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vendredi 20 mars 2020

Georg Friedrich Händel (Halle 1685 - Londres 1759).

Georg Friedrich Händel

ou Georg Friedrich Haendel

Dict. Larousse de la musique

Georg Friedrich Händel
Compositeur allemand naturalisé britannique en 1726 (Halle 1685-Londres 1759).
Avec l'œuvre de Händel se clôt l'ère du baroque européen en musique. Son langage, qui fit du compositeur un maître de l'oratorio et de l'opéra italien, exprime grandeur et lyrisme : il est à la mesure de sa vie, où se mêlèrent les influences germaniques, italiennes et anglaises.

DES DÉBUTS PRÉCOCES EN MUSIQUE

Georg Friedrich appartient à une famille en mal d'ascension sociale, qui le voit plus en magistrat qu'en musicien. Dès l'âge de 7 ans, cependant, il se produit à l'orgue à la cour du duc de Saxe, qui encourage ses dispositions. Dès lors, son père se sent obligé de lui faire fréquenter le collège de Halle, qui dispense un enseignement général tout en assurant la formation musicale de ses élèves. Dans un cahier daté de 1698, Händel recopie les œuvres de vieux maîtres allemands de la polyphonie – auxquels il devra sa science contrapuntique. Inscrit en 1702 à la faculté de droit, il ne renonce pas pour autant à l'amour de la musique et devient organiste à la cathédrale de Halle.

CARRIÈRE ALLEMANDE ET INFLUENCES ITALIENNES

Händel n'a que 18 ans quand il décide de se rendre à Hambourg. Violoniste à l'Opéra, il sera aussi l'un des maîtres de musique du fils de l'ambassadeur d'Angleterre. C'est à Hambourg qu'il écrit et fait jouer son premier oratorio, la Passion selon saint Jean (1704), et ses premiers opéras en italien, Almira et Nero (1705). Séjournant en Italie de 1706 à 1710, il en assimile de plus en plus le style (Agrippina, 1709), tandis que les oratorios Il Trionfo del Tempo et la Resurrezione, élaborés en 1708, contribuent à asseoir sa notoriété.

UNE NOUVELLE PATRIE : L'ANGLETERRE

C'est cependant de l'Angleterre que Händel, en 1712, va faire sa patrie d'adoption – malgré le poste de maître de chapelle qu'il a obtenu en 1710 à la cour de Hanovre. Peut-être songe-t-il à occuper la place laissée vacante dans l'opéra par la mort de Purcell (1695) ? Dans l'immédiat, Händel répond à la bienveillance des Stuarts en faisant exécuter un Te Deum pour célébrer la paix d'Utrecht et une ode pour l'anniversaire de la reine Anne.
Lorsque George de Hanovre est appelé à monter sur le trône et devient Georges Ier (1714), Händel renoue avec son ancien protecteur et lui destine la Water Music (1717), suite de pièces, surtout dansées, qui sont jouées lors d'une promenade sur la Tamise. Entré ensuite au service du comte de Carnarvon, futur duc de Chandos, il compose les douze Chandos Anthems (1717-1719), cantates religieuses, Acis and Galatea (1720), oratorio profane, ainsi que huit suites de pièces pour le clavecin.

UNE ŒUVRE PROLIFIQUE, JUSQU'À LA FIN

Revenu à Londres en 1720, il y est nommé directeur de la Royal Academy of Music. Avec Radamisto (1720), il inaugure une série d'œuvres lyriques qui tentent d'imposer l'opéra italien en Angleterre.
Naturalisé anglais en 1726, Händel a le privilège d'écrire les quatre Coronation Anthems pour le couronnement du roi George II (1727). Suivront les quinze sonates pour flûte traversière, violon ou hautbois (vers 1731). Si Händel continue à se battre sur le terrain si difficile de l'opéra italien, il a également l'idée d'utiliser des livrets en anglais (Ezio et Sosarme, 1732). De plus en plus, cependant, il va cultiver le genre de l'oratorio biblique (Deborah, 1733), sans délaisser l'oratorio profane (Alexander's Feast, 1736, sur une ode de John Dryden). À ses six concertos grossos pour orchestre (1734), il ajoute de célèbres concertos pour orgue (1738), qu'il interprète en intermèdes à ses oratorios. Son Messie, qui est l'un des sommets de la musique sacrée, est créé en 1742.
Bien qu'on reproche à Händel d'introduire des textes sacrés au théâtre, il reste fidèle à l'oratorio profane (Semele, 1744 ; Hercules, 1745). Il se fait aussi un devoir des pièces de circonstance (Judas Maccabaeus, 1747, célébrant la victoire du duc de Cumberland à Culloden ; Music for the Royal Fireworks, 1749). Privé presque complètement de la vue (1752), Händel n'en continue pas moins, pendant neuf ans, à composer (The Triumph of Time and Truth, 1757), à interpréter et à diriger ses œuvres. À sa demande, il sera inhumé à Westminster.

UN HOMME D'EXCEPTION

À plus d'un titre, Händel eut une existence exceptionnelle. À une époque où la durée moyenne de vie se situe entre 25 et 30 ans, il atteint l'âge de 74 ans et, jusqu'à ses derniers jours, cultive le goût du voyage. Il est aussi le Saxon d'origine qui décida de se soustraire à la protection d'un prince pour venir faire carrière en Angleterre, sans se douter qu'il y travaillerait à nouveau pour ce même prince une fois celui-ci devenu roi !
Dans ce milieu anglais qu'il adopta et qui l'adopta, Händel élabore un art dont le fondement même repose sur le mélange des genres. Sur le plan de l'esthétique musicale, on peut parler de lui comme d'un romantique avant la lettre, auteur d'une œuvre qui annonce celle de Liszt, un siècle plus tard.

LES ŒUVRES DE HÄNDEL

          
LES ŒUVRES DE GEORG FRIEDRICH HÄNDEL
Musique instrumentale
Environ 24 suites pour clavier 
6 fugues pour claviervers 1735
20 sonates, dont :
15 sonates pour une flûte traversière, un violon ou hautbois, opus 1 (vers 1731)
1 pour viole de gambe
6 pour deux hautbois
 
Pour orchestre
Water Music1717
Music for the Royal Fireworks1749
6 concerti grossi, opus 31734
12 concerti grossi, opus 61739
3 concerti pour deux orchestresvers 1740-1750
6 concerti d'orgue1738
6 concerti d'orgue1761
Musique vocale
Mélodies variées sur des textes allemands, italiens, français et anglais. 
21 duos italiens. 
30 cantates italiennes environ1706-1710
Psaumes latins1707-1713
Ode for the Birthday of Queen Anne1713
12 Chandos Anthems1717-1719
4 Coronation Anthems1727
Funeral Anthem for Queen Caroline1737
Foundling Hospital Anthem1749
Oratorios bibliques
Esther1720-1732
Athalia, Deborah1733
Saul,Israel in Egypt1739
Ode for Saint Cecilia's Day1739
Messiah1742
Samson1743
Joseph and his Brethren1744
Belshazzar1745
Judas Maccabaeus1747
Joshua1748
Susanna, Solomon1749
Theodora1750
Jephtha1752
Oratorios profanes
Il Trionfo del Tempo1708
Aci, Galatea e Polifemo1708
Acis and Galatea1720
Alexander's Feast1736
Semele1744
Hercules1745
Alexander Balus1748
The Choice of Hercules1751
The Triumph of Time and Truth1757
Opéras
Almira1705
Nero1705
Rodrigo1707
Agrippina1709
Rinaldo1711
Pastor fido1712
Teseo1713
Silla1714
Amadigi di Gaula1715
Radamisto1720
Muzio Scevola1721
Floridante1721
Ottone1723
Flavio1723
Giulio Cesare1724
Tamerlano1724
Rodelinda1725
Scipione1726
Alessandro1726
Admeto1727
Riccardo primo1727
Siroe1728
Tolomeo1728
Lotario1729
Partenope1730
Poro1731
Ezio1732
Sosarme1732
Orlando1733
Arianna1734
Pastor fido (2e version)1734
Ariodante1735
Alcina1735
Atalanta1736
Arminio1737
Giustino1737
Berenice1737
Faramondo1738
Serse1738
Imeneo1740
Deidamia1741

CITATIONS

« Il est notre maître à tous. »
Joseph Haydn, en 1794, après avoir entendu des oratorios de Händel à Westminster.
« Händel est le plus grand, le plus solide des compositeurs ; de lui, je puis encore apprendre. »
Ludwig van Beethoven, en 1826.
Händel (Georg Friedrich)
ou Georg Friedrich Haendel
Encycl. Larousse

Compositeur allemand, naturalisé anglais en 1726 (Halle 1685 – Londres 1759).

Fils de Georg Händel (1622-1697), chirurgien-barbier, et de Dorothéa Taust (1651-1730), épousée en secondes noces en 1683, Georg Friedrich Haendel montra très tôt, pour la musique, des dons exceptionnels que seules sa mère et sa tante devinèrent. Ayant décidé de faire de lui un juriste, son père, homme tenace et sévère, refusa que le duc de Saxe, vers 1694, puis le roi Frédéric Ier de Prusse, rencontré à Berlin en 1696, prissent soin de son éducation musicale. Il accepta toutefois de confier l'enfant à Zachow, remarquable musicien de Halle, qui lui enseigna fugue, contrepoint, composition, ainsi que la pratique de plusieurs instruments (clavecin, orgue, violon, hautbois, peut-être violoncelle). Zachow lui fit surtout découvrir les maîtres contemporains, allemands et italiens (Froberger, Kerll, Ebner, Alberti, Strungk, Krieger).

Au contact des milieux musicaux de l'époque
Fidèle à la promesse faite à son père et pour complaire à sa mère (deux traits de caractère majeurs du musicien), Haendel poursuivit ses études au lycée, devint organiste de la cathédrale de Halle en mars 1702 ; mais, avide de plus larges horizons, il résilia dès 1703 son contrat et se rendit à Hambourg. Mattheson l'introduisit alors dans les milieux musicaux et cultivés de la ville, notamment chez le consul d'Angleterre, à Sainte-Marie-Magdeleine, où il tint l'orgue, et surtout à l'orchestre de l'Opéra, où, après avoir joué comme violoniste et claveciniste, il produisit une Passion selon saint Jean (carême 1704), puis son premier opéra, Almira, créé avec succès le 8 janvier 1705, et bientôt suivi de Nero (25 février 1705). Devant l'échec de cette pièce et mécontent de la situation musicale à Hambourg (notamment faillite frauduleuse de Krieger, directeur de l'Opéra), il se rendit, sur l'invitation de Gian-Gastone de Medici, à Florence (octobre 1706), puis à Rome (début janvier 1707), où il se lia avec l'élite intellectuelle : à l'Accademia d'Arcadia que fréquentaient mécènes (cardinaux Pamfili, Ottoboni) et musiciens (Corelli, A. et D. Scarlatti, Pasquini, Marcello). De cette époque datent de nombreuses compositions religieuses (l'extraordinaire Dixit Dominus, 1707) ou profanes (une centaine d'admirables cantates italiennes), où Haendel déploie tout son talent de mélodiste et qui sont autant d'essais pour maîtriser mieux une forme qui le requiert. L'opéra Rodrigo fut précisément créé à Florence en 1708, avant que le compositeur ne se rendît à Naples, où il écrivit la cantate Aci, Galatea e Polifemo et surtout un nouvel opéra, Agrippina, créé à Venise (26 décembre 1709). Triomphe difficile à renouveler, qui rendit Haendel prudent et lui fit accepter de devenir Kapellmeister de l'Électeur de Hanovre (juin 1710-automne 1712), mais qui le vit faire aussi un voyage à Londres (décembre 1710-juillet 1711), où Rinaldo obtint un large triomphe. Déçu de ne pouvoir monter son œuvre à Hanovre, et ayant continué d'entretenir des relations en Angleterre (avec le poète Hughes, par exemple), Haendel retourna à Londres, en novembre 1712.

L'Angleterre, une nouvelle patrie
D'abord logé chez le comte Burlington, où il fréquenta Pope, Gay, Swift, Arbuthnot ou Pepusch, Haendel écrivit là quelques œuvres profanes (Il Pastor fido, Teseo, etc.), qui le feront devenir compositeur officiel de la couronne. Après l'Ode pour l'anniversaire de la reine Anne (février 1713), il allait écrire, en effet, l'Utrecht Te Deum and Jubilate (mars 1713), qui devint partition officielle, puis un autre Te Deum en ré, lorsque l'Électeur de Hanovre devint roi d'Angleterre en juin 1714, et enfin un nouvel opéra, Amadigi, d'après Houdar de la Motte. Suivant son souverain à Hanovre, Haendel retourna en Allemagne au cours de l'été 1716 et y composa une Passion sur un texte de Brockes (que devaient également utiliser Keiser, Telemann, Mattheson et J.-S. Bach), donnée à Hambourg lors des carêmes de 1717 et 1719. Il n'entendit pas son œuvre : depuis fin décembre 1716, il était de nouveau à Londres où l'accueillit, cette fois, le duc de Chandos (été 1717). Après avoir écrit pour le roi la célèbre Water Music (créée en juillet 1717), il composa pour la chapelle du duc les admirables Chandos Anthems, psaumes sur paroles anglaises qui allaient être aux oratorios futurs ce qu'avaient été les cantates italiennes par rapport à ses opéras, à savoir des « galops d'essai ». Mais, pour l'heure, Haendel ne chercha pas à créer des oratorios, même après le succès d'Haman and Mordecai (Esther I, 1720).

La création d'une académie : joies et vicissitudes
Tourné vers la scène, attiré uniquement par l'opéra, il se jeta à fond dans une entreprise éprouvante : la création d'une académie, sorte de société par actions, placée sous patronage du roi (d'où le nom de Royal Academy) et chargée de monter des opéras. Dès lors, la vie de Haendel devint l'histoire de ses succès, de ses revers, de ses luttes pour imposer, moderniser, harmoniser l'opéra, en faire, parfois contre l'avis même du public, une œuvre totale où la musique exprime, dans un langage d'une exceptionnelle force évocatrice, le drame vécu par des personnages d'exception, placés dans des situations d'exception. La première académie (1720-1727) se déroula comme une tragi-comédie en cinq actes. Acte premier (1720-1722) : après une entrée triomphale (Radamisto, avril 1720), Haendel se vit opposer Bononcini par ses protecteurs mêmes (Burlington et le conseil d'administration de la Royal Academy). Acte II (1722) : le parti de Bononcini l'emporta avec la Griselda de ce dernier. Acte III (1723) : Haendel donna un coup d'arrêt avec Ottone et la publication de ses Sonates pour flûte et violon op. 1 et 2, renouvelant ainsi le succès de ses huit Pièces de clavecin (Recueil I, 1720). Acte IV (1724-25) : reprise du terrain perdu avec un brelan de chefs-d'œuvre (Giulio Cesare et Tamerlano, 1724 ; Rodelinda, 1725), défaite de Bononcini. Acte V (1726-1728) : consécration de Haendel avec Scipione, Alessandro, Admeto, mais débâcle de la Royal Academy, due à la cabale, aux difficultés financières, aux nombreuses jalousies et, en particulier, aux querelles entre les sopranos vedettes, la Bordoni et la Cuzzoni, qui, en juin 1727 et en présence du prince de Galles, en vinrent aux mains sur scène. Scandale que ne pouvaient effacer les créations ­ et succès ­ de Riccardo Io (novembre 1727) ou de Siroe (février 1728).

   Affranchie de l'ancien conseil d'administration où dominaient officiels et gens de cour, sous la seule conduite de Haendel et de son associé Heidegger, la Nouvelle Académie (1729-1733) connut les mêmes vicissitudes que la précédente, malgré le recrutement de nouveaux chanteurs, ce qui amena Haendel à se rendre en Italie (mars-mai 1728) et en Allemagne (juin-juillet), où il vit pour la dernière fois sa mère devenue aveugle, mais où il ne put se rendre à l'invitation de J.-S. Bach à Leipzig. De décembre 1729 à février 1732, il assura la création de Lotario, Partenope (un chef-d'œuvre), Poro (1731), Ezio et Sosarme (janvier et février 1732). Malgré l'appui et la subvention du roi (1 000 livres), malgré les reprises de pièces à succès (Giulio Cesare, notamment), Haendel lutta pour assurer la survie de son entreprise. En 1732, le succès d'Esther, l'invitation de Haron Hill à écrire sur des textes anglais eussent pu l'amener à délaisser l'opéra. C'eût été, à ses yeux, abdiquer. Le succès d'Orlando en janvier 1733 l'ancra d'ailleurs dans cette idée. Pourtant, le public accourut et fit fête à Deborah, oratorio sur texte vernaculaire, ainsi qu'à Athalie créé à Oxford. Par goût, orgueil ou volonté de vaincre, Haendel continua donc à écrire des opéras, ne fût-ce que pour faire face au Nobility Opera, entreprise concurrente suscitée par le prince de Galles et soutenue par la gentry qui patronnait Hasse et Porpora. Combat incessant, semé d'embûches (rupture du contrat de Heidegger, ce qui obligea Haendel à transporter sa troupe chez John Rich à Covent Garden), semé d'échecs ou de victoires (Arianna, janvier 1734) ; Il Parnasso in festa, mars 1734 ; Ariodante, janvier 1735 ; Alcina, avril 1735). Händel (Georg Friedrich)
ou Georg Friedrich Haendel (suite)
Des opéras aux oratorios
Épuisé par ces luttes incessantes, par son travail de « compositeur-chef d'orchestre-impresario », il se rendit aux eaux de Turnbridge Wells (été 1735), prépara la saison suivante (Alexander's Feast, Wedding Anthem), écrivit au cours de l'été 1736 Giustino, Arminio, Berenice et Didone abbandonata. Il ne put, toutefois, en assurer la création, le 13 avril 1737, ayant eu quelques heures plus tôt une attaque (infarctus ? congestion cérébrale ?), qui le laissa à demi paralysé. Mais le 11 juin, quatre jours avant le sien, le Nobility Opera fermait. Si Haendel entraînait dans sa chute l'entreprise concurrente, il demeurait également sans force. Finalement, il consentit à se rendre aux eaux d'Aix-la-Chapelle (septembre 1737). Remède miracle qui le rétablit incontinent. Le 28 octobre, le London Daily Post annonçait son retour. Immédiatement, Haendel composa deux nouveaux opéras : Faramondo (dont la création fut retardée par le décès de la reine Caroline, ce qui nous vaut l'admirable Funeral Anthem), puis Serse en avril 1738, tandis que paraissait chez Walsh ses opus 4 (Six Concertos pour orgue) et 5 (Sept Sonates en trio à 2 violons ou 2 flûtes), qui rencontraient un éclatant succès. Haendel eût-il été, dès lors, boudé pour ses seuls opéras ? S'avouant invaincu, il donna alors Imeneo (novembre 1740), suivi de Deidamia (janvier 1741). Devant la froide réaction du public, hostile à la forme, au livret italien, au style

   même de l'opéra, il abandonna alors définitivement la scène (10 février 1740), et, dans la fièvre, composa immédiatement deux oratorios : le Messie en août-septembre, Samson en octobre. Puis, à l'invitation de William Cavendish, il se rendit à Dublin, où allait triompher précisément son Messie (13 avril 1742). Revenu à Londres fin août, il se tourna alors résolument vers l'oratorio, souvent joué avec un succès qu'avivaient les Concertos pour orgue donnés aux entractes et où il improvisait d'éblouissantes cadences. Ainsi, virent le jour Samson (février 1743), Semele (février 1744), Joseph et ses frères (mars 1744), Hercules (janvier 1745), Belshazzar (mars 1745), qui connurent des fortunes diverses en dépit de leur extrême qualité. À partir de là, Haendel abandonna le système des souscriptions ­ favorisant trop la gentry sans pour autant l'assurer du succès ­ et joua désormais « à bureaux ouverts ».

Les derniers chefs-d'œuvre
Peu à peu, un retournement allait se faire en sa faveur, le public anglais ayant admiré son courage dans l'adversité (une nouvelle attaque l'avait frappé en 1743) et sa fidélité lors de la révolte jacobite. Haendel fit alors de plus en plus figure de héros national, même si son œuvre resta discutée ­ ce qui l'obligeait à reprendre ses pièces les plus « rentables » et ses derniers oratorios (Judas Maccabeus, avril 1747 ; Alexander Balus, mars 1748 ; Joshua [id.] ; Solomon, mars 1749 ; Susanna, février 1749) connurent une faveur croissante que porta à son comble la Fireworks Music commandée par le roi pour célébrer la paix d'Aix-la-Chapelle. Malheureusement ni Theodora (mars 1750) ni Jephta (février 1752) ne rencontrèrent l'estime méritée. En fait, le public n'avait point compris ni partagé sa propre ascension spirituelle. Dès lors, ses dernières années, en dépit de nombreuses reprises et auditions de ses œuvres, tant en Angleterre et en Irlande que sur le continent, furent fortement attristées, d'autant que ce grand « musicien visuel » perdit la vue en 1753, malgré l'intervention de deux célèbres praticiens ­ dont Taylor, qui avait déjà opéré J.-S. Bach.

   Le premier moment d'abattement passé, Haendel se remit pourtant au travail, suivant toujours de près la production musicale contemporaine, dictant son courrier, modifiant certaines œuvres antérieures. Mais sa santé déclinait. Le 6 avril 1759, il parut en public pour la dernière fois, lors d'une exécution de son Messie que dirigeait J. C. Smith. Il désirait mourir le vendredi saint ­ comme le Christ. Son vœu de chrétien allait être (presque) exaucé : il s'éteignit en effet le samedi saint 14 avril 1759. Le 20 avril, trois mille personnes lui rendirent un dernier hommage à l'abbaye de Westminster, où désormais il repose.

Un puissant organisateur
Grand, fort, plein de feu, impétueux, péremptoire, parfois brutal, sinon violent dans l'expression, mais d'une extrême bonté et d'une constante générosité, Haendel se montrait indomptable, prenant comme Beethoven « le destin à la gueule », et travailleur acharné. On le trouvait sans relâche à son clavecin, dont il usa les touches, et à son écritoire : un jour ­ Noël 1737 ­ sépare Faramondo de Serse ; trois jours séparent Saül d'Israël. Travaillant vite, mais raturant beaucoup, il composa Theodora en cinq semaines, le Messie en vingt-quatre jours, Tamerlano en vingt. Il laissa une œuvre immense, capitale, tant sur le plan de la diversité (il a abordé tous les genres) que de la spiritualité. Dès lors, il est éminemment regrettable que, par la faute d'artistes ou de critiques médiocres et de chefs d'orchestre trop peu curieux, cette œuvre demeure en grande partie cachée au public.

   Usant de la langue de son époque ­ comme Bach ­, Haendel se montra moins révolutionnaire qu'évolutionnaire. Mais, à avoir fréquenté sous différents cieux l'élite intellectuelle et sociale de son temps, il apparut comme un puissant organisateur, comme un merveilleux instrument de synthèse de l'art européen. L'Allemagne lui inculqua la solidité des plans, la carrure des rythmes, une certaine piété intérieure, jamais démentie. L'Italie développa ses dons de mélodiste, sa verdeur, son ingéniosité, son goût aristocratique, son sensualisme pour les couleurs et les sonorités. De la France, il écouta les leçons de clarté, d'élégance, d'équilibre. L'Angleterre, enfin, lui enseigna la poésie des virginalistes, la spontanéité de Purcell, ses ambiguïtés modales et ses audaces rythmiques.

   Fruit de cultures diverses, il ne cessa cependant de rester lui-même, demandant à son métier irréprochable, à sa fécondité, à son imagination d'exprimer sa pensée. Or celle-ci est, à la fois, inventive et d'extrême noblesse. Inventive, car Haendel, le tout premier, introduisit des contrebassons à l'opéra (Tamerlano), libéra les basses de leur statisme (op. 5), pressentit la forme cyclique, la forme de quatuor (op. 5 également), de la symphonie (op. 6). Premier compositeur à vivre de sa plume, il vécut dangereusement et se battit contre tout et tous pour imposer sa vision d'un opéra infléchi vers une dramaturgie psychologique ­ ici, on perçoit l'admirateur de Corneille et de Racine ­, dont la musique exprime alors les moindres inflexions. En cela, il préfigure Haydn et plus encore Mozart ; il eut même la prescience du leitmotiv. Enfin, il donna à l'oratorio une dimension et une signification jusque-là insoupçonnées. Pensée novatrice, donc, mais également d'une extrême noblesse. Son théâtre, ses oratorios mettent en scène les grands héros de l'Histoire (Giulio Cesare, Tamerlano), de la littérature (Alcina, Orlando), des livres saints ­ Saül, Solomon, Belshazzar. Attiré par ces immenses figures que sa fertilité d'invention, son aisance narrative surent élever à la hauteur du type et du mythe, il n'apparaît, en fait, jamais aussi génial que lorsqu'il lui fallait se mesurer avec ces êtres d'exception qu'il scrutait dans leur vérité profonde quand, victimes de forces supérieures, ils se retrouvaient face à eux-mêmes, à leur destin. Leur grandeur fut la sienne.

Une confondante ascension spirituelle
On assiste d'ailleurs, chez Haendel, à une ascension spirituelle qui, dans les derniers oratorios, mène aux profondes méditations sur l'orgueil (Sal), sur la jalousie (Heraklès), sur l'amour plus fort que la mort (Alexander Balus), sur la fin des civilisations (Belshazzar), sur la tolérance, politique et religieuse (Belshazzar, Theodora), enfin sur la religion (le Messie) et sur la place de l'homme dans l'univers (Jephta). Dans cet ultime ouvrage, testament de sa pensée musicale et spirituelle, Haendel inscrivit son propre credo dans les premiers (What ever is, is right) et derniers mots (Hallelujah ! Amen). Il laisse ainsi, image de sa propre existence, une leçon d'indépendance, de liberté de l'esprit, d'acceptation de la volonté divine et de soumission à la grande loi de l'univers. Mais aussi une leçon de courage, de défi que l'homme se lance à lui-même, opposant à une attitude démissionnaire la force de sa ferveur et de son espérance, de son courage, de sa lucidité, de son optimisme. Ainsi Haendel apparaît-il comme le dernier des grands humanistes de la Renaissance, mais aussi comme un éminent représentant du siècle des lumières. On comprend mieux, dès lors, les jugements de Haydn déclarant : « Haendel est notre grand maître à tous » ; de Beethoven confiant au soir de son existence : « C'est le plus grand compositeur qui ait jamais existé ; je voudrais m'agenouiller sur sa tombe » ; de Liszt, enfin, proclamant sans ambages : « Haendel est grand comme le monde. »

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