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dimanche 10 mai 2020

FRANCIS SCOTT FITZGERALD (1896-1940): Prabusirea

Résultat de recherche d'images pour "fitzgerald L'Effondrement"Résultat de recherche d'images pour "fitzgerald L'Effondrement"www.comptoirlitteraire.com André Durand présente Francis-Scott FITZGERALDwww.comptoirlitteraire.com







"L'Effondrement" de Francis Scott Fitzgerald, une certaine touche de désastre.








Parue initialement en 1936, la nouvelle autobiographique The Crack-Up, traduite ici par L’Effondrement (1) et plus connue sous le titre français La Fêlure, est le témoignage d’un écrivain à la dérive, miné par l’alcool et les échecs ; quelques-unes des pages les plus déroutantes sur l’impossibilité d’écrire – entre froideur clinique et grâce désenchantée : une certaine touche de désastre.


« De toute évidence, vivre c’est s’effondrer progressivement. »


Sous la pression du rédacteur en chef d’Esquire, Fitzgerald à quarante ans lorsqu’il rédige ce texte. Vingt ans auparavant, son premier roman, L’Envers du Paradis, le propulse au devant de la scène littéraire et fait de lui le représentant de la Génération Perdue, coïncidant avec l’Ère du Jazz – Années Folles en France, où il émigre très vite avec sa femme Zelda, dont les excentricités contribuent à entretenir la légende du couple embarqué dans le vertige de l’époque.


Le gin coule à flot, les premiers symptômes de schizophrénie se font ressentir chez elle et les fêlures liées à l’adolescence font peu à peu surface chez Scott. En 1925, les ventes de « Gatsby le Magnifique » sont décevantes, malgré un certain succès critique ; les excès se paient au prix fort, les déconvenues sont cuisantes, les violences et les humiliations se succèdent, comme un écho à cette Amérique de 1929 en proie à la Grande Dépression, Scott épouse les inflexions du siècle. Tendre est la Nuit (1934), son dernier roman achevé, parait dans une quasi indifférence et quand il meurt en 1940, ses livres sont introuvables. Zelda, quant à elle, périra dans l’incendie de l’hôpital psychiatrique qui l’accueillait, huit ans plus tard.


Criblé de dettes, contraint de produire des scénarios pour Hollywood qu’il exècre, il aura parallèlement écrit des centaines de nouvelles pour des revues toujours plus réticentes à payer ; des nouvelles inégales, certes, au regard de la quantité publiée par nécessité, mais dont le charme si particulier et la justesse de ton n’ont rien de secondaire au regard des romans. Et toujours cette « touche de désastre », selon ses mots, qui perce à travers un propos d’apparence légère, comme une marque de fabrique ; cette touche Fitzgerald, à la fois troublante et insaisissable ; vision double et simultanée du cœur de la fête et de l’endroit où se placerait l’observateur qui en serait définitivement – voire intrinsèquement – exclu.


« Il va de soi que la pratique de notre métier nous laisse éternellement insatisfait – mais, pour ma part, je n’en aurais choisi aucun autre. »


L’Effondrement revient sans fard, en quelques lignes, sur tous ces épisodes marquants. Episodes derrière lesquels on perçoit ce sourire brisé, immortalisé sur quelques photographies. Fitzgerald n’a pas pris la peine de coder, et pour qui connaît vaguement le parcours de l’écrivain, les renvois à Zelda, Scottie ou à Hemingway sont évidents. Le texte est cru, ironique, presque moqueur à son endroit.


On a surtout retenu de Fitzgerald les extravagances éthyliques et sa fascination pour l’univers des riches. Mais entre ça et l’enfant du Middle-west, effrayé à l’idée de se retrouver dans un « asile des pauvres », il y a avant tout un homme pour qui la littérature est au-dessus de tout. Son constat d’impuissance à écrire est un aveu d’autant plus déchirant que, quatre années avant la fin, l’espoir d’un retour en grâce ne semble pas tout à fait vaincu.


Fitzgerald règle alors ses comptes avec le monde dans une vaine tentative de se débarrasser des peaux mortes, de faire table-rase. Les regrets de ne pas avoir participé à la Grande Guerre et son exclusion de l’équipe de football de Princeton l’auront hanté toute sa vie. À l’image de ses héros propulsés dans des cercles élitaires pour en être rejeté avec encore plus de force, Fitzgerald a été dévoré par la peur de l’exclusion aussi bien qu’obsédé par le désir « d’en être » – pas assez pourri et encore trop moral, tout lui a fatalement très vite claqué entre les doigts.


L’intelligence de premier ordre parvient à faire coexister dans son esprit deux idées contraires, dit-il, en parlant d’un constat désespéré que l’on ne renonce pas à vouloir changer. De même, sa conscience aiguisée de la supercherie lui donna la constante impression d’être lui-même un imposteur. Il fut un imposteur raté.


« Or lors d’une vraie nuit noire de l’âme il est toujours trois heures du matin, jour après jour. »


Impitoyable avec lui-même, la culpabilité l’assaille. Le texte « Veiller Dormir », écrit en 1934 et placé en ouverture de cette présente édition, éclaire remarquablement « L’Effondrement ». Sur un ton presque détaché, voire humoristique, Fitzgerald évoque comment l’insomnie s’est une nuit installée dans sa vie. À l’heure où les déceptions refont surface et où l’esprit en roue libre interdit toute possibilité d’apaisement, l’homme devient fantôme, étranger au monde et à lui-même, happé dans une dimension parallèle, irrémédiablement seul avec ses remords, en face-à-face avec le temps gâché à se répandre. Incapable de saisir le présent, les ressorts sont usés et la vitalité nécessaire pour écrire se dissipe dans une déréalisation totale.


Comme Josef K. que l’on égorge « comme un chien » à la fin du Procès, Fitzgerald finit par se comparer à un animal domestique, en réclusion volontaire, prêt à vivre en connaissance de cause : de même que le Boom économique déboucha sur le Krach de 29, le bonheur – qui pour lui est synonyme de talent – ne peut être que contre-nature. « Krach » et « Crack-up » sonnent alors comme des réparties, des représailles, liées à des anomalies de parcours.

« Ces moments ne coïncideront pas, cela va de soi, avec le sourire. Celui-ci sera réservé exclusivement à ceux dont je n’ai rien à gagner, les personnes âgées et épuisées ou les jeunes gens qui luttent. »



Une poignée d’années plus tard, Dorothy Parker aurait scandé devant son cercueil cette oraison funèbre destinée à Gatsby et que Fitzgerald définissait comme son ainé : « poor son-of-a-bitch, poor son-of-a-bitch… »


Ou quand l’homme rejoint l’œuvre.

Arnault Destal



(1) La traductrice Elise Argaud, a choisi pour le texte L’Effondrement de conserver le premier paragraphe traduit par Cioran dans ses Exercices d’Admiration, d’où le choix du titre. Les textes originaux en anglais ont été conservés en regard.


Francis Scott Fitzgerald, L'Effondrement, Rivages Poche « Petite Bibliothèque », février 2011, 89 pages, 5 euros
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A l'occasion d'une nouvelle traduction de The Crack-Up, Frédéric Beigbeder rend hommage à Francis Scott Fitzgerald.

Depuis que ses droits sont tombés dans le domaine public, tout le monde joue à retraduire Fitzgerald ; c'est devenu le sport à la mode en France. C'est ainsi que Julie Wolkenstein a décrété que Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby) devait s'intituler Gatsby tout court. Et à présent une certaine Elise Argaud a décidé que The Crack-Up ne signifiait plus La fêlure mais L'effondrement (chez Rivages Poche). Pourquoi pas ? Retirons nos oeillères intégristes. Quelqu'un qui aime The Crack-Upne pourra jamais être une ennemie. 
The Crack-Up, ce sont trois articles commandés par la revue Esquire et publiés en février, mars et avril 1936. A ma connaissance, c'est la première fois au monde qu'un homme brisé par l'alcool avoue publiquement, dans un magazine, son intoxication, sa dépression et son incapacité à désirer, donc à écrire. C'est une lettre d'adieu absolument désespérée. Sa parution fit scandale : les Américains furent choqués d'être confrontés avec une telle impudeur à la déchéance de leur icône des années folles. 
La dépression économique de 1929 entraîna chez Scott une autre dépression, nerveuse celle-là. La fêlure est le récit de son naufrage. Dans sa jeunesse, Fitzgerald avait tout prévu de sa vie future. Il rédigeait son propre avenir, quand il se riait des gens ruinés. Le malheur est prévisible, ce qui ne l'empêche pas d'arriver. L'incipit est célèbre : "Of course all life is a process of breaking down" ("Toute vie est bien entendu un processus de démolition" dans la célèbre traduction de Dominique Aury ; "De toute évidence, vivre c'est s'effondrer progressivement" dans la nouvelle traduction d'Elise Argaud). La fêlure raconte pourquoi et comment le grand écrivain du New York des années vingt se retrouve pauvre et démoli à Hollywood, deux décennies plus tard. La destruction s'est faite en quatre étapes : permettez-moi de vous les proposer... 
La fêlure : mode d'emploi  
1) Flambez, vivez au-dessus de vos moyens, dilapidez l'argent sans penser au lendemain. 
2) Buvez jusqu'à tomber par terre tous les soirs. 
3) Utilisez vos frustrations de jeunesse comme source d'inspiration (votre exclusion du Triangle Club de Princeton, votre râteau avec Ginevra King, la conquête difficile de Zelda Sayre) : vous les verrez revenir dans votre figure, vingt ans plus tard, avec une délectable violence. 
4) Travaillez dans le cinéma : "Déjà en 1930, j'avais eu l'intuition que le cinéma parlant rendrait même le romancier qui se vendait le mieux aussi archaïque que le cinéma muet." 


Peu importe l'inégale qualité des traductions. L'important est de lire Scott Fitzgerald au lieu de regarder TF1. Les grands écrivains paient cash leur ticket d'entrée au club. Les déconneurs sont fragiles : l'un des chapitres de La fêlures'intitule "Handle with care". C'est la formule qu'on inscrit sur les cartons de vaisselle (fêlée ou non) lors des déménagements. J'ai lu quelque part que Fitzgerald voulait intituler ses carnets Diary of a literary failure ("Journal d'une faillite littéraire"). C'est le seul point sur lequel il manquait de lucidité. Sa destruction personnelle a au contraire contribué à ce que son art lui survive. 

26 septembre 2012
«So there was not an «I» any more-not a basis on which I could organize my self-respect-(...)»

    Vous souffrez d’insomnie et, peu à peu, nuit après nuit, comme au milieu d’un ouragan muet ou au cœur d’une tornade silencieuse qui vous ravage extérieurement et intérieurement, sous vos pieds, le sol vacille, se fendille, ouvrant des brèches qui avalent des morceaux de votre décor tout en en faisant saillir d’autres venus du dessous. Plus gravement, le je et son socle se craquèlent:la statue vivante sonne faux ou vide. Ça craque. Et pourtant tout a commencé bien avant l'effondrement.
    C’est ce qui arriva à Scott Fitzgerald qui en décrivit les étapes et les états en de petits textes confiés en 1934 puis 1936 au magazine ESQUIRE. Crack-up ici est traduit par l’effondrement ; d’autres ont proposé La Fêlure ou encore Craquer (1).

   Fitzgerald a des dettes, il n'a plus le succès de la décennie précédente, il boit beaucoup; Zelda penche vers la schizophrénie. C'est ce que tout préfacier raconte. Fitzgerald ne le dira pas, du moins pas directement. Gingrich, rédacteur en chef d’ESQUIRE, lui rend visite et lui réclame de la copie. Scott Fitzgerald lui répond :"Je vais écrire tout ce que je peux écrire sur le fait que je ne peux pas écrire."(2) C'est ce qui va s'appeler THE CRACK-UP.(3) L'écrivain  fera souvent référence à sa montre : c'est pour indiquer à quelle pression il doit obéir pour rendre "sa copie" à ESQUIRE. Jamais ici il ne tirera à la ligne.

    Comment écrire quand on n'en a plus ni la force, ni l'envie? L'auteur de GATSBY va écrire sur cette fissure qui s'élargit et qui, paradoxalement, ouvre encore (à) l'écriture comme le montra  Deleuze. Ecrire sans défaillir ; dire la faille, la décrire, écrire le long de cette faille qu’élargit encore un peu l’écriture.


   Ecrire son auto-portrait en assiette fêlée ou en chien devenu méchant.

  A première lecture, le premier texte (celui de 1934), SLEEPING AND WAKING est tout bonnement drôle et ne fait presque rien redouter, en tout cas au début : Fitzgerald pense que ses premières nuits d’insomnie sont dues à un combat contre un moustique dont il raconte l’épique poursuite, la stratégique contre-attaque puis la victoire à la Pyrrhus. Il narre aussi avec humour ses débuts de nuit, ses rites pour faire venir le sommeil, enfin son premier endormissement. Puis c’est l’éveil et s'ouvre «la véritable nuit»: « l’heure des ténèbres, est entamée.» Dès lors s'élaborent les tactiques défensives : aller faire un tour, éviter de lire, avaler du luminol, se raconter des histoires du passé, rêvasser pour revenir dans le sommeil...: à Princeton, on lui confie le poste de quaterback ; pendant la guerre, les Japonais ont envahi le... Minnesota et le capitaine Fitzgerald ...Non... ces scénarios (qui ont eu leur efficacité) sont usés. Lentement, cette usure va faire partie du crack up et prendra une importance qui ne sera sensible qu’à la fin de la dernière «chronique», HANDLE WITH CARE...Lentement, la fissure s'élargit. Au départ, dans l'enfance et l'adolescence, un gars de Baltimore s'imagine en statue vivante.
  Comme les rêveries ne fonctionnent plus, c’est alors l’acmé de l’insomnie, «l’éternel tremblement au bord d’un précipice ("abyss")»: comme s’il était déjà en Enfer, incapable de revenir à la vie, il subit l’assaut du «perdu», du «disparu», du «dissipé», de "l’irrécupérable», des remords, des reproches (avec cette phrase qui prépare inconsciemment les textes suivants : «Je n’aurais pas dû me briser moi-même en essayant de briser ce qui ne pouvait l’être.»). Viennent heureusement le sommeil et de beaux rêves souvenirs.

    Deux ans après, THE CRACK-UP proprement dit est publié en trois temps : en février, puis mars et enfin avril 1936. Il prolonge le texte précédent, l’approfondit, suit, poursuit la ligne de faille.
    L’attaque est célèbre, les traductions françaises mettent en valeur sa dimension implacable et irréfutable (Of course life is a process of breaking down(...)». On comprend que le mot process va s’appliquer aussi à son introspection.
  L’évocation prend dès lors un ton plus grave. Progrès du «process». Longtemps, dans le grand écart de la vie, il parvint à surmonter les contradictions. Il allait de l’avant, "comme une flèche lancée de néant en néant". Puis ce furent la fissure, la fêlure, enfin la faille qu’il écarte encore à mains et cœur nus. L’insomnie n’était qu’un aspect de la crise. Le moustique ne fait plus rire.
 
 Sans outrance, sans impudeur, fort de la conviction qui frappe l'incipit de THE CRACK-UP, Fitzgerald examine sobrement les coups extérieurs, les attaques de la vie (l’attente vaine de l’aubaine) mais profondément suit la ligne de fracture intime.

  Sous l’apparence d’une improvisation, il évoque logiquement les signes de la crise, la crise proprement dite puis la cassure qui l'attaque encore... Pour finir, une grimace d’adieu en forme d’appel au secours qui se sait sans écho.
 
  Sans insister Fitzgerald décline ses symptômes : un désir soudain de solitude et de silence, une sensation de fatigue, le refus de penser, la pratique de listes, la prise de conscience de la comédie sociale (du comme si). Tout lui pèse, lui coûte. Il devient amer, irritable, ne supporte plus grand-monde, ressent même de la haine ; il n’a que faire d’une comparaison avec le grand Canyon sous l’égide de Spinoza : Schopenhauer, mieux venu, ne l’aurait pas plus aidé.
  Autour de lui on a beau faire : la vitalité perdue ne revient pas sur commande.
 
  Il ne laisse pas d’illusions sur les solutions : il est inutile de penser à plus malheureux que soi : «Mais à trois heures du matin un paquet oublié acquiert la même importance tragique qu’une sentence de mort et le remède ne fait aucun effet- or lors d’une vraie nuit noire de l’âme il est toujours trois heures du matin, jour après jour.»(j'ai souligné) Inutile aussi de confondre dépression et découragement.
 
  Soudain, paradoxalement, au cœur d’une accalmie, c'est le moment du retour de souvenirs connus, vieux de quinze ou vingt ans qui en disent de plus en plus long: la petite strie de l’affaire du quaterback a pris une plus grande dimension et se transforme en la craquelure d'une maladie survenue pendant les études qui le prive de... médailles et d'aptitude à la domination personnelle. Un autre souvenir surgit des lézardes de sa mémoire : un histoire très personnelle où amour et argent se mêlent.
  C’est alors, dans le silence, l’effondrement, la crise. The crack-up. Tout ce qui le tenait debout, ce à quoi il croyait est balayé. Tout fuit. Il commence par son art : une certitude le détruit. Hollywood va asservir la littérature. Ensuite il examine tout ce qui a servi à construire la statue intérieure Fitzgerald, tous ces emprunts qui en ont édifié le socle. Au plan de la réflexion, il dépendait d’Edmund Wilson, il lui faisait confiance en tout ; dans la vie, un homme lui servait de modèle d’action ; il imitait un autre durant les pannes d’écriture ; un quatrième le guidait dans ses relations avec les autres ; en politique, après un long éloignement, il suivit les opinions d’un jeune homme. Une tête épuisée, vacante, comprend qu'elle n'est rien et qu'elle ne sait penser qu'à son lourd passif et à son passé d'illusions. C'est l'épreuve du vide.
 
  Réfugié dans un motel, il cherche à comprendre ce qui lui est arrivé et ce qu'il peut faire. Il rêve d’une rupture sans retour, un «clean break» sous forme de rejet de sa comédie sociale et morale, de repli cynique, de refus du gaspillage. Comédie pour comédie, il adopta un certain sourire (merveilleux passage où Fitzgerald nous dit qu'il sait toujours écrire:«Et puis le sourire - j'allais me confectionner un  sourire... J'y travaille toujours. Il s'agissait de réunir toutes les qualités d'un gérant d'hôtel, de la vieille fouine experte en relations sociales, d'un directeur d'école le jour des visites. d'un liftier de couleur, d’une tapette faisant des mines, d'un producteur achetant la marchandise à moitié prix, d'une infirmière diplômée prenant un nouveau poste, d'une prostituée sur sa première rotogravure, d’un figurant plein d’espoir passant près de la caméra, d’un danseur classique ayant un orteil infecté, sans oublier bien entendu le sourire épanoui de bonté commun à tous ceux qui, de Washington à Beverly Hills, n'existent que grâce à cette mine de clown difforme.»), il travailla sa voix pour faire bien entendre son indifférence aux autres. Un masque est tombé: il en fabrique un autre. La statue fracturée et vide s'est écrasée sur l'idéal : le passage est douloureux parce que naïf et infantile - Fitzgerald le sait bien qui fait justement une comparaison avec un enfant. Il n'a jamais été le héros complet dont il rêvait : "le vieux rêve d'être un homme complet dans la tradition de Goethe-Byron- Shaw, doté d'une opulente touche américaine, une sorte de combinaison de J.P. Morgan, Topham Beauclerck et saint François d'Assise, a été relégué dans le tas de vieilleries à jeter-épaulettes portées un jour sur le terrain de football à Princeton et casquettes de régiment jamais portées en Europe."....

    La fin est poignante sans emphase: entre ironie et auto-ironie, entre sarcasme et rabaissement de soi, il parle du bonheur enfui qui n’est qu’une exception et qu’il ne pouvait communiquer à personne mais le distillait en fragments au fil de petites lignes dans les livres..

    Pour frôler parfois des abîmes aux échos proches, Fitzgerald n’a rien d’un romantique : le noir chez lui ne se claironne pas en faisant traîner la note interminablement. Pour dire la souffrance, la nuit noire de l’âme, «la fuite» de «son enthousiasme et de sa vitalité», pas de symphonie. Un ton léger et grave, des changements soudains de registre. Des images prosaïques empruntées à l’économie (la fin des petits commerces), à la banque, au krach de 1929. Une façon de se minorer qui vous fait vous pencher pour écouter un texte immense sur l'évitement de la pensée, la fatigue du penser, sur les retards de la conscience, sur l'enfance indestructible, la futilité et le gaspillage et la seule passion, l'écriture qui, dans l'immolation de soi-même, est presque encore un bonheur....(4)

Rossini, le 30 septembre 2012

NOTES
(1)Rappelons l'anecdote que cite l'édition folio :" Arnold Gingrich, rédacteur en chef d’Esquire, a raconté à Sheilah Graham, qui le rapporte dans son livre, Beloved Infidel, comment Scott Fitzgerald a écrit La fêlure. “Je suis allé voir Scott à Baltimore, à la fin de 1935, pour lui demander pourquoi il ne nous envoyait plus d’articles.” Scott, malade, en proie à l’alcool, lui répondit : – C’est que je ne peux plus écrire. Arnold lui dit : – Scott, il me faut un manuscrit de vous. J’ai les administrateurs du journal sur le dos. Ils veulent savoir pourquoi nous vous payons. Même si vous remplissez une dizaine de pages, en recopiant “Je ne peux pas écrire, je ne peux pas écrire, je ne peux pas écrire”, cinq cents fois, je pourrai au moins dire qu’à telle date nous avons reçu un manuscrit de F. Scott Fitzgerald.– C’est bon, répondit Scott. Je vais écrire tout ce que je peux écrire sur le fait que je ne peux pas écrire. Ce fût La Fêlure. ” (La Fêlure, traduction D. Aubry et pour les nouvelles de S. Mayoux)." On a vu que S. Fitzgerald joue avec l'idée de commande pressante.

(2) Pierre Guglielmina dans UN LIVRE A SOI aux BELLES LETTRES (en 2011).

(3) Texte commenté jadis de façon étourdissante par G. Deleuze en appendice à LOGIQUE DU SENS.




La liste magnifique
Les 22 livres à avoir lu au moins une fois dans sa vie selon Francis Scott Fitzgerald

L'écrivain culte a marqué de sa plume flamboyante les années de l'Amérique triomphante puis décadente. À jamais apparenté à son personnage passionné et déchiré de « Gatsby Le Magnifique », Francis Scott Fitzgerald a livré , quelques années avant sa mort et durant une convalescence prolongée, les œuvres « essentielles » à une survie intellectuelle.

Publié le JEUDI, 30 MARS 2017

par Claire Bonnot

© AFP Leemage


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