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vendredi 28 février 2020

3.NICOLAS POUSSIN / BIO

Nicolas Poussin

Nicolas Poussin

Nicolas Poussin, Autoportrait

Peintre français (Villers, près des Andelys, 1594-Rome 1665).



Romain d'adoption, Nicolas Poussin est le peintre qui porta le classicisme français à son apogée, en cherchant à atteindre l'idéal de perfection antique auquel aspirait le xviie s. À une grande richesse d'inspiration son œuvre allie un éclatant souci de réflexion philosophique.

1. L'INSPIRATION ROMAINE

Nicolas Poussin découvre sa vocation artistique au contact du peintre maniériste Quentin Varin. En 1612, il arrive à Paris, où il passe notamment dans l'atelier du Lorrain Georges Lallemant, également maniériste, puis, en 1622, il collabore avec Philippe de Champaigne au Luxembourg. Il fait aussi la rencontre du poète Giambattista Marino, qui l'initie au goût de l'antique.



Après un séjour à Venise, c'est en 1624 que Poussin se rend à Rome, la capitale artistique du temps. Grâce à Marino, il vit dans l'entourage de puissants collectionneurs. Pour le cardinal Francesco Barberini (1597-1679), neveu du pape Urbain VIII, il exécute la Mort de Germanicus (1627, Minneapolis), son premier chef-d'œuvre de peintre d'histoire. Le plus important de ses clients est cependant le secrétaire du cardinal, Cassiano dal Pozzo (1588-1657), auquel il devra de devenir le « peintre philosophe » de réputation européenne.



Le Martyre de saint Érasme, destiné à la basilique Saint-Pierre de Rome (1628-1629, musées du Vatican), est la seule commande monumentale de Poussin, qui privilégie les tableaux de chevalet, conçus pour des demeures privées. Ceux-ci relèvent soit de thèmes bibliques (le Massacre des Innocents, vers 1625-1626, musée Condé, Chantilly) ou mythologiques (Écho et Narcisse, vers 1630, Louvre ; le Triomphe de Flore, id.), soit encore d'une iconographie plus personnelle (les Bergers d'Arcadie, vers 1628-1630, château de Chatsworth, Angleterre ; l'Inspiration du poète, vers 1630, Louvre). Son admiration pour Titien transparaît dans la richesse chromatique et l'intensité lyrique.

2. LE LANGAGE DE LA THÉÂTRALITÉ




Relevant d'une grave maladie, Poussin épouse en 1630 celle qui s'était occupée de lui, Anne-Marie Dughet, la fille d'un cuisinier français installé à Rome. Il va, dès lors, assurer la formation artistique de son beau-frère, Gaspard, qui deviendra un excellent paysagiste, surnommé « le Guaspre Poussin » (1615-1675).
Avec la Peste d'Asdod (vers 1630-1631, Louvre) et l'Empire de Flore (1631, Dresde), Poussin aborde une nouvelle manière, plus théâtrale, fondée sur l'étude des passions de l'homme, le sujet étant vécu de l'intérieur dans sa diversité (Tancrède et Herminie, 1634, Ermitage ; l'Adoration du Veau d'or, vers 1634, National Gallery, Londres ; Saint Jean baptisant le peuple, vers 1635-1637, Louvre).



Sa renommée atteignant Paris, Poussin peint plusieurs Bacchanales pour le cardinal de Richelieu, qui le fait venir en France (1640). Auparavant, il a entrepris la première série des Sept Sacrements, que lui a commandée Cassiano dal Pozzo et qui sera achevée en 1642 ; il s'en dégage une solennité nouvelle, à laquelle l'étude de la sculpture antique n'est pas étrangère. La seconde série des Sept Sacrements (1644-1648, Édimbourg), tableaux monumentaux traduisant une parfaite intelligence de l'espace, sera réalisée pour Paul Fréart de Chantelou (1609-1694), secrétaire de François Sublet des Noyers (1588-1645), lui-même surintendant des Bâtiments de Louis XIII.

3. LA REBUTANTE EXPÉRIENCE PARISIENNE




Venu à Paris en décembre 1640, sur les instances de Richelieu, Nicolas Poussin y fut nommé premier peintre du roi. Mais son euphorie fut de courte durée. Il se rendit compte qu'il n'était pas fait pour ce qu'on attendait de lui : grands tableaux d'autel, vastes peintures allégoriques et, surtout, travaux de décoration de la grande galerie du Louvre (jamais terminée et plus tard détruite).
Les intrigues de peintres qui craignaient pour leur position, Simon Vouet en tête, ajoutèrent au mécontentement de Poussin. Celui-ci décida de regagner Rome en septembre 1642. En principe, il allait y chercher sa femme. En réalité, il n'avait aucune intention d'en repartir, surtout après la mort de Richelieu et de Louis XIII. Il reste qu'à Paris Poussin était entré en relation avec des amateurs éclairés, qui, tel Paul Fréart de Chantelou, lui demeurèrent fidèles.

4. LE COURONNEMENT DE L'ŒUVRE : STOÏCISME ET PANTHÉISME




De plus en plus pénétré de stoïcisme, Poussin illustre Plutarque (les Funérailles et les Cendres de Phocion, 1648, collections privées). Chaque sujet est traité de façon appropriée à sa valeur, selon une « théorie des modes » empruntée à la musique des anciens Grecs (Moïse sauvé des eaux, diverses versions ; le Jugement de Salomon, 1649, Louvre).



Le paysage prend une part de plus en plus importante dans son œuvre, laissant en retrait les passions de l'homme au profit d'un idéal panthéiste qui exalte le mystère et la puissance de la nature (Diogène jetant son écuelle, 1648, Louvre ; Paysage avec Polyphème, 1649, Ermitage ; Paysage avec Orion aveugle, 1658, Metropolitan Museum of Art, New York ; Apollon amoureux de Daphné, 1664 [inachevé], Louvre). Tandis qu'une nouvelle version des Bergers d'Arcadie (vers 1650-1655, Louvre) couronne l'évolution « philosophique » de l'artiste, d'autres toiles reprennent des sujets religieux, comme dans l'Annonciation (1652–1655, Munich) et la Sainte Famille (1655-1657, Ermitage), qui juxtapose des couleurs vibrantes.



La série des Quatre Saisons (1660-1664, ibid.), peintes pour Richelieu, constitue une sorte de testament tant spirituel qu'artistique. Poussin laisse aussi un important œuvre dessiné (Louvre, Chantilly, British Museum, Stockholm), fait le plus souvent de lavis très synthétiques.

5. POSTÉRITÉ DE POUSSIN

Poussin meurt sans avoir d'élèves, car il n'avait pas voulu ouvrir d'atelier à Rome et il y avait toujours vécu dans une sorte d'isolement méditatif. En revanche, il aura contribué à la formation de Charles Le Brun et, au sein de l'Académie royale de peinture et de sculpture, il sera considéré presque à l'égal de Raphaël. À la fin du xviiie s., il influencera fortement l'éclosion du néoclassicisme. Au cours des deux siècles suivants, il suscitera la ferveur de Delacroix et celle d'Ingres, puis il sera une référence majeure pour Cézanne et pour Picasso.
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Poussin (Nicolas)

https://www.larousse.fr/archives/peinture/page/1037

Peintre français (Villers, près des Andelys, 1594  – Rome 1665).

Les débuts

Poussin reçut sa première formation en peinture de Quentin Varin, qui visita Les Andelys en 1612 et incita le jeune homme à devenir artiste. La même année, il partit pour Paris et s'arrêta probablement pour une courte période à Rouen, où l'on dit qu'il travailla dans l'atelier de Noël Jouvenet, grand-père de Jean. Après de brefs et peu satisfaisants séjours dans l'atelier du portraitiste Ferdinand Elle et dans celui du Lorrain Georges Lallemand, il semble avoir pris son indépendance, travaillant tantôt à Paris, tantôt en province et exécutant toutes les commandes qu'on lui proposait. On connaît fort peu son activité durant ces années qui suivent son arrivée à Paris, mais Nicolas a certainement travaillé dans le Sud-Ouest, probablement au château de Mornay, près de Niort, et aussi à Lyon et à Blois. Il était à Paris en 1622 quand il obtint des commandes des Jésuites et de l'archevêque de Paris, et il collabora avec Philippe de Champaigne à des travaux décoratifs au Luxembourg (tous perdus). Il rencontra au même moment le poète italien Marino, qui l'encouragea et lui demanda des dessins pour illustrer les Métamorphoses d'Ovide (Windsor Castle) et aussi, vraisemblablement, ses propres poèmes.

Premier séjour à Rome

Au cours de cette période, Poussin tenta vainement, à deux reprises, de se rendre à Rome. Il alla une fois jusqu'à Florence et, on ne sait pourquoi, rebroussa chemin. Il arriva enfin à Rome au printemps de 1624, après s'être arrêté à Venise un court moment. Son unique ami italien, Marino, était parti pour Naples, où il devait mourir l'année suivante, mais il avait donné à l'artiste des introductions auprès des collectionneurs romains, qui devaient devenir ses meilleurs clients. Parmi ceux-ci, le plus puissant était le cardinal Francesco Barberini, neveu du pape récemment élu, Urbain VIII, pour lequel il peignit la Mort de Germanicus (1628, Minneapolis, Inst. of Arts), mais le plus important pour lui fut le secrétaire du cardinal, Cassiano dal Pozzo, amateur d'art passionné qui portait un vif intérêt à l'étude de l'Antiquité et cherchait à entrer en contact avec les hommes de savoir de l'Europe entière. Ce fut sous son influence que Poussin devait mûrir et devenir le peintre érudit, le " peintre philosophe ", le " peintre des gens de goût ". Dans ces mêmes années, Poussin commença à montrer sa virtuosité comme dessinateur. De son vivant même, ses dessins furent collectionnés par ses amis, surtout par Cassiano dal Pozzo et le cardinal Camillo Massimi, dont les albums sont conservés à la Bibliothèque royale de Windsor Castle. La magnifique collection du cabinet des Dessins du Louvre offre des exemples de ses esquisses de compositions et de paysages.
   Pendant ses premières années romaines, Poussin apparaît cependant comme un artiste d'une espèce et même d'un caractère tout à fait différents. Il était ardent et impétueux ; sa vie semble avoir été fort désordonnée, et il participa à plusieurs rixes contre des membres de la faction antifrançaise. En même temps, il tenta de s'imposer comme peintre de grands sujets religieux et obtint même, en 1627, la commande d'une " pala " pour Saint-Pierre (le Martyre de saint Érasme, Vatican). Mais cette peinture fut froidement accueillie, et Poussin essuya un nouvel échec en ne réussissant pas à se faire attribuer la décoration d'une chapelle à Saint-Louis-des-Français, qui fut confiée à Charles Mellin. Tombé gravement malade, il épousa à sa guérison Anne Dughet, fille du cuisinier français Jacques Dughet, qui s'était occupée de lui pendant sa maladie et dont le frère devait devenir un de ses élèves.
   C'est à cette époque qu'il semble s'être fixé dans la voie qu'il devait suivre durant le reste de sa carrière, dans sa vie comme dans son art. Il cessa peu à peu de briguer les grandes commandes officielles et s'en tint à la production de toiles de dimensions moyennes destinées aux demeures privées d'un groupe de collectionneurs modestes mais attentifs, dont le principal était Cassiano dal Pozzo. Les sujets de ces toiles étaient, quelquefois, des thèmes religieux traditionnels (le Triomphe de David, Prado et Londres, Dulwich College Art Gal. ; Annonciation et Massacre des Innocents, Chantilly, musée Condé ; Lamentation sur le Christ mort, Ermitage et Munich, Alte Pin.). Mais les tableaux les plus personnels de Poussin sont inspirés par des sujets poétiques plus originaux. Certains sont de simples allégories, comme l'Inspiration du poète (Louvre et musée de Hanovre). D'autres expriment des idées plus mélancoliques, telle la fragilité du bonheur humain : les Bergers d'Arcadie (Chatsworth, coll. duc de Devonshire), dont le thème sera repris beaucoup plus tard dans la version du Louvre, Narcisse (Louvre), telle encore la futilité de la richesse (Midas, musée d'Ajaccio et Metropolitan Museum). Des allusions plus érudites aux allégories de la mort et de la résurrection se dégagent de Diane et Endymion (Detroit, Inst. of Arts), de la Mort d'Adonis (musée de Caen), de l'Empire de Flore (Dresde, Gg), du Triomphe de Flore (Louvre). Le style de Poussin est alors dominé par son admiration pour Titien, dont il étudia et même copia les Bacchanales à la villa Ludovisi à Rome. Vers 1635, la renommée de Poussin commence à s'étendre et atteint Paris grâce, probablement, aux peintures envoyées en guise de présents par le cardinal Francesco Barberini au cardinal de Richelieu. En 1635-36, l'artiste commença 2 toiles commandées par ce dernier et qui devaient être mises à la place d'honneur dans le château de Richelieu (Indre-et-Loire), alors en construction (Triomphe de Pan, Londres, N. G., et Triomphe de Bacchus, musée de Kansas City). Durant les années suivantes, les liens avec la France se resserrèrent, et, en 1639, Poussin fut invité à venir à Paris travailler pour Louis XIII et le cardinal de Richelieu. Il montra beaucoup de réticence à quitter Rome, et ce fut seulement quand il reçut des ordres nets et même comminatoires qu'il consentit à prendre la route de Paris, où il arriva dans les derniers jours de 1640.
   Juste avant ce voyage, Poussin avait commencé pour Cassiano dal Pozzo une série de tableaux représentant les Sept Sacrements (5 sont conservés à Belvoir Castle, coll. du duc de Rutland, qui en possédait un 6e, détruit ; le Baptême est à la N. G. de Washington), dans laquelle une solennité nouvelle apparaît, dans un style beaucoup plus étudié que dans les œuvres peintes librement au début et au milieu des années 1630. Les compositions sont plus simples et plus statiques, les couleurs plus froides, l'exécution est plus douce et les personnages montrent l'influence que l'étude de la sculpture romaine a exercée sur l'artiste. Poussin emporta à Paris le dernier de la série, le Baptême, qu'il n'acheva qu'au cours de l'année 1642.

Séjour à Paris (1640-1642)

Ce séjour fut pour Poussin lui-même un désastre. Après une courte période d'euphorie due à l'accueil enthousiaste que lui réservèrent le roi, le cardinal et le surintendant des Bâtiments, Sublet des Noyers, l'artiste se rendit compte que les travaux qu'on attendait de lui ne lui convenaient pas du tout : grands tableaux d'autel (Institution de l'Eucharistie pour Saint-Germain, Miracle de saint François Xavier pour le Noviciat des Jésuites, tous deux au Louvre), vastes peintures allégoriques pour Richelieu (le Temps révélant la Vérité, Louvre ; le Buisson ardent, Copenhague, S. M. f. K.) et, surtout, la décoration de la grande galerie du Louvre (jamais terminée et plus tard détruite). Ses difficultés furent accrues par les intrigues de Vouet et des autres peintres, qui sentaient que leur situation était menacée par sa présence à Paris. Poussin regagna finalement Rome, où il arriva à la fin de 1642. Il était parti en principe pour y chercher sa femme, mais il est tout à fait certain qu'il n'avait pas l'intention de revenir à Paris, décision favorisée par la mort de Richelieu et celle du roi quelques mois plus tard. Si sa visite à Paris fut officiellement un échec, elle lui permit d'affermir ses relations avec des collectionneurs français qui devinrent ses meilleurs clients à la fin de sa carrière. Le plus célèbre d'entre eux fut Paul Fréart de Chantelou, secrétaire de Sublet des Noyers, à qui Poussin écrivit une série de lettres qui restituent l'image la plus intime et la plus vivante de la personnalité de l'artiste.

Second séjour à Rome. Christianisme et stoïcisme

Pendant les dix années qui suivirent son retour à Rome, Poussin se révéla comme l'une des figures dominantes de la peinture européenne et exécuta les séries d'œuvres sur lesquelles sa réputation reposa deux siècles durant. La plus fameuse de celles-ci fut la seconde suite de toiles représentant les Sept Sacrements, peinte pour Chantelou entre 1644 et 1648 (coll. du duc de Sutherland, en prêt à la N. G. d'Édimbourg).
   La solennité, déjà sensible dans la première série, s'intensifie dans ces peintures. Les compositions sont monumentales, établies selon une symétrie sévère et une parfaite intelligence de l'espace ; les figures ont la gravité de statues de marbre ; les couleurs sont claires et même dures ; les gestes sont expressifs, et tout ce qui n'est pas essentiel est éliminé. La conception des séries est également originale, parce que Poussin s'attache délibérément à représenter les sujets selon les doctrines et la liturgie des origines de l'Église chrétienne ; ses savants amis romains l'y aidèrent, ainsi que l'étude des sarcophages et des fresques que les fouilles récentes des catacombes avaient mis au jour.
   Ces graves compositions chrétiennes ont leur pendant avec une série de peintures inspirées par le paganisme et particulièrement par la philosophie stoïcienne, en laquelle Poussin lui-même croyait, ce qui se reflète dans ses lettres et dans la conduite même de sa vie. Poussin aime maintenant à peindre des sujets tirés des Vies de Plutarque (les Funérailles de Phocion, coll. de lord Plymouth ; les Cendres de Phocion, Liverpool, Walker Art Gallery ; Coriolan, supplié par les siens, musée des Andelys) ou offrant des leçons d'une haute élévation morale quelquefois empruntés à des écrivains non stoïciens (Testament d'Eudamidas, Copenhague, S. M. f. K.). Comme nombre de ses contemporains, il n'éprouva aucune difficulté à concilier l'éthique du stoïcisme avec la doctrine du christianisme.

Les paysages

Durant les années 1640, Poussin eut la révélation de la beauté de la nature. Le paysage n'était jusque-là pour lui qu'un arrière-plan pour situer les personnages, bien qu'il ait reflété souvent l'esprit du thème. Il prend désormais une importance tout à fait nouvelle. Parfois, comme dans les 2 peintures illustrant l'Histoire de Phocion, la noblesse presque sculpturale des arbres et la ville classique, à l'arrière-plan, sont utilisées par l'artiste pour souligner la grandeur du caractère du héros. Dans le Diogène (Louvre), la luxuriante végétation exprime l'idéal du philosophe, considérant la nature comme source de tout ce qui est nécessaire au bonheur de l'homme. Dans le mystérieux Paysage avec un homme tué par un serpent (Londres, N. G.), il n'y a pas de thème explicite, mais le paysage exprime les forces mystérieuses de la nature, plus puissantes que l'homme. Ce sentiment du mystère et du pouvoir écrasant de la nature est la caractéristique essentielle des paysages que Poussin peignit dans les dernières années de sa vie. Dans l'Orion (Metropolitan Museum), l'humanité n'est rien et le géant Orion lui-même est écrasé par les grands chênes au milieu desquels il se meut. Poussin songeait à une allégorie des mouvements cycliques de la nature — ici à l'origine des nuages et de la pluie, forces fortifiantes —, qui lui fut probablement suggérée par les écrits du poète philosophe Tommaso Campanella, et des allusions similaires apparaissent dans la Naissance de Bacchus (Cambridge, Mass., Fogg Art Museum) et dans sa dernière œuvre, Apollon et Daphné (Louvre). En fait, dans ses derniers tableaux, Poussin semble avoir suivi un étrange itinéraire dans les derniers développements du stoïcisme antique quand des écrivains, tel Macrobe, transformaient les mythes helléniques et romains en allégories de l'évolution de la nature et inauguraient une tradition du symbolisme qui fut reprise à la Renaissance, mais rarement avec la ferveur et la compréhension poétique de Poussin dans les dernières années de sa vie.

Les dernières œuvres

Ces paysages allégoriques d'un monde de rêve (parmi lesquels on peut encore citer Orion du Metropolitan Museum de New York, Polyphème de l'Ermitage, Hercule et Cacus du musée Pouchkine de Moscou) sont peut-être les plus émouvants des témoignages ultimes de l'œuvre, mais les sujets religieux ne sont pas abandonnés. Dans une certaine mesure, ils prolongent ceux des années 40, mais ils s'en distinguent à la fois par un lointain détachement et un calme monumental (Sainte Famille, Ermitage, et Sarasota, Ringling Museum ; Mort de Saphire, Louvre ; Repos de la Sainte Famille en Égypte, Ermitage). Les Quatre Saisons (Louvre), peintes pour le duc de Richelieu entre 1660 et 1664, représentent une synthèse de tous les éléments du style tardif de l'artiste. Le cadre général expose la beauté de la nature ; le récit biblique se combine avec des allusions aux catégories médiévales (type et antitype) et, probablement aussi, à la mythologie classique. Le Printemps est dominé par Apollon autant que par Dieu le Père ; l'héroïne de l'Été est non seulement Ruth, mais Cérès ; les grappes de raisins de l'Automne sont le symbole de Bacchus aussi bien que du sang du Christ, et le serpent de l'Hiver appartient tout autant à Hadès qu'au Déluge. Là encore, la synthèse du christianisme et des croyances du paganisme est complète.
   Quand Poussin mourut, les cercles artistiques le respectaient, mais on ne l'aimait point et on ne l'imitait pas davantage. On lui reprochait en particulier son caractère rigide (Autoportrait, Louvre) et la dureté de ses commentaires sur les autres peintres. Il vivait de plus comme une sorte d'ermite séparé de la société romaine, fréquentant seulement quelques amis très intimes et se consacrant exclusivement à son art. Il n'eut pas d'imitateur parce que, contrairement à ses contemporains romains, il n'utilisa jamais d'assistant ni n'ouvrit d'atelier. Enfin et surtout, il développa dans son isolement un style uniquement destiné à satisfaire sa propre sensibilité et celle de ses plus proches admirateurs, et qui était en fait contraire au goût alors en faveur à Rome.

Fortune critique de l'artiste

À Paris, et en particulier à l'Académie royale de peinture et de sculpture, bien que le nom de Poussin fût le deuxième après celui de Raphaël, qu'on le présentât comme modèle à tous les jeunes peintres et que ses travaux fussent pris comme sujets de conférences sur la nature de l'art, Le Brun lui-même et ses collègues académiciens ne comprirent pas vraiment les qualités réelles de ses dernières œuvres. En outre, la situation culturelle devait bientôt changer. Les défenseurs de la couleur opposée au dessin et les partisans des Modernes contre les Anciens discutèrent la suprématie de Raphaël et de Poussin et prônèrent à leur place Rubens et les Vénitiens ; si bien que vers 1700, en dehors de quelques imitateurs plutôt ternes, comme Nicolas Colombel et François Verdier, les artistes parisiens les plus inventifs se dirigèrent vers une conception tout à fait différente de la peinture et contraire à l'idéal de Poussin.
   Au XVIIIe s., les critiques français continuèrent à honorer Poussin, mais les peintres ignoraient ses leçons, et, dans la période dominée par Boucher et Fragonard, son influence fut presque nulle. Avec le changement de goût à la fin du siècle, la fortune de Poussin tourna ; Vien et surtout son élève David reconnurent et proclamèrent son génie. Parmi les artistes de la génération suivante, il est naturel qu'Ingres l'ait cité comme un de ses dieux, mais il est révélateur de la relation ambiguë entre le Classicisme et le Romantisme que Delacroix ait manifesté un enthousiasme presque égal pour lui et écrit en son honneur l'un des essais les plus perspicaces. Poussin continua à être vénéré par les suiveurs d'Ingres, mais il eut une influence beaucoup plus féconde sur des artistes comme Degas et Cézanne, qui ne cherchèrent pas à l'imiter, mais qui appliquèrent les principes sous-jacents à son art aux problèmes qui étaient les leurs et propres à leur temps.
   Le XXe s. a manifesté un incontestable regain d'intérêt pour Poussin, stimulé par l'admiration de Cézanne et par les affinités que présentait son art avec le Cubisme et la peinture abstraite. Ce n'est pas fortuitement que Picasso, après 1918, s'est rapproché du classicisme du Poussin des années 1640 ou que les Puristes (Ozenfant, Jeanneret) ont considéré au même moment l'artiste comme un précurseur. Il est donc possible que la renommée actuelle de Poussin auprès des historiens d'art puisse, dans un avenir prochain, s'étendre aux peintres et que l'artiste devienne le héros d'une nouvelle génération. Une importante rétrospective Poussin comportant près de 250 œuvres (peintures et dessins) a été présentée (Paris, Grand Palais ; Londres, Royal Academy) en 1994-1995.


Nicolas Poussin, Autoportrait
Nicolas Poussin, Autoportrait
Nicolas Poussin, détail de l'Eucharistie
Nicolas Poussin, détail de l'Eucharistie
Nicolas Poussin, Écho et Narcisse
Nicolas Poussin, Écho et Narcisse
Nicolas Poussin, Éliézer et Rébecca
Nicolas Poussin, Éliézer et Rébecca
Nicolas Poussin, la Mort de Germanicus
Nicolas Poussin, la Mort de Germanicus
Nicolas Poussin, l'Annonciation
Nicolas Poussin, l'Annonciation
Nicolas Poussin, la Sainte Famille
Nicolas Poussin, la Sainte Famille
Nicolas Poussin, le Martyre de saint Érasme
Nicolas Poussin, le Martyre de saint Érasme
Nicolas Poussin, les Bergers d'Arcadie
Nicolas Poussin, les Bergers d'Arcadie
Nicolas Poussin, l'Été de Ruth et Booz
Nicolas Poussin, l'Été de Ruth et Booz
Nicolas Poussin, l'Inspiration du poète
Nicolas Poussin, l'Inspiration du poète
Nicolas Poussin, Paysage avec Saint Jean à Patmos
Nicolas Poussin, Paysage avec Saint Jean à Patmos
Nicolas Poussin, Paysage avec saint Mathieu et l'ange






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