Oscar Wilde dans la presse française, épisode 1 : naissance d'un immortel
9 NOVEMBRE 2016
Dans le roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, le peintre Basil Hallward parle ainsi de la presse : « Je crois que l’un de mes tableaux avait alors un grand succès et qu’on en parlait dans les journaux à deux sous qui sont, comme vous le savez, les étendards de l’immortalité du dix-neuvième siècle » (trad. Eugène Tardieu, 1920). A l’occasion de l’exposition « Oscar Wilde, l’impertinent absolu » qui se tient au Petit Palais (28 septembre 2016-15 janvier 2017), nous vous proposons d’explorer les archives de la presse française pour voir si elle a participé à l’immortalité d’Oscar Wilde…
Jean-Emile Laboureur (1877-1943), Illustration pour le Portrait de Dorian Gray
Un dandy esthète
Dès 1880, Oscar Wilde est devenu un personnage régulièrement caricaturé dans la presse anglaise. C’est au moment de sa tournée de conférences en Amérique, en 1882, que paraissent en France les premiers articles sur lui. Le Temps du 4 février 1882 commente la « manie esthétique » et les étudiants américains « vêtus à la Wilde », tandis que Le Gaulois du 15 août 1882 nomme les « Æsthetics ». Les journalistes retiennent surtout cette nouvelle mode vestimentaire initiée par le poète (La Justice du 28 janvier 1885 ou Le Petit Parisien du 31 janvier 1885).
Fin 1891, Wilde séjourne à Paris et Hugues Le Roux fait son portrait dans Le Figaro du 2 décembre 1891, puis Robert Sherard dans Le Gaulois du 17 décembre 1891. Cet article est publié au moment du retour d’Oscar Wilde à Londres, alors que Maurice Barrès vient de donner un dîner en son honneur. A Paris le poète a lu, au Théâtre d’Art, Salomé, qu’il a écrit en français et que Sarah Bernhardt a accepté de jouer. Mais en juin 1892, la pièce est censurée en Angleterre, une loi interdisant de représenter sur scène des personnages bibliques. Oscar Wilde menace alors de s’installer en France (Le Gaulois, 29 juin 1892) et toute la presse s’amuse de cette future naturalisation (Le Gaulois, Gil Blas), pendant que Henry Bauër, dans L’Echo de Paris, juge, à propos de Salomé, que « la mystification est devenue un procédé littéraire ».
Affiche du spectacle de danse Salomé de Loïe Fuller en 1895
L’affaire Oscar Wilde
En 1895, la presse française couvre toute l’affaire : la plainte pour diffamation contre le marquis de Queensberry (La Presse, L’Echo de Paris, Le Gaulois), le premier procès (Le Matin, L’Intransigeant), l’arrestation d’Oscar Wilde accusé « d’outrage public à la pudeur » et « sodomie » (Le Matin, La Justice), les deux procès (Le Figaro 27, 28 avril, 2, 4, 21, 23, 25 mai 1895) et la condamnation à deux ans de travaux forcés (Le Petit Parisien, Le Radical).
Si les journalistes se moquent de la pudibonderie anglaise, c’est aussi l’occasion, pour certains, d’attaquer le fumiste, la « décadence » et le dilettantisme de cet esthète ou de régler quelques comptes. Ainsi Jules Huret dans le supplément littéraire du Figaro cite les écrivains français « familiers » d’Oscar Wilde, ce qui se terminera par un duel (Le Figaro des 14, 16 et 18 avril). L’affaire est résumée dans Le Temps.
Certains écrivains français le défendent néanmoins. Laurent Tailhade (qui signe Tybalt) dans L’Echo de Paris du 29 mai 1895, Paul Adam dans La Revue blanche, Henry Bauer sur la férocité de la peine dans L’Echo de Paris, Octave Mirbeau dans Le Journal le 16 juin et le 7 juillet 1895, Jean Lorrain sous le pseudonyme de « Raitif de la Bretonne » ou Hugues Rebell dans le Mercure de France. C’est aussi le début des récits de souvenirs sur Oscar Wilde (Henri de Régnier, la version d’Alfred Douglas et les réactions de Rachilde, Jean Lorrain). L’américain Stuart Merrill lance dans La Plume une pétition pour demander à la reine Victoria un allégement de la peine ; Henry Bauër la relaie, François Coppée s’interroge, alors que Laurent Tailhaide s’y oppose.
La Presse, édition du 9 avril 1895
Le plus beau soutien est sans aucun doute celui de Lugné-Poë qui monte Salomé au Théâtre de l’œuvre en février 1896 (accompagné des articles de Jean de Tinan dans le Mercure de France, Jean Lorrain dans Le Journal, ainsi que ceux du Matin, Gil Blas, La Lanterne ou du Petit Parisien).
Oscar Wilde dans la presse française, épisode 2 : disparition de l'écrivain
17 NOVEMBRE 2016
Si Oscar Wilde n’a pas eu besoin de la presse pour devenir immortel, celle-ci reflète cependant toutes les étapes de sa vie, périodes de célébrité, de scandale et d’oubli, de sa sortie de prison jusqu’à sa mort en 1900. En 1907, son nom réapparaît dans les journaux et le nombre d’articles et de références le concernant ne fera qu’augmenter jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Illustration du Journal, 29 novembre 1937, "Oscar Wilde, vu par son ami Max Beerbohm"
Libération et arrivée en France
Dès le début de 1897, les journaux annoncent régulièrement la libération d’Oscar Wilde (La Presse), qui ne se produit que le 20 mai 1897. L’Echo de Paris donne quelques informations sur son lieu de résidence et l’identité sous laquelle il se cache. Il séjourne à Dieppe, puis à Berneval, en Normandie. Le pseudonyme que les journalistes français trouvent balzacien, Sébastien Melmoth, est en fait une référence à Melmoth the Wanderer (Melmoth, ou l’homme errant), roman gothique de Charles Robert Maturin, grand-oncle d’Oscar Wilde, publié en 1820.
Peu de personnes le rencontrent, encore moins des journalistes. Lugné-Poë dans La Presse du 28 mai 1897 évoque leur rencontre. On trouve aussi dans Gil Blas le 22 novembre 1897 le récit d’une entrevue de Louis Sérizier avec Oscar Wilde, sous la signature de Gédéon Spilett, reporter de guerre et accessoirement personnage de L’île mystérieuse de Jules Verne.
Portraits d'Oscar Wilde "vers 1900" par Ernest La Jeunesse, revue Maintenant, octobre-novembre 1913
Mort à Paris
Par la suite Oscar Wilde vit la plupart du temps à Paris, à l’hôtel de Nice puis l’hôtel d’Alsace, tous deux rue des Beaux-Arts. Il y meurt le 30 novembre 1900 (Le Figaro, L’Aurore, Gil Blas). L’enterrement a lieu au cimetière de Bagneux (Gil Blas, Echo de Paris). Jean Lorrain note le contraste entre les ovations passées et le silence de cette dernière période dans Le Journal les 6 et 10 décembre. Ernest La Jeunesse écrit un long article dans la Revue Blanche, suivi par Lucien Muhlfeld dans Le Journal.
1907 : Salomé et la Bibliothèque nationale
En mai 1907, l’actualité autour de l’œuvre d’Oscar Wilde est foisonnante : ses Poèmes sont publiés chez Stock, Salomé de Richard Strauss est jouée au théâtre du Châtelet (L’Echo de Paris du 9 mai 1907 ; La Presse, Le Gaulois, Le Temps du 10 mai 1907), Aubrey Beardsley expose ses dessins de l’édition anglaise illustrée de Salomé et Lugné-Poe monte La Tragédie Florentine au théâtre de l’œuvre (Gil Blas, 8 mai 1907 ; La Presse, 19 mai ; L’Aurore, 22 mai ; Le Temps, 27 mai).
Edition anglaise de Salomée illustrée par Audrey Beardsley
Le Figaro du 15 mai 1907 enquête : l’édition originale de Salomé, écrite en français par Oscar Wilde, a été publiée en 1893 par la Librairie de l’Art indépendant d’Edmond Bailly. Un bibliophile, souhaitant rééditer l’œuvre, s’est rendu à la Bibliothèque nationale, rue Richelieu, pour la copier et, à un an d’intervalle, a reçu la même réponse : « Le volume est à la reliure ». Le journaliste du Figaro s’y rend et reproduit ses échanges avec les bibliothécaires. L’écho est relayé par Gil Blas et, en fin d’année, l’affaire réapparait à propos des vols de la « Bande Thomas ». La presse soupçonne que le livre a été volé : l’exemplaire de Gallica, acquis en février 1908, confirme cette hypothèse.
Oscar Wilde dans la presse française, épisode 3 : le phénix
24 NOVEMBRE 2016
Dix ans après sa mort, les journalistes commencent à citer les aphorismes d’Oscar Wilde (Le Journal, 24 octobre 1911). Admiré et attaqué, il continue à faire scandale, car « même après sa mort, Oscar Wilde est destiné à défrayer la chronique ».
Dessin de Toulouse-Lautrec dans La Revue Blanche, mai 1895 et une photographie de la collection Rondel (Arts du spectacle)
« Le monument obscène » du Père-Lachaise
Le 24 juin 1909, Gil Blas annonce que les « restes d’Oscar Wilde » seront transférés au cimetière du Père-Lachaise et qu’une œuvre commémorative a été commandée au sculpteur Jacob Epstein. Cependant, des détails « particulièrement précis » du génie ailé d’Epstein retardent l’inauguration et le monument est couvert d’une bâche (Le Journal, 28 septembre 1912). Epstein refuse de corriger son œuvre et une grande partie de la presse proteste : L’Humanité, Le Temps ou Comœdia, qui titre le 9 octobre 1912, « Oscar Wilde prisonnier de la Préfecture de la Seine ».
Le Journal, 28 septembre 1912
L’année suivante, l’inauguration n’a toujours pas eu lieu (Gil Blas, 25 février 1913). En avril, L’Action d’art lance une pétition signée par Apollinaire et Remy de Gourmont (Le Siècle reproduit sa protestation). Le 31 mai 1913, Séverine écrit même une « requête » au préfet de la Seine dans Gil Blas. Le journal finit par qualifier l’inspecteur des Beaux-Arts de la ville de Paris de « grand culottier des cimetières » le 7 novembre 1913. Pour le treizième anniversaire de la mort d’Oscar Wilde, le monument est débâché sans autorisation (Le Journal, 6 novembre 1913), mais toujours incomplet (Comœdia, 1er décembre 1913).
Rumeurs, doutes et attaques
Des rumeurs sont relayées par les journaux. Très tôt, sa mort est mise en doute (L’Intransigeant, 21 février 1909). Le Rappel (26 mai 1905) cite un journal de Berlin : Oscar Wilde vivrait à New York ; La Croix (13 février 1909) cite un journal italien : il aurait été vu à Turin. En 1913, c’est Arthur Cravan, neveu d’Oscar Wilde (Gil Blas, 19 octobre 1913) qui publie dans sa revue Maintenant des documents inédits et un « Oscar Wilde est vivant ! » (oct.-nov. 1913). Il y a aussi des interrogations sur les réelles causes de sa mort, par exemple Le Journal (29 novembre 1937) évoque un empoisonnement.
« Les métamorphoses d’Oscar Wilde », deux détails de La Lanterne, 16 juin 1895
L’Aurore (26 juin 1909) plaisante « Et tous les homosexuels ne peuvent pas s’appeler Oscar Wilde, que ses admirateurs prétendent aujourd’hui glorifier… » et doute de sa postérité littéraire : « La gloire littéraire de Wilde n’est pas encore si indiscutée qu’elle fasse tout oublier », comme Gil Blas (22 juillet 1909) : « on va sans doute découvrir en Oscar Wilde un génie qu’il n’a pas ».
Léon Daudet dans L’Action française attaque Oscar Wilde violemment sans varier son vocabulaire : « aliéné moral » (7 juin 1912 ou 4 juin 1938), « génial malade » (5 juillet 1937) ou encore « fou moral » (22 juillet 1936). La lecture de Salomé lui donne « le mal de mer » (5 mai 1910) et le 16 juin 1912, en introduction d’un portrait d’Oscar Wilde, il considère que « dans tout salonnard, un salomard sommeille ». Le 23 janvier 1936, il nuance un peu ses propos. Francis Jammes dans La Croix (12 juillet 1917) classe toujours Oscar Wilde parmi les « Littérateurs malades ».
Souvenirs et études
Les articles sur Oscar Wilde ne cessent de paraître. Ses traducteurs témoignent : Jean Joseph-Renaud dans sa préface d’Intentions en 1905 et Henry D. Davray dans le Mercure de France (1er octobre 1925 et 15 octobre 1926). André Gide l’évoque dans le supplément littéraire du Figaro (7 mai 1910). Les origines de Salomé sont rappelées (Gil Blas, 14 et 17 juin, L’Intransigeant, 26 juin 1912). Paris-Soir (26 mai 1925) révèle, à la suite du livre de Frank Harris (The Life and confessions of Oscar Wilde, Brentano, 1916 et the Fortune press, 1925) comment Oscar Wilde refusa de s’évader. Enfin, même son geôlier publie ses souvenirs (L’Intransigeant, 5 janvier 1912).
Illustrations dans Paris-Soir, 25 décembre 1929 et Le Figaro, 23 octobre 1934 (tableau de Toulouse-Lautrec)
Ses derniers jours et sa mort sont évoqués dans Le Temps (11 juin 1912), ou par Henri de Régnier dans Le Figaro (17 janvier 1928). « Oscar Wilde mourrait dans mes bras », récit de l’ancien propriétaire de l’hôtel d’Alsace est publié dans L’Intransigeant (30 novembre 1930). Léon Treich entame une série d’articles dans Le Petit Journal (2 puis 4 et 5 décembre 1935).
De très nombreuses analyses ou études sont publiées. Par exemple, dans le Mercure de France du 1er juillet 1918, Rachilde donne son impression à la lecture du livre de lord Alfred Douglas Oscar Wilde et moi et Claude Cahun relate un nouveau procès autour de Salomé en Angleterre. Pour le 25e anniversaire de sa mort, une société des Amis d’Oscar Wilde est créée (Le Rappel, 27 novembre 1925) et le supplément littéraire du Figaro publie un ensemble d’articles autour du puritanisme d’Oscar Wilde.
Pour aller plus loin :
La salle G (Littératures du monde) propose une bibliographie sur Oscar Wilde. Dans l’enceinte de la bibliothèque, d’autres documents sont consultables dans Gallica intra muros : une belle photographie d’Oscar Wilde, des éditions du Fantôme de Canterville et du Portrait de Dorian Gray, des coupures de presse ou un recueil d’articles sur Le procès d’Oscar Wilde, pièce d’Edmond Rostand.
Billets précédents de la série : Oscar Wilde dans la presse française, épisode 1 : naissance d'un immortel ; Oscar Wilde dans la presse française, épisode 2 : disparition de l'écrivain
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire