Leon Battista Alberti. La Peinture. Texte latin, traduction française, version italienne. Edition de Thomas Golsenne et Bertrand Prévost, revue par Yves Hersant
L'Art d'édifier. Texte traduit, présenté et annoté par Pierre Caye et Françoise Choay. Seuil, coll.Sources du savoir, 392 p. et 608 p.
Michel Paoli. Leon Battista Alberti 1404-1472. Les Editions de l'Imprimeur/ Tranches de villes, 128 p.
On fête le 600e anniversaire de la naissance, à Gênes en 1404, de Leon Battista Alberti, fils naturel d'un riche marchand, mort à Rome en avril 1472. Alberti est un parfait représentant de l'humanisme de la Renaissance italienne. Peintre, architecte, il a écrit des ouvrages sur à peu près tous les sujets, savants, ludiques, techniques ou artistiques. Le droit, la langue de Toscane, les mathématiques, la famille, l'amour, et même des propos de table. Il est surtout connu pour deux traités, l'un sur l'architecture, L'Art d'édifier (traduction française publiée en 1485), et l'autre, fondateur du nouveau statut des peintres et des œuvres, La Peinture (1435). Ces deux ouvrages viennent d'être réédités dans des traductions nouvelles aux Editions du Seuil, au moment où sort aussi un petit livre synthétique, une biographie suivie d'un bref résumé de ses textes par Michel Paoli.
Alberti est universellement connu pour cette phrase de La Peinture: «D'abord, écrit-il, j'inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles droits aussi grand qu'il me plaît, qui est pour moi en vérité comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l'histoire représentée pourra être considérée.» La fenêtre d'Alberti est un instrument et non une fin (comme on l'a cru par la suite). Inscrire la «fenêtre» sur la surface à peindre est le premier acte de l'exécution. C'est à partir de cette fenêtre que «l'histoire représentée pourra être considérée». Cette «histoire représentée» (traduction choisie pour le terme original d'historia) ne désigne pas le récit qui aurait servi de point de départ à la peinture, mais l'organisation dans l'espace des personnages et des objets, tels qu'ils sont réalisés lorsque le tableau est achevé.
«La tâche du peintre, écrit aussi Alberti, consiste à utiliser des lignes et des couleurs pour inscrire et peindre sur une surface toutes sortes de corps donnés, de manière telle qu'à une distance précise, et une fois établie avec précision la position du rayon de centre, tout ce que tu vois peint paraisse en relief et entièrement semblable aux corps donnés.» «Tu vois», écrit Alberti. Ce «tu» s'adresse au lecteur qui peut être le peintre mais qui peut être aussi un spectateur. Quant à la notion de «semblable aux corps donnés», elle est conditionnée par la totalité du dispositif: l'histoire représentée (qui n'est pas une portion du monde réel, mais une construction destinée à être peinte), la distance de vision (l'espace du peintre et du spectateur), et l'organisation de la surface peinte.
En 1435, Alberti décrit un objet, le tableau, qui est en cours d'apparition. Cet objet crée son propre espace de part et d'autre d'une surface (panneau, toile, etc.) dont la matérialité est annulée par la peinture. Il peut être déplacé dans n'importe quel endroit sans que cela en modifie l'apparence (à une distance de vision précise). Il ne dépend que de la vision qui l'organise et qui le contemple (celle du peintre et celle du spectateur). Il provoque, si l'on peut se permettre cet anachronisme, la rencontre de la production de l'image et de sa réception, et celle de deux individus (l'artiste et le destinataire). Cette définition est la matrice de la conception de l'art en Occident depuis la fin du Moyen Age.
L'Art d'édifier développe une théorie analogue, où les objets architecturaux sont des générateurs de relations entre les hommes: «Certains ont prétendu que l'eau ou le feu furent à l'origine du développement des sociétés humaines. Pour ma part, considérant l'utilité et la nécessité du toit et du mur, je me persuaderai qu'ils ont joué un rôle bien plus important pour rapprocher les hommes les uns des autres et les maintenir unis.» Comme l'écrit Françoise Choay dans son introduction, pour Alberti «c'est l'édification qui est à l'origine de la vie en société».
Passé la difficulté d'un langage et de références très éloignées des nôtres, la lecture des textes d'Alberti procure un sentiment étrange. Ses préoccupations et sa vision paraissent proches de nous, sa théorie de l'espace social (dans la peinture et dans l'architecture) opératoire. C'est à se demander s'il s'agit d'une projection naïve ou d'une remontée à la source.
https://www.letemps.ch/culture/alberti-linventeur-tableau


Leon Battista Alberti (1404-1472)

Publié le par PY. & I. Gouiffes

Leon Battista Alberti (1404-1472), surtout connu pour être un des plus grands architectes de la Renaissance, a publié vers 1460 le 1er traité de cryptographie du monde ocidental, l'essai De Componendis Cyphris. Il y présente notamment des tables de fréquence d'emploi des lettres, et explique ainsi pourquoi la cryptographie par substitution simple n'est pas sûre.
Ainsi l'alphabet de substitution change au cours du chiffrement : Alberti a inventé le premier procédé de chiffrement polyalphabétique. Ce procédé n'est pas parfait, et ne sera presque pas utilisé. En particulier, il n'y a pas de clé de chiffrement : celui qui parvient à entrer en possession du cadran saura déchiffrer tous les messages. Il faudra attendre Blaise de Vigenère et son célèbre carré pour avoir une vraie méthode de chiffrement polyalphabétique efficace.

Pour remédier à cela, Alberti présente plusieurs idées, la plus connue étant le cadran d'Aberti. Il propose d'utiliser deux disques concentriques. Sur le plus grand, fixe, on écrit l'alphabet dans le bon ordre. Sur le plus petit, mobile, on écrit l'alphabet, mais dans un ordre quelconque. L'expéditeur commence par ajuster les deux disques de sorte que les A coïncident. Pour chaque lettre du message clair, il cherche la lettre sur le grand disque : la lettre codée est celle qu'on lit en face sur le petit disque. Ceci n'est pour le moment qu'une simple substitution. Pour compliquer les choses, Alberti suggère de tourner périodiquement, par exemple tous les 4 lettres, le petit disque d'un caractère.


Deux textes très courts de Leon-Battista Alberti traduits par Claudius Popelin, peintre, émailleur et poète français du XIXeme siècle qui a fait précédé son travail d'un long prologue, d'une biographie de l'auteur. Ces deux longs chapitres épaississent considérablement ce petit livret. On doit aussi au traducteur les illustrations (pas toujours en phase avec les paragraphes correspondants ) mais qui éclairent bien le propos.

Les textes par eux-mêmes sont loin d'être des révélations avec un bémol sur le premier, de la statue, certainement moins connu, qui, outre un rapide plaidoyer pour la rigueur, pour la méthode comme pour l'usage des proportions, pour la copie des anciens et de la nature, se limite, au final, à une présentation technique d'un outil permettant de faciliter le repérage dans l'espace des orientations des différentes parties d'un modèle. Mais on peut se demander si Alberti a réellement construit et utilisé lui-même un tel engin vu qu'il manque clairement un élément permettant de repérer le plan horizontal qui semble indispensable à la justesse des résultats. Ces résultats sont d'ailleurs présentés longuement (plusieurs pages qui sentent le remplissage) dans un tableau sous la forme de coordonnées cartésiennes (position en abscisse, ordonnée et profondeur), alors que techniquement, et logiquement, en suivant le raisonnement de l'auteur, des coordonnées polaires (deux angles et une distance) auraient été bien plus efficaces.
Le second texte se divise en trois parties : les rudiments, la peinture et le peintre. La première est principalement orientée sur la présentation des éléments de base de la géométrie euclidienne et de quelques propriétés des triangles permettant de reconstruire un modèle en se fiant à la projection de certains de ses points sur un plan intersectant le cône visuel (moi, ça me parle mais j'ai appris à le faire en cm2 il y a très très longtemps) . Ces propriétés sont connues depuis la plus haute antiquité. Aujourd'hui on devrait les apprendre au collège, en quatrième (révision en arts plastiques, normalement, mais on dirait que maintenant c'est interdit par les programmes ou quasiment : la représentation d e l'espace doit rester une problématique "ouverte" sans tomber dans l'utilisation exclusive des notions dites du cube perspectif de la renaissance - qui n'est, soit dit en passant, qu'une variation très localisée de la méthode, limitée au travail d'un Paolo de la Francesca si je me souviens bien ), et elles sont massivement câblées (par millions) en dur dans les puces 3D qui garnissent les micro-processeurs à l'intérieur de nos tablettes, portables et autres matériel micro-informatique. Rien de difficile à comprendre, ni d'extraordinaire puisque d'un point de vue arithmétique, on compte une division, une multiplication et un coefficient par coordonnée spatiale. Cependant le concept qui permet d'y parvenir demande des explications et une bonne part d'imagination. Quand à la notion de pyramide visuelle, ici, elle laisse un peu à désirer puisqu'elle n'est clairement pas comprise : le sommet étant positionné non pas dans l'oeil du peintre, comme on le retrouve à l'envie dans les carnets de Léonard quelques décennies plus tard, ou même seulement de l'observateur mais, curieusement, à l'arrière de la tête. Bien dommage pour ce livre qui est sensé être une des références de base en histoire des arts et surtout dans celle de la représentation de l'espace dans les arts visuels de cette époque. La partie sur la peinture donne quelques conseils de division des surfaces peintes pour obtenir l'harmonie ainsi que la beauté tout en encourageant à suivre les recommandations des ainés pour ce qui est de progresser dans l'art lui même. Les prémisses d'une forme d'académisme en quelque sorte (mais ici le terme n'est pas encore la plus méprisante des insultes comme ça l'est devenu au siècle dernier).