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vendredi 28 février 2020

Ambasadorii (H.Holbein)

HANS HOLBEIN, LES AMBASSADEURS (1533), ANALYSE D'OEUVRE


les ambassadeurs de hans holbein
Les Ambassadeurs (1533)

Ce tableau est un chef d'oeuvre, riche par ses allusions historiques, les symboles culturels représentés et sa prouesse technique. S'atteler à l'histoire de ce tableau et aux conditions de réalisation seraient trop rébarbatifs pour ceux qui ont du mal à retenir les noms historiques, les événements historiques et autres, ou à s'y intéresser. Cette analyse d'oeuvre se focalisera donc sur la représentation en elle-même, et non pas sur son histoire, ni son contexte ( un peu quand même). Comme dans la plupart des oeuvres de la Renaissance, ce tableau a un commanditaire (une personne qui commande un tableau à un peintre), qui se trouve être représenté à gauche du tableau. Il a donc fait réaliser ce tableau pour une occasion spéciale. Le personnage de gauche est ambassadeur de France, le personnage de droite est un ami évêque, travaillant pour la réconciliation au sein de l'Eglise.


Premier regard:



Après un premier coup d'oeil sur le tableau, on constate que les deux personnages ne sont pas centrés. Ils sont en effet décalés à droite et à gauche. Posant leur bras sur le meuble, ils nous invitent à poser nos regards sur les objets représentés. La composition du tableau nous donne l'objet principal qui se trouve en avant-plan, cet objet tout déformé que cette analyse se mettra en devoir d'éclairer les lecteurs un peu plus loin.



Jean de Dinteville (à gauche) est représenté richement vêtu de par les couleurs chatoyantes et l'épais manteau de fourrure, la main sur une dague portant une inscription: Son âge, 29 ans. (Il est détenteur du pouvoir politique). Georges de Selve (à droite) est par contraste vêtu de noir, beaucoup plus en retrait, une coiffe sur la tête. (Il est le détenteur du pouvoir religieux). Cette association pouvoir politique/pouvoir religieux nous rappelle les dissensions au sein de l'Eglise. Parmi les critiques contre l'Eglise, on notait celle qui dénonçait les relations entre hommes politiques et hommes d'églises, trop proches au goût de certains croyants. Nos deux hommes s'appuient sur un meuble rempli d'instruments et d'outils. La situation des personnages puise sa source dans ces symboles représentés. En effet, beaucoup de jeunes gens commençaient, à cette époque, à s'enrichir et à s'élever dans la culture et la connaissance. Les deux hommes marquent ainsi leur désir de paraitre intelligent et puissant.



Ce tableau récèle donc des références, des symboles et une multitude de significations, comme cela est courant dans les tableaux de la Renaissance. La suite de l'analyse d'oeuvre vous en dira plus sur ces détails.



Détails: 



Concentrons-nous sur les objets représentés. Globalement y sont représentés l'astronomie, la musique et l'arithmétique, tous du domaine de la science et des arts. Bien entendu, il faut se remettre dans le contexte de l'époque de réalisation de l'oeuvre (à savoir la Renaissance, période où s'expand lesconnaissances des arts, des sciences diverses, de la philosophie, etc...où l'Homme se veut cultivé). 



Etage supérieure: 

Est représentée ici l'astronomie. Divers instruments de mesure du temps et d'instruments astronomiques sont posés sur cette étagère. Le personnage de droite repose son coude sur un livre, dont la tranche indique son'âge. A gauche se trouve un globe représentant des constellations. Il y a quelques cadrans solaires, dont l'un est réglé sur une date qui semble indiquer un événement religieux précis. Il y a aussi un torquetum, objet astronomique servant à l'époque à determiner le jour et la date. Le but ici est de représenter l'avancée de la science et le développement des instruments de mesure.



Etage inférieure: 



Sont représentées la musique et l'arithmétique. Le globe donne une série d'indications sur les lieux et nous montre le partage du Nouveau Monde entre les deux puissances coloniales émergentes (Espagne et Portugal). Le peintre aurait volontairement fait des fautes d'orthographe, dont le but serait de signifier le désordre du tableau et de symboliser le trouble du monde. 



Le livre à gauche est un livre d'arithmétique (science des nombres). Ce livre fait référence à l'importante émergence de la bourgeoisie à cette époque. Car ce livre (écrit par un mathématicien, Peter Apian) est un outil destiné aux marchands. Ce livre renvoie aussi à l'imprimerie, qui contribue à l'époque de la Renaissance à distribuer largement les connaissances. Avec un tel outil, le savoir se diffusait largement. On dit que sur la page apparait le premier mot "Dividirt", dont l'une des significations serait la division. Ce mot renvoie aux inquiétudes de nos deux personnages en ce qui concerne les dissensions au sein de l'Eglise. A cette époque, l'Eglise doit faire face à un mécontentement général parmi ses croyants et à l'apparition du protestantisme (les protestants critiquent les dérives, les abus de l'Eglise). 



Le luth est une référence à une autre oeuvre, dans laquelle est mis en avant la technique de la perspective. Par cette référence, le peintre a voulu montrer sa reconnaissance envers cette technique qui lui permet de peindre avec réalisme. Technique omniprésente durant la Renaissance. Le luth, symbole de l'harmonie, présente une corde cassée, symbole du questionnement de la mort, de la fin de l'existence, dans une période où les croyants ont peur pour leur salut après la mort. A cette période, la riche Eglise vendait des indulgences (les papes offraient le salut de l'âme aux riches donateurs). Ceci marque le conflit entre protestant et catholique.



Le livre ouvert sur deux pages est un livre de chants. La page de gauche représente un hymne de Luther (Martin Luther est considéré comme l'un des précurseurs du protestantisme) et la page de droite représente une version des Dix Commandements par le même Luther. Ici est représenté l'opposition entre la loi (symbolisée par les commandements) et la grâce (symbolisée par l'hymne). Selon Luther, ce ne sont pas les efforts de l'Homme qui lui donnent le salut, mais c'est par la grâce et la volonté de Dieu seul que l'Homme pourra accéder au paradis. Cette opposition est voulue et rappelle que Georges de Selve rapproche ses idées de Luther. Il est tolérant et semble favorable à une réforme de l'Eglise, tout comme Luther.



On assiste ici à un échelon d'intérêt, d'abord sur l'étagère supérieure montrant l'étude du ciel, puis descendant vers l'étagère inférieure, montrant les intérêts et préoccupations des hommes sur Terre. 



Le sol: 



Le sol est l'élément dont la signification serait la plus mystérieuse, parmi tout les éléments représentés. Mais on pense pouvoir l'identifier grâce à un autre sol qui se trouve à la Chapelle Sixtine, placé en dessous de la célèbre fresque "La création d'Adam" de Michel-Ange. Dans tout les cas, le sol représente un macrocosme, une représentation de l'univers dont le cercle centrale symbolise Dieu et les quatres cercles restants représentent les quatres éléments (Eau, Feu, Terre, Air). Cela pourrait signifier que la vie des deux hommes posés sur le macrocosme (et par extension la vie des hommes en général) dépendent de Dieu.



Anamorphose:



L'arrière-plan dévoile un crucifix, caché derrière les plis du rideau vert, dans le coin supérieur gauche. Il est positionné entre le monde des hommes et celui invisible à nos yeux, il symbolise le Christ médiateur entre l'Homme et Dieu. En effet, les protestants croient en un seul intermédiaire entre les hommes et Dieu, ce crucifix nous rappelle donc le Christ. 



L'objet déformé qui se trouve au premier plan est parfois appelé l'os de seiche. Au premier abord, on se demande ce qu'un tel élément fait ici et ce qu'il représente. En vérité l'effet qu'on observe s'appelle une anamorphose. Elle représente un crane qui n'est pas déformé, si on sait le regarder d'un certain point de vue. L'anamorphose consiste donc à donner l'illusion qu'un élément est déformé, mais cet élément se reconstitue quand on le regarde d'un certain angle ou si on utilise les bons outils. Ici, il faut se placer face au tableau, avancer vers la bordure droite et placer nos yeux à hauteur du visage des personnages. Puis regarder le crane de biais, les yeux collés tout près de la bordure droite du tableau. Et de façon assez impensable, on remarque que le crane n'est pas déformé, il est même très bien proportionné. Voici où réside la prouesse technique dans cette oeuvre.


La croix et le crane ensemble font références aux tableaux représentant la crucifixion (souvent le Christ est représenté avec un crane au pied de la croix. Le crane étant celui d'Adam.). Ce crane est bien entendu une vanité. Une vanité est représentée par des natures mortes, des objets qui indiquent le sentiment d'éphémère, de vide, de fragilité de la vie, qui soulignent la réalité de la mort face aux plaisirs de l'existence. Ici le crane symbolise la mort et rend vain tout le luxe et le savoir qu'on acquiert. De plus, avec les nombreuses références à la religion et à Dieu, on comprend que ce tableau cache une signification assez lourde


Conclusion: 



Les objets représentés traduisent le désir de paraitre en homme cultivé chez le commanditaire (Georges de Selve). Quoique toute l'oeuvre célèbre l'avénement des arts, des sciences et des idées de l'Humanisme en général, il faut y voir surtout une valeur morale qui jette de l'ombre sur tout et rappelle au spectateur que la mort plane toujours sur chacun de nous. C'est là où réside le mystère de ce tableau, pour ceux qui savent déchiffrer la forme anamorphique. (Car pour information, les gens de l'époque avaient du mal à déchiffrer cette énigme, seul les connaisseurs de la perspective et des déformations visuelles et possédant des yeux agguérris y arrivaient. Aujourd'hui nos yeux sont plus habitués à décoder les éléments visuels, c'est donc plus facile pour nous de deviner un crane, pas pour tous, mais pour la plupart).



Derrière une représentation plutôt flatteuse des arts et sciences, le peintre nous donne des indications plus ou moins cachées, discretes et jette un crane sur le sol. Une sorte de coup de théâtre final qui trouble la sérénité de l'ensemble de l'oeuvre. Un rappel aux deux hommes que la mort plane au-dessus de chacun et rend nos connaissances éphémères. Cet énigme fait référence à la peur de la mort qu'à l'époque de troubles et d'incertitudes au sein des croyants, ils n'osaient pas accepter. En une phrase, tout n'est que vanité face à la mort.

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