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samedi 21 mars 2020

3. JAN VAN EYCK - la Luvru


Le chancelier Rolin en prière devant la vierge


Au Louvre, j’aime Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck. Quand on goûte avec délice aux turpitudes artistiques de Jérôme Bosch ou de Pieter Huys, il est parfois reposant de regarder un tableau de van Eyck. Rassurez-vous, le repos sera de très courte durée. Ici tout semble luxe, calme et volupté pourtant le diable se cache dans les détails.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le traité de Verdun (843) divisait l’ancien empire de Charlemagne en trois : à l’Est, le royaume de Louis le Germanique, à l’Ouest celui de Charles le Chauve et le milieu pour Lothaire. Pendant des siècles le Saint Empire d’un côté et la future France de l’autre vont jouer à qui-qu’à-la-plus-belle-couronne ? à qui-qu’est-le-préféré-du-pape ? ou à qui-qu’à-la-plus-grosse-épée ? Au milieu, une bande qui va de la mer du Nord à la Méditerranée, des ports qui commercent avec le grand Nord autant que l’Afrique, la mise en place des premières banques, des négociants, des échanges commerciaux mais aussi culturels, des influences (cf les Bamboccianti, les Bentvueghels).
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Ce petit rappel historique pour comprendre les raisons qui expliquent, six siècles après Verdun, les richesses d’un Moyen Age représentées dans le tableau du jour et encore trop souvent associé à la misère la plus sombre. J’accepte que dans ce Moyen Age je n’ai pas choisi les loqueteux du coin mais le chancelier Rolin, ce qui peut biaiser le jugement. Mais Rolin traduit à l’excès l’ouverture intellectuelle du Moyen Âge. Pour décrire Nicolas Rolin en une formule, je dirai qu’au Monopoly de Bourgogne à chaque case, vous étiez dans un de ses hôtels et il fallait payer.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Retour à la case Départ (sans toucher les vingt mille), la famille Rolin est originaire d’Autin (Ceci explique certainement son petit air hautain sur le tableau). Papa est mort, maman se remarie avec un autre veuf. Afin de renforcer les liens familiaux de cette famille recomposée, les fils de maman Rolin épousent les filles du beau-père. Moderne le Moyen- Âge ! Assez vite veuf Nicolas Rolin se remarie ; re-veuf, il se remarie (Même joueur, joue encore). Nicolas Rolin c’est Bel Ami, à chaque mariage il trouve dans la corbeille de la dot des terres supplémentaires, des titres, des droits, des bailliages, des fermages, des châteaux. Une fortune bâtie grâce à ses mariages, grâce aux femmes. La puissance des femmes au Moyen-Âge, je ne serais pas si misogyne je leur consacrerais un billet (Au risque du doublon avec celui sur la préparation des repas).
A la mort de Nicolas Rolin, on lui connaît une vingtaine de châteaux, une demi-douzaine de maisons-fortes en Bourgogne et un paquet de seigneuries en Bourgogne et ailleurs. Sérieusement, qui a vingt-deux châteaux ? Un château principal, un château à la mer et un autre à la montagne, je peux l’admettre, mais vingt-deux, cela frise le compulsif.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
J’ai l’air de railler son ascension sociale mais Nicolas Rolin dispose d’une solide base. Il est avocat, fait chevalier, puis chancelier du Duc de Bourgogne. Car voilà le lien avec la Lotharingie liminaire, le duché de Bourgogne reprend presque à l’identique le découpage de la Lotharingie. Le duché y cale les mêmes us et coutumes. C’est un vivier intellectuel et artistique. Et au milieu de cette nasse, le bourgeois Rolin fait ce que font tous bons princes, ducs ou rois : il se fait barbouiller sur des toiles. Nicolas étant un peu bigot (avec sa femme il a fait bâtir les hospices de Beaune) alors les tableaux de Nico ne sont pas du genre  Nico à la plageNico à chevalNico fait du vélo.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Môôôssssieur Nicolas Rolin se fait peindre en conversation avec la vierge et son marmot. Vous imaginez comment cela en jette : «
– Venez voir chancelier, là c’est ma dernière commande.
– Oui, sympathique, cette toile de vous et de votre cheval. Rustique, rafraîchissant.
– N’est-ce pas !
– Moi sur ma dernière commande je suis en conversation avec la vierge… béni par le petit.
– Wahou. C’est un selfie ?
– Non un van Eyck ! »
Ça vous donne le niveau. Cela vous pose un homme.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
De quoi le chancelier d’un des plus importants duchés européens, multi-marié et multi-amant peut-il bien discuter avec une pucelle de 15 ans ? Je sais que je suis le seul à m’interroger sur ce point mais j’aime l’idée que les visiteurs à qui le chancelier montrait crânement le tableau se posaient la même question, sans oser la formuler. Même si le sujet de la conversation importe peu, c’est assez présomptueux. Pourtant ce tableau pour Nicolas Rolin, c’est de la communication avant l’heure, du genre : « Je suis important, j’ai de l’argent et je fais le bien mais je le fais bien ; alors m’dame Marie elle vient directement chez moi pour intercéder. » Vanité, des vanités… Des tableaux de saints et de commanditaires il y en a un paquet au Musée du Louvre. Mais le tableau de van Eyck a quelque chose de bien plus important que la teneur du dialogue entre les deux. D’abord il s’agit du seul tableau de Van Eyck dont dispose le Musée du Louvre.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Un presque carré de soixante centimètres de côté, un premier plan rouge, ocre, marron et une colonnade ouvrant sur un paysage traversé d’une rivière. Une construction du tableau qui happe le regard vers l’extérieur, vers ce paysage, sa lumière. Et surtout un choix de Jan van Eyck de focaliser ses points de fuite vers l’extérieur, loin des personnages importants du tableau. Ceci permet de découvrir tout le travail détaillé qu’il a apporté à son paysage. Pourtant il faut faire l’effort de retenir son regard de fuir vers l’extérieur et reculer. Il faut revenir en arrière et regarder le premier-plan. Il faut regarder tous les détails dont van Eyck remplit son tableau.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Alors qu’avant j’aurais expliqué avec force humour que le petit Jésus en gigotant a fait tomber sa couche et qu’il va en mettre partout, que c’est bien la peine d’avoir vingt-deux châteaux quand on ne peut même pas se payer un jardinier pour entretenir trente mètres carrés de mauvaise terre sur sa terrasse. Avant je me serais interroger sur la façon dont la pièce était chauffée en hiver, car la colonnade c’est très sympa l’été pour prendre le frais, mais c’est le summum de la déperdition de chaleur en hiver. Sans oublier l’humidité de la rivière qui passe en dessous et les moustiques. J’aurais raillé la chevelure défaite de Marie. Les pies, paons ou anges qui volètent un peu partout au risque de s’oublier sur les riches soieries.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Mais ça c’était avant. Avant que par le biais d’un blog (celui d’Isabelle pour le citer, je ne vois pas pourquoi je ne le citerais pas car elle fait très souvent l’effort de mettre en avant de splendides dessins). Donc grâce à ce blog j’ai découvert un court et très intéressant essai* sur un autre tableau de Jan van Eyck. Généralement je ne suis pas un fan de l’explication à tout prix des tableaux. J’aime qu’ils conservent une part d’inconnu, des mystères, une ombre. J’aime que ma bêtise crasse, mon ignorance et ma paresse m’offrent un espace dans lequel je me glisse pour raconter mes élucubrations à partir d’infimes indices. Chez Jan van Eyck aucune bêtise, aucune part d’ombre, peu de mystère ; tout est savamment, techniquement, scientifiquement, théologiquement à sa place. Frustrant ? Non, enrichissant !
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Ce qui frappe dans ce tableau c’est le souci du détail que Jan van Eyck apporte à la représentation de la richesse.  Le soin dans les rendus du pavage, des brocards, des tissus damassés, des coffres ouvragés, des rangs de perles, des fils d’or. A ce stade le peintre répond à son commanditaire en reproduisant scrupuleusement la réussite économique et sociale de Nicolas Rolin, peut-être même en la sublimant un peu, après tout c’est Rolin qui paye.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Mais Jan van Eyck est un filou. Au premier coup de pinceau il sert au chancelier toute la communication que ce dernier veut donner à son tableau, tout le faste, la vierge et Jésus, mais voici que l’artiste vient fignoler, qu’il vient par touches railler le chancelier :
« Oui chancelier, vous êtes en conversation avec la vierge. Mais la vierge ne vous regarde pas, elle surveille son enfant sur ses genoux. Et même le petit te bénit sans vous regarder. »
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
« Oui chancelier, j’ai glissé des paons symbole du Christ. Mais n’oubliez pas que le paon est aussi l’oiseau de la vanité. Les pies c’est cadeau, pour vous rappeler que contrairement au Christ vous êtes mortel. Ah ! Vous avez vu les petits lapins écrasés sous la colonne ? C’est la Luxure, bel ami ! »
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
« Oui chancelier, j’ai bien mis en avant dans mon tableau combien vous étiez important. Mais uniquement important sur le monde des hommes, pas celui des dieux. C’est la raison pour laquelle la ville est derrière vous. Les abbatiales, les cathédrales, les collégiales, je les ai placées de l’autre côté, derrière Marie et Jésus. Temporel versus spirituel. »
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
« Oui chancelier, j’ai décoré le sommet des pilastres. Pour faire sympa j’ai choisi : Expulsion du Paradis, Sacrifie de Caïn et Abel, Noé bourré. Il m’a manqué une semaine et je faisais l’Apocalypse de l’autre côté. Tout bien comporte forcément sa part de mal. Même pour un homme aussi vertueux que vous. Vous appréciez le clin d’œil ? »
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Désolé, c’est plus fort que moi, il faut toujours que j’arrive à divaguer même quand je suis cadré. Vous pensez que jamais un barboteur de gouache aurait agi de la sorte, avec une telle effronterie, envers son commanditaire ? C’est que vous êtes trop habitué à regarder les tableaux de David et à sa soumission impériale. Mais Jan van Eyck à la cour du duc de Bourgogne n’est pas un peinturlureur à la con qui fait des portraits entre deux couches de crépis dans les toilettes. Les bilans comptables du duché nous sont parvenus et nous savons de combien Jan van Eyck était pensionné. Cela ne le place pas du tout au niveau des plombiers et autres électriciens de la maison ducale. Bien au contraire. Dans l’ordre des dépenses du personnel vous aviez le duc, suivi de son chancelier (Nico Rolin), lui-même suivi de Jan van Eyck dont les fiches de paye nous disent qu’il percevait un salaire égal à la moitié de celui de Nicolas Rolin.
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Voici un tableau au premier abord assez sérieux, bien loin des folies borschiennes et pourtant van Eyck distille par petites touches une foule de symboles, de détails qui viennent en troubler la lecture. J’adore, car rien dans le travail de van Eyck n’est laissé au moindre hasard. Tout est réfléchi, à une histoire, une raison, un but. Et si vous ne me croyez pas, venez voir.

Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Le chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck
Une pensée particulière pour cette lectrice qui semblait attendre avec impatience ce tableau sur ce blog. J’espère qu’elle ne sera pas trop déçue et dans le pire des cas nous lui souhaitons une très bonne fête.

L’affaire Arnolfini : Enquête sur un tableau de Van Eyck de Jean-Philippe Postel
L'affaire Arnolfini : Enquête sur un tableau de Van Eyck de Jean-Philippe Postel
L’affaire Arnolfini : Enquête sur un tableau de Van Eyck de Jean-Philippe Postel

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