. Le décor doré submerge totalement l'intérieur des églises.
En Colombie, on note le contraste entre les villes de la côte, à l'architecture sévère et fermée – en raison des corsaires –, et la richesse des villes de l'intérieur, comme Popayán et Tunja.
Au Pérou et en Bolivie, c'est d'abord l'ère des grandes cathédrales, Sucre, Lima, un peu lourdes et austères. Puis, à Lima, l'architecture se fait plus aimable, et, au xviiie s., naît un art civil séduisant, avec transposition naïve des modes d'Occident.
Dans les villes de la montagne, on retrouve des édifices lourdement étalés en largeur et ce tapis de sculptures en relief plus ou moins faible qui recouvre tout et même les colonnes avec, ici, une préférence pour le motif végétal très stylisé (Cajamarca, Arequipa, Juli, Potosí). Les figures humaines ont plutôt la rigidité abstraite des reliefs romans que la vivacité du baroque ; les idoles précolombiennes ne sont pas loin.
Dans les pays de La Plata, riches en main-d'œuvre, on retiendra le nom d'un architecte fécond, le Père Andrea Blanqui (?-1740) [cathédrale de Córdoba en Argentine].

3.5. LE BAROQUE AU PORTUGAL ET AU BRÉSIL

Au Portugal, il existe un type de façade baroque pour les églises, en largeur, avec des frontons ou des pignons ondulants et volontiers interrompus, le contraste entre le crépi blanc du mur nu et le granit des bandeaux soulignant baies et arêtes. Ce type connaît une fortune particulière dans le Nouveau Monde, au Brésil.
La mode de la céramique, de l'« azulejo » si chère au Portugal, se transporte aussi outre-Océan.
Au Portugal encore, l'art de cour, ou plus exactement l'urbanisme monarchique se manifeste avec éclat à la faveur d'une catastrophe, le tremblement de terre qui détruit Lisbonne en 1755 : le ministre Pombal veut de l'ordre et de vastes perspectives (place du Commerce).
Le domaine portugais, au Brésil, est très particulier. Pas de réminiscences précolombiennes, et une invention, tant dans le plan que dans l'articulation intérieure de l'église, si féconde, surtout au xviiie s., qu'elle s'apparente parfois au rococo germanique. L'essor artistique, ici plus tardif, date de la fin du xviie s., à la suite de la découverte de richesses minières prodigieuses (Minas Gerais). Les Portugais se soucient davantage de la beauté de leurs villes d'outre-mer (il y a dans l'ancienne capitale Salvador, à Recife, à Ouro Prêto un véritable effort d'urbanisme).
L'architecture rappelle d'abord celle de la métropole, puis raffine, fait onduler les murs, brise les arcs et les frontons, combine les ovales.
À l'intérieur, une sculpture sur bois délirante, la « talha », recouvre tout, faite de motifs tantôt naturalistes, tantôt abstraits.
À la fin du xviiie s. surgit un artiste indigène étrange et inspiré, l'Aleijadinho, à la fois architecte et sculpteur, apportant un témoignage ultime de la vitalité, mais aussi de l'autonomie de cet art baroque de l'Amérique latine qui, tant par le nombre que par la variété et parfois la qualité de ses productions, a conquis une place éminente.

4. LE BAROQUE D'EUROPE CENTRALE

L'autre grande aire d'expansion du baroque, celle d'Europe centrale, est encore plus diversifiée que le domaine ibérique. Là aussi des traditions locales et des conditions historiques interfèrent, expliquent les différences d'évolution.
L'ensemble le plus important est constitué par les territoires héréditaires des Habsbourg, l'Autriche et la Bohême. Dans le Saint Empire germanique, Bavière, Palatinat, restés catholiques, sont gagnés par le baroque, comme les principautés laïques ou ecclésiastiques de Souabe ou de Franconie, jusqu'au lac de Constance et avec des incursions en Suisse. Bien que protestante, la Saxe, dont l'Électeur est catholique, donne des gages au baroque, de même que la Pologne, très tournée vers l'Occident et Rome.
Les Pays-Bas catholiques, sous la domination politique de l'Espagne puis de l'Autriche, sont un cas à part, un des pôles du baroque international, puisque Anvers est la patrie de Rubens, dont l'importance se compare à celle du Bernin.

4.1. LE BAROQUE DES PAYS-BAS

Les Pays-Bas catholiques (Belgique actuelle), d'autant plus « romains » qu'ils sont en contact avec l'âpre essor protestant de la Hollande, sont une terre d'élection pour les Jésuites. Rubens est un de leurs protégés, tout comme le Bernin, et cela n'est pas sans rapport avec le succès de sa carrière internationale.

PEINTURE : RUBENS





Rubens doit beaucoup à l'Italie, mais il met au point, génialement, un art personnel par lequel il domestique l'histoire sainte et la mythologie en des compositions étonnantes de dynamisme. Peinture éminemment baroque, qui ne s'oppose pas pour autant aux conquêtes de la Renaissance et du maniérisme, mais prétend bien plutôt les compléter.

ARCHITECTURE

Imprégnées par le gothique flamboyant, les provinces de Flandre et de Brabant n'ont pas adopté telles quelles les formules italiennes de construction, mais ont cherché des compromis. Les églises construites alors, Saint-Charles-Borromée à Anvers, Saint-Loup de Namur, Saint-Michel de Louvain, Notre-Dame d'Hanswijk à Malines, gardent une partie de la structure gothique, l'élan en hauteur et l'étroitesse des vaisseaux à bas-côté, avec des façades où le type romain est curieusement comprimé en largeur pour paraître plus élancé et correspondre à la structure intérieure. Le décor sculpté est surabondant et manque de grâce.

SCULPTURE

À la fin du xviie s., les Pays-Bas s'endorment quelque peu, et les nombreux artistes formés dans leurs ateliers doivent s'expatrier pour trouver des commandes. Jusqu'à la fin du xviiie s., ils seront une pépinière de sculpteurs d'un remarquable savoir-faire, très marqués par Rome (où Duquesnoy fut un maître).
Restés dans leur pays, les Lucas Faydherbe (1617-1697), Artus Quellin le Jeune (1625-1700), Hendrik Frans Verbruggen (1655-1724) avaient mis au point un type de chaires à prêcher, dans lesquelles le goût flamand pour la nature se mêle au pathétique baroque en d'extraordinaires compositions où se tordent des branches et des racines encadrant des groupes pittoresques.

4.2. LE BAROQUE GERMANIQUE

La grande époque du baroque germanique est le xviiie s. Au siècle précédent, en effet, la guerre de Trente Ans épuise les ressources de tout le pays, et c'est seulement dans la dernière décennie qu'une intense fièvre de construire saisit abbés et évêques, princes petits et grands.
Cependant, séparée seulement par les Alpes, qui n'ont jamais dressé une barrière infranchissable aux courants artistiques, l'Italie a déjà pénétré les régions du Danube par l'intermédiaire de ses architectes et de ses décorateurs – Santino Solari ou Solario (1576-1646) à Salzbourg (cathédrale), Carlo Lurago (vers 1618-1684) à Passau (cathédrale), Enrico Zuccalli (vers 1642-1724) à Munich (église des Théatins). Le parti adopté pour ces édifices, variation sur le thème du Gesù de Rome, est repris par une école de maîtres maçons autochtones, dont le centre est situé dans le Vorarlberg (dans l'ouest de l'Autriche, près de la Suisse). Ils construisent des églises d'un bel équilibre intérieur, au décor en stuc un peu lourd (Obermarchtal en Souabe).
Dans les domaines des Habsbourg, la Bohême va montrer la voie.

PRAGUE





Dès la fin du xviie s., Prague devient une des plus prestigieuses villes baroques, tant par ses palais, où interviennent d'abord des Italiens (Francesco Caratti [actif entre 1652 et 1677] au palais Cernin), que par ses églises : le berninisme est introduit par un Bourguignon, Jean-Baptiste Mathey (vers 1630-1695) [église des Croisés à Prague et château de Trója].
Le grand créateur du baroque bohémien, Christoph Dientzenhofer, vient de Bavière ; ses deux frères Georg et Johann, son fils Kilian Ignaz comptent aussi dans l'histoire de l'architecture. Christoph Dientzenhofer conjugue les leçons de Guarini et de Borromini et tire des combinaisons ingénieuses et inédites du voûtement et de l'élévation de ses édifices, dont l'espace intérieur est diversifié à l'infini et assoupli par l'emploi préférentiel de la ligne courbe (Saint-Nicolas de la Malá Strana, à Prague ; église du couvent de Břevnov).
En province, un artiste curieux, Giovanni Santini Aichel (1667-1723), construit des églises d'abbaye et de pèlerinage, n'hésitant pas à reprendre la voûte à nervures.

VIENNE

L'autre capitale des Habsbourg, Vienne, une fois débarrassée de la menace ottomane, se couvre de palais et d'églises grâce aux talents rivaux de Johann Bernhard Fischer von Erlach (1656-1723) et de Johann Lukas von Hildebrandt (1668-1745), le premier plus hanté par la majesté de l'antique, comme dans la grande église votive de Saint-Charles-Borromée, le second plus mouvementé (palais Kinsky, Belvédère).
En province, les grandes abbayes se reconstruisent, et Jakob Prandtauer (1660-1726) dresse fièrement au-dessus du Danube la façade contrastée de Melk.
Si la peinture, à quelques exceptions près, n'est pas au niveau de ces créations architecturales, la sculpture par contre est représentée par des talents vigoureux et personnels, Ferdinand Maximilián Brokov (1688-1731) et Mathias Braun (1684-1738) en Bohême, G. Raphael Donner (1693-1741) en Autriche.

ENTRE LES ALPES ET LE DANUBE, ABBAYES ET ÉGLISES DE PÈLERINAGE





Au début du xviiie s., la Franconie (région aujourd'hui englobée dans la Bavière) profite de la leçon de la Bohême voisine. Johann Dientzenhofer (1663-1726) déploie, comme son frère, les arcs obliques, les triangles sphériques et les tribunes ondulantes à l'église abbatiale de Banz, tandis qu'au château de Pommersfelden il imagine l'escalier baroque le plus monumental avant ceux de B. Neumann.
Toute l'Allemagne du Sud entre Alpes et Danube se couvre alors d'églises, dont ces églises de pèlerinage qui adoptent volontiers des plans insolites, variations sur le plan centré, et des présentations intérieures spectaculaires. Les principaux créateurs sont les frères Asam, décorateurs plus qu'architectes (Weltenburg, Rohr, église Saint-Jean-Népomucène de Munich), Dominikus Zimmermann (1685-1766), introducteur avec son frère de motifs rococo à Steinhausen et à Wies, Johann Michael Fischer (1692-1766), plus sévère (Zwiefalten, Ottobeuren).
Mention spéciale à J. Balthasar Neumann, génial inventeur de formes (Vierzehnheiligen, Neresheim), dont l'œuvre civile est tout aussi importante (châteaux de Werneck et de Würzburg, escaliers monumentaux de Bruchsal et de Brühl).

RÉSIDENCES PRINCIÈRES

Le xviiie s. voit princes, laïcs et ecclésiastiques rivaliser pour se faire construire des résidences qui s'inspirent de Versailles, de Marly ou de Trianon, en vérité plus par le traitement du site que par la structure architecturale et le décor. C'est toutefois un homme de formation française. François de Cuvilliés (1695-1768), qui prend la première place à Munich auprès de l'Électeur de Bavière, important une rocaille exquise (Amalienburg à Nymphenburg, théâtre de la Résidence). Nicolas de Pigage (1723-1796) et Philippe de La Guêpière (vers 1715-1773), également de formation française, jouent le même rôle respectivement auprès de l'Électeur palatin et du duc de Wurtemberg.
Plus au Nord et à l'Est, la Saxe protestante présente ce paradoxe de posséder le plus baroque des ensembles d'architecture civile: le Zwinger à Dresde, dont Matthäus Daniel Pöppelmann (1662-1736) donna les plans et dont l'exécution est due pour une large part au grand sculpteur Balthasar Permoser.

EN POLOGNE

Un peu en marge de ce vaste domaine, la Pologne connaît les mêmes phases : au xviie s., introduction du berninisme romain, avec des Italiens comme Jan et Jerzy Catenaci et un Hollandais, Tylman z Gameren (vers 1632-1706). Au xviiie s., sous les rois saxons, les grandes abbayes se reconstruisent selon des modèles germaniques, et les magnats se font bâtir des résidences à la campagne. Les souvenirs baroques restent nombreux à Cracovie.

PEINTURE

Parmi les peintres, le seul digne d'être cité a transposé Tiepolo dans une gamme acide, c'est l'Autrichien Franz Anton Maulbertsch. En réalité, la médiocrité des fresquistes rococo se fait oublier dans la symphonie créée par les lignes ondulantes de l'architecture, les jeux complexes des ornements de stuc, des statues, des colonnes et des balustrades. Et tout cela dans la clarté que les larges et hautes baies diffusent sur les couleurs tendres, rose, vert pâle et bleu azur d'un monde où la mystique se veut allègre, et qui évoque, pour le fidèle émerveillé, plus l'Église triomphante du paradis des saints et des anges que l'Église militante et souffrante.

5. L'EUROPE « ANTIBAROQUE »

Il serait injuste de limiter le baroque aux seules terres où il a maintenu fermement son emprise pendant deux siècles.

5.1. FRANCE





Il existe une France baroque, déjà sous Louis XIII, dans la peinture, avec Simon Vouet, et dans la sculpture (Sarazin, les Anguier) plus que dans l'architecture, où le besoin du raisonnable se satisfait mieux des règles catégoriques du classicisme. Les rapports avec l'Italie sont constants, et Mazarin attire beaucoup de compatriotes. Le Mansart de la Visitation et du Val-de-Grâce, à Paris, est certes baroque, tout comme Le Vau au Collège des Quatre-Nations (Institut).
Dans la sculpture, le courant baroque resurgit, puissant, à la fin du xviie et pendant la première moitié du xviiie s., avec Coustou, Lemoyne, Adam, Slodtz, Pigalle ; un des plus grands artistes baroques, Puget, voit ses œuvres admirées à Versailles, et aux meilleures places.




En peinture, JouvenetA. Coypel, Boullongne, F. Le Moyne, Van Loo font de la grande ou moins grande peinture baroque, et même Le Brun dans son génie souple et multiple, dans son imagination dynamique mérite le titre de baroque.
Quant à l'art rocaille qui règne en France jusqu'au milieu du xviiie s., il ressortit au système baroque, et montre que la France, soi-disant cartésienne, n'est pas toujours rebelle à l'effusion et à la fantaisie.

5.2. HOLLANDE ET ANGLETERRE





On trouverait sans peine des traces du baroque, et même davantage, dans les monuments et les œuvres de pays qui se sont gardés d'une forme d'art venue de la Rome papiste, à savoir la Hollande et l'Angleterre. Protestante et puritaine, cette dernière est peut-être celle qui résiste le plus à la pénétration du baroque, dont elle accueille toutefois quelques œuvres : les plafonds de la salle des Banquets de Whitehall sont commandés à Rubens, après que l'architecture du bâtiment a été confiée au très classique Inigo Jones.
Après l'incendie de Londres de 1666, sir Christopher Wren reconstruit 51 églises aux plans très inventifs et aux clochers évoquant le style de Borromini, et, de 1675 à 1710, il élève la nouvelle cathédrale Saint-Paul, dont les lignes générales et l'espace intérieur rappellent, avec plus de modération, ceux d'églises romaines.

5.3. PRUSSE

La Prusse, qui sous Frédéric II le Grand (1740-1786) se livre à la « francomanie », est trop proche du domaine baroque pour ne pas être touchée ; en vérité, le sculpteur-architecte de Frédéric IerAndreas Schlüter , est un des grands artistes baroques du temps, et Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff (1699-1753), ailleurs de tendance palladienne, construit pour Frédéric II le château de Sans-Souci dans le meilleur goût rococo.

5.4. RUSSIE

Enfin, à l'est, la Russie accueille Bartolomeo Francesco Rastrelli (vers 1700-1771), architecte italien qui sans trop de peine adapte le baroque à l'architecture des tsars (palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg, monastère de Smolnyï).
Une grande partie de l'Europe a donc subi la loi du baroque, système d'idées et système esthétique qui ne cédera qu'à l'apparition de l'esprit de contestation expérimentale, donc de recherche de nouvelles valeurs, dans la seconde moitié du xviiie s.
Mais il est assez paradoxal à première vue que cette mentalité qui se prétend révolutionnaire suscite, plutôt qu'une mutation dans le système des arts, la reprise d'un classicisme refroidi dans la tyrannie de ses règles et qui peine à se revivifier dans l'archéologie des « antiquaires ».

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