Pieter Brueghel l'Ancien (1525-1569, à 43 ans)
Pieter Brueghel ou Bruegel (/ˈpitəɾ ˈbɾøːɣəl/)n 2 dit l'Ancien, parfois francisé en Pierre Brueghel l'Ancien est un peintre et graveur brabançon né vers 1525 et mort le 9 septembre 1569 à Bruxelles dans les Pays-Bas espagnols.
Avec Jan van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre Paul Rubens, il est considéré comme l'une des grandes figures de l'École flamande, et l'une des principales de l'École d'Anvers.
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Bruegel au-delà du visible
On a de Pieter Bruegel*, d’ordinaire, la vision d’un peintre ayant inventé le paysage moderne, mais aussi d’un conteur ironique des scénettes paysannes : un pinceau virtuose montrant la beauté du monde avec une abondance de détails. L’intérêt de ce livre sur Bruegel paru il y a quelques mois chez Hazan sous la plume de deux historiens d’art, Reindert Falkenburg et Michel Weemans, est, non de nous montrer, mais de nous amener à voir un Bruegel différent. Ce livre, maginifiquement illustré, avec de nombreuses planches montrant des détails de tel ou tel tableau, n’est pas une monographie classique, mais c’est un argument à deux voix. Les deux auteurs montrent comment Bruegel use de procédés visuels, détails cachés, images pièges, entrelacement, saturation, pour amener le regardeur à s’interroger sur ce qu’il voit, à dépasser l’anecdote visuelle pour accéder à un « oeil intérieur », spirituel, qui peut s’interpréter comme une leçon de morale ou de spiritualité, ou simplement comme un soupir mélancolique ou désabusé. Il est rare qu’un texte sur une oeuvre d’art aiguise ainsi le regard, stimule l’imagination et la curiosité, et, tout en ne prétendant pas avoir résolu l’énigme, vous en rende conscient. Ce sont des textes à savourer, dans un incessant aller-retour avec l’image.
L’analyse de tableaux comme Paysage d’hiver (l’Adoration des Mages), Le Portement de Croix, ou la série des Saisons par Falkenburg est en tout point remarquable. J’en donnerai un simple exemple. Dans Les Chasseurs dans la neige (la saison hivernale), on note toutes sortes de curieux détails, le feu devant l’auberge, l’homme qui trébuche sur un seau, le renard comme seul gibier, les chasseurs et leurs chiens abattus, les traces de lapins, le feu de cheminée au loin : simples anecdotes, mais toutes sont des signes d’échec, d’aveuglement, de manque d’attention. Et la clef (une des clefs) est l’enseigne brinquebalante de l’auberge, qu’il faut regarder attentivement pour y discerner le miracle de Saint Hubert, et donc un crucifix entre les bois du cerf : dans ce tableau, tous sont aveugles à la présence du Christ . Cette incapacité de voir est à la fois le sens (un sens) du tableau, et un défi au regardeur.
Le texte de Weemans, tout aussi riche en analyse de tableaux, s’attache à démonter l’image-piège dans le tableau, que ce soit un visage caché apparaissant dans des rochers (Portement de Croix), dans un jeu de bérets au sol (Les Jeux d’enfants), ou dans l’image de trois canards (Les Apiculteurs, son dernier dessin, mystérieux à souhait). L’analyse de Dulle Griet (Margot l’enragée) laisse un peu sur sa faim, tant le tableau, foisonnant et complexe, se prêterait à bien plus d’exégèses, mais celle du Triomphe de la Mort est très riche. J’ai appris au passage le mot « rhyparographique » à propos (dans Les Jeux d’enfants) d’une fillette jouant avec une bouse de vache. Enfin, comme cet auteur insiste sur l’image double, l’image piège, il nous offre aussi une anthologie des pièges (à oiseaux) chez Bruegel.
L’opposition entre Bruegel, peintre vernaculaire et satirique, et ses contemporains inspirés par Rome (sujets élevés et modèles antiques) est mise en lumière (de son séjour en Italie en 1552-54, Bruegel ne rapporta que des paysages), tout comme sa filiation avec Bosch, Patinir et met de Bles, mais ce sont là travaux plus classiques d’historiens. A noter l’exposition à Vienne, qui vient de fermer.
Livre reçu en service de presse.
* graphie adoptée par les auteurs, plutôt que Brueghel.
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A Vienne (Autriche), Bruegel l’Ancien à l’honneur
Il y a bien sûr mille raisons de visiter Vienne, l’ancienne capitale des Habsbourg. Mais il en est une qui rend urgent de s’y précipiter sans tarder : la rétrospective consacrée à Bruegel l’Ancien au Kunsthistoriches Museum, l’extraordinaire musée des Beaux-Arts qui se trouve sur la place dominée par la statue de l’impératrice Marie-Thérèse, en face du muséum d’histoire naturelle. Attention, cette exposition s’achève le 13 janvier et, même si le musée est ouvert tous les jours pendant la durée de cette exposition, il y a foule. De ce fait, elle n’est accessible qu’avec un ticket indiquant une plage horaire. Au vu de la forte demande, les guichets devant le musée ne disposent chaque jour que d’un nombre limité de tickets individuels. Ces tickets sont vendus dans la limite des stocks disponibles. Toutefois, les 12 et 13 janvier 2019, l’exposition restera ouverte de 18h30 à 1h du matin. Les tickets seront disponibles dès 9h le 7 janvier 2019, en ligne sur www.bruegel2018.at et en journée au guichet du Kunsthistorisches Museum Vienne (le guichet sera fermé en soirée les 12 et 13 janvier 2019). En clair, il n’y a pas une minute à perdre si on veut avoir une chance de cette exposition qui rassemble tout de même plus de la moitié des oeuvres du peintre flamand.
Si on réussit à passer tous ces obstacles, on ne sera pas déçu. L’exposition est époustouflante. Réalisée à l’occasion du 450e anniversaire de la mort de l’artiste, c’est, se vante d’ailleurs le Kunsthistoriches Museum, « la première grande exposition monographique au monde de son œuvre ». Chacune des 30 peintures de Pieter Bruegel l’Ancien (sur un peu plus de 40 connues comme étant de sa main) qui y sont réunies, mériterait de longs développements. Tout comme, aspect moins connu de son oeuvre, la soixantaine de ses dessins à la plume et estampes. Une partie provient du Kunsthistoriches Museum, qui possède 12 peintures de l’artiste, sortie tout droit de l’imposante collection de peinture des Habsbourg, dynastie qui a longtemps régné sur l’Autriche.
De son vivant déjà, Pieter Bruegel l’Ancien était un artiste influent et très apprécié et ses œuvres se vendaient à des prix jamais atteints pour l’époque. Il est vrai qu’il a révolutionné la peinture de paysage et de genre. Mais Bruegel a également excellé dans la peinture religieuse (on verra notamment à Vienne Le Triomphe de la Mort et Dulle Griet, restaurées spécialement pour l’exposition).
L’une des oeuvres exposées, La pie sur le gibet, a été peinte en 1568, un an avant sa mort. Dans cette petite scène sur fond de paysage, aux détails raffinés, à la lumière éblouissante, le maître atteint le sommet de son art.
Elle est pourtant moins connue que le cycle des saisons (quatre oeuvres sur les six appartenant à ce cycle sont présentées à Vienne) ou que la série consacrée aux fêtes et aux danses paysannes. Ou encore que les deux énigmatiques Tour de Babel dont les pierres dorées se découpent sur un ciel ennuagé, également exposées à Vienne ( l’une a été prêtée par un musée de Rotterdam).
Toutes ces oeuvres dévoilent un génie de la composition, généralement orchestrée à partir d’un promontoire ou de figures de dos qui guident notre regard à travers la campagne, parfois jusqu’à la mer. Beaucoup intègrent des scènes ou des paysages des Flandres, voire d’Anvers comme la ville qui se trouve figurée au pied de la gigantesque tour de Babel.
Assez logique au fond. Ce peintre flamand a travaillé à Anvers puis à Bruxelles (ville où résidaient les gouverneurs espagnols du royaume des Pays-Bas). Et, il a vécu dans des temps fortement troublés. Certes, on ne sait pas exactement sa date de naissance, mais comme il a été reçu (c’est attesté) maître de la Guilde de Saint Luc à Anvers en 1551, on peut en conclure qu’il pourrait être né entre 1525 et 1530. Pour mieux le situer : 50 ans avant Rubens (1577), 80 ans avant Rembrandt.
En ce XVIe siècle donc, les Flandres appartiennent au royaume espagnol des Pays-Bas; elle sont devenues, grâce au port d’Anvers, une plaque tournante du commerce mondial en mer du Nord. Cette prospérité va cependant être perturbée par les querelles religieuses : aux Pays-Bas, le protestantisme se développe alors, et les protestants ne vont pas tarder à contester violemment non seulement la manière dont les catholiques croient, mais aussi la manière dont ils représentent Dieu, Jésus ou les saints. Bientôt, ce sera la « guerre de Quatre-Vingts ans » qui verra les provinces du nord des Pays-Bas, se rebeller contre les très catholiques autorités espagnoles et revendiquer leur indépendance.
Rien ne prouve vraiment que Bruegel ait eu des sympathies protestantes. Cependant, l’interprétation de ses oeuvres continue de diviser les historiens. « Le style de Bruegel ne répondait pas aux critères des catholiques, font ainsi valoir Rose-Marie et Rainer Hagen, dans un livre consacré à Bruegel (éditions Taschen). Selon ces deux auteurs, « la stratégie de la contre-réforme (énoncé au concile de Trente, 1545-63) exigeait des artistes qu’ils représentent les saints de sorte qu’on les reconnaisse comme tels et qu’ils les mettent en évidence en les distinguant clairement du commun des mortels. C’est justement le contraire que faisait Bruegel ».
Selon ces mêmes deux auteurs, « ceci est même le cas dans une oeuvre qui, de prime abord, semble se conformer aux exigences catholiques : L’Adoration des Mages« . Cette Adoration des Mages est justement exposée à Vienne et c’est l’occasion d’essayer d’y voir un peu plus clair. Marie est représentée assise au centre et tient l’enfant Jésus sur ses genoux. Son visage est empreint d’une beauté juvénile et pourrait correspondre en tous points à l’idéal traditionnel de la Madone. Pourtant, observent nos deux auteurs, « son voile lui tombe sur l’oeil, elle se tient courbée et l’Enfant-Jésus semble se blottir peureusement sur ses genoux ». De même, « une expression bien terrestre est gravée sur le visage du mage de gauche et celui de droite, éclipse Marie avec son manteau clair ». « Ce tableau devient une véritable hérésie (dans l’optique de la Contre-Réforme) », ajoutent ces deux auteurs, si l’on observe l’attitude de Joseph : celui-ci, en effet, se penche vers un inconnu et prête une oreille attentive à ses chuchotements au lieu de consacrer attentivement son attention à cette scène pieuse ».
Un visiteur attentif de l’exposition de Vienne ne manquera d’être troublé par cette analyse en regardant cette oeuvre et aura en tête ces questionnements, sans prétendre les trancher bien entendu. Ces questionnements montrent en tous cas que le peinture de Bruegel va bien au delà de la représentation de la vie villageoise à laquelle il a consacré beaucoup d’oeuvres. Certes, les spécialistes n’ont pas fini de réfléchir et d’écrire sur la morale contenue dans ces oeuvres-là aussi. Cependant, même si le regard acéré que Bruegel porte sur l’humanité a quelque chose de fascinant, ce qui paraît le plus extraordinaire en s’attardant devant les oeuvres présentées à Vienne, c’est la virtuosité avec laquelle le maître flamand a su rendre, par exemple, les ambiances d’hiver, de froid, de glace. Ou de gaieté dans les danses paysannes.
Cette exposition de Vienne est une passionnante introduction à l’univers complexe de Bruegel . Elle permet aussi de mieux comprendre son évolution stylistique, son processus de création et ses méthodes de travail. La plupart de ses oeuvres peintes l’ont été sur de fragiles panneaux en bois de chêne. Dans les arrières salles sont expliquées quand et comment étaient coupés les arbres, puis taillées les planches pour que les panneaux ne se déforment pas, une fois assemblés avec des crochets en métal…
Le site Internet www.insidebruegel.net permet d’admirer les œuvres viennoises de l’artiste de près en haute qualité ainsi qu’en radios et infrarouges.