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jeudi 27 février 2020

Poussin- Et in Arcadia ego

« Et in arcadia Ego » ou l’étrange secret de Nicolas Poussin : part I

Après de longues semaines d’absence, Coincoin revient enfin, avec un sujet qui devrait passionner les foules : une analyse des Bergers d’Arcadie de Poussin ! Il sera, pour une fois, essentiellement question d’une approche iconographique, c’est-à-dire thématique, et non plastique, bien que ce mode d’approche-ci demeure indispensable dans la compréhension du sens iconographique.
Cette œuvre, les bergers d’Arcadie, qui est en fait duale, a déjà fait l’objet d’innombrables commentaires, et je ne prétends à rien sinon à en proposer une synthèse, dont les incongruités serviront de fil directeur. Il existe tout d’abord deux versions des Bergers d’Arcadie, dont l’une, la première chronologiquement, se trouve à Londres. Cette version, datée aux alentours de 1629, n’a rien que de fort classique : en effet, de nombreux peintres ont cherché à figurer un thème dont Panofsky, avec l’érudition qu’on lui sait, avait identifié, d’une part chez Ovide, dont Les Fastes[1] et les Eglogues[2] de Virgile traçaient un idyllique paysage et chez Théocrite d’autre part. Néanmoins, cette identification d’un quasi topos littéraire, quoiqu’intéressante d’un point de vue historique, se heurte d’emblée à une première interrogation : comment se fait-il que ces trois grands poètes latins aient à ce point idéalisé l’Arcadie, région aride, désertique même, de la Grèce, connue dès l’Antiquité pour son immense pauvreté, pauvreté dont on retrouve la trace aujourd’hui, puisque l’Arcadie, région montagneuse, est la seule région hellène à voir significativement baisser sa population, chassée par la misère. Il y a donc, dès l’Antiquité latine, un mystère lié à l’Arcadie, dans la mesure où elle y situe le Paradis terrestre, alors même qu’il s’agissait d’un lieu que les Grecs eux-mêmes considéraient comme hautement désolé. Au XVIIè siècle, l’Arcadie sera pensée essentiellement sur le modèle de l’Age d’or, de l’innocence où se croiseront bergers ingénus et moutons innocents, communiant tous deux dans un pâturage primordial.
De cette première énigme littéraire naîtra une série de représentations des descriptions arcadiennes que la poésie latine avait chantées. Ainsi Reynolds décidera-t-il d’en faire le domaine de Pan, domaine où les habitants se distingueront par leur talent musical, lequel sera signe de la compréhension de l’harmonie des sphères célestes. Le même thème se trouvera également traité par Guerchin, sur le même mode d’une vie idyllique, idéalisée, divinisée même. Là où ça devient intéressant, c’est que l’inscription « et in arcadia ego » se retrouve sur les tableaux des deux peintres. On a infiniment glosé sur le sens de cette inscription, sur son étonnante absence du verbe, et sur la difficulté de son interprétation. Littéralement, c’est-à-dire un peu bêtement, il est écrit « et je en Arcadie », traduction dont on perçoit sans mal le manque de sens. Le verbe est, par conséquent, sous-entendu. « Et in arcadia ego est une expression elliptique, explique Panofsky, comme Summum jus summa iniuria, E pluribus unum, Nequid nimis, Sic semper tyrannis, où le verbe doit être suppléé par le lecteur. Puisque ce verbe est sous-entendu, il faut qu’il soit suggéré sans équivoque au moyen de mots exprimés. En aucun cas il ne peut donc se conjuguer au passé. »[3] Pour comprendre quel est le verbe, le seul moyen s’avère ainsi être celui du report au contexte figuratif que nous offrent les différents peintres.
La version de Reynolds comme celle du Guerchin (1618) ont un point commun : la présence de la mort, que Guerchin symbolise par le crâne. Panofsky propose donc fort logiquement – et je suis totalement son interprétation – de traduire et in arcadio ego par « même en Arcadie, j’ [la mort] existe. » Autrement dit, même dans ce paradis idyllique chanté par les poètes et les peintres, la mort demeure présente et hante les lieux de son spectre inquiétant. Cela signifie également que le sujet de la phrase, celui qui parle n’est autre que la mort elle-même. On sait à quel point la présence d’un pronom tel qu’ego en latin signifie l’insistance sur le sujet d’énonciation, et la présence de cet ego ne peut être tout à fait neutre.
Tout ce que je viens de rappeler n’a pour seul but que de montrer à quel point Poussin, lorsqu’il réalise la première version des Bergers d’Arcadie vers 1629, ne fait que reprendre un topos littéraire et pictural, que d’autres avant lui avaient déjà fort bien exploité. Poussin s’inspire nettement du Guerchin dans cette première version, quitte à reprendre le thème de la surprise des bergers – évidemment liés à la question du pâturage –  découvrant la mort – toujours symbolisée par le Crâne posée sur le tombeau – au cœur même du paradis. Il y ajoute néanmoins un élément qui ne figure ni chez le Guerchin ni chez Reynolds, à savoir un fleuve : encore une fois, l’érudition de Panofsky nous apprend que cette première version devait prendre place en face d’un Midas se lavant le visage dans le Pactole, Pactole étant un Dieu-fleuve, ce qui avait appelé en résonnance la présence du Dieu-fleuve Alphée présent en Arcadie. L’ajout de ce fleuve résultait donc de la contingence de l’emplacement initial du tableau et non d’une nécessité intrinsèque à l’œuvre.
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Le Guerchin, Et in arcadia ego

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Nicolas Poussin, Et in arcadia ego, version de 1629
De fort belle facture, cette première version ne contentera pourtant pas Poussin, puisque celui-ci en proposera une seconde environ dix ans plus tard. Le fleuve a disparu, ce qui est fort logique dans la mesure où cette seconde version n’a pas de vis-à-vis thématique, mais, plus curieux, le crâne a, lui aussi, disparu. Plus troublant encore, l’attitude de surprise, voire d’effroi qui saisit les bergers lorsqu’ils rencontrent la mort a, elle aussi, totalement disparu ; à l’effroi a succédé la méditation. Iconographiquement, donc, cette seconde version est en parfaite rupture avec la première. Seul le tombeau indique encore la mort, mais le paysage qui offrait une végétation de plaine dans toutes les versions précédentes est désormais celui – plus véridique mais moins poétique – de l’aridité la plus totale, et de la désolation absolue et du fond montagneux ; malgré cela, nos bergers semblent plus sereins, moins inquiets. « Il n’est pas douteux, écrit Panofsky, qu’ici l’interprétation ait subi un changement radical. Les Arcadiens ne sont pas tant menacés par un futur implacable qu’ils ne méditent avec une douce nostalgie sur un passé de pure beauté. »[4]
Lorsque l’on est face à une telle modification, thématique et iconographique, il faut en toute quiétude se demander pourquoi Poussin a pu concevoir que cette seconde version serait meilleure que la première, et pourquoi il a totalement changé le sens – pourtant porté par la tradition donnant sens à cette représentation – de ces Bergers d’Arcadie. Et c’est ici que ça devient intéressant.
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Nicolas poussin, Et in arcadia ego, version de 1640
Je crois que l’on ne peut pas comprendre cette évolution si l’on en reste aux motifs iconographiques : certes le sens change thématiquement, mais peut-être faut-il aussi se pencher sur l’évolution plastique de l’œuvre. Poussin est un maître, un virtuose qui ne peut rien laisser au hasard. Ses connaissances mythologiques et philosophiques sont importantes, celles des intrigues politiques également. Rien de ce qui est symbolique ne lui est étranger. Or, en tant que peintre « classique », en tant que peintre dont le modèle absolu est Raphaël, on devrait s’attendre à trouver chez lui une structure plastique classique, c’est-à-dire une structure fondée sur l’étude d’Alberti et de la considération de la spécificité de la peinture parmi les autres arts ; je veux dire par là que l’une des innovations de la Renaissance consiste à penser la peinture indépendamment de l’architecture, et donc à lui attribuer des canons spécifiques ; de fait, on retrouve les séquences renaissantes chez Poussin des progressions géométriques comme 2/ 3, ¾ ; 4/5, etc. C’est le cas de la première version des Bergers d’Arcadie. Pour le dire très clairement, un peintre qui structure son œuvre en fonction d’orthogonales et de parallèles, a deux possibilités : soit il choisit des séquences géométriques proportionnelles (méthode renaissante et classique), soit il fonctionne par formes identifiables, cercles, carrés, rectangles, pentagrammes, etc. Le professeur Christopher Cornford du Royal College of Art a donc cherché à comprendre ce qu’il y avait de nouveau dans la seconde version, d’un point de vue structural, et à sa grande surprise, il s’est rendu compte que Poussin, loin de reprendre l’habituelle construction en progression géométrique avait choisi une structure formelle, de façon pleinement délibérée.
Concrétisons un peu tout cela et commençons par le plus évident : le format de la toile : 120 cm x 87 cm. Ce rapport est très exactement celui de 1, 376 : 1. Et alors ? Et alors cette relation est celle du pentagone régulier, relation que Poussin connaissait évidemment (rappelons que 1376 est aussi l’année de la première occurrence du mot de « franc-maçonnerie, mais cela est une autre histoire…) Cornford a ainsi eu l’idée géniale de tracer un pentagone régulier sur l’œuvre, lequel révéla que l’ensemble de la composition était nettement structuré en fonction de celui-ci, fait extraordinairement rare, particulièrement à cette époque. Or, chacun sait que le Pentagone comme le pentagramme[5] désigne l’ouverture de la science des initiés, « il ouvre la voie du secret. »[6]
Il faut, devant ces faits, se poser une question ; pourquoi Poussin a-t-il cru bon de faire une seconde version des Bergers d’Arcadie, en totale rupture thématique et iconographique avec la tradition plurimillénaire, tout en structurant cette seconde version par un pentagone symbole de secret et de science cachée ? Il est bon, pour tenter une ébauche de solution, de poursuivre l’étude de ce fascinant tableau.
On peut, me semble-t-il raisonnablement, imaginer que Poussin cherche à dire – mais il ne peut pas le dire à voix haute – qu’il possède un secret que seule une étude approfondie de son œuvre permettrait de découvrir. Cette inscription stupéfiante de la seconde version des Bergers dans un pentagone ne saurait être innocente pour un peintre qui avait coutume de répéter au sujet de son art : « je ne laisse jamais rien au hasard. » Que Poussin ait détenu un secret, voilà qui ne saurait être factuellement mis en doute ; un colloque du CNRS dirigé par le regretté André Chastel avait édité une lettre de l’abbé Fouquet destinée à son Frère Nicolas, que je me permets de reproduire ici :
« Rome, le 17 avril 1656, 
J’ai rendu à Monsieur Poussin la lettre que vous luy faites l’honneur de lui escrire ; il en a témoigné toute la joie imaginable. Vous ne sauriez croire, Monsieur, ni les peines qu’il prend pour vostre service, ni l’affection avec laquelle il les prend, ni le mérite et la probité qu’il apporte en toutes choses. 
Luy et moi, nous avons projeté certaines choses dont je pourrai vous entretenir à fond dans peu, qui vous donneront par Monsieur Poussin des avantages (si vous ne les voulez pas mépriser) que les Roys auraient grand peine à tirer de lui, et qu’après lui peut-être personne au monde ne recouvrera jamais dans les siècles advenir ; et, ce qui plus est, cela serait sans beaucoup de dépenses et pourrait même tourner à profit, et ce sont choses si fort à rechercher que quoi que ce soit sur la terre maintenant ne peut avoir une meilleure fortune ni peut être égasle. »[7] 
Cette lettre, révélée lors du colloque dirigé par Chastel, avait été interprétée par les participants selon l’hypothèse de la découverte d’un « site exceptionnel »[8] lequel assurerait à celui qui le connaîtrait une maîtrise et une puissance dont l’enthousiasme de Fouquet indique la teneur. Reste à savoir quel pourrait être ce site, sujet dont je traiterai dans les prochains jours.  

[1] Cf. Ovide, Fastes, II, 289
[2] Virgile, Eglogues, X, 4-6
[3] Erwin Panofsky, « Et in arcadia ego », in Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses significations, traduction M. et B. Teyssèdre, Gallimard, 1969, p. 289, sq.
[4] Ibid., p. 295
[5] Rappelons que ces deux figures – pentagramme et pentagone – sont structurellement identiques, puisque le pentagone est ce dans quoi s’inscrit le pentagramme…
[6] Jean Chevalier, Alain Gheerbant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, 1982, p. 740
[7] Cf. André Chastel, (dir.), Nicolas Poussin, colloque CNRS, deux volumes, Paris, 1958 et 1960
[8] Ibid.

vendredi 20 octobre 2017


« ET IN ARCADIA EGO »

« ET IN ARCADIA EGO »

"Moi, la mort, je suis aussi en Arcadie."

 

Autoportrait de Nicolas Poussin

Nicolas Poussin, né au hameau de Villers, commune des Andelys, le 15 juin 1594, mort à Rome le 19 novembre 1665, est un peintre français du XVII ème siècle, représentant majeur du classicisme pictural. Actif aussi en Italie à partir de 1624. Peintre d'histoire, compositions religieuses, mythologiques, à personnages, ou encore de paysages animés. Il fut l'un des plus grands maîtres classiques de la peinture française, et un "génie européen", comme le rappelle l'exposition Nicolas Poussin de 1994 à Paris, à l'occasion de la célébration du quatrième centenaire de sa naissance. (source : encyclopédie en ligne wikipedia)


Le Guerchin, Et in Arcadia ego (1618)

'Et in Arcadia ego" est une expression inventée par Virgile et utilisée au 17ème siècle en Italie pour exprimer, de façon elliptique, les limites du puissant sentiment humaniste : "Même en Arcadie, moi, la mort, j'existe". C'est-à-dire, même l'évasion dans le monde pastoral et idyllique de l'Arcadie ne protège pas de la mort.
Cette expression est en général inscrite sur une pierre funéraire monumentale, dans un paysage rural dans la plupart de tableaux de cette époque.

La première représentation du thème par Guerchin (Galleria Corsini, Rome) montre deux bergers surpris de trouver un crâne - type même du memento mori - sur une pierre sur laquelle est écrit "Et in Arcadia ego".

Dans la version de Poussin, tous les effets de surprise ont été supprimés. Au lieu de cela, les bergers semblent contempler le tombeau. Ils déchiffrent l'inscription d'un air de curiosité mélancolique. Le crâne a disparu. Les mots semblent désigner une personne, peut-être une bergère qui est ici ensevelie : "Moi aussi, j'ai vécu en Arcadie". C'est une modification notable par rapport à la traduction latine.
L'artiste ne se disperse pas en racontant une histoire et se concentre sur cette scène totalement statique. Aucune séduction non plus dans la texture de la matière ou des couleurs. Les tons sont durs et froids, et les personnages ont des poses sculpturales.



Nicolas Poussin - Et in Arcadia ego (deuxième version) 1637-1638

L’origine des BERGERS D’ARCADIE, au sous-titre significatif « la Félicité sujette à la mort », est confuse ; si certains la présument vers 1629, H. LEMONIER, lui, attribue la création du tableau entre 1638 et 1639.

L’Arcadie, dans la mythologie grecque, peut être considérée comme l’équivalent de l’île d’Avalon, et même de l’autre Monde celtique, celui des tertres souterrains où vivent les dieux et les héros de l’ancien temps.
De plus, on sait que Nicolas Poussin était très attiré par les doctrines hermétistes et qu’il fréquentait des gens connus pour leur appartenance à des  « confréries » plus ou moins secrètes.


  « J’ai rendu à M. Poussin la lettre que vous luy faites l’honneur de luy escrire ; il en a témoigné toute la joie imaginable. Vous ne scauriez croire, Monsieur, ni les peines qu’il prend pour vostre service, ni l’affection avec laquelle il les prend, ni le mérite et la probité qu’il apporte en toutes choses. Luy et moy nous avons projetté de certaines choses dont je pourray vous entretenir à fond dans peu, qui vous donneront par M. Poussin les avantages (si vous ne les voulez pas méspriser) que les roys auroient grande peine à tirer de luy, et qu’après luy peut-estre personne au monde ne recouvrera jamais dans les siècles advenir ; et, ce qui plus est, cela seroit sans beaucoup de dépenses et pourroit mesme tourner à profit, et ce sont choses si fort à rechercher que quoy que ce soit sur la terre maintenant ne peut avoir une meilleure fortune ni peut-estre esgalle. Comme en luy rendant vostre lettre je ne le vis qu’au moment en passant, j’oubliay de luy dire que vous ferez retirer son brevet renouvelé en termes honorables... »

Lettre de Louis Fouquet à Nicolas Fouquet le 17 avril 1656

Nicolas Poussin s’était choisi un sceau plutôt curieux : il représentait un homme tenant une nef ou une arche, avec la devise « tenet confidentiam » qui peut se traduire par « il détient le secret ».

Et que penser de l’ouvrage posthume de Maurice Barrès, le Mystère en pleine lumière, qui regroupe plusieurs études sur les peintres, et dans lequel il se livre à d’étranges considérations ? Barrès laisse entendre que de nombreux peintres appartenaient à des confréries initiatiques, plus particulièrement à une mystérieuse « Société Angélique ». Il le suggère à propos de Delacroix, s’intéressant tout particulièrement à « l’aspect angélique de son œuvre ».

Il se fait plus précis en ce qui concerne Claude Gellée, dit le Lorrain, à propos duquel il dit : « On sent bien qu’il n’est pas né tout d’un coup, qu’il a été préparé. » Cela signifie que Claude Gellée faisait partie d’un groupe spiritualiste qui lui dictait certaines de ses inspirations. Et Barrès ajoute
 « Si l’on veut connaître Gellée, il faut le dessin de Sandrart où il se présente dans la plus digne compagnie auprès de son ami Poussin. » Faut-il en conclure que Nicolas Poussin appartenait à la même « confrérie ?» Toujours à propos de Claude le Lorrain, qu’il met en parallèle avec Poussin, Barrès dit encore « Il n’est rien si les Anges ne lui tiennent pas la main, s’il n’est pas dans la société céleste, s’il s’écarte de ce qui l’enchante, le soutient et le soulève. Il sait son poème et hors de cela ne sait rien. » On ne peut être plus clair à propos de l’existence d’une « Société Angélique» à laquelle appartiennent la plupart des peintres (et aussi des écrivains) de toute époque. Mais il y a encore mieux, car Barrès dévoile franchement le mot de passe : « Il faut toujours que nous ménagions dans quelque coin de notre œuvre une pierre tombale avec l’inscription fameuse : et in Arcadia ego. »

Et si l’on voulait douter de l’existence de cette « Société Angélique » dont le signe de ralliement ou de reconnaissance paraît être la formule inscrite sur le tombeau peint par Poussin, on devrait lire une lettre de George Sand à Gustave Flaubert, datée du 17 décembre 1866. Voici en effet ce qu’écrit la « bonne dame de Nohant » : « Dans tous les cas, aujourd’hui, je ne suis bonne qu’à rédiger mon épitaphe! Et in Arcadia ego, vous savez. »
 Le vous savez  en dit d’ailleurs davantage que n’importe quel discours. Avant d’être la « bonne dame de Nohant », George Sand a participé à tous les mouvements d’inspiration utopiste et sait fort bien à quoi s’en tenir sur certaines « confréries » plus ou moins héritières des « Illuminés de Bavière» et des « ordres » clandestins du Moyen Age. Avant d’écrire la Mare au Diable, elle a écrit un roman dont le titre est Consuelo et dans lequel elle fait quelques révélations sur une mystérieuse confrérie qu’elle appelle la «Secte des Invisibles ».

Voici ce qu’elle écrit à propos de ces Invisibles: « Ils sont les instigateurs de toutes les révolutions : ils vont dans les cours, dirigent toutes les affaires, décident la guerre ou la paix, rachètent les malheureux, punissent les scélérats, font trembler les rois sur leurs trônes. »

On ne peut que songer à Nicolas Foucquet qui, lui aussi, a fait trembler Louis XIV sur son trône avant de succomber, probablement parce qu’il avait trahi la « confrérie » à laquelle il appartenait. On ne pardonne pas les trahisons dans ce genre d’associations. Car ces Invisibles sont toujours présents là où il le faut : « On ne sait pas s’ils demeurent quelque part, mais il y en a partout...

En savoir plus : http://les-archives-du-savoir-perdu.webnode.fr/news/fable-autour-dune-toile/
Oeuvres

Les bergers d’Arcadie ou Et in Arcadia Ego (circa 1640) – Musée du Louvre


Musée du Louvre, aile Richelieu, 2e étage, salle 14

Huile sur toile, 85 x 121 cm

Les Bergers d'Arcadie, vers 1640, dit aussi Et In Arcadia Ego - Musée du Louvre
Les Bergers d’Arcadie ou Et In Arcadia Ego, Louvre

Poussin traite ce thème à deux reprises ; il s’agit ici de la seconde version, plus austère, qui relate toujours la découverte par des bergers, en pleine nature, d’un tombeau sur lequel est gravé l’épitaphe Et in Arcadia Ego, sujette à de nombreuses interprétations, selon qu’on prête ces mots à la Mort, au mort dans le tombeau, à la Beauté…

Une commande et une histoire incertaines

La commande du tableau et son histoire avant 1685, date de son entrée dans les collections de Louis XIV, demeurent encore incertaines.
Le tableau aurait été inspiré, selon Bellori, par le cardinal Rospigliosi, futur Clément IX. On ignore si Rospigliosi en fut le commanditaire mais il aurait au moins suggéré à Poussin « l’idée d’une réflexion sur la mort, sur le tombeau et sur le temps »¹.
L’oeuvre aurait par la suite appartenu à Henri Avice, ingénieur militaire², avant d’entrer dans les collections de Louis XIV.

Une datation discutée

La date de cette seconde version des Bergers d’Arcadie a été discutée, mais on considère aujourd’hui que le tableau a été réalisé autour de 1640. Pierre Rosenberg écrit dans le catalogue de l’exposition de 1994³ : « L’accord semble aujourd’hui fait pour la considérer comme réalisée peu avant le départ pour Paris en 1640, vers 1638. La comparaison avec le Moïse Sauvé des Eaux de 1638, la monumentalité des figures disposées comme autant de sculptures, la conception du paysage, l’esprit même du tableau, tout porte à accepter sans réserve cette date, en tous cas à refuser toute datation postérieure au retour de Rome. »
Ci-dessous un détail de l’oeuvre :
Les Bergers d'Arcadie du Louvre - détail

De nombreuses interprétations

L’oeuvre a été décrite par Bellori sous le titre « La Félicité sujette à la Mort » :
« La troisième poésie morale est dédiée à la mémoire de la Mort au milieu de la prospérité humaine. Il a feint un pasteur de l’heureuse Arcadie, lequel, un genou ployé à terre, montre et lit l’inscription d’un tombeau, en laquelle ces mots sont inscrits : et in Arcadia ego. Ainsi un tombeau se trouve-t-il même en Arcadie, et la mort vient-elle au milieu de la félicité. Voici derrière un jeune homme enguirlandé qui s’appuie à ce tombeau et regarde, attentif et méditant, et un autre, en face, s’incline et montre les paroles écrites à une belle Nymphe légèrement parée, qui tient la main sur son épaule, et regarde et suspend son rire, s’abandonnant à la pensée de la mort. »
Pour Théophile Gaultier (1811-1872), le tableau des Bergers d’Arcadie du Louvre exprime avec une naïveté mélancolique la brièveté de la vie et réveille, parmi les jeunes pâtres et la jeune fille qui regardent le tombeau rencontré dans la campagne, l’idée oubliée de la mort.
L’oeuvre a depuis fait l’objet de nombreuses analyses. Erwin Panofsky, fasciné par le thème de l’Arcadie, a notamment publié un essai sur le tableau en 1936, repris en 1957 sous l’intitulé « Et in Arcadia ego : Poussin et la tradition élégiaque ».
Notes
1. Et in Arcadia Ego de Jean-Louis Vieillard-Baron page 15
2. Le dessin ou la couleur ? Une exposition de peinture sous le règne de Louis XIV, note ao pages 145-146
3. Catalogue de l’exposition de 1994, de Pierre Rosenberg et Jean-Louis Prat, pages 51, 284

Et in Arcadia ego: Poussin ou l'immortalité du Beau (HR.HERM.PHILO.) (French Edition) (French) Paperback – March 4, 2010
by Jean-Louis Vieillard-Baron  (Author)

Les Bergers d'Arcadie de Poussin gardent toujours leur mystère. Le tableau présente deux énigmes : la légende gravée sur le tombeau, la femme drapée en avant de la scène à droite. Le lieu est l'Arcadie, la patrie des poètes. Poussin en fait la patrie des peintres, en peignant la Beauté sous la forme d'une femme, qui médite sur la mort. La beauté échappe à la mort ; elle est devant nos yeux, grâce au génie du peintre. L'ego gravé sur la pierre nous dit : Moi, le peintre, je survis à la mort dans la patrie des artistes immortalisés par leurs oeuvres. Dans cette méditation picturale et métaphysique, Poussin nous montre le plus bel exemple de la pensée en peinture. Sa démarche est ascétique : le moi individuel s'efface devant l'ego creator, placé au centre du tableau. C'est avec une fierté bien française que Descartes et Poussin peuvent revendiquer une place centrale pour leur ego, tout en s'écartant de tout narcissisme égocentrique. Ils sont les « fils de leurs oeuvres », comme Marc Fumaroli l'a si bien dit de leur contemporain Pierre Corneille.




A founder of French Classicism, Nicolas Poussin drew his subjects from history, biblical stories, and Ovid’s Metamorphoses. Poussin moved to Rome early in his career where, inspired by Titian, he painted in a sensual and dramatic style rich in color. He received his only papal commission in 1628 and painted The Martyrdom of Saint Erasmus for the Church of Saint Peter, one of his largest and most elaborate works. The painting was ill received, prompting Poussin to change the course of his career and focus on smaller, more subdued and poetic paintings for collectors. Poussin’s later style opposed the prevailing Baroque tastes of the period, instead adapting the conventions of classical art by paring down forms and emphasizing moral content. In Rome, Poussin associated with a lively group of intellectuals around Cassiano dal Pozzo, who became an important friend and patron.

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