Le Caravage, baroque et révolté
Michelangelo Merisi, surnommé Le Caravage, n’a pas encore 20 ans lorsqu’il décide de fuir sa Lombardie natale pour s’installer à Rome. Formé à l’école milanaise, ce jeune artiste a déjà un certain penchant pour la provocation, et va prendre le contrepied de cette nouvelle dynamique si chère à l’église catholique vouée à éveiller l’imagination et la fantaisie.
Nous sommes à la fin du XVIe siècle, époque des prémices de l’art baroque. Peu réceptif à ce style quelque peu ampoulé, le Caravage préfère miser sur l’intransigeance et le naturalisme. Deux caractéristiques qui vont transpirer dans ses œuvres et toucher en plein cœur la société bourgeoise et protestante de l’époque.
Et le clair-obscur fut
Plus de 400 ans ont passé depuis sa mort et pourtant, le Caravage reste un maître contemporain. Les toiles de ce génie romantique et dissipé ont cette particularité d’être frappées par l’évidence. Sous son pinceau, les personnages surgissent systématiquement d’une pénombre oppressante vers la lumière. Une lumière à la fois directe et divine qui gênait profondément l’Église, criant à la profanation lors de la « sortie » de Mort de la Vierge (1606), un tableau sublime, peut-être le plus beau du XVIIe siècle, aujourd’hui exposé au Louvre et sur lequel le peintre italien eut l’audace de dépeindre le corps de la Madone en femme agonisante, les pieds nus et le corsage entrouvert. Cette représentation, clairement irrévérencieuse au regard des canons religieux de l’époque, était pourtant totalement assumée par l’artiste qui, de toute manière, ne supportait pas les images maniérées de la Renaissance…
Malgré une vie courte (il décède à l’âge de 37 ans) et scandaleuse à bien des égards (quand il ne peignait pas, il enchaînait rixes et séjours en prison ; il fut même accusé d’assassinat sur un compagnon de jeu), le Caravage a transmis un héritage immense à la culture artistique européenne.
De cette personnalité extravagante et précoce, on recense aujourd’hui 70 toiles de par le monde, parmi lesquelles ses premières œuvres de jeunesse, essentiellement des natures mortes, tel Le panier de fruits, un tableau à travers lequel le peintre déclare déjà sa flamme au réalisme. Mais plus que ses portraits ou ses scènes de genre, qu’il réalise pour des mécènes, c’est à travers des sujets religieux et bibliques que le génie bâtit sa célébrité et sa réputation, puisque bon nombre de ses peintures sont refusées, jugées trop réalistes et donc blasphématoires par les commanditaires.
Seul sur une plage
À l’âge de 27 ans, on lui confie sa première commande prestigieuse pour l’église Saint-Louis-des-Français de Rome : trois grands tableaux racontant l’histoire de Saint-Matthieu, qu’il réalise de manière magistrale, notamment avec La vocation de Saint-Matthieu. Par ses effets de lumière qui éclairent seulement les visages, par ce dialogue muet des regards entre Le Christ et Matthieu, tout confère au chef-d’œuvre. Il en signera bien d’autres, comme la Mise au tombeau, qu’il peint pour Santa Maria in Vallicella, et qui est aujourd'hui exposé au musée du Vatican.
Contraint de fuir Rome en raison d’une condamnation à mort par décapitation, il passe les dernières années de sa vie à vagabonder, de Naples à l’île de Malte, en passant par Messine et Palerme, en Sicile. Autant de lieux où le Caravage ne cesse de peindre. Il explore une approche plus méditative et ténébreuse, offrant ses tableaux aux Églises, parvenant parfois à les vendre à des particuliers à prix élevés afin de s’acquitter de ses dettes. Alors qu’il tente de retourner vers la ville éternelle, il embarque sur un navire et se mêle à une bagarre lors d’une escale à Porto Ercole. La légende raconte qu’il fut blessé et jeté en prison pour quelques jours. Remis en liberté, il meurt seul et malade, sur une plage déserte de Toscane.
Le maître de la provocation
De son vivant, sa peinture est admirée, adulée même. À tel point que dès la première moitié du XVIIe siècle, de nombreux artistes italiens (Orazio et Artemisia Gentileschi), hollandais (Dirck van Barburen) ou encore français (Georges de la Tour), s’en inspirent. Son art trouve grâce auprès des nombreux peintres de passage à Rome, comme Rembrandt, Ribera ou Velasquez.
Peignant à la manière de leur idole, ces successeurs ont d’ailleurs créé un genre artistique à part entière, que l’on appelle le Caravagisme. Finis les dieux, la nudité conventionnelle, les héros de l’Antiquité, il s’agit de représenter la réalité telle qu'elle est. L'usure des vêtements, le poids du temps sur les visages, la saleté d'une taverne : le Caravagisme peut se lire aujourd’hui comme une provocation, mais aussi comme un retour à une représentation plus naturelle de la vie.
Au XXIe siècle, c’est plutôt dans l’univers de la photographie et du cinéma que l’on trouve des artistes reconnaissant l’influence de Caravage dans leurs travaux. Il suffit de revoir Main Streets de Martin Scorsese, Le Parrain de Francis Ford Coppola ou le plus récent Intersellar de Christopher Nolan pour retrouver des hommages aux techniques de celui qui reste le maître incontesté du clair-obscur.
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