JEUDI 26 FÉV 2015
La vraie leçon du Komintern
Couverture du livre du colonel Rezanoff
Alors que le communisme d'hier se voulait officiellement
international, il nous administrait quand même la preuve d'un certain nombre de
réalités dérangeantes pour son idéologie. Depuis cette époque, celle la
révolution russe de 1917, près d'un siècle s'est écoulé et l'Histoire les a
cruellement confirmées.
Le régime totalitaire naissant allait très rapidement conduire au
"chauvinisme de grande puissance" qui, pour certains, caractérisa le
schisme sino-soviétique. À la vérité l'expression apparaît dès octobre 1922
sous la plume de Lénine lui-même. (1)⇓
Fondateur du système celui-ci peut être crédité d'un certain nombre de
crimes, mais pas de celui-là : il dira, au contraire, et jusqu'au bout, de
manière provocante, qu'il "crache sur la Russie".
Au lendemain de la révolution bolchevique de 1917, Lénine et ses
adeptes entreprirent, par ailleurs, la liquidation de la Deuxième
Internationale. Les communistes prétendirent lui substituer une "Troisième
Internationale", plus "internationaliste" encore.
L'abrégé russe s'imposera très rapidement sous le nom de
"Komintern". (2)⇓
Les socialistes devinrent dès lors les premiers ennemis du communisme,
à la fois parce qu'ils acceptent le cadre de la démocratie bourgeoise ‑ à
laquelle Lénine oppose la dictature du prolétariat, - et, corollaire, parce que
les socialistes ont accepté de se comporter en patriotes dans chacun des pays
entraînés dans la première guerre mondiale.
Très rapidement "l'Internationale" se révèle une
organisation centralisée. Dirigé depuis Moscou, le Komintern va devenir un
instrument du pouvoir soviétique, avant de se révéler une succursale de ses
services spéciaux.
Documents à l'appui le colonel Rezanoff donnait de manière
prophétique, dans un petit livre intitulé "le Komintern" (3)⇓,
l'alerte aux Occidentaux. Il le fait autour de la conférence de Gènes de 1922.
Ce fut aussi la première étape de l'application en Europe d'un plan cynique,
concrétisé par l'accord de Rappallo. D'inspiration non plus strictement
marxiste mais géopolitique, il était conçu dans la nouvelle ligne de la
prétendue Internationale, ce que nous devons appeler la "ligne
Radek". (4)⇓
Celle-ci apparaîtra, en fait au lendemain de ce que les Polonais
appellent le miracle de la Vistule d'août 1920. Jusqu'à cette bataille décisive
les bolcheviks imaginent exporter leur révolution en occident, et triompher
rapidement. C'était la "ligne Zinoviev". En Hongrie (mars-août 1919)
comme en Bavière (avril-mai 1919) la dictature passagère des
"conseils" avait laissé de forts mauvais souvenirs. Mais l'heure est
encore aux espérances occidentales et particulièrement allemandes. En 1914
Trotsky avait souligné ce point essentiel : les révolutionnaires de Russie se
considéraient comme "redevables — et combien ! — à la Social-démocratie
allemande. Nous sommes passés par son école et avons tiré enseignement de ses
succès et de ses fautes. Pour nous, elle n’était pas un des partis de
l’Internationale, mais elle incarnait le 'Parti' tout court." (5)⇓
Ancien procureur de la Russie impériale, Rezanoff démonte déès lors la
logique totalitaire implacable dans laquelle se sont engouffrés, dès le départ,
Lénine, ses adeptes et ses successeurs. On pouvait donc le savoir dès 1922, ce
qui souligne et dénonce l'aveuglement complice de nos dirigeants.
La conclusion de "l'entreprise" léniniste, foi nouvelle
totalitaire, ne pouvait conduire qu'à une volonté de conquête de l'empire du
monde. Jules Monnerot, fondateur trop méconnu de la pensée sociologique
française l'associe à ces traits de "religion séculière" … que le
marxisme-léninisme du XXe siècle emprunta à l'islam conquérant des origines.
En dépit de l'affaiblissement considérable de la Russie par rapport à
ce qu'avait été l'URSS, l'ombre de cette conception plane encore sur les
centres du pouvoir moscovite. Elle est basée sur la quête, impossible en raison
des faiblesses économiques de cet immense territoire, d'une égalité avec les
États-Unis.
Dans ma jeunesse, dans les années 1950 à 1970, toute personne sensée
l'avait sans doute compris. Le mouvement communiste avait cessé depuis
longtemps de pratiquer vraiment aussi bien l'idéal "d'amitié entre les
peuples", slogan dérisoire pour plaques de rues dans la banlieue rouge,
que la référence prolétarienne dont il se revendiquait encore. Ou plus
exactement si de tels slogans fonctionnaient, ils ne servaient qu'à sens
unique, dans le sens et au seul profit de l'impérialisme soviétique.
On l'a mesuré de manière totalement évidente en Europe à partir de
1956, année où Khrouchtchev écrasa dans le sang les aspirations à
l'indépendance du peuple hongrois. André Malraux, ancien adepte du Komintern,
auquel on reprochait de s'être éloigné de ses écrits et de ses actions de
jeunesse, en particulier des illusions nourries par la guerre d'Espagne,
répondit un jour "la Condition humaine s'achève à Budapest".
Pour s'en rendre compte, il suffisait d'ouvrir les yeux.
Malheureusement, en France, pour ne pas voir cette réalité, les
paupières des intellectuels demeuraient largement tributaires d'une sorte de
conjonctivite appelée "antifascisme".
Invention du VIIe congrès du Komintern en 1935 ce mot d'ordre continue
de polluer les logiciels des gens qui, aujourd'hui, n'ont toujours pas compris
que sous les apparences de l'islamo-terrorisme ils sont confrontés à
l'islamo-bolchevisme.
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JACQUES DUCLOS, AGENT SOVIÉTIQUE
En ce début d’année 2016, il n’est pas trop tard pour présenter un
livre paru à l’automne dernier mais que nous n’avions pas pu traiter. En dépit
de son grand intérêt, la presse lui a réservé un accueil discret. On devine
pourquoi : l’ouvrage, une biographie de Jacques Duclos, va à l’encontre des
légendes roses courant au sujet du communisme français, sujet tabou. Duclos ?
Le nom de ce dirigeant du PCF, mort en 1975, ne dira rien aux jeunes
générations. L’homme joua pourtant un rôle politique capital : numéro deux du
parti communiste, il fut un exécutant zélé des ordres de Moscou. On le savait
déjà, mais Frédéric Charpier, un journaliste d’investigation, le confirme à la
suite de l’enquête qu’il a menée dans les archives des services de
renseignement français, suisses, américains ou britanniques.
Natif des Hautes-Pyrénées, fils d’artisan, apprenti pâtissier, Jacques
Duclos est un autodidacte. Ancien combattant de Verdun, il adhère dès 1920 au
tout nouveau parti communiste. Elève de l’école des cadres, permanent en 1925,
député de Paris en 1926, réélu en 1928, il effectue son premier voyage en URSS
en 1930. Il y est remarqué, ce qui lui vaut de devenir un agent du Komintern
(l’Internationale communiste) et de prendre place, aux côtés des Thorez,
Frachon et Waldeck Rochet, dans l’équipe qui, guidée par Moscou, conduira la
politique du PCF jusque dans les années 1960-1970. Dur parmi les durs, Duclos
sera de tous les coups : la stratégie de Front populaire, la lutte contre les
trotskistes, le soutien au pacte germano-soviétique, les négociations avec les
Allemands en vue de la reparution de L’Humanité à l’issue de la défaite de
1940. Quand les communistes entrent dans la Résistance, en 1941, c’est lui,
Thorez étant à Moscou, qui prend la direction du parti clandestin. Après
guerre, fidèle jusqu’au bout à Staline, Duclos est membre du bureau politique,
sénateur, candidat à la présidentielle de 1969 (21 % des voix au premier tour
!). Au-delà des révélations sur cet homme qui aura obéi en tout aux
Soviétiques, Frédéric Charpier montre l’implantation au coeur de la République,
pendant cinquante ans, d’une machine totalitaire aux ordres de l’étranger.
Jean Sévillia
L’Agent Jacques Duclos. Histoire de l’appareil secret du Parti
communiste français, 1920-1975, de Frédéric Charpier, Seuil, 360 p., 22 €.
https://www.jeansevillia.com/2016/02/02/jacques-duclos-agent-sovietique/
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La biographie d'Eugen Fried
En France, Fried aura une
liaison avec Ana Pauker, la «pasionaria» roumaine qui avait été envoyée un
moment en mission par le Komintern. Une fille, Maria, naîtra à Moscou de cette
liaison.
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Livre. La biographie d'Eugen Fried chargé par Staline de
«bolcheviser» les communistes français écrite par deux historiens grâce aux
archives du Komintern.L'agent qui «purgea» le PCF. Eugen Fried, le grand secret du PCF. Annie Kriegel et Stéphane
Courtois. Ed. Le Seuil, 448 pp., 160 F.
Par Jacques AMALRIC — 10 février 1997
Livre. La biographie d'Eugen Fried chargé par Staline de
«bolcheviser» les communistes français écrite par deux historiens grâce aux
archives du Komintern.L'agent qui «purgea» le PCF. Eugen Fried, le grand secret
du PCF. Annie Kriegel et Stéphane Courtois. Ed. Le Seuil, 448 pp., 160 F.
Beaucoup d'initiés connaissaient l'existence de son cadavre mais bien
peu imaginaient l'ampleur du rôle qu'Eugen Fried avait joué pendant plus de dix
ans de 1930 à 1943 dans la vie du PCF. Moins nombreux encore étaient ceux
qui avaient une idée de l'homme qui se cachait derrière ce tuteur inflexible de
Maurice Thorez et de quelques autres. D'où venait-il? Comment exerçait-il son
influence? Qui était-il? Avait-il d'autres goûts, d'autres passions que celle
de servir le «Centre», c'est-à-dire Staline?
Grâce au travail consciencieux d'Annie Kriegel emportée par la
maladie en août 1996 et de Stéphane Courtois, nous disposons enfin de la
plupart des réponses à ces interrogations. Le retour dans l'Histoire du
«camarade Clément» n'aura pas été tâche facile; c'est au début des années 80,
que Kriegel et Courtois ont eu l'idée de se consacrer à l'entreprise mais ils
durent bien vite déchanter, faute de sources accessibles. L'ouverture des
archives du Komintern, en 1992 à Moscou, leur permit finalement de mener à bien
leur projet, Annie Kriegel se consacrant aux années 1900-1935, et Courtois
couvrant la période 1935-1943 tout en revoyant la première moitié du manuscrit,
après la mort de son coauteur, pour tenir compte des derniers documents mis à
jour.
On comprend sans peine, en refermant ce livre dense (peut être trop,
car le scrupule des historiens n'en facilite pas la lecture), pourquoi tous les
dirigeants communistes ont été atteints d'amnésie aiguë à propos d'Eugen Fried,
dès le lendemain de la guerre. Agir autrement eût été reconnaître que le PCF
n'avait été et n'était encore malgré la dissolution toute formelle du
Komintern en 1943 que la section française de l'Internationale, au service du
parti-Etat soviétique et de ses intérêts. Pas étonnant donc que Thorez n'ait
pas un mot pour Fried dans les deux éditions de son autobiographie et qu'il faille
attendre 1969 pour qu'Aragon évoque le personnage dans Les Lettres françaises
et que Duclos lui rende un hommage convenu dans les Cahiers de l'Institut
Maurice-Thorez.
Mais qui donc était Eugen Fried? Tout comme Thorez, il naît en 1900,
mais là s'arrête l'analogie. Il est originaire d'une modeste famille juive de
la Slovaquie orientale, alors sous influence hongroise. L'enfant est doué, il
accède au lycée et entame des études de chimie à l'université de Budapest. Mais
il ne les finira jamais; à l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, en 1918,
il choisit, comme beaucoup de jeunes juifs d'Europe centrale et orientale, le
bolchevisme et s'engage dans la révolution de Béla Kun. Kun échoue, se réfugie
à Moscou et Fried effectue son premier séjour en prison. Lorsqu'il en sort, il
se retrouve de nationalité tchécoslovaque et entame une carrière de
propagandiste au sein du parti communiste. Elle lui vaudra un deuxième emprisonnement,
de 1925 à 1927, puis des ennuis avec le Komintern, qui le soupçonne de
gauchisme (ce sera bien la dernière fois!). Une autocritique suffit à le
remettre en grâce; il est d'ailleurs appelé à Moscou et c'est de là, formé au
«travail conspiratif» préconisé par Lénine, qu'il sera envoyé en France comme
représentant du Komintern auprès d'un PCF alors en pleine déconfiture.
La mission de Fried est claire: il doit «bolcheviser» un Parti
communiste encore trop marqué par ses origines sociales-démocrates et
anarcho-syndicalistes, le protéger de toute contamination trotskiste, mettre
fin aux rivalités personnelles, bref arracher les mauvaises herbes grâce à une
impitoyable politique des cadres (la commission du même nom sera créée en 1932)
et installer à la tête du Parti des hommes avant tout fidèles à Moscou. Le but
sera atteint en quelques années par un Fried qui sait aussi bien jouer de son
charme persuasif que de la menace faussement contrite. Barbé et Célor, contre
lesquels il monte un procès en fractionnisme, en feront les frais au profit du
quatuor Thorez, Duclos, Frachon et Marty. En 1934, ce sera au tour de Doriot,
coupable d'avoir dénoncé trop tôt aux yeux de Moscou, le danger de la montée du
nazisme allemand. Ce qui n'empêchera nullement le PCF de se rallier un an plus
tard à la tactique du Front populaire désormais prônée par Staline. Après les
élections de1936, cependant, Fried imposera au PCF la politique de soutien sans
participation au gouvernement Blum. De la même façon, il vivra sans état d'âme
les purges staliniennes qui déciment les rangs de ses amis kominterniens, y
allant de ses dénonciations mais échappant de peu à la détestation que lui
portait Marty. La signature du pacte germano-soviétique ne lui posera pas plus
de problèmes tandis qu'il organise la désertion de Thorez en URSS, via la
Belgique, où il s'installe en 1939 pour continuer à tirer les ficelles du PCF.
C'est à Bruxelles qu'il sera assassiné en 1943, non par la Guépéou comme on
l'avait soupçonné, mais par la Gestapo qui n'a pas su qu'elle venait d'éliminer
un des agents les plus efficaces de Staline.
«Conspiratif», mais aussi intellectuel et dandy Tous les témoignages
recueillis par Annie Kriegel et Stéphane Courtois permettent de brosser un
portrait contrasté de Fried. Ce révolutionnaire professionnel dévoué à Staline
était aussi un homme extrêmement cultivé, lisant beaucoup, curieux de tout,
courant les théâtres et les galeries de peinture entre deux rendez-vous
«conspiratifs». Grand, élégant, séduisant et le sachant, toujours habillé avec
recherche, il était d'une extrême courtoisie, élevant rarement la voix même à
l'encontre de ceux qu'il avait décidé (ou reçu l'ordre) d'éliminer. Il était
aussi très prévenant à l'égard de ses collaborateurs, mais les abandonnait sans
hésitation dès qu'ils étaient soupçonnés de quelque déviation par le «Centre».
Il parlait couramment (et écrivait avec plus ou moins de bonheur) le hongrois,
le tchèque, l'allemand, le français, le yiddish, le russe, l'anglais. Il
pouvait aussi s'exprimer en italien, avait appris le turc dans sa jeunesse et
étudiait le néerlandais lorsqu'il a été assassiné.
Marié en 1927 avec une jeune militante slovaque, il la quittera deux
ans plus tard, lorsqu'il sera appelé au Komintern, par Dimitri Manouilski, qui
fut longtemps l'homme de Staline à l'Internationale. En France, Fried aura une
liaison avec Ana Pauker, la «pasionaria» roumaine qui avait été envoyée un
moment en mission par le Komintern. Une fille, Maria, naîtra à Moscou de cette
liaison. Elle sera ramenée en France par Fried et sera élevée d'abord par les
parents d'Aurore Memboeuf, la première femme de Thorez, puis par Fried et
Aurore, qui vécurent ensemble à partir de 1934, date du divorce de Thorez et
d'Aurore. Le couple Fried-Aurore éleva aussi le fils de Thorez et d'Aurore,
Maurice Thorez junior.
Jacques AMALRIC
https://www.liberation.fr/tribune/1997/02/10/livre-la-biographie-d-eugen-fried-charge-par-staline-de-bolcheviser-les-communistes-francais-ecrite-_197452
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L'agent Jacques Duclos : Histoire de l'appareil secret du PCF (1920-1975)
Frédéric Charpier
08 octobre 2015
Seuil,357 pages
La véritable histoire de l'Orchestre rouge
Guillaume Bourgeois
24 septembre 2015
Communistes en temps de guerre
PAR Sylvain BOULOUQUE
Date de publication • 18 novembre 2015
Deux ouvrages inégaux explorent l’action secrète des agents de Moscou avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale.
Excepté les sujets – le renseignement soviétique, d’un côté, l’appareil du mouvement communiste international, de l’autre – tout oppose les ouvrages de Guillaume Bourgeois et de Frédéric Charpier. Le premier, consacré à l’orchestre rouge, est méticuleux, fondé sur un travail de dépouillement archivistique rigoureux et de longue haleine. Le second repose sur la compilation de travaux souvent anciens, sans recoupement avec des sources nouvelles.
Guillaume Bourgeois n’a pas rédigé son ouvrage sur une page blanche, bien au contraire. L’Orchestre rouge a souvent été considéré comme un mythe. La légende s’est construite en deux temps d’abord dans les années 1960, avec l’ouvrage éponyme de Gilles Perrault, puis dans les années 1970 avec la publication des mémoires de Léopold Trepper : l’heure était encore à la glorification du mythe soviétique via ses services de renseignements, formes authentiques de la résistance des peuples de l’URSS, puis à travers les figures de ses espions à la fois antifascistes et souvent victimes de Staline, par antistalinisme. Cette mythologie a été réactivée à la fin des années 1980 avec le film L’orchestre rouge, directement inspiré par le travail de Gilles Perrault et les mémoires de Trepper. Des fissures apparaissent dans les années 1990 avec les enquêtes conduites par Thierry Wolton puis avec le témoignage de l’un des principaux acteurs de cette histoire, Anatoli Gourevitch.
Guillaume Bourgeois rouvre le dossier grâce aux dossiers issus du ministère de la Justice soviétique, notamment le dossier de réhabilitation de Gourevitch. Cette source, pourtant riche a été complétée par des recherches archivistiques conduites aux quatre coins de la planète. Le livre est donc le fruit de plusieurs années de dépouillement et de recherche. Le résultat est à la hauteur du travail conduit. Son titre met à mal les légendes. Ouvrage passionnant, il serait malgré tout possible lui de reprocher d’avoir trop cherché à démontrer les légendes au lieu de refaire directement l’histoire de l’orchestre, ce qui entache parfois la lecture dans un récit déjà complexe.
Dans cette histoire deux figures s’opposent, Léopold Trepper et Anatoli Gourevitch. Le premier, arrêté, donne littéralement son réseau. Longuement interrogé par les services soviétiques après la guerre, il reste plusieurs années au secret. Après la mort de Staline, il s’installe en Pologne où il contribue d’abord au livre de Perrault, puis il réussit à construire sa légende en passant à l’Ouest et en s’installant en Israël dans les années 1970. Le second demeure un citoyen soviétique presque ordinaire. Condamné au camp, il reste en URSS puis en Russie jusqu’à sa mort en 2009. Dans la légende, Trepper reste l’image du révolutionnaire cosmopolite ayant voyagé et choisi le communisme alors que Gourevitch demeure le symbole de « l’homo sovieticus », promu et déchu par le régime. Dans sa vaste enquête, Guillaume Bourgeois met à mal cette supercherie. L’auteur conduit plusieurs récits en un seul ouvrage : il démonte le mythe construit par Trepper et Perrault, et analyse les réseaux d’espionnage soviétique en Europe occidentale. Guillaume Bourgeois y adjoint en outre de nombreuses réflexions secondaires dans le récit sur les rapports entre mémoires et histoire, et sur la place du témoin dans la construction du récit.
L’orchestre rouge se construit en parallèle du monde des émissaires et des envoyés du Komintern voyageant à travers l’Europe. Certains missi dominici passent des réseaux kominterniens aux réseaux d’espionnage soviétiques – principalement le GRU, les renseignements de l’Armée, et la police secrète du ministère de l’Intérieur, qui change plusieurs fois de nom : Tchéka, GPU, NKVD, etc. Comme ses noms ne l’indiquent pas, la police secrète possède des antennes à l’étranger. Les hommes de l’orchestre rouge travaillent normalement tous pour les services de renseignement de l’armée le GRU. Beaucoup sont d’abord des agents dormants, issus pour nombre d’entre eux de l’émigration juive d’Europe passée par le PC palestinien et venus s’installer par la suite en Europe. Ces militants associent leur caractère polyglotte à un haut niveau d’étude favorisant ainsi leur place dans des réseaux dormants. Parallèlement, plusieurs citoyens soviétiques, dont quelques-uns passés par l’Espagne de la Guerre civile, s’installent en Europe occidentale, comme agents eux aussi dormants ou actifs. Les espions ont souvent comme couvertures, les missions commerciales, l’import-export, ou le commerce international. Ils installent un système de communications complexes touchant à la fois au renseignement et la transmission des informations vers l’URSS. Guillaume Bourgeois détaille ainsi le système de société écran mis en place par Trepper et Gourevitch sous le nom de Simexco et de Foreign Excellent Raincoat.
Les services soviétiques, via certains canaux, demandent aux partis communistes nationaux des hommes : les PC français comme belge livrent leur contingent de militants connaissant les techniques de codage et de chiffrage, souvent appris à lors de séjours à Moscou, à l’École léniniste internationale, dans des rencontres internationales ou dans les brigades internationales.
Avec la guerre et après l’opération Barbarossa le 22 juin 1941, le contre-espionnage allemand passe à l’action et décide de démanteler le renseignement soviétique. Le centre de Bruxelles tombe très vite. Les Allemands parviennent facilement à localiser les émissions des messages à destination de l’URSS. De fils en aiguille, ils remontent presque sans difficultés jusqu’à Gourevitch d’une part et Trepper de l’autre. En mois de six mois, les responsables du réseau sont conduits à Berlin. Alors que Gourevitch tente par tous les moyens de gagner du temps, Trepper propose immédiatement aux hommes du Sommerkommando un accord. Il livre immédiatement des informations qui permettent le démantèlement complet du réseau. Gourévitch, placé devant l’évidence par ses interrogateurs, est quant-à-lui obligé, lors de ses interrogatoires, de confirmer les dires de Trepper. Leurs propos permettent parallèlement aux Allemands d’informer la police française, qui cueille littéralement les militants, entrainant de fil en aiguille des menaces directes sur les appareils du PCF, du PCB et de l’IC.
Ces menaces ont failli conduire la police à Jacques Duclos et à Eugen Fried et l’arrestation d’un responsables de haut rang du GRU : Henri Robinson. Trepper donne les informations suffisantes pour que la majeure partie des acteurs arrêtés soient définitivement compromis, et pour l’essentiel jugés et exécutés. C’est après que Trepper retourne casaque et fait prévenir Moscou. Il réussit peu après à s’échapper et commence dès lors à construire sa légende, à charger son rival Gourevitch qui est resté au main de la police allemande. Les chutes liées aux révélations de Trepper se poursuivent cependant pendant près de six mois. Elles manquent même de le faire retomber, le monde des communistes étant sous étroite surveillance.
Enfin, demeurent des interrogations sur que ce que les services soviétiques ont retiré comme informations de cette histoire. La clef de cette interrogation reste pour l’instant encore dans les bureaux de l’actuel FSB. En tout cas, Guillaume Bourgeois vient de belle manière de déconstruire une légende.
Si c’était l’objectif de Frédéric Charpier, il n’est pas atteint. Pour cette biographie de Jacques Duclos, l’auteur utilise d’abord une bibliographie sélective et datée. Les travaux les plus récents des historiens comme Stéphane Courtois, Franck Liaigre et Jean-Marc Berlière – sans évoquer celui de Guillaume Bourgeois –, par exemple, ou bien ceux des historiens communistes ou communisants, comme Claude Pennetier et Serge Wolikow, ne sont pas examinés et cités. Par ailleurs, on pourrait multiplier les remarques méthodologiques. Le fonds Jacques Duclos du Musée d’histoire de Montreuil ne semble pas avoir été consulté ; de même, les archives de l’IC ont été négligées – alors qu’on y trouve quelques documents qui auraient permis d’éclairer d’un autre œil la biographie de Jacques Duclos ; les comités centraux et les archives de la direction du PCF après la guerre n’ont pas non plus été analysés, ce qui semble la encore totalement inconcevable lorsque l’on travaille sur le PCF. Enfin, l’auteur ne semble pas avoir cherché à avoir la réponse à plusieurs questions centrales qui rendent aujourd’hui une vraie biographie de Duclos impossible – son dossier aux archives du FSB (le successeur du KGB) étant aujourd’hui fermé.
Le nom de Jacques Duclos n’évoque aujourd’hui plus grand chose. Tout au mieux un score électoral de 22 % lors des élections présidentielles de 1969. Jacques Duclos, petit pâtissier du Sud-Ouest de la France, est né en 1896. Il est monté à Paris en 1912, fasciné par Jaurès. Il glisse vers le bolchevisme et participe à la fondation du PCF après avoir connu l’enfer des tranchées. Les circonstances le conduisent à devenir très vite un révolutionnaire professionnel, fondu aux méandres de la clandestinité, glissant d’un appareil clandestin du Parti à un autre, participant de la construction du travail antimilitariste – après avoir été membre du service d’ordre du PCF, il devient missi dominici et émissaire du Komintern en Espagne et aide à la livraison d’armes à l’Espagne républicaine pendant la guerre civile. Il tient pendant la Seconde Guerre mondiale le Parti à bout de bras. Éternel numéro 2 du PC dernière la figure tutélaire de Maurice Thorez, chargé des basses besognes, d’une fidélité sans faille à l’appareil du mouvement communiste international, il est conscient de ses limites et ne brigue jamais le poste convoité de Secrétaire général.
L’auteur reprend les grandes lignes de la vie de Jacques Duclos et de la légende qu’il a lui-même contribué à créer en rédigeant ses mémoires – reprises pour la première partie de manière quasi linéaire. Fréderic Chapier s’appuie ensuite sur un récit au statut variable, mêlant archives, témoignages et rumeurs. Il ne s’agit pas de faire un relevé exhaustif des erreurs et des imperfections de l’ouvrage, mais de souligner le caractère daté des analyses et surtout la confusion des genres qui gênent la compréhension et de la biographie de Duclos, et de l’appareil communiste, dans lequel la distinction entre les appareils du Komintern et les renseignements soviétiques est souvent mince. L’auteur en arrive parfois à attribuer à Duclos des mérites qui ne sont pas forcément ou pas uniquement les siens, comme par exemple dans la commission des cadres, dans les appareils « anti » et dans le Service d’ordre du PCF. Du même coup, Duclos disparaît parfois pendant plusieurs pages du récit au profit de la description d’un appareil.
Inversement, on ne saura rien où presque, par exemple, des missions que Duclos a effectuées en Espagne pour le compte du Komintern, ni des rapports qu’il a pu rédiger, alors que l’ensemble de ces rapports est consultable aux Archives sociales et politiques de la Fédération de Russie. La question de la guerre est l’objet de nombreux va-et-vient entre la tentative de reparution de L’Humanité jusqu’au rôle de Duclos : ici l’auteur mélange les affaires et oublie des éléments importants sans interroger par exemple son rôle dans la rédaction du programme du Conseil national de la Résistance, ou bien dans les ordres donnés au Bataillon Valmy pour liquider les traîtres. Il en ressort une certaine confusion, voire des analyses erronées, liées à l’ancienneté des sources utilisées et à une compilation maladroite. Pourquoi avoir placé l’analyse de la chute des FTP/MOI avant celle de l’orchestre rouge, alors qu’elle se situe chronologiquement après ?
Par ailleurs, la nature exacte des rapports de Duclos avec les services soviétiques est floue. Il est en de même pour l’après guerre, au temps du Kominform. L’auteur attribue à Duclos les responsabilités les fonctions qui relèvent à cette période d’Auguste Lecœur. Duclos chapeaute l’appareil militant du Parti, ayant à ce titre à plusieurs reprises maille à partir avec les hautes autorités de l’État, comme par exemple dans l’affaire des pigeons, ou en étant en contact direct avec le bureau d’information des Partis communistes connu sous le nom de Kominform. Conclure qu’en 1953, de la direction clandestine du PCF, il ne reste que les deux kominterniens Duclos et Frachon, c’est oublier un peu vite tous les autres, comme Gaston Monmousseau et Raymond Guyot (en zone sud), pour ne retenir que deux autres noms, sans même parler la direction effective mais clandestine effectuée par Thorez à Moscou. L’appareil né dans les années 1930 est effectivement toujours en place dans les années 1950, et même pour beaucoup dans les années 1960.
La deuxième partie de l’ouvrage est, comme la première, une juxtaposition de fiches et de récits souvent fait par Jacques Duclos lui-même. Mais, finalement le plus étonnant pour un ouvrage ayant comme sous titre « histoire de l’appareil secret du PCF » est que l’auteur n’ait pas interrogé une déclaration de Trotski, lors de la mort mystérieuse de son fils Léon Sédov, signalant les liens de Duclos avec les services secrets soviétiques. Trotski demandait dans un télégramme au gouvernement français de « soumettre à interrogatoire Jacques Duclos, vice-président chambre et vieil agent du GPU » .
A la fin de l’ouvrage, on est au regret de constater que la biographie de Duclos reste à écrire alors que celle de l’orchestre rouge est elle enfin écrite
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L'agent Jacques Duclos : Histoire de l'appareil secret du PCF (1920-1975)
Frédéric Charpier
08 octobre 2015
Seuil,357 pages
La véritable histoire de l'Orchestre rouge
Guillaume Bourgeois
24 septembre 2015
Communistes en temps de guerre
PAR Sylvain BOULOUQUE
Date de publication • 18 novembre 2015
Deux ouvrages inégaux explorent l’action secrète des agents de Moscou avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale.
Excepté les sujets – le renseignement soviétique, d’un côté, l’appareil du mouvement communiste international, de l’autre – tout oppose les ouvrages de Guillaume Bourgeois et de Frédéric Charpier. Le premier, consacré à l’orchestre rouge, est méticuleux, fondé sur un travail de dépouillement archivistique rigoureux et de longue haleine. Le second repose sur la compilation de travaux souvent anciens, sans recoupement avec des sources nouvelles.
Guillaume Bourgeois n’a pas rédigé son ouvrage sur une page blanche, bien au contraire. L’Orchestre rouge a souvent été considéré comme un mythe. La légende s’est construite en deux temps d’abord dans les années 1960, avec l’ouvrage éponyme de Gilles Perrault, puis dans les années 1970 avec la publication des mémoires de Léopold Trepper : l’heure était encore à la glorification du mythe soviétique via ses services de renseignements, formes authentiques de la résistance des peuples de l’URSS, puis à travers les figures de ses espions à la fois antifascistes et souvent victimes de Staline, par antistalinisme. Cette mythologie a été réactivée à la fin des années 1980 avec le film L’orchestre rouge, directement inspiré par le travail de Gilles Perrault et les mémoires de Trepper. Des fissures apparaissent dans les années 1990 avec les enquêtes conduites par Thierry Wolton puis avec le témoignage de l’un des principaux acteurs de cette histoire, Anatoli Gourevitch.
Guillaume Bourgeois rouvre le dossier grâce aux dossiers issus du ministère de la Justice soviétique, notamment le dossier de réhabilitation de Gourevitch. Cette source, pourtant riche a été complétée par des recherches archivistiques conduites aux quatre coins de la planète. Le livre est donc le fruit de plusieurs années de dépouillement et de recherche. Le résultat est à la hauteur du travail conduit. Son titre met à mal les légendes. Ouvrage passionnant, il serait malgré tout possible lui de reprocher d’avoir trop cherché à démontrer les légendes au lieu de refaire directement l’histoire de l’orchestre, ce qui entache parfois la lecture dans un récit déjà complexe.
Dans cette histoire deux figures s’opposent, Léopold Trepper et Anatoli Gourevitch. Le premier, arrêté, donne littéralement son réseau. Longuement interrogé par les services soviétiques après la guerre, il reste plusieurs années au secret. Après la mort de Staline, il s’installe en Pologne où il contribue d’abord au livre de Perrault, puis il réussit à construire sa légende en passant à l’Ouest et en s’installant en Israël dans les années 1970. Le second demeure un citoyen soviétique presque ordinaire. Condamné au camp, il reste en URSS puis en Russie jusqu’à sa mort en 2009. Dans la légende, Trepper reste l’image du révolutionnaire cosmopolite ayant voyagé et choisi le communisme alors que Gourevitch demeure le symbole de « l’homo sovieticus », promu et déchu par le régime. Dans sa vaste enquête, Guillaume Bourgeois met à mal cette supercherie. L’auteur conduit plusieurs récits en un seul ouvrage : il démonte le mythe construit par Trepper et Perrault, et analyse les réseaux d’espionnage soviétique en Europe occidentale. Guillaume Bourgeois y adjoint en outre de nombreuses réflexions secondaires dans le récit sur les rapports entre mémoires et histoire, et sur la place du témoin dans la construction du récit.
L’orchestre rouge se construit en parallèle du monde des émissaires et des envoyés du Komintern voyageant à travers l’Europe. Certains missi dominici passent des réseaux kominterniens aux réseaux d’espionnage soviétiques – principalement le GRU, les renseignements de l’Armée, et la police secrète du ministère de l’Intérieur, qui change plusieurs fois de nom : Tchéka, GPU, NKVD, etc. Comme ses noms ne l’indiquent pas, la police secrète possède des antennes à l’étranger. Les hommes de l’orchestre rouge travaillent normalement tous pour les services de renseignement de l’armée le GRU. Beaucoup sont d’abord des agents dormants, issus pour nombre d’entre eux de l’émigration juive d’Europe passée par le PC palestinien et venus s’installer par la suite en Europe. Ces militants associent leur caractère polyglotte à un haut niveau d’étude favorisant ainsi leur place dans des réseaux dormants. Parallèlement, plusieurs citoyens soviétiques, dont quelques-uns passés par l’Espagne de la Guerre civile, s’installent en Europe occidentale, comme agents eux aussi dormants ou actifs. Les espions ont souvent comme couvertures, les missions commerciales, l’import-export, ou le commerce international. Ils installent un système de communications complexes touchant à la fois au renseignement et la transmission des informations vers l’URSS. Guillaume Bourgeois détaille ainsi le système de société écran mis en place par Trepper et Gourevitch sous le nom de Simexco et de Foreign Excellent Raincoat.
Les services soviétiques, via certains canaux, demandent aux partis communistes nationaux des hommes : les PC français comme belge livrent leur contingent de militants connaissant les techniques de codage et de chiffrage, souvent appris à lors de séjours à Moscou, à l’École léniniste internationale, dans des rencontres internationales ou dans les brigades internationales.
Avec la guerre et après l’opération Barbarossa le 22 juin 1941, le contre-espionnage allemand passe à l’action et décide de démanteler le renseignement soviétique. Le centre de Bruxelles tombe très vite. Les Allemands parviennent facilement à localiser les émissions des messages à destination de l’URSS. De fils en aiguille, ils remontent presque sans difficultés jusqu’à Gourevitch d’une part et Trepper de l’autre. En mois de six mois, les responsables du réseau sont conduits à Berlin. Alors que Gourevitch tente par tous les moyens de gagner du temps, Trepper propose immédiatement aux hommes du Sommerkommando un accord. Il livre immédiatement des informations qui permettent le démantèlement complet du réseau. Gourévitch, placé devant l’évidence par ses interrogateurs, est quant-à-lui obligé, lors de ses interrogatoires, de confirmer les dires de Trepper. Leurs propos permettent parallèlement aux Allemands d’informer la police française, qui cueille littéralement les militants, entrainant de fil en aiguille des menaces directes sur les appareils du PCF, du PCB et de l’IC.
Ces menaces ont failli conduire la police à Jacques Duclos et à Eugen Fried et l’arrestation d’un responsables de haut rang du GRU : Henri Robinson. Trepper donne les informations suffisantes pour que la majeure partie des acteurs arrêtés soient définitivement compromis, et pour l’essentiel jugés et exécutés. C’est après que Trepper retourne casaque et fait prévenir Moscou. Il réussit peu après à s’échapper et commence dès lors à construire sa légende, à charger son rival Gourevitch qui est resté au main de la police allemande. Les chutes liées aux révélations de Trepper se poursuivent cependant pendant près de six mois. Elles manquent même de le faire retomber, le monde des communistes étant sous étroite surveillance.
Enfin, demeurent des interrogations sur que ce que les services soviétiques ont retiré comme informations de cette histoire. La clef de cette interrogation reste pour l’instant encore dans les bureaux de l’actuel FSB. En tout cas, Guillaume Bourgeois vient de belle manière de déconstruire une légende.
Si c’était l’objectif de Frédéric Charpier, il n’est pas atteint. Pour cette biographie de Jacques Duclos, l’auteur utilise d’abord une bibliographie sélective et datée. Les travaux les plus récents des historiens comme Stéphane Courtois, Franck Liaigre et Jean-Marc Berlière – sans évoquer celui de Guillaume Bourgeois –, par exemple, ou bien ceux des historiens communistes ou communisants, comme Claude Pennetier et Serge Wolikow, ne sont pas examinés et cités. Par ailleurs, on pourrait multiplier les remarques méthodologiques. Le fonds Jacques Duclos du Musée d’histoire de Montreuil ne semble pas avoir été consulté ; de même, les archives de l’IC ont été négligées – alors qu’on y trouve quelques documents qui auraient permis d’éclairer d’un autre œil la biographie de Jacques Duclos ; les comités centraux et les archives de la direction du PCF après la guerre n’ont pas non plus été analysés, ce qui semble la encore totalement inconcevable lorsque l’on travaille sur le PCF. Enfin, l’auteur ne semble pas avoir cherché à avoir la réponse à plusieurs questions centrales qui rendent aujourd’hui une vraie biographie de Duclos impossible – son dossier aux archives du FSB (le successeur du KGB) étant aujourd’hui fermé.
Le nom de Jacques Duclos n’évoque aujourd’hui plus grand chose. Tout au mieux un score électoral de 22 % lors des élections présidentielles de 1969. Jacques Duclos, petit pâtissier du Sud-Ouest de la France, est né en 1896. Il est monté à Paris en 1912, fasciné par Jaurès. Il glisse vers le bolchevisme et participe à la fondation du PCF après avoir connu l’enfer des tranchées. Les circonstances le conduisent à devenir très vite un révolutionnaire professionnel, fondu aux méandres de la clandestinité, glissant d’un appareil clandestin du Parti à un autre, participant de la construction du travail antimilitariste – après avoir été membre du service d’ordre du PCF, il devient missi dominici et émissaire du Komintern en Espagne et aide à la livraison d’armes à l’Espagne républicaine pendant la guerre civile. Il tient pendant la Seconde Guerre mondiale le Parti à bout de bras. Éternel numéro 2 du PC dernière la figure tutélaire de Maurice Thorez, chargé des basses besognes, d’une fidélité sans faille à l’appareil du mouvement communiste international, il est conscient de ses limites et ne brigue jamais le poste convoité de Secrétaire général.
L’auteur reprend les grandes lignes de la vie de Jacques Duclos et de la légende qu’il a lui-même contribué à créer en rédigeant ses mémoires – reprises pour la première partie de manière quasi linéaire. Fréderic Chapier s’appuie ensuite sur un récit au statut variable, mêlant archives, témoignages et rumeurs. Il ne s’agit pas de faire un relevé exhaustif des erreurs et des imperfections de l’ouvrage, mais de souligner le caractère daté des analyses et surtout la confusion des genres qui gênent la compréhension et de la biographie de Duclos, et de l’appareil communiste, dans lequel la distinction entre les appareils du Komintern et les renseignements soviétiques est souvent mince. L’auteur en arrive parfois à attribuer à Duclos des mérites qui ne sont pas forcément ou pas uniquement les siens, comme par exemple dans la commission des cadres, dans les appareils « anti » et dans le Service d’ordre du PCF. Du même coup, Duclos disparaît parfois pendant plusieurs pages du récit au profit de la description d’un appareil.
Inversement, on ne saura rien où presque, par exemple, des missions que Duclos a effectuées en Espagne pour le compte du Komintern, ni des rapports qu’il a pu rédiger, alors que l’ensemble de ces rapports est consultable aux Archives sociales et politiques de la Fédération de Russie. La question de la guerre est l’objet de nombreux va-et-vient entre la tentative de reparution de L’Humanité jusqu’au rôle de Duclos : ici l’auteur mélange les affaires et oublie des éléments importants sans interroger par exemple son rôle dans la rédaction du programme du Conseil national de la Résistance, ou bien dans les ordres donnés au Bataillon Valmy pour liquider les traîtres. Il en ressort une certaine confusion, voire des analyses erronées, liées à l’ancienneté des sources utilisées et à une compilation maladroite. Pourquoi avoir placé l’analyse de la chute des FTP/MOI avant celle de l’orchestre rouge, alors qu’elle se situe chronologiquement après ?
Par ailleurs, la nature exacte des rapports de Duclos avec les services soviétiques est floue. Il est en de même pour l’après guerre, au temps du Kominform. L’auteur attribue à Duclos les responsabilités les fonctions qui relèvent à cette période d’Auguste Lecœur. Duclos chapeaute l’appareil militant du Parti, ayant à ce titre à plusieurs reprises maille à partir avec les hautes autorités de l’État, comme par exemple dans l’affaire des pigeons, ou en étant en contact direct avec le bureau d’information des Partis communistes connu sous le nom de Kominform. Conclure qu’en 1953, de la direction clandestine du PCF, il ne reste que les deux kominterniens Duclos et Frachon, c’est oublier un peu vite tous les autres, comme Gaston Monmousseau et Raymond Guyot (en zone sud), pour ne retenir que deux autres noms, sans même parler la direction effective mais clandestine effectuée par Thorez à Moscou. L’appareil né dans les années 1930 est effectivement toujours en place dans les années 1950, et même pour beaucoup dans les années 1960.
La deuxième partie de l’ouvrage est, comme la première, une juxtaposition de fiches et de récits souvent fait par Jacques Duclos lui-même. Mais, finalement le plus étonnant pour un ouvrage ayant comme sous titre « histoire de l’appareil secret du PCF » est que l’auteur n’ait pas interrogé une déclaration de Trotski, lors de la mort mystérieuse de son fils Léon Sédov, signalant les liens de Duclos avec les services secrets soviétiques. Trotski demandait dans un télégramme au gouvernement français de « soumettre à interrogatoire Jacques Duclos, vice-président chambre et vieil agent du GPU » .
A la fin de l’ouvrage, on est au regret de constater que la biographie de Duclos reste à écrire alors que celle de l’orchestre rouge est elle enfin écrite
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