L’impressionnisme
Une nouvelle liberté artistique
Dans le Paris du début des années 1860, le Café Guerbois, au 11 de la grande rue des Batignolles devient les lieux de ralliement d’un groupe de jeunes artistes. Unis par un désir commun de dépasser ce qu’ils considéraient comme la stagnation de l’art contemporain, ils prônaient l’utilisation de nouvelles solutions stylistiques, techniques et thématiques. Fortement attachés à la peinture en plein air, refusant, à l’exemple des peintres réalistes, les sujets historiques, fantastiques ou romantiques chers à la peinture académique, ils s’attachaient à la restitution objective de l’environnement naturel et social. Membre du groupe du Café Guerbois, Edouard Manet exerça une influence profonde sur l’évolution. Pourtant, ce fut la contribution d’autres artistes, et en particulier de Monet, Renoir, Pissarro, Degas, et Cézanne, qui détermina la naissance de l’impressionnisme, moment pictural décisif dans l’histoire de l’art moderne. L’impressionnisme rejoint la littérature et se fond avec le réalisme d’un Zola comme dans le cas de Manet, où l’écrivain dévient un véritable ami du peintre. Par ailleurs, l’entraide devint à l’époque impressionniste, une saine habitude chez les artistes et intellectuels de l’époque.
Un atelier aux Batignolles, 1870, Henri Fantin-Latour, (Paris, musée d’Orsay). Comme chez les « macchiaioli » en Italie, les jeunes artistes et écrivains du XIXe siècle entendent sceller leur amitié se réunissant dans les cafés ou dans les ateliers. De gauche à droite, nous voyons Claude Monet, Jean Frédéric Bazille, Edmond Maître, Émile Zola, Zacharie Astruc, assis, Pierre-Auguste Renoir, Édouard Manet, assis les pinceaux à la main, et Otto Scholderer.
Femmes au jardin, 1866-1867, Claude Monet (Paris, musée d’Orsay). Le tableau est réalisé à Ville-d’Avray entièrement en plein air, à l’exception de quelques retouches faites dans l’atelier. L’œuvre est présentée au jury du Salon, mais elle est refusée. En janvier 1867, Bazille achète le tableau pour aider son ami Monet qui traverse une période de difficultés économiques.
Quelques aspects formels
Les impressionnistes rejettent le concept traditionnel de composition formelle : ils peignent ce qu’ils voient. Dans leurs œuvres, la composition ne dépend que du point de vue. Le peintre impressionniste cherche à fixer sur la toile la fugacité de l’impression suscitée en lui par la scène qu’il contemple. Selon le témoignage rapporté par John Rewald, à propos de la peinture de Renoir « Le Pont-Neuf » de 1872, l’artiste a peint la scène depuis une fenêtre du second étage d’un café. Pendant ce temps, son frère Edmond arrête les passants sous divers prétextes pour permettre à l’artiste d’ébaucher rapidement des personnages : ce qu’il fait en quelques touches de couleur rapides ; pour mieux rendre l’idée de mouvement et s’approcher de l’effet d’une instantané photographique, il évoque à peine, ne définit pas les détails des vêtements et les traits des visages.
Le Pont-Neuf, 1872, Pierre-Auguste Renoir (Washington, National Gallery)
En elle-même l’idée de peindre en extérieur ne comportait rien de nouveau. Entre 1820 et 1830, de nombreux artistes s’étaient établis dans les campagnes des environs de Paris (peintres de l’école de Barbizon) pour étudier les phénomènes naturels, les jeux de lumière et du changement des saisons. Mais il ne s’agissait que d’esquisses : l’œuvre définitive était réalisée en atelier pour être ensuite présentée au Salon. Mais, aux yeux des impressionnistes, ces « esquisses » étaient beaucoup plus proches de la réalité que l’œuvre définitive.
Le déjeuner sur l’herbe, 1865, Claude Monet (Paris, musée d’Orsay). Il s’agit peut-être d’une étude préliminaire réalisée en août 1865 à Chailly, avant la toile, dont il n’existe aujourd’hui que deux fragments au musée d’Orsay. L’artiste utilise ici de légères touches blanches pour souligner les parties éclairées.
Réunion de famille, détail, 1867, Frédéric Bazille (Paris, musée d’Orsay)
L’un des aspects les plus révolutionnaires de la technique picturale des impressionnistes est l’utilisation de la couleur, très différente des règles enseignées par l’Académie. L’expérience des possibilités infinies de la couleur conduisit à l’utilisation des recherches d’Eugène Chevreul sur la décomposition des couleurs (les impressionnistes s’inspirent avant tout des innovations apportées par Eugène Delacroix, l’un des premiers à mettre en pratique ces théories), à l’abolition des tons gris, à une luminosité du tableau toujours plus grande, à une expression picturale reposant sur les contrastes colorés. Dans une des plus belles toiles de Monet « Les coquelicots », l’attention du spectateur est attirée par le vaste champ de coquelicots auxquels le tableau doit son titre. Monet applique ici la loi du contraste simultané des couleurs de Chevreul, selon laquelle les différences entre deux couleurs complémentaires ressortent davantage lorsqu’on les associe. Le tableau devint une pure surface picturale, une nouvelle réalité.
Les coquelicots, 1873, Claude Monet, (Paris, musée d’Orsay). Monet définit les coquelicots par de simples touches rouges, librement distribuées sur le champ aux innombrables nuances de vert. Les lois des couleurs complémentaires et de la restitution de la lumière furent approfondies par Monet à travers ses infinies variations autour d’un même thème. Peint en plein air à Argenteuil, les nuages blancs et le ciel bleu ont été sans doute inspirés de Constable. Ce tableau fut présenté à la première exposition impressionniste.
Une moderne Olympia, vers 1873, Paul Cézanne (Paris, musée d’Orsay). Les couleurs sont lumineuses et brillantes, les touches denses et riches sont maintenant diluées et liquides, ce qui donne du mouvement à la composition. On ne voit plus ici les tons sombres des premières œuvres de jeunesse de l’artiste inspirées de Daumier et de Corot.
L’appellation commune « d’impressionnistes » recouvrait une unité essentiellement technique. Chaque individu suivait sa propre voie. L’impressionnisme ne se réclamait d’aucune théorie spécifique : il refusait au contraire tout débat de cet ordre avec le monde académique. Dans les œuvres qu’il consacre aux nymphéas, Monet fond la nature dans l’élément liquide, en éliminant sa propre consistance; il atteint ainsi à la pureté de la couleur, confirmant les recherches réalisées à la même époque par les représentants de l’abstraction.
Nymphéas, 1915, Claude Monet (Paris, musée d’Orsay). Constitue la série la plus tardive du peintre et forme une grandiose bande ininterrompue au long des sales de l’Orangerie à Paris, mise en place par l’auteur l’année de sa mort.
Claude Monet : Mettez impression !
« J’avais envoyé (à l’exposition du Boulevard des Capucines, en avril 1874), une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la bouée et au premier plan quelques mâts de navires pointant… On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondais : « Mettez Impression ». On en fit impressionnisme et les plaisanteries s’épanouirent ».Claude Monet.
En 1874, les peintres impressionnistes tinrent leur première exposition indépendante. Le lieu choisi est l’atelier du photographe Gaspard-Felix Tournachon, dit Nadar, au 35 Boulevard des Capucines. L’exposition est inaugurée le 15 d’avril, quinze jours avant le Salon, pour éviter que les gens puissent supposer que les œuvres ont été refusées par le jury. Trente artistes y participèrent avec plus de deux cents œuvres. Défi délibéré à l’autorité au Salon et à l’art académique, cette exposition inaugura aussi un rapport nouveau entre l’artiste et le public. Le terme « impressionniste » fut emprunté au tableau « Impression, soleil levant » de Monet par la critique d’art Leroy dans le compte-rendu qu’il donna de l’exposition. Dans l’article qu’il publie le 25 d’avril 1874 dans la revue Le Charivari : « Exposition des impressionnistes ». « L’objectif principal du peintre est de nous montrer la réalité filtrée par l’impression qu’elle suscite en lui. Il ne s’agit donc pas d’une réalité objective, mais subjective. » La première exposition ne connut pas de succès, mais les suivantes (1876, 1877, 1878, 1880, 1881, 1882, 1886) soutenues par l’engament de marchands d’art comme Durand-Ruel, créèrent un marché autour des œuvres du groupe. Aux environs de 1890, les impressionnistes atteignaient déjà des côtes élevées.
Impression soleil levant, 1872-73, Claude Monet, (Paris, musée Marmottant). Comme l’indique le titre, i ne s’agit pas de la « description » d’un paysage, mais de l »impression » ressentie par le peintre à un moment de la journée. La toile montre le port du Havre, mais Monet s’intéresse peu au paysage industriel, concentrant son propos sur les effets de la lumière. L’artiste distribue les touches créant des effets très suggestifs, qui stimulent l’imagination et la sensibilité poétique du spectateur. Le tableau met en évidence l’influence des peintres anglais comme Turner.
En 1896, Zola notait : « Chez Manet, l’eau est vivante, profonde, vraie surtout. Elle clapote autour des barques avec des petits flots verdâtres coupés de lueurs blanches. Elle s’étend en mares glauques qu’un souffle fait frissonner, elle allonge les mâts qu’elle reflète en brisant leur image, elle a des teintes blafardes et ternes qui s’illuminent de clartés aigües ». Les surfaces de l’eau attirent particulièrement Monet et les impressionnistes, car elles leur permettent de créer des zones fluides, qui reflètent les objets, les lumières et les couleurs. Ils aiment les images tremblantes, indéfinies et en mouvement. Monet subit les influences de Corot, ainsi que de Turner et de Constable, dont il vit les œuvres à Londres en 1870, des Hollandais lorsqu’il visita les Pays-Bas en 1871 et de l’art japonais. À l’époque où Monet séjourne à Argenteuil, pour pouvoir travailler en plein air dans le calme et la tranquillité, et tout comme d’autres peintres, le peintre aménage un bateau atelier : petite barque équipée d’un dais et d’une cabane en guise d’abri. Dans ce paisible univers, il navigue sur la Seine pour peindre les berges et l’eau.
Claude Monet et sa femme dans l’atelier flottant, 1874, Edouard Manet (Munich, Neue Pinakothek)
Vues urbaines
Dans leur passion pour le plein air, la campagne et les jardins, les artistes se consacrent aux vues urbaines, de Paris notamment, qui connaît à cette période un développement considérable. Les impressionnistes sont à l’aise sur les vastes boulevards arborés ou les larges trottoirs, sur lesquels donnent les cafés, les restaurants, les salles de bal, encombrés à toute heure du jour ou de la nuit par une foule de piétons et de voitures, comme nous le voyons dans les toiles de Caillebotte ou de Pissarro. Même s’ils sont issus de classes sociales différentes, les impressionnistes se sentent surtout proches de la bourgeoisie, dont ils partagent les goûts et la mentalité. L’immeuble et l’appartement devenaient des motifs parisiens par excellence, si bien qu’on peut le retrouver en littérature (Balzac, « Le Cousin Pons« ), dans l’illustration et la caricature comme celles de Daumier. Le surgissement de l’immeuble haussmannien dans les années 1850, met en évidence les grands principes de la politique urbanistique du Second Empire, reprenant l’idée d’une vision structurée de l’habitation collective, laissée en héritage par la Troisième République.
Rue de Paris ; temps de pluie, 1877, Gustave Caillebotte (Chicago, The Art Institute). L’unité chromatique des parapluies et des hauts-de-forme fait écho aux façades uniformes et à l’anonymat des passants.
Vue de Paris depuis le Trocadero, 1871-72, Berthe Morisot (Santa Barbara Museum of Art). Cette magnifique vue de Paris prise des hauteurs du Trocadéro, en aval du pont d’Iéna, fut réalisée par Berthe Morisot, qui faisait partie du groupe de femmes impressionnistes. Manet exécute de ce peintre d’admirables portraits ainsi que la très connue toile « Le balcon » où elle apparaît assise, en compagnie d’un couple, tenant un éventail dans ses mains.
Les rues nouvelles élargies, les façades uniformes, les ponts métalliques, les gares de fer et de verre, les peintres finissent pour s’attacher aux banlieues de la capitale où ils vont peindre aussi le monde des humbles, ou comme les nomme Huysmans « les plaintives déshérences ». Des établissements de bains sur la Seine pourvus de restaurant étaient très fréquentés par la petite bourgeoisie à une époque où le développement du réseau ferroviaire permettait enfin aux classes moyennes de profiter des plaisirs de la campagne. Les petits-bourgeois de Renoir, amateurs aussi de vie citadine, ne répugnaient pas à se trouver pour boire et chercher des amours faciles en des endroits pareils au Moulin de la Galette à Montmartre. Le quartier de Montmartre, avec ses petits loyers, ses femmes de joyeuse vie prêtes à servir de modèles et sa vie nocturne peu coûteuse, était pour cette nouvelle génération d’artistes un environnement idéal.
Paveurs de la rue Mosnier, 1878, Edouard Manet (Zürich, Kunsthaus)
Bal du moulin de la Galette, 1876, Auguste Renoir (Paris, musée d’Orsay). Renoir et Monet s’attachèrent surtout à dépeindre la vie de la petite bourgeoisie, évitant d’ailleurs d’en montrer les aspects les plus sordides. Leur radicalisme artistique ne comportait aucune connotation politique. Ils aimaient le soleil et les plaisirs.
Le métal attirait les peintres, aussi sûrement qu’un aimant. Dans « Le Pont de l’Europe » (1876-1877), Caillebotte exalte la géométrie des structures métalliques de l’ouvrage. Nous ne sommes plus derrière les barreaux de Manet (« Le Chemin de fer« ) mais devant un nouvel horizon fragmenté. Le singulier spectacle de la vitesse même si laisse quelques indifférents en retient d’autres, grands enfants aussi fascinés que la fillette du tableau de Manet.
Le Pont de l’Europe, 1876, Gustave Caillebotte, (Genève, Musée du Petit Palais)
La peinture de Gustave Caillebotte (Paris 1848 – Gennevilliers 1894) est basée sur une pratique magistrale, au vieux style, qui a lieu unique et exclusivement dans l’atelier : la préparation minutieuse et la réalisation de bon nombre d’esquisses. La perspective, la gamme chromatique, la matérialité et l’exactitude, provoquent une forte sensation de réalité. Sous ces aspects, la ville et l’espace du foyer familial sont reconnaissables pour être tirés d’un endroit ou la vie moderne est présente, ainsi que la réalité de la vie quotidienne, aussi bien de la bourgeoisie que des ouvriers comme c’est le cas des « Raboteurs de parquet ».
Jeune homme à la fenêtre, 1875, Gustave Caillebotte (Collection privée). Peignant des scènes de la vie urbaine et ouvrière, Caillebotte garda un profond sentiment de réalité, auquel il ajouta un ses aigu de la couleur et de la lumière issu des préoccupations impressionnistes.
Directions nouvelles
À partir de 1880, le mouvement impressionniste entre dans une période de crise. Une nouvelle approche stylistique étant parvenue à s’affirmer face à l’art officiel, le but immédiat pouvait être considéré comme atteint. Dès lors, ce furent les caractéristiques individuelles qui prirent le devant de la scène. Renoir remit à l’honneur la ligne et la forme, et se rendit en Italie pour étudier l’art de l’Antiquité et de la haute Renaissance. Pissarro rejoignit Seurat dans ses expériences sur la rationalisation de la couleur. Degas se consacra aux nus féminins. Monet se préoccupa surtout des effets de la lumière sur un sujet constant. Il poursuivit dans cette direction jusqu’à sa mort, en 1926. Ses dernières œuvres revêtent un caractère de subjectivité toujours plus accentué, sans qu’il soit possible d’y déceler le moindre rapport avec les développements récents de l’art moderne.
Bains à Asnières, 1884, Georges Seurat (Londres, National Gallery). Les tableaux de Seurat, grand représentant du néo-impressionnisme, sont fort élaborés, fruit d’un long travail préparatoire de croquis et de dessins. Seurat tire un parti formel des jeux d’ombre et de lumière et campe des personnages hiératiques qui renvoient à des valeurs classiques, se situant dans la postérité de l’art de Piero della Francesca et de Puvis de Chavannes.
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