mardi 27 décembre 2011
Les Ambassadeurs - Hans Holbein le Jeune.
http://histoireontheway.blogspot.com/2011/12/les-ambassadeurs-hans-holbein-le-jeune.html
Les ambassadeurs, tableau d'Hans Holbein le Jeune, peint en 1533 et visible aujourd'hui à la National Galery de Londres.
Les deux diplomates représentés ici sont, selon les historiens de l’art, les Français Jean de Dinteville et Georges de Selve. Jean de Dinteville, est richement habillé d'un manteau orné de fourrure. Autour du cou, il porte le collier de l'ordre de Saint-Michel,un ordre de chevalerie, fondé à Amboise le 1er août 1469 par Louis XI. Il porte un béret où est accrochée une broche représentant un crâne. Sous son manteau noir, il porte une riche chemise de soie rouge.
Jean de DintevilleJean de Dinteville est seigneur de Policy (dans le département actuel de l'Aube, près de Bar-sur-Seine).Georges de SelveGeorges de Selve, porte un costume sobre de couleur noire, mais richement doublé de fourrure. Il est évêque de Lavaur (dans le Tarn) et est issu d'une riche famille de parlementaires. Son père, Jean de Selve, nommé premier Président du Parlement de Bordeaux puis du Parlement de Paris par François Ier, a rempli, au service du roi les missions diplomatiques les plus délicates, comme la négociation à Madrid de la libération de François Ier, capturé par Charles Quint à Pavie (1525). Son fils Georges entreprend à son tour une brillante carrière au service de la monarchie : ambassadeur à Londres (1533) puis à Venise (1534-1536), enfin à Rome auprès de la papauté (1536-1539) et auprès de l'empereur Charles Quint en 1539-1540. Une mort précoce alors qu'il n'a que 33 ans met fin à cette brillante carrière en 1541. L'un des ambassadeurs appartient donc à la petite noblesse, l'autre est donc ecclésiastique. Ils sont jeunes et dans la force de l'âge comme le montre le tableau. Jean de Dinteville tient ainsi dans sa main droite une dague rangée dans un fourreau où est inscrit son âge, vingt-neuf ans.
Le contexte politique
Hans Holbein le Jeune, Henry VIII, vers 1536, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.
Les deux hommes sont ambassadeurs en Angleterre en 1533, à un moment historique précis, l'année du mariage secret entre Henry VIII et Ann Boleyn. Henry VIII tente alors d’obtenir le soutien de François Ier face au pape Clément VII, à moins que ce ne soit le contraire, François Ier tentant d'arracher le soutien d'Henry VIII contre Charles le Quint.
Sebastiano del Piombo, Portrait de Clément VII, 1526, Museo di Capodimonte, Naples.Le contexte européen est alors plus que troublé. Quelques années après le sac de Rome (1527) par les lansquenets allemands qui ont laissé la capitale de la papauté hagarde, ayant perdu la majorité de ses habitants suite aux massacres puis à la peste, le pape Clément VII (Jules de Médicis, neveu de Laurent le Magnifique) tente de restaurer la puissance de la papauté.
Le Titien, Charles Quint, 1548, Pinacothèque de Munich.
Charles Quint doit, lui, affronter la coalition hétéroclite de ses ennemis: d'une part, les luthériens allemands qui se sont unis militairement dans la Ligue de Smalkade et, d'autre part, François Ier, roi de France, souverain très chrétien qui n'a pas hésité à solliciter l'alliance de Soliman le Magnifique, sultan ottoman (première capitulation signée en 1529, l'alliance militaire étant concrétisée en 1536). On peut comprendre que, dans ces circonstances, l'alliance de Henry VIII représente un atout déterminant pour François Ier.
Anonyme, Anne Boleyn, portrait vers 1533-1536, National Portrait Gallery, Londres.Mais le roi d'Angleterre a ses propres problèmes à régler. Depuis son accession au trône en 1509, Henry VIII est en effet marié à Catherine d’Aragon, fille des rois catholiques d’Espagne. Or, il souhaite répudier sa première femme pour épouser sa favorite, Anne Boleyn. De son union avec Catherine, Henry VIII a eu une fille, Marie, la future Marie Tudor mais pas de fils, ce qui a déçu le roi d’Angleterre. L’attitude extrêmement ferme du pape qui s’oppose officiellement au divorce du souverain anglais en 1530, pousse Henry VIII a brusquer subitement les évènements en 1533, l’année du tableau d’Hans Holbein le Jeune. Avec le soutien de l'archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage avec Catherine d'Aragon, il épouse secrètement Anne Boleyn alors enceinte, avec le soutien de l’archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage du roi d’Angleterre avec Catherine d’Aragon.
Michel Sittow, portrait de Catherine d'Aragon, vers 1503, Kunsthistorisches Museum, Vienne.François Ier, désireux d’obtenir le soutien d’Henry VIII contre Charles Quint, empereur et roi d’Espagne (dont Catherine d’Aragon est la tante), soutient le souverain anglais. Le 1er juin 1533, Anne Boleyn est couronné à l’abbaye de Westminster. L’affaire a de lourdes conséquences politiques : Clément VII excommunie Henry VIII en 1534 et, en riposte, l’Eglise d’Angleterre décide, non sans crise, de rompre avec la papauté en ralliant le roi. Henry VIII se proclame « Chef Suprême de l'Église et du Clergé d'Angleterre » . Le schisme entre le pape et l’Eglise d’Angleterre consacre la naissance de l’Eglise anglicane. François Ier prendra, en définitive, ses distances avec Henry VIII, car l’affaire des Placards qui éclate en France en 1534, montre la puissance des idées de la Réforme luthérienne dans son propre royaume. François Ier décide de réprimer violemment les luthériens au moment où l’Eglise anglicane amorce son rapprochement avec les idées de Luther. En définitive, la mission diplomatique de Jean de Dinteville et de Georges de Selve est un échec. Henry VIII reste fidèle à son alliance avec Charles Quint. En 1544, les troupes anglaises s'emparent de Boulogne que l'armée française du nouveau roi Henri II, parvient à reconquérir en octobre 1547. Durant tout le règne de François Ier, l'armée anglaise aura continué de peser comme une menace potentielle à l'ouest, véritable alliance de revers pour Charles Quint. Henry VIII disparait le 28 janvier 1547, précédant de deux mois seulement dans la mort François Ier qui meurt le 31 mars de la même année.Le peintre : Hans Holbein le Jeune (1497-1543)Hans Holbein le Jeune est né en terres allemandes, à Augsbourg dans le Saint-Empire romain germanique, vers 1497. Il est le fils du peintre Hans Holbein l’Ancien très connu de son temps pour ses peintures de retable mais aussi pour son œuvre de graveur puisqu’il illustra des livres aussi célèbres que l’Eloge de la Folie d’Erasme (1516). Hans Holbein le Jeune voyage beaucoup, en Italie et en France notamment où il découvre les tableaux de la Renaissance.
Hans Holbein le Jeune, Portrait de Sir Thomas More , 1527. Huile et tempera sur chêne,Frick Collection , New York.Il peint les célébrités de l’époque dont Erasme qui le recommande à son ami Thomas More en Angleterre. Hans Holbein s’installe en Angleterre en 1526 pour un premier séjour puis définitivement en 1532. L’Angleterre est alors à un tournant de son histoire politique et religieux. Hans Holbein prend alors ses distances avec les milieux humanistes. Thomas More est officiellement rentré en dissidence en 1532 en s’opposant au mariage entre Henry VIII et Anne Boleyn et en démissionnant de sa charge de chancelier. Au contraire, Holbein travaille pour le clan Anne Boleyn-Thomas Cromwell qui influence la politique du roi. Il devient peintre du roi Henry VIII en 1535.Hans Holbein le Jeune, Portrait du marchand Georg Gisze de Dantzig, 1532, Gemäldegalerie, Berlin.Hans Holbein peint aussi des portraits de marchands allemands de la Hanse en poste à Londres dans leur quartier du Steelyard, au nord de la Tamise, ainsi que des hauts personnages comme nos ambassadeurs.
Hans Holbein le Jeune, Portrait de Thomas Cromwell. 1532-1633, Frick Collection. New York.
Dans la cour d’Angleterre, la hache tombe très vite sur le coup des ex-favoris. L’ancien chancelier du roi, Thomas More est exécuté en 1536 de même que Anne Boleyn décapitée en même temps que cinq co-accusés pour adultère, inceste, hérésie, entreprises contre la vie du Roi et haute trahison. La plupart des historiens considèrent que ces accusations sont infondées et sont plutôt le produit de l’imagination d’Henry VIII, souverain cruel et débauché. En 1540, ce sera au tour de Thomas Cromwell de finir la tête sur le billot.
Hans Holbein le Jeune, portrait de Jeanne Seymour, vers 1536-1537, Kunsthistorisches Museum, Vienne.Holbein poursuit son travail de peintre du roi et fait le portrait de Jeanne Seymour, la nouvelle épouse du roi d’Angleterre. Mais celle-ci meurt en 1537 après avoir donné naissance au futur Edouard VI. En 1538, Holbein voyage pour le compte d’Henry VIII qui est à la recherche d'une nouvelle épouse. Holbein se rend dans les cours européennes, peint les portraits des jeunes filles à marier comme Christine de Danemark. Les tableaux sont ensuite présentés au roi d'Angleterre, qui peut ainsi avoir une idée précise du physique des candidates potentielles.
Les deux diplomates représentés ici sont, selon les historiens de l’art, les Français Jean de Dinteville et Georges de Selve. Jean de Dinteville, est richement habillé d'un manteau orné de fourrure. Autour du cou, il porte le collier de l'ordre de Saint-Michel,un ordre de chevalerie, fondé à Amboise le 1er août 1469 par Louis XI. Il porte un béret où est accrochée une broche représentant un crâne. Sous son manteau noir, il porte une riche chemise de soie rouge.
Jean de DintevilleJean de Dinteville est seigneur de Policy (dans le département actuel de l'Aube, près de Bar-sur-Seine).Georges de SelveGeorges de Selve, porte un costume sobre de couleur noire, mais richement doublé de fourrure. Il est évêque de Lavaur (dans le Tarn) et est issu d'une riche famille de parlementaires. Son père, Jean de Selve, nommé premier Président du Parlement de Bordeaux puis du Parlement de Paris par François Ier, a rempli, au service du roi les missions diplomatiques les plus délicates, comme la négociation à Madrid de la libération de François Ier, capturé par Charles Quint à Pavie (1525). Son fils Georges entreprend à son tour une brillante carrière au service de la monarchie : ambassadeur à Londres (1533) puis à Venise (1534-1536), enfin à Rome auprès de la papauté (1536-1539) et auprès de l'empereur Charles Quint en 1539-1540. Une mort précoce alors qu'il n'a que 33 ans met fin à cette brillante carrière en 1541. L'un des ambassadeurs appartient donc à la petite noblesse, l'autre est donc ecclésiastique. Ils sont jeunes et dans la force de l'âge comme le montre le tableau. Jean de Dinteville tient ainsi dans sa main droite une dague rangée dans un fourreau où est inscrit son âge, vingt-neuf ans.
Le contexte politique
Hans Holbein le Jeune, Henry VIII, vers 1536, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.
Les deux hommes sont ambassadeurs en Angleterre en 1533, à un moment historique précis, l'année du mariage secret entre Henry VIII et Ann Boleyn. Henry VIII tente alors d’obtenir le soutien de François Ier face au pape Clément VII, à moins que ce ne soit le contraire, François Ier tentant d'arracher le soutien d'Henry VIII contre Charles le Quint.
Sebastiano del Piombo, Portrait de Clément VII, 1526, Museo di Capodimonte, Naples.Le contexte européen est alors plus que troublé. Quelques années après le sac de Rome (1527) par les lansquenets allemands qui ont laissé la capitale de la papauté hagarde, ayant perdu la majorité de ses habitants suite aux massacres puis à la peste, le pape Clément VII (Jules de Médicis, neveu de Laurent le Magnifique) tente de restaurer la puissance de la papauté.
Le Titien, Charles Quint, 1548, Pinacothèque de Munich.
Charles Quint doit, lui, affronter la coalition hétéroclite de ses ennemis: d'une part, les luthériens allemands qui se sont unis militairement dans la Ligue de Smalkade et, d'autre part, François Ier, roi de France, souverain très chrétien qui n'a pas hésité à solliciter l'alliance de Soliman le Magnifique, sultan ottoman (première capitulation signée en 1529, l'alliance militaire étant concrétisée en 1536). On peut comprendre que, dans ces circonstances, l'alliance de Henry VIII représente un atout déterminant pour François Ier.
Anonyme, Anne Boleyn, portrait vers 1533-1536, National Portrait Gallery, Londres.Mais le roi d'Angleterre a ses propres problèmes à régler. Depuis son accession au trône en 1509, Henry VIII est en effet marié à Catherine d’Aragon, fille des rois catholiques d’Espagne. Or, il souhaite répudier sa première femme pour épouser sa favorite, Anne Boleyn. De son union avec Catherine, Henry VIII a eu une fille, Marie, la future Marie Tudor mais pas de fils, ce qui a déçu le roi d’Angleterre. L’attitude extrêmement ferme du pape qui s’oppose officiellement au divorce du souverain anglais en 1530, pousse Henry VIII a brusquer subitement les évènements en 1533, l’année du tableau d’Hans Holbein le Jeune. Avec le soutien de l'archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage avec Catherine d'Aragon, il épouse secrètement Anne Boleyn alors enceinte, avec le soutien de l’archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage du roi d’Angleterre avec Catherine d’Aragon.
Michel Sittow, portrait de Catherine d'Aragon, vers 1503, Kunsthistorisches Museum, Vienne.François Ier, désireux d’obtenir le soutien d’Henry VIII contre Charles Quint, empereur et roi d’Espagne (dont Catherine d’Aragon est la tante), soutient le souverain anglais. Le 1er juin 1533, Anne Boleyn est couronné à l’abbaye de Westminster. L’affaire a de lourdes conséquences politiques : Clément VII excommunie Henry VIII en 1534 et, en riposte, l’Eglise d’Angleterre décide, non sans crise, de rompre avec la papauté en ralliant le roi. Henry VIII se proclame « Chef Suprême de l'Église et du Clergé d'Angleterre » . Le schisme entre le pape et l’Eglise d’Angleterre consacre la naissance de l’Eglise anglicane. François Ier prendra, en définitive, ses distances avec Henry VIII, car l’affaire des Placards qui éclate en France en 1534, montre la puissance des idées de la Réforme luthérienne dans son propre royaume. François Ier décide de réprimer violemment les luthériens au moment où l’Eglise anglicane amorce son rapprochement avec les idées de Luther. En définitive, la mission diplomatique de Jean de Dinteville et de Georges de Selve est un échec. Henry VIII reste fidèle à son alliance avec Charles Quint. En 1544, les troupes anglaises s'emparent de Boulogne que l'armée française du nouveau roi Henri II, parvient à reconquérir en octobre 1547. Durant tout le règne de François Ier, l'armée anglaise aura continué de peser comme une menace potentielle à l'ouest, véritable alliance de revers pour Charles Quint. Henry VIII disparait le 28 janvier 1547, précédant de deux mois seulement dans la mort François Ier qui meurt le 31 mars de la même année.Le peintre : Hans Holbein le Jeune (1497-1543)Hans Holbein le Jeune est né en terres allemandes, à Augsbourg dans le Saint-Empire romain germanique, vers 1497. Il est le fils du peintre Hans Holbein l’Ancien très connu de son temps pour ses peintures de retable mais aussi pour son œuvre de graveur puisqu’il illustra des livres aussi célèbres que l’Eloge de la Folie d’Erasme (1516). Hans Holbein le Jeune voyage beaucoup, en Italie et en France notamment où il découvre les tableaux de la Renaissance.
Hans Holbein le Jeune, Portrait de Sir Thomas More , 1527. Huile et tempera sur chêne,Frick Collection , New York.Il peint les célébrités de l’époque dont Erasme qui le recommande à son ami Thomas More en Angleterre. Hans Holbein s’installe en Angleterre en 1526 pour un premier séjour puis définitivement en 1532. L’Angleterre est alors à un tournant de son histoire politique et religieux. Hans Holbein prend alors ses distances avec les milieux humanistes. Thomas More est officiellement rentré en dissidence en 1532 en s’opposant au mariage entre Henry VIII et Anne Boleyn et en démissionnant de sa charge de chancelier. Au contraire, Holbein travaille pour le clan Anne Boleyn-Thomas Cromwell qui influence la politique du roi. Il devient peintre du roi Henry VIII en 1535.Hans Holbein le Jeune, Portrait du marchand Georg Gisze de Dantzig, 1532, Gemäldegalerie, Berlin.Hans Holbein peint aussi des portraits de marchands allemands de la Hanse en poste à Londres dans leur quartier du Steelyard, au nord de la Tamise, ainsi que des hauts personnages comme nos ambassadeurs.
Hans Holbein le Jeune, Portrait de Thomas Cromwell. 1532-1633, Frick Collection. New York.
Dans la cour d’Angleterre, la hache tombe très vite sur le coup des ex-favoris. L’ancien chancelier du roi, Thomas More est exécuté en 1536 de même que Anne Boleyn décapitée en même temps que cinq co-accusés pour adultère, inceste, hérésie, entreprises contre la vie du Roi et haute trahison. La plupart des historiens considèrent que ces accusations sont infondées et sont plutôt le produit de l’imagination d’Henry VIII, souverain cruel et débauché. En 1540, ce sera au tour de Thomas Cromwell de finir la tête sur le billot.
Hans Holbein le Jeune, portrait de Jeanne Seymour, vers 1536-1537, Kunsthistorisches Museum, Vienne.Holbein poursuit son travail de peintre du roi et fait le portrait de Jeanne Seymour, la nouvelle épouse du roi d’Angleterre. Mais celle-ci meurt en 1537 après avoir donné naissance au futur Edouard VI. En 1538, Holbein voyage pour le compte d’Henry VIII qui est à la recherche d'une nouvelle épouse. Holbein se rend dans les cours européennes, peint les portraits des jeunes filles à marier comme Christine de Danemark. Les tableaux sont ensuite présentés au roi d'Angleterre, qui peut ainsi avoir une idée précise du physique des candidates potentielles.
Hans Holbein le Jeune, Portrait de Christine de Danemark, duchesse de Milan en deuil. 1538, National Gallery, London.En 1539, Hans Holbein le Jeune fait le portrait de Anne de Clèves. Henry VIII a la vue de ce portrait fut enthousiaste mais il fut très déçu lorsqu’il vit la future mariée. Il divorcera très vite. Il est vrai que le roi lui-même devait faire peur à plus d’une jeune princesse avec ses 136 kilos, son tour de taille d’1,37 mètre sans compter un ulcère sur sa cuisse qui dégageait une odeur nauséabonde.
Hans Holbein le Jeune, Anne de Clèves,1539, Musée du Louvre, Paris.Quoi qu’il en soit, Hans Holbein qui venait de perdre son protecteur, Thomas Cromwell, exécuté en 1540 pour hérésie et trahison, n’est pas tombé en disgrâce, restant peintre du roi jusqu’à sa mort en 1543.
Hans Holbein le Jeune, portrait miniature de Catherine Howard, vers 1541, Royale Collection.Les têtes continuent de tomber à la cour d’Angleterre. La cinquième épouse du roi, Catherine Howard (cousine d’Anne Boleyn), marié au roi en 1540, est décapitée en 1542 pour adultère et trahison à la Tour de Londres. Il est vrai que la jeune reine, dégouttée par l’apparence physique répugnante du roi, lui avait préféré Thomas Culpeper, un séduisant favori d’Henry. Les deux amants supposés de Catherine furent exécutés ainsi que l’entremetteuse qui organisait les rendez-vous galants,Lady Rochford, la veuve de George Boleyn, frère d'Anne Boleyn lui-même exécuté en 1536 en même temps que sa soeur Anne.
Hans Holbein le Jeune, portrait d'Henry VIII, 1539-1540, Palais Barberini, Rome.
En 1543, Henry VIII épouse sa sixième femme, Catherine Parr, qui sera aussi la dernière. Catherine échappa miraculeusement à une arrestation en 1546 pour hérésie, sauvant sa tête du même coup. Elle aura la bonne idée d'attendre la mort de son mari, en 1547, pour épouser son amour de jeunesse, Thomas Seymour, l'année suivante. Mais la naissance de leur fille entraîna des complications et la mort de Catherine Parr eut lieu six jours après son accouchement (1548). Seymour qui avait été très proche de la future reine Elisabeth, peut-être son amant, fut accusé un an plus tard de trahison et exécuté.
Analyse du tableau
Le tableau représente la rencontre de ses deux ambassadeurs de François Ier en 1533. Georges de Selve arrive de France sans doute pour rappeler à Jean de Dinteville quelle est la position de François Ier dans la crise entre Henry VIII et le pape Clément VII. François Ier souhaitait obtenir l’alliance du roi d’Angleterre contre Charles Quint, l’adversaire acharné du roi de France. Georges de Selve, catholique fervent mais critique à l’égard de la corruption de l’Eglise romaine, est aussi là pour réconcilier l’Eglise d’Angleterre et le pape.
Le tableau est rempli de références symboliques : les ambassadeurs posent devant les symboles de leur culture et de leur érudition : des livres, un cadran solaire, un globe terrestre, une sphère céleste, des instruments de mesure, un luth et des flûtes. A leurs pieds, sur un luxueux carrelage, on distingue au premier plan une forme étrange déformée par anamorphose. L'anamorphose consiste à déformer un élément, mais cet élément se reconstitue quand on le regarde de la bonne position ou si on utilise les bons outils. Il s’agit ici de la représentation d’un crâne humain que l’on peut voir en rasant le tableau ou en l’inclinant. C’est donc une « vanité » qui rappelle la fragilité de la vie aux hommes, souvent pressés d’afficher leur réussite et leur puissance éphémère, au risque du péché d’orgueil.
Les deux ambassadeurs sont positionnés de part et d’autre du tableau. Ils s’appuient sur un meuble remplis d’objets à haute portée symbolique. Les deux ambassadeurs, de par leur position, nous invitent à contempler ces objets qui se rapportent à l’astronomie, la mesure du temps, la géographie, la musique ou l’arithmétique sans compter les objets religieux. A l’étage supérieure du meuble, on distingue :
- une sphère céleste constellée d’étoiles et de signes du zodiaque.
- une horloge solaire cylindrique (ou cadran de berger).
Le cadran de berger, parfois appelé montre de berger est un cylindre surmonté d'un chapeau tournant équipé d'un style perpendiculaire. On tient le cadran suspendu par une ficelle ou un anneau afin qu'il reste vertical, et on tourne le chapeau jusqu'à la marque correspondant à la date du jour. En orientant ensuite le cadran en direction du soleil, l'ombre projetée donne l'heure solaire.
- Un torquetum.
Le torquetum ou le turquet est un instrument de mesure astronomique médiéval servant à fixer l’heure et la date par rapport à la position de corps célestes dont on a déterminé un ensemble de coordonnées au moyen de cet instrument.
Il serait l’œuvre de Jabir Ibn Aflah, un mathématicien et astronome andalou du XIIe siècle. Cet instrument composé de disques et de plateaux a été abandonné lorsque Galilée a eu l'idée de la lunette astronomique.
- divers cadrans.
- un livre, sur lequel Georges de Selve a le coude posé, dont la tranche indique l’âge de Jean de Dinteville, 29 ans.A l’étage inférieure du meuble, on peut distinguer :
Le globe terrestre (ici retourné) du tableau.
- un globe terrestre. Il montre l'Afrique et l'Europe. On distingue au coeur du royaume de France la localité de Policy dont Jean de Dinteville est le seigneur.
- un livre de mathématiques à demi ouvert par une équerre, L’auteur en serait le mathématicien, Peter Apian, un allemand travaillant à l’université d’Ingolstadt. Il était aussi imprimeur et à ce titre, imprima les œuvres de Johann Eck, l’un des grands contradicteurs de Luther. Favori de Charles Quint, qui l’anoblit en 1535, il est donc adversaire des idées réformées.
- un luth dont l’une des cordes est cassée.
- sous le luth, un compas.
- un livre de cantiques ouvert qui présente sur la page de gauche, un hymne de Martin Luther et, sur la page de droite, une version des Dix Commandements proposée par le même Luther. Il est vrai que Georges de Selve à l’époque est très critique envers l’Eglise romaine et ses idées ne sont pas très éloignées de celles de Luther. Tolérant, il est aussi favorable à une réforme de l’Eglise.
- quatre flûtes dans leur étui.Derrière les deux hommes, une tenture verte avec des motifs végétaux. A la droite du tableau, un crucifix accroché au mur est à demi-caché par la tenture.
Conclusion: au total, à travers une œuvre qui représente la réussite et la richesse apparentes de deux notables français du XVIe siècle, on peut aussi entrevoir les interrogations de l’artiste et des deux personnages sur leur époque. Le tableau incarne à la fois la célébration des valeurs de la Renaissance avec l’avancée de la science et des arts ou la montée en force de la bourgeoisie parlementaire et de la petite noblesse au service du roi, mais aussi les inquiétudes liées au troubles politiques et religieux du temps avec la progression des idées de la Réforme luthérienne et des divisions de l’Eglise. La corde du luth cassé (le luth étant lui symbole d’harmonie), le mot "Dividirt" signifiant la division) sur la page entrouverte du livre de Peter Apian, le livre de cantiques présentant sur ces deux pages des écrits de Luther, le Christ à demi-caché derrière le rideau vert, et surtout la vanité et sa représentation ambiguë en anamorphose, peuvent aussi être vu comme des évocations de la peur qui saisit les hommes à la recherche de leur salut dans une époque aussi troublée.
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Hans Holbein le Jeune, Anne de Clèves,1539, Musée du Louvre, Paris.Quoi qu’il en soit, Hans Holbein qui venait de perdre son protecteur, Thomas Cromwell, exécuté en 1540 pour hérésie et trahison, n’est pas tombé en disgrâce, restant peintre du roi jusqu’à sa mort en 1543.
Hans Holbein le Jeune, portrait miniature de Catherine Howard, vers 1541, Royale Collection.Les têtes continuent de tomber à la cour d’Angleterre. La cinquième épouse du roi, Catherine Howard (cousine d’Anne Boleyn), marié au roi en 1540, est décapitée en 1542 pour adultère et trahison à la Tour de Londres. Il est vrai que la jeune reine, dégouttée par l’apparence physique répugnante du roi, lui avait préféré Thomas Culpeper, un séduisant favori d’Henry. Les deux amants supposés de Catherine furent exécutés ainsi que l’entremetteuse qui organisait les rendez-vous galants,Lady Rochford, la veuve de George Boleyn, frère d'Anne Boleyn lui-même exécuté en 1536 en même temps que sa soeur Anne.
Hans Holbein le Jeune, portrait d'Henry VIII, 1539-1540, Palais Barberini, Rome.
En 1543, Henry VIII épouse sa sixième femme, Catherine Parr, qui sera aussi la dernière. Catherine échappa miraculeusement à une arrestation en 1546 pour hérésie, sauvant sa tête du même coup. Elle aura la bonne idée d'attendre la mort de son mari, en 1547, pour épouser son amour de jeunesse, Thomas Seymour, l'année suivante. Mais la naissance de leur fille entraîna des complications et la mort de Catherine Parr eut lieu six jours après son accouchement (1548). Seymour qui avait été très proche de la future reine Elisabeth, peut-être son amant, fut accusé un an plus tard de trahison et exécuté.
Analyse du tableau
Le tableau représente la rencontre de ses deux ambassadeurs de François Ier en 1533. Georges de Selve arrive de France sans doute pour rappeler à Jean de Dinteville quelle est la position de François Ier dans la crise entre Henry VIII et le pape Clément VII. François Ier souhaitait obtenir l’alliance du roi d’Angleterre contre Charles Quint, l’adversaire acharné du roi de France. Georges de Selve, catholique fervent mais critique à l’égard de la corruption de l’Eglise romaine, est aussi là pour réconcilier l’Eglise d’Angleterre et le pape.
Le tableau est rempli de références symboliques : les ambassadeurs posent devant les symboles de leur culture et de leur érudition : des livres, un cadran solaire, un globe terrestre, une sphère céleste, des instruments de mesure, un luth et des flûtes. A leurs pieds, sur un luxueux carrelage, on distingue au premier plan une forme étrange déformée par anamorphose. L'anamorphose consiste à déformer un élément, mais cet élément se reconstitue quand on le regarde de la bonne position ou si on utilise les bons outils. Il s’agit ici de la représentation d’un crâne humain que l’on peut voir en rasant le tableau ou en l’inclinant. C’est donc une « vanité » qui rappelle la fragilité de la vie aux hommes, souvent pressés d’afficher leur réussite et leur puissance éphémère, au risque du péché d’orgueil.
Les deux ambassadeurs sont positionnés de part et d’autre du tableau. Ils s’appuient sur un meuble remplis d’objets à haute portée symbolique. Les deux ambassadeurs, de par leur position, nous invitent à contempler ces objets qui se rapportent à l’astronomie, la mesure du temps, la géographie, la musique ou l’arithmétique sans compter les objets religieux. A l’étage supérieure du meuble, on distingue :
- une sphère céleste constellée d’étoiles et de signes du zodiaque.
- une horloge solaire cylindrique (ou cadran de berger).
Le cadran de berger, parfois appelé montre de berger est un cylindre surmonté d'un chapeau tournant équipé d'un style perpendiculaire. On tient le cadran suspendu par une ficelle ou un anneau afin qu'il reste vertical, et on tourne le chapeau jusqu'à la marque correspondant à la date du jour. En orientant ensuite le cadran en direction du soleil, l'ombre projetée donne l'heure solaire.
- Un torquetum.
Le torquetum ou le turquet est un instrument de mesure astronomique médiéval servant à fixer l’heure et la date par rapport à la position de corps célestes dont on a déterminé un ensemble de coordonnées au moyen de cet instrument.
Il serait l’œuvre de Jabir Ibn Aflah, un mathématicien et astronome andalou du XIIe siècle. Cet instrument composé de disques et de plateaux a été abandonné lorsque Galilée a eu l'idée de la lunette astronomique.
- divers cadrans.
- un livre, sur lequel Georges de Selve a le coude posé, dont la tranche indique l’âge de Jean de Dinteville, 29 ans.A l’étage inférieure du meuble, on peut distinguer :
Le globe terrestre (ici retourné) du tableau.
- un globe terrestre. Il montre l'Afrique et l'Europe. On distingue au coeur du royaume de France la localité de Policy dont Jean de Dinteville est le seigneur.
- un livre de mathématiques à demi ouvert par une équerre, L’auteur en serait le mathématicien, Peter Apian, un allemand travaillant à l’université d’Ingolstadt. Il était aussi imprimeur et à ce titre, imprima les œuvres de Johann Eck, l’un des grands contradicteurs de Luther. Favori de Charles Quint, qui l’anoblit en 1535, il est donc adversaire des idées réformées.
- un luth dont l’une des cordes est cassée.
- sous le luth, un compas.
- un livre de cantiques ouvert qui présente sur la page de gauche, un hymne de Martin Luther et, sur la page de droite, une version des Dix Commandements proposée par le même Luther. Il est vrai que Georges de Selve à l’époque est très critique envers l’Eglise romaine et ses idées ne sont pas très éloignées de celles de Luther. Tolérant, il est aussi favorable à une réforme de l’Eglise.
- quatre flûtes dans leur étui.Derrière les deux hommes, une tenture verte avec des motifs végétaux. A la droite du tableau, un crucifix accroché au mur est à demi-caché par la tenture.
Conclusion: au total, à travers une œuvre qui représente la réussite et la richesse apparentes de deux notables français du XVIe siècle, on peut aussi entrevoir les interrogations de l’artiste et des deux personnages sur leur époque. Le tableau incarne à la fois la célébration des valeurs de la Renaissance avec l’avancée de la science et des arts ou la montée en force de la bourgeoisie parlementaire et de la petite noblesse au service du roi, mais aussi les inquiétudes liées au troubles politiques et religieux du temps avec la progression des idées de la Réforme luthérienne et des divisions de l’Eglise. La corde du luth cassé (le luth étant lui symbole d’harmonie), le mot "Dividirt" signifiant la division) sur la page entrouverte du livre de Peter Apian, le livre de cantiques présentant sur ces deux pages des écrits de Luther, le Christ à demi-caché derrière le rideau vert, et surtout la vanité et sa représentation ambiguë en anamorphose, peuvent aussi être vu comme des évocations de la peur qui saisit les hommes à la recherche de leur salut dans une époque aussi troublée.
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Libellés : Histoire 5°, Voyager.ontheway
Les ambassadeurs (Hans Holbein) par Pierre Oscar Lévy © Laure Taille
Aujourd'hui j'ai choisi Les ambassadeurs d'Holbein Le Jeune en référence à la manifestation de demain dimanche. S'installer dans un rôle quasi immuable, au service de l'État, exige une honnêteté que le pouvoir érode avec le temps. Les mandats ne devraient pas être reconductibles et les élus (ou tirés au sort, c'est à débattre) devraient avoir des comptes à rendre à la population, qu'elle puisse juger si les promesses ont été tenues. Cette sanction freinerait peut-être les ardeurs de certains lobbyistes qui ne craignent pas les conflits d'intérêt.
J'avais livré mes notes sur l'enregistrement de la musique sans hélas pouvoir montrer le film. Je crois que c'est un des préférés de Pierre Oscar Lévy, peut-être pour son idée de regarder le tableau sur la tranche par un mouvement en 3D, quatre minutes après le début. Car, "pour voir le crâne et l’identifier comme tel, celui qui regarde doit se placer sur la gauche du tableau, plus bas que son cadre, quelque chose comme à genoux de côté". Si le visiteur s'agenouillait au pied du petit crucifix il verrait le Christ regarder "la configuration obscène…" Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.
Je me demandais si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.
"En m'endormant je savais qu'un truc ne collait pas. J'avais prévu de sonoriser Les Ambassadeurs d'Holbein avec un solo de trompette à anche, instrument inventé dans les années 60 par Bernard Vitet qui utilisait un bec de saxophone sopranino sur sa trompette en si bémol aigu. Aussi, dès 1976, lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, j'ai adapté le bec de mon alto à ma trompette de poche. Quelque chose me chagrinait. Je pensais qu'il manquait une ambiance derrière les phrases entrecoupées de silence, mais le problème venait du fait qu'ils étaient deux, ces brigands ! Dans mon sommeil, j'ai imaginé inviter un autre musicien à jouer en duo, mais aucun instrument ne me convenait. Je me suis demandé comment j'aurais fait si Pierre Oscar ne m'avait pas dit qu'il n'aimait que les instruments acoustiques. D'un coup, la musique a résonné dans ma tête, le timbre du rythme cardiaque, les souffles du Christ derrière le rideau, le Waldorf MicroWave XT que je n'avais pas allumé depuis des lustres... J'ai filtré les graves et rosi le bruit blanc, mais je n'étais pas au bout de mes peines. J'ai commencé par enregistrer tous les instruments ensemble, parce que j'aime que la musique sonne comme on respire. À 8 heures du matin, j'avais quatre excellentes prises dans la boîte. Manque de chance, je ne devais pas être tout à fait réveillé, les sons synthétiques étaient trop bas dans le mixage. Tout reprendre. Je les ai enregistrés seuls et j'ai recommencé à souffler par dessus, en faisant du bruit avec les clefs, en respirant, j'ai même poussé un gémissement sur le crucifix. Entre temps j'avais suffisamment répété en regardant le film pour en connaître toutes les subtiles articulations et me souvenir de l'analyse que Luis en avait faite. La première prise était la bonne ; juste remplacer la dernière phrase par une seconde. Tout est calé à l'image près, naturellement. Le son de la trompette à anche ressemble à celui d'une clarinette basse. Dominique compare mon solo à Roland Kirk sans connaître mon attachement au saxophoniste aveugle. Je pensais à quelque chose de grave, à la mort dont les signes sont partout cachés dans le tableau jusqu'au célèbre crâne anamorphosé. J'ai trouvé un moyen de boucler mes 4'51" et j'ai envoyé le fichier son. La tension était telle dans le studio que j'en avais encore la tremblote. Le soir, Pierre Oscar me dit qu'avec la musique on dirait du Scorsese. Les Ambassadeurs ont l'air de deux crapules. La vanité est devenu un film noir."
Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Lutherie - Bernard Vitet
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
J'avais livré mes notes sur l'enregistrement de la musique sans hélas pouvoir montrer le film. Je crois que c'est un des préférés de Pierre Oscar Lévy, peut-être pour son idée de regarder le tableau sur la tranche par un mouvement en 3D, quatre minutes après le début. Car, "pour voir le crâne et l’identifier comme tel, celui qui regarde doit se placer sur la gauche du tableau, plus bas que son cadre, quelque chose comme à genoux de côté". Si le visiteur s'agenouillait au pied du petit crucifix il verrait le Christ regarder "la configuration obscène…" Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.
Je me demandais si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.
"En m'endormant je savais qu'un truc ne collait pas. J'avais prévu de sonoriser Les Ambassadeurs d'Holbein avec un solo de trompette à anche, instrument inventé dans les années 60 par Bernard Vitet qui utilisait un bec de saxophone sopranino sur sa trompette en si bémol aigu. Aussi, dès 1976, lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, j'ai adapté le bec de mon alto à ma trompette de poche. Quelque chose me chagrinait. Je pensais qu'il manquait une ambiance derrière les phrases entrecoupées de silence, mais le problème venait du fait qu'ils étaient deux, ces brigands ! Dans mon sommeil, j'ai imaginé inviter un autre musicien à jouer en duo, mais aucun instrument ne me convenait. Je me suis demandé comment j'aurais fait si Pierre Oscar ne m'avait pas dit qu'il n'aimait que les instruments acoustiques. D'un coup, la musique a résonné dans ma tête, le timbre du rythme cardiaque, les souffles du Christ derrière le rideau, le Waldorf MicroWave XT que je n'avais pas allumé depuis des lustres... J'ai filtré les graves et rosi le bruit blanc, mais je n'étais pas au bout de mes peines. J'ai commencé par enregistrer tous les instruments ensemble, parce que j'aime que la musique sonne comme on respire. À 8 heures du matin, j'avais quatre excellentes prises dans la boîte. Manque de chance, je ne devais pas être tout à fait réveillé, les sons synthétiques étaient trop bas dans le mixage. Tout reprendre. Je les ai enregistrés seuls et j'ai recommencé à souffler par dessus, en faisant du bruit avec les clefs, en respirant, j'ai même poussé un gémissement sur le crucifix. Entre temps j'avais suffisamment répété en regardant le film pour en connaître toutes les subtiles articulations et me souvenir de l'analyse que Luis en avait faite. La première prise était la bonne ; juste remplacer la dernière phrase par une seconde. Tout est calé à l'image près, naturellement. Le son de la trompette à anche ressemble à celui d'une clarinette basse. Dominique compare mon solo à Roland Kirk sans connaître mon attachement au saxophoniste aveugle. Je pensais à quelque chose de grave, à la mort dont les signes sont partout cachés dans le tableau jusqu'au célèbre crâne anamorphosé. J'ai trouvé un moyen de boucler mes 4'51" et j'ai envoyé le fichier son. La tension était telle dans le studio que j'en avais encore la tremblote. Le soir, Pierre Oscar me dit qu'avec la musique on dirait du Scorsese. Les Ambassadeurs ont l'air de deux crapules. La vanité est devenu un film noir."
Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Lutherie - Bernard Vitet
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Marischal Antoine 20/03/09
5°D FRANÇAIS: PRÉSENTATION D'UNE PEINTURE.
Hans Holbein Le Jeune, Les Ambassadeurs.
I. Introduction :
-Hans Holbein Le Jeune,1497- 1543, fils et élève de Hans Holbein l'Ancien, peintre allemand originaire d' Augsbourg. Il vécut la plupart de son temps à Bâle et à la cour d' Henri VIII d' Angleterre où il apparaît avec ses portraits objectifs et bien équilibrés de princes, de courtisans et d'humanistes. - Ses personnages sont souvent présentés de face, modelés sans ombres, et les vêtements et les bijoux sont reproduits dans les moindres détails. -Le tableau montre qu'Holbein a bien assimilé les principes et la philosophie de l'art italien et de l'art nordique. À l'art italien il a emprunté sa perspective parfaite et ses personnages assurés et vivants. L'art nordique lui a transmis le souci du détail, la technique impeccable de la peinture à l'huile et l'amour des textures comme la fourrure et le brocart. Le contact avec les œuvres de l'école de Fontainebleau et probablement avec les dessins de Clouet, auxquels il emprunte la technique des crayons de couleur, ont pu influencer l'art d' Holbein. -En 1519, il devient membre de la guilde des peintres de Bâle. Et sa production picturale compte surtout des œuvres religieuses. D'une manière générale, ses tableaux religieux se révèlent plus réalistes et décoratifs que ne le sont habituellement des œuvres de dévotion (de prière) . -Outre son activité de portraitiste, Holbein réalise de nombreuses œuvres décoratives (peintures ou architectures), des miniatures, mais aussi des études de bijoux.
II. Œuvre présentée : Les Ambassadeurs.
A. Introduction :
1. Les Ambassadeurs
Le tableau appelé en réalité Jean de Dinteville et Georges de Selve, est un portrait de groupe peint par Hans Holbein le Jeune, actuellement à la National Gallery de Londres. Huile sur panneau de chêne, 207 x 210 cm.
Dans un premier temps, les historiens de l'art ont cru reconnaître Thomas Wyatt, poète de la cour, et son ami l'antiquaire, John Leland. L'identification définitive des portraits a été découverte en 1895 par Mary Herve.
2. Propriétaires
Il appartient d'abord à Jean de Dinteville et reste à Polisy, où se trouve son château, jusqu'en 1653, date à laquelle il est transporté à Paris. Il est vendu aux enchères à Paris. Puis vendu en Angleterre. La National Gallery l'acquiert enfin en 1890.
3. Epoque
Les crises évoquées par ce tableau étaient tant politiques qu'intellectuelles. D'une part l'autorité de l'Eglise catholique était contestée par les protestants, d'autre part les vieilles certitudes intellectuelles étaient ébranlées par les découvertes scientifiques. La mission des ambassadeurs échoua et le schisme religieux aboutit au morcellement de l' Europe et à un long conflit dont les conséquences n'ont pas disparu.
B. Description :
1. Modèles
La peinture représente Jean de Dinteville, à gauche, ambassadeur de France en Angleterre en 1533, date de la réalisation du tableau. À droite, se trouve son ami, Georges de Selve, évêque de Lavaur en France qui a été lui aussi occasionnellement ambassadeur auprès de l'Empereur romain germanique, de la république de Venise et du Saint-Siège. Les deux hommes sont les ambassadeurs du roi François Ier auprès du roi d'Angleterre Henry VIII où ils avaient la délicate mission de protéger les intérêts de leur pays et d'empêcher la rupture entre les Anglais et l'Eglise romaine.
Les deux hommes, qui regardent le peintre, sont accoudés à un meuble comportant deux étagères et sur lequel sont disposés plusieurs objets qui se rattachent au quadrivium, les quatre sciences mathématiques parmi les sept arts libéraux, soit l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. La peinture semble donc immortaliser la prise de fonction d'un ambassadeur français fraîchement nommé à la cour d'Angleterre et la visite que lui fait à cette occasion son ami.
2. Vêtements
Jean de Dinteville est richement habillé d'un manteau de fourrure. Un béret sur la tête sur lequel est accrochée une broche comportant la représentation d'un crâne. Du noir de ses vêtements tranche le rouge de ses manches et de sa poitrine où pend à une chaîne dorée une médaille décorée d'un ange, la preuve de son appartenance à l'ordre de Saint-Michel. Georges de Selve est, lui, tout vêtu de noir, enveloppé dans un manteau de fourrure. Il porte une paire de gants dans la main droite et sa tête porte une coiffe.
3. Espace
Ce premier regard jeté sur la peinture, une œuvre quasiment carrée, de plus de deux mètres de côté, amène deux réflexions : les deux sujets du tableau n'en occupent pas le centre mais sont déportés à droite et à gauche, encadrant un ensemble d'objets qui semblent composés d'éléments différents au premier abord ; à leurs pieds se trouve un objet énigmatique et comme étranger au reste du tableau même s'il en occupe le premier plan, comme si Holbein avait utilisé le portrait pour mettre en valeur autre chose que les personnages qui donnent leur nom à l'œuvre, et dont l'un, Dinteville, est le commanditaire.
4. L'étagère inférieure
a. Le globe terrestre
Il est placé de façon à montrer les pays qui étaient importants pour Dinteville. Holbein a copié un véritable globe mais il a ajouté certains détails comme le nom de Polisy, le château de Dinteville près de Troyes.
b. Le livre d'arithmétique
Le livre maintenu ouvert par l'équerre est une nouvelle publication d'arithmétique. Il évoque le savoir et l'intelligence des ambassadeurs.
c. Le luth
La corde cassée du luth, symbole traditionnel de l'harmonie, évoque le désaccord croissant entre catholiques et protestants qui devait aboutir à des luttes violentes.
d. L'inscription sur le poignard
Dinteville a la main droite posée sur un poignard qui porte l'inscription AET.SVAE29, indication en latin et en abrégé de l'âge du modèle qui a 29 ans.
e. Livre d'hymnes
A côté du luth, un livre d'hymnes latins traduits en allemand par Martin Luther est ouvert à la page Viens, Esprit saint et Les Dix Commandements. En choisissant des hymnes qui expriment des doctrines acceptées par tous les chrétiens, Holbein lance peut-être un appel à la réforme réclamée par les protestants mais sans rupture avec l'Eglise romaine.
5. L'étagère supérieure
a. Le globe céleste
Le globe céleste fait peut-être allusion aux travaux révolutionnaires de Copernic prouvant que le centre du système solaire est occupé par le Soleil et non par la Terre. Cette théorie eut des conséquences intellectuelles et religieuses graves et troublantes.
b. Le cadran solaire
Près de la main droite de Selve, un cadran solaire indique la date du 11 avril 1533, capitale pour les ambassadeurs.
c. L'ère des découvertes
Dinteville vivait au début de l'ère des découvertes. La perfection d'instruments scientifiques comme ceux qui sont sur la table a permis la navigation autour du globe et la découverte de nouveaux continents : en 1492, Christophe Colomb avait découvert l'Amérique.
6. Au pied de la table
Le crâne
La forme étrange au pied de la table n'a aucun sens vue de face. Mais si on regarde le tableau latéralement en se plaçant à environ 2 mètres à droite, l'œil au niveau des ambassadeurs, cette forme devient un crâne. L'artiste a eu recours à l'anamorphose, une forme extrême de perspective. Cette technique fut décrite pour la première fois par Léonard de Vinci dans ses carnets.
7. Derrière le rideau
Le crucifix
Derrière le rideau de brocart vert, en haut à gauche, un crucifix évoque la présence du Christ qui préside aux destinées des ambassadeurs, à leurs activités intellectuelles et à leurs intérêts nationaux. Il rappelle également que le péché et la mort sont inéluctables.
8.Le motif de mosaïque
Le motif de mosaïque sur le sol est une copie exacte de celui de Westminster. Il a dû impressionner le grand artiste allemand pendant son séjour en Angleterre.
9. L'ombre de la mort
Le crâne qui projette sur le sol l'ombre de la mort était l'emblème personnel de Dinteville ( il porte un crâne d'argent sur sa coiffe). Ce choix est tout à fait pertinent car l'homme était de santé extrêmement fragile.
III. Autre œuvre : le Christ au tombeau
Parmi les œuvres de l'artiste, celle ayant suscité les réactions les plus vives et les plus violentes est très certainement le Christ au tombeau. Il s'agit d'une huile sur panneau de trente centimètres de hauteur pour deux mètres de largeur représentant Jésus - Christ dans un état de décomposition, enfermé dans un cercueil sur lequel est inscrit « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Le réalisme est d'une rare violence : Jésus apparaît sous les traits d'un cadavre maigre, verdâtre, ses yeux sont révulsés et sa bouche est ouverte, comme si personne n'avait pris la peine de les lui fermer. Sa main droite, comme tendue vers le spectateur (le tableau, au musée de Bâle, est accroché à hauteur des yeux) est squelettique, effroyable. On ne reconnaît le Christ dans ce corps en état de putréfaction qu'aux fameux stigmates et aux séquelles laissées par les supplices. Certaines informations, jusqu'ici non confirmées, prétendent qu'Holbein aurait peint ce corps en prenant modèle sur celui d'un noyé repêché dans le Rhin.
Sources :- Wikipédia,
-Le soir, La peinture expliquée
-Encyclopédie Focus , Bordas
La peinture pense II Les ambassadeurs Hans Holbein le Jeune, 1533
La peinture pense II
Les Ambassadeurs
Hans Holbein le Jeune, 1533
"Non seulement la peinture raconte une histoire mais elle la pense"
E Gombrich (1)
Le tableau
La peinture représente Jean de Dinteville, à gauche, ambassadeur de France en Angleterre en 1533, date de la réalisation du tableau. À droite, se trouve son ami, Georges de Selve, évêque de Lavaur qui a été lui aussi occasionnellement ambassadeur auprès de l'Empereur romain germanique, de la république de Venise et du Saint-Siège. Les deux hommes, qui regardent le spectateur, sont accoudés à un meuble comportant deux étagères et sur lequel sont disposés plusieurs objets qui se rattachent au Quadrivium, les quatre sciences mathématiques parmi les Sept arts libéraux, soient l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Sur l'étagère supérieure, on voit une sphère céleste, des objets de mesure du temps et un livre, disposés sur un tapis rouge aux motifs géométriques complexes. Sur l'étagère inférieure, un globe terrestre, deux livres, un luth et quatre flûtes réunies dans un étui. L'arrière plan est occupé par un rideau de velours vert dont un repli révèle, à peine, dans le coin haut gauche un crucifix. Le sol montre un pavage composé de cercles et de carrés où se détache une forme difficilement lisible, mais qui saute aux yeux tant elle semble hors de l'espace de la peinture et qu'on a souvent nommé l'os de seiche.
Jean de Dinteville est richement habillé d'un manteau de fourrure, il porte à la main une dague dans un étui, où son âge, 29 ans, est gravé, un béret sur la tête sur lequel est accrochée une broche comportant la représentation d'un crâne. Du noir de ses vêtements tranche le rouge des ses manches et de sa poitrine où pend à une chaîne dorée une médaille décorée d'un ange, la preuve de son appartenance à l'ordre de Saint-Michel. Georges de Selve est, lui, tout vêtu de noir, enveloppé dans un manteau de fourrure. Il porte une paire de gants dans la main droite et sa tête porte une coiffe. De Selve passe l'essentiel de son sacerdoce à travailler à la réconciliation au sein de l'Église. La peinture semble donc immortaliser la prise de fonction d'un ambassadeur français fraîchement nommé à la cour d'Angleterre et la visite que lui fait à cette occasion son ami. Ce premier regard jeté sur la peinture, une œuvre quasiment carrée, de plus de deux mètres de côté, amène deux réflexions : les deux hommes, sujets du tableau, n'en occupent pas le centre, ils sont déportés sur les bords, encadrant comme un écrin un ensemble d'objets qui semblent hétéroclites au premier abord ; à leurs pieds se trouve un objet étrange qui semble ne pas faire partie de la peinture, et qui en occupe en tout cas le premier plan, comme si Holbein avait utilisé ce portrait pour mettre en valeur, en avant, autre chose que les personnages qui donnent leur nom à l'œuvre, et dont l'un, Dinteville, est le commanditaire.
La peinture semble donc foisonner de symboles, d'indications cachées, de références, toutes choses normales dans la peinture de la Renaissance.
Le contexte politique et religieux de l'année 1533
Le paysage politique européen de l'époque est dominé par quatre figures majeures, les rois de France, François Ier et d'Angleterre, Henri VIII, l'Empereur romain germanique, Charles Quint et le pape Clément VII qui mourra l'année suivante. Fin octobre 1532, Francois Ier rencontre Henry VIII pour tenter d'obtenir son soutien contre l'Empire. Henri VIII, quant à lui, souhaite que François Ier use de son influence sur le pape Clement VII pour résoudre la question de son divorce avec Catherine d'Aragon, la tante de Charles Quint. Les rencontres sont chaleureuses, François offre à Anne Boleyn, qu'Henry VIII épousera cette année-même, un diamant et invite le fils naturel d'Henri, le duc de Richmond, à suivre la même éducation que ses fils à la cour de France.
Des cardinaux français mènent alors des négociations secrètes avec le pape pour soutenir la position d'Henri VIII. La décision de publication par le pape des bulles nécessaires à la nomination de Thomas Cranmer comme archevêque de Cantorbéry, semble indiquer que les cardinaux ont fait avancer le dossier d'Henri VIII auprès de Clément VII. Le 25 janvier 1533, Henri épouse en secret Anne Boleyn, en mars, François européen de l'époque est dominé par quatre figures majeures, les rois de France, François Ier s'en réjouit car cela symbolise une distance grandissante entre la maison d'Angleterre et celle de l'Empereur. Puis les évènements se précipitent, le 23 mai, Thomas Cranmer, maintenant archevêque de Cantorbéry, se substitue au pape et annule le mariage d'Henri VIII avec Catherine d'Aragon. Le 1er juin, Anne Boleyn est couronnée à l'abbaye de Westminster. Finalement, tout cela entraînera, le 23 mars 1534, l'excommunication d'Henri VIII par Clement VII et le schisme de l'église anglicane avec Rome. Durant la même période la France connaît aussi un certain trouble face aux thèses luthériennes
La peinture représente Jean de Dinteville, à gauche, ambassadeur de France en Angleterre en 1533, date de la réalisation du tableau. À droite, se trouve son ami, Georges de Selve, évêque de Lavaur qui a été lui aussi occasionnellement ambassadeur auprès de l'Empereur romain germanique, de la république de Venise et du Saint-Siège. Les deux hommes, qui regardent le spectateur, sont accoudés à un meuble comportant deux étagères et sur lequel sont disposés plusieurs objets qui se rattachent au Quadrivium, les quatre sciences mathématiques parmi les Sept arts libéraux, soient l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Sur l'étagère supérieure, on voit une sphère céleste, des objets de mesure du temps et un livre, disposés sur un tapis rouge aux motifs géométriques complexes. Sur l'étagère inférieure, un globe terrestre, deux livres, un luth et quatre flûtes réunies dans un étui. L'arrière plan est occupé par un rideau de velours vert dont un repli révèle, à peine, dans le coin haut gauche un crucifix. Le sol montre un pavage composé de cercles et de carrés où se détache une forme difficilement lisible, mais qui saute aux yeux tant elle semble hors de l'espace de la peinture et qu'on a souvent nommé l'os de seiche.
Jean de Dinteville est richement habillé d'un manteau de fourrure, il porte à la main une dague dans un étui, où son âge, 29 ans, est gravé, un béret sur la tête sur lequel est accrochée une broche comportant la représentation d'un crâne. Du noir de ses vêtements tranche le rouge des ses manches et de sa poitrine où pend à une chaîne dorée une médaille décorée d'un ange, la preuve de son appartenance à l'ordre de Saint-Michel. Georges de Selve est, lui, tout vêtu de noir, enveloppé dans un manteau de fourrure. Il porte une paire de gants dans la main droite et sa tête porte une coiffe. De Selve passe l'essentiel de son sacerdoce à travailler à la réconciliation au sein de l'Église. La peinture semble donc immortaliser la prise de fonction d'un ambassadeur français fraîchement nommé à la cour d'Angleterre et la visite que lui fait à cette occasion son ami. Ce premier regard jeté sur la peinture, une œuvre quasiment carrée, de plus de deux mètres de côté, amène deux réflexions : les deux hommes, sujets du tableau, n'en occupent pas le centre, ils sont déportés sur les bords, encadrant comme un écrin un ensemble d'objets qui semblent hétéroclites au premier abord ; à leurs pieds se trouve un objet étrange qui semble ne pas faire partie de la peinture, et qui en occupe en tout cas le premier plan, comme si Holbein avait utilisé ce portrait pour mettre en valeur, en avant, autre chose que les personnages qui donnent leur nom à l'œuvre, et dont l'un, Dinteville, est le commanditaire.
La peinture semble donc foisonner de symboles, d'indications cachées, de références, toutes choses normales dans la peinture de la Renaissance.
Le contexte politique et religieux de l'année 1533
Le paysage politique européen de l'époque est dominé par quatre figures majeures, les rois de France, François Ier et d'Angleterre, Henri VIII, l'Empereur romain germanique, Charles Quint et le pape Clément VII qui mourra l'année suivante. Fin octobre 1532, Francois Ier rencontre Henry VIII pour tenter d'obtenir son soutien contre l'Empire. Henri VIII, quant à lui, souhaite que François Ier use de son influence sur le pape Clement VII pour résoudre la question de son divorce avec Catherine d'Aragon, la tante de Charles Quint. Les rencontres sont chaleureuses, François offre à Anne Boleyn, qu'Henry VIII épousera cette année-même, un diamant et invite le fils naturel d'Henri, le duc de Richmond, à suivre la même éducation que ses fils à la cour de France.
Des cardinaux français mènent alors des négociations secrètes avec le pape pour soutenir la position d'Henri VIII. La décision de publication par le pape des bulles nécessaires à la nomination de Thomas Cranmer comme archevêque de Cantorbéry, semble indiquer que les cardinaux ont fait avancer le dossier d'Henri VIII auprès de Clément VII. Le 25 janvier 1533, Henri épouse en secret Anne Boleyn, en mars, François européen de l'époque est dominé par quatre figures majeures, les rois de France, François Ier s'en réjouit car cela symbolise une distance grandissante entre la maison d'Angleterre et celle de l'Empereur. Puis les évènements se précipitent, le 23 mai, Thomas Cranmer, maintenant archevêque de Cantorbéry, se substitue au pape et annule le mariage d'Henri VIII avec Catherine d'Aragon. Le 1er juin, Anne Boleyn est couronnée à l'abbaye de Westminster. Finalement, tout cela entraînera, le 23 mars 1534, l'excommunication d'Henri VIII par Clement VII et le schisme de l'église anglicane avec Rome. Durant la même période la France connaît aussi un certain trouble face aux thèses luthériennes
Promenade dans le tableau
Le pavage
Le pavage qui se trouve sous les pieds des ambassadeurs a été indentifié comme inspiré, avec une importante simplification, par deux pavages véritables qui partagent une certaine ressemblance. Le premier se trouve à l'abbaye de Westminster, le second à la Chapelle Sixtine, dans ce cas à une place symbolique, exactement sous la création d'Adam, le don de la vie par Dieu aux hommes.
Le pavage qui se trouve sous les pieds des ambassadeurs a été indentifié comme inspiré, avec une importante simplification, par deux pavages véritables qui partagent une certaine ressemblance. Le premier se trouve à l'abbaye de Westminster, le second à la Chapelle Sixtine, dans ce cas à une place symbolique, exactement sous la création d'Adam, le don de la vie par Dieu aux hommes.
Parmi tous les éléments qui composent le tableau, ce pavage est celui dont la raison symbolique est la moins sûre. Le pavage de l'abbaye comportait sur le carré extérieur du motif une inscription en lettres de bronze, aujourd'hui largement perdue, mais une transcription du XVe siècle permet d'en reconstituer le texte (Christi milleno dis centeno duodeno/ cum sexageno, subductis quatuor, anno,/ tertius Henricus rex, urbs, Odoricus et abbas hos compegere porphyreos lapides) qui fixe la date de son exécution à 1268, sous le règne d'Henri III d'Angleterre et indique le nom de son concepteur, l'artisan mosaïste romain Odoricus. Même si la signification précise de ce pavage reste largement mystérieuse, il est très certainement la représentation du macrocosme, un schéma de l'univers, le cercle central symbolisant dieu et les quatre cercles périphériques les quatre éléments - le feu, la terre, l'eau et l'air - et le choix par Michel-Ange de positionner sa création d'Adam au-dessus d'une représentation semblable dans la Chapelle sixtine ne semble pas l'œuvre du hasard. On retrouve la même schématisation symbolique de l'univers aussi bien sur le plafond de Raphaël pour la chambre de la Signature (Stanza della Segnatura) que dans le plan de Tycho Brahé pour son observatoire d'Uraniborg.
Nous avons donc deux hommes, le microcosme, placés sur le macrocosme symbolisé par le pavage, donc au centre de la création, et encadrant divers objets dont nous allons tenter de connaître le sens.
L'étagère inférieure
Cette étagère comporte plusieurs objets : un globe terrestre, un livre d'arithmétique de Peter Apian, mathématicien et astronome à l'université d'Ingolstadt en Allemagne, Eyn newe unnd wohlgründte underweysung aller Kauffmanss Rechnung in dreyen büchern (Un livre nouveau et fiable pour apprendre le calcul et destiné aux marchands, 1527) maintenu ouvert par une équerre, un luth dont l'une des cordes est cassée, un livre d'hymnes luthériens de Johannes Walther, Geistlich Gesangbuhli dans sa première édition de 1524, complètement ouvert sur deux pages qui montrent une partition et un groupe de flûtes. Les objets présents sur cette étagère, qu'il concernent la géographie, les mathématiques ou la musique, sont plus orientés vers la pratique de ces arts ou techniques que vers leur théorie.
Le globe
Basé sur celui que Johannes Schöner produisit à Nuremberg en 1523, il indique un certain nombre de notations « géopolitiques » comme la ligne de partage du monde entre Espagnols et Portugais établie par le pape Alexandre VI par le traité de Tordesillas de 1494. La circumnavigation de Magellan y est tracée. On y aperçoit aussi le Nouveau Monde, en particulier la côte brésilienne. Holbein a fait cependant quelques variations par rapport à l'original en particulier, il écrit «Pritannia» en lieu et place de «Britannia», la Bretagne, peut-être un rappel à une de ces touches de désordre qui émaillent la peinture et qui symbolisent le trouble du monde. Il indique sur la carte de France, l'emplacement de Policy, aujourd'hui Polisy, mais la faute est peut-être intentionnelle, dans l'Aube, le domaine seigneurial de Dinteville où le tableau est destiné à être installé.
Le livre d'arithmétique
La symbolique associée au livre de Peter Apian est probablement de deux ordres. Tout d'abord, livre à l'usage des marchands et consacré à la pratique de leur métier, il marque l'importance de l'émergence de la bourgeoisie dans cette période. Holbein fera d'ailleurs des portraits de riches marchands. Il manifeste aussi dans cette pratique marchande l'apparition de nouveaux outils mis à disposition d'un plus grand nombre par la technique révolutionnaire à l'époque de l'imprimerie. Le livre rappelle aussi que Georges de Selve descend d'une famille de marchands limousins qui a fait sa fortune au cours du XVe siècle et qui a ainsi permis à l'un des siens d'occuper la position d'évêque. La page lisible commence par le mot Dividirt, double sens de division mathématique mais aussi de division ou dysharmonie, tant dans l'église que dans le domaine politique, ce qui apparaît, en conjonction avec d'autres éléments de la composition, comme une des clefs du tableau. En effet, les écrits de Georges de Selve se font l'écho de ses inquiétudes devant la division dont souffre l'église, la Réforme luthérienne, mais aussi la création de l'église anglicane, dans le pays-même où est peint le tableau.
La musique
Albrecht Dürer (1471-1528).
Underweysung der Messung.
Nuremberg: Hieronymus Andreae, 1525.
L'étagère inférieure comporte dans sa partie droite trois objets reliés à la musique, un luth, un livre de psaumes et plusieurs flûtes rassemblées dans un étui qui révèle un emplacement vide. Baltrusaitis a remarqué que ce luth ressemble étrangement à celui de la gravure Underweysung der Messung d'Albrecht Dürer (1525) où celui-ci montre un dispositif de traçage des objets en perspective. On peut y voir la reconnaissance de la dette d'Holbein à la science de la perspective, un apport majeur de la Renaissance à la peinture, qui permet au peintre de réaliser des tableaux au réalisme si confondant. De plus, l'une des cordes est cassée, ce qui symbolise, comme le vide dans l'étui à flûtes, peut-être la période de troubles que connaît à cette époque l'église, une harmonie perdue.
Le livre de chants
Le livre représenté est le Geistlich Gesangbuhli de Johannnes Walther, un livre d'hymnes sacrés dont la première édition date de 1524. Comme pour le livre d'arithmétique, Holbein a choisi de présenter le livre ouvert à deux pages particulières qui ne sont cependant pas consécutives dans le véritable ouvrage. La page de gauche montre la traduction du premier verset de l'hymne Veni sancte Spiritus de Luther et le verso l'introduction à la Version abrégée des Dix Commandements du même Luther. Il est fort probable que le choix de ce livre et la juxtaposition de ces deux pages soient intentionnels, certainement le thème favori de Luther de l'opposition entre la Loi, représentée par les commandements, et la Grâce, symbolisée par l'hymne, une thématique qui semble avoir été proche des positions de Georges de Selve. Holbein exploitera ce thème dans deux autres œuvres, au moins, un panneau se trouvant actuellement à la National Gallery of Scotland et sur la page titre de la bible de Coverdale publié en 1535.
A l'arrière plan, on devine un compas à pointe sèche, en anglais divider, qui fait écho à la division du livre d'arithmétique.
L'étagère supérieure
La sphère céleste
Sur cette étagère supérieure, on trouve disposés sur un tapis divers instruments astronomiques ou de mesure du temps. George de Selve pose son coude sur un livre dont la tranche comporte la mention : ÆTATIS SVÆ 25 ce qui correspond à l'âge de Georges de Selve qui a 25 ans en ce printemps 1533. À gauche près de Dinteville, on voit une sphère céleste qui montre les constellations avec les tracés des êtres mythologiques correspondants. On discerne la constellation du Cygne qui est notée GALACIA.
Le globe céleste
Le globe n'est pas réglé pour représenter le ciel à la latitude de 51° 30' qui est celle de Londres où se trouvent les deux hommes mais pour une latitude comprise entre 42° et 43° plus caractéristique de l'Espagne - une partie de l'empire de Charles Quint - ou de l'Italie où réside le pape. On notera cependant qu'il s'agit d'une valeur très proche de la latitude de Rome (41° 52') et qu'elle rappelle les différends politiques et religieux entre la cour anglaise et le Vatican. On a fait remarquer aussi sa grande ressemblance avec celui construit en 1533 par l'astronome de Nuremberg Johannes Schöner et qui est aujourd'hui au Musée de la Science de Londres.
Les cadrans solaires
L'étagère supérieure comporte plusieurs cadrans solaires qui sont visibles dans une autre œuvre de Holbein, le portrait de Nicholas Kratzer, peint en 1528, cinq ans auparavant. L'un des cadrans est réglé sur une date, le 11 ou le 15 avril, deux dates entre lesquelles il est impossible de trancher. Comme l'affirme Foister, il n'y a aucune certitude de la présence de Georges de Selve à Londres au début d'avril, cependant le 11 avril était cette année-là le Vendredi Saint et pourrait faire un lien symbolique avec le crucifix et le livre d'hymnes. Près du coude de Georges de Selve se trouve un torquetum, un instrument décrit pour la première fois par Ptolémée qui était de nouveau fabriqué à cette époque, en particulier par Peter Apian qui était aussi un fabricant d'instruments renommé.
Le crâne et le crucifix
L'étrange figure qui se trouve au premier plan, et parfois appelé l'os de seiche, a longtemps intrigué les analystes du tableau. Notre œil acéré d'aujourd'hui, bien plus habitué à la lecture d'images, nous fait deviner qu'il s'agit d'un crâne fortement déformé par une anamorphose, mais il est probable qu'on n'en faisait pas une lecture aussi immédiate autrefois. On notera cependant que ce type d'images déformées était à la mode dans l'Angleterre des Tudors, la National Portrait Gallery de Londres possède d'ailleurs un portrait d'Édouard VI d'Angleterre par William Scrots qui utilise aussi une déformation par anamorphose que l'on corrige en regardant la surface du tableau au travers d'un trou dans son cadre.
Ces deux éléments conjugués évoquent plusieurs Saint Jérôme, celui de Joos van Cleve de 1525, et ceux de Dürer, en particulier l'huile sur panneau de bois de 1521, actuellement au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne. Dans cette dernière œuvre, le regard de Jérôme vers le crâne suit un axe assez proche de celui qui permet de lire l'anamorphose du crâne des Ambassadeurs. L'association entre le crâne et le crucifix évoque la passion du Christ, le golgotha - le mot hébreu pour crâne - et le calvaire - calvaria étant le mot latin avec la même signification. On trouve d'ailleurs fréquemment dans les représentations de la crucifixion, un crâne au pied de la croix, sur lequel coule parfois le sang du Christ qui lave ainsi, par son sacrifice, le péché originel.
On notera aussi que hohle bein signifie en allemand «os creux» et qu'ainsi ce crâne pourrait aussi être une référence au nom de l'artiste, une sorte de signature.
Le contraste de ce crâne avec le sujet principal de cette peinture qui représente deux hommes importants, un ambassadeur de France auprès de la cour d'Angleterre, dont le frère est lui-même ambassadeur auprès de la papauté et un évêque issu d'une famille de riches marchands, en fait une vanité, une œuvre qui symbolise que ce qui est important sur terre ne l'est pas dans le royaume des cieux, que ce qui a fait notre vie, la mort le défait.
Le crucifix, à moitié caché, dans une position intermédiaire entre ce qui est devant le rideau, le monde des hommes et ce qui est caché à leur regard, l'inconnu derrière la tenture, symbolise la position du Christ intermédiaire entre l'ici-bas et l'au-delà. Certains ont d'ailleurs vu dans ce tableau l'impossible représentation de Dieu.
Citation
« Un singulier objet, pareil à un os de seiche, flotte au-dessus du sol : c’est l’anamorphose d’un crâne qui se redresse lorsqu’on se place tout près, au-dessus, en regardant vers la gauche. Un sens caché et une solennité pèsent lourdement sur toute la scène.
Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses, ou Thaumaturgis opticus, Flammarion.
Car le secret de ce tableau, dont je vous ai rappelé les résonances, les parentés avec les vanitas, de ce tableau fascinant de présenter, entre les deux personnages parés et fixes, tout ce qui rappelle, dans la perspective de l’époque, la vanité des arts et des sciences, - le secret de ce tableau est donné au moment où, nous éloignant légèrement de lui, peu à peu, vers la gauche, puis nous retournant, nous voyons ce que signifie l’objet flottant magique. Il nous reflète notre propre néant, dans la figure de la tête de mort. Usage donc de la dimension géométrale de la vision pour captiver le sujet, rapport évident au désir qui, pourtant, reste énigmatique. »
Jacques Lacan, Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil
Détail des ambassadeurs
Nous avons donc deux hommes, le microcosme, placés sur le macrocosme symbolisé par le pavage, donc au centre de la création, et encadrant divers objets dont nous allons tenter de connaître le sens.
L'étagère inférieure
Cette étagère comporte plusieurs objets : un globe terrestre, un livre d'arithmétique de Peter Apian, mathématicien et astronome à l'université d'Ingolstadt en Allemagne, Eyn newe unnd wohlgründte underweysung aller Kauffmanss Rechnung in dreyen büchern (Un livre nouveau et fiable pour apprendre le calcul et destiné aux marchands, 1527) maintenu ouvert par une équerre, un luth dont l'une des cordes est cassée, un livre d'hymnes luthériens de Johannes Walther, Geistlich Gesangbuhli dans sa première édition de 1524, complètement ouvert sur deux pages qui montrent une partition et un groupe de flûtes. Les objets présents sur cette étagère, qu'il concernent la géographie, les mathématiques ou la musique, sont plus orientés vers la pratique de ces arts ou techniques que vers leur théorie.
Le globe
Basé sur celui que Johannes Schöner produisit à Nuremberg en 1523, il indique un certain nombre de notations « géopolitiques » comme la ligne de partage du monde entre Espagnols et Portugais établie par le pape Alexandre VI par le traité de Tordesillas de 1494. La circumnavigation de Magellan y est tracée. On y aperçoit aussi le Nouveau Monde, en particulier la côte brésilienne. Holbein a fait cependant quelques variations par rapport à l'original en particulier, il écrit «Pritannia» en lieu et place de «Britannia», la Bretagne, peut-être un rappel à une de ces touches de désordre qui émaillent la peinture et qui symbolisent le trouble du monde. Il indique sur la carte de France, l'emplacement de Policy, aujourd'hui Polisy, mais la faute est peut-être intentionnelle, dans l'Aube, le domaine seigneurial de Dinteville où le tableau est destiné à être installé.
Le livre d'arithmétique
La symbolique associée au livre de Peter Apian est probablement de deux ordres. Tout d'abord, livre à l'usage des marchands et consacré à la pratique de leur métier, il marque l'importance de l'émergence de la bourgeoisie dans cette période. Holbein fera d'ailleurs des portraits de riches marchands. Il manifeste aussi dans cette pratique marchande l'apparition de nouveaux outils mis à disposition d'un plus grand nombre par la technique révolutionnaire à l'époque de l'imprimerie. Le livre rappelle aussi que Georges de Selve descend d'une famille de marchands limousins qui a fait sa fortune au cours du XVe siècle et qui a ainsi permis à l'un des siens d'occuper la position d'évêque. La page lisible commence par le mot Dividirt, double sens de division mathématique mais aussi de division ou dysharmonie, tant dans l'église que dans le domaine politique, ce qui apparaît, en conjonction avec d'autres éléments de la composition, comme une des clefs du tableau. En effet, les écrits de Georges de Selve se font l'écho de ses inquiétudes devant la division dont souffre l'église, la Réforme luthérienne, mais aussi la création de l'église anglicane, dans le pays-même où est peint le tableau.
La musique
Albrecht Dürer (1471-1528).
Underweysung der Messung.
Nuremberg: Hieronymus Andreae, 1525.
L'étagère inférieure comporte dans sa partie droite trois objets reliés à la musique, un luth, un livre de psaumes et plusieurs flûtes rassemblées dans un étui qui révèle un emplacement vide. Baltrusaitis a remarqué que ce luth ressemble étrangement à celui de la gravure Underweysung der Messung d'Albrecht Dürer (1525) où celui-ci montre un dispositif de traçage des objets en perspective. On peut y voir la reconnaissance de la dette d'Holbein à la science de la perspective, un apport majeur de la Renaissance à la peinture, qui permet au peintre de réaliser des tableaux au réalisme si confondant. De plus, l'une des cordes est cassée, ce qui symbolise, comme le vide dans l'étui à flûtes, peut-être la période de troubles que connaît à cette époque l'église, une harmonie perdue.
Le livre de chants
Le livre représenté est le Geistlich Gesangbuhli de Johannnes Walther, un livre d'hymnes sacrés dont la première édition date de 1524. Comme pour le livre d'arithmétique, Holbein a choisi de présenter le livre ouvert à deux pages particulières qui ne sont cependant pas consécutives dans le véritable ouvrage. La page de gauche montre la traduction du premier verset de l'hymne Veni sancte Spiritus de Luther et le verso l'introduction à la Version abrégée des Dix Commandements du même Luther. Il est fort probable que le choix de ce livre et la juxtaposition de ces deux pages soient intentionnels, certainement le thème favori de Luther de l'opposition entre la Loi, représentée par les commandements, et la Grâce, symbolisée par l'hymne, une thématique qui semble avoir été proche des positions de Georges de Selve. Holbein exploitera ce thème dans deux autres œuvres, au moins, un panneau se trouvant actuellement à la National Gallery of Scotland et sur la page titre de la bible de Coverdale publié en 1535.
A l'arrière plan, on devine un compas à pointe sèche, en anglais divider, qui fait écho à la division du livre d'arithmétique.
L'étagère supérieure
La sphère céleste
Sur cette étagère supérieure, on trouve disposés sur un tapis divers instruments astronomiques ou de mesure du temps. George de Selve pose son coude sur un livre dont la tranche comporte la mention : ÆTATIS SVÆ 25 ce qui correspond à l'âge de Georges de Selve qui a 25 ans en ce printemps 1533. À gauche près de Dinteville, on voit une sphère céleste qui montre les constellations avec les tracés des êtres mythologiques correspondants. On discerne la constellation du Cygne qui est notée GALACIA.
Le globe céleste
Le globe n'est pas réglé pour représenter le ciel à la latitude de 51° 30' qui est celle de Londres où se trouvent les deux hommes mais pour une latitude comprise entre 42° et 43° plus caractéristique de l'Espagne - une partie de l'empire de Charles Quint - ou de l'Italie où réside le pape. On notera cependant qu'il s'agit d'une valeur très proche de la latitude de Rome (41° 52') et qu'elle rappelle les différends politiques et religieux entre la cour anglaise et le Vatican. On a fait remarquer aussi sa grande ressemblance avec celui construit en 1533 par l'astronome de Nuremberg Johannes Schöner et qui est aujourd'hui au Musée de la Science de Londres.
Les cadrans solaires
L'étagère supérieure comporte plusieurs cadrans solaires qui sont visibles dans une autre œuvre de Holbein, le portrait de Nicholas Kratzer, peint en 1528, cinq ans auparavant. L'un des cadrans est réglé sur une date, le 11 ou le 15 avril, deux dates entre lesquelles il est impossible de trancher. Comme l'affirme Foister, il n'y a aucune certitude de la présence de Georges de Selve à Londres au début d'avril, cependant le 11 avril était cette année-là le Vendredi Saint et pourrait faire un lien symbolique avec le crucifix et le livre d'hymnes. Près du coude de Georges de Selve se trouve un torquetum, un instrument décrit pour la première fois par Ptolémée qui était de nouveau fabriqué à cette époque, en particulier par Peter Apian qui était aussi un fabricant d'instruments renommé.
Le crâne et le crucifix
L'étrange figure qui se trouve au premier plan, et parfois appelé l'os de seiche, a longtemps intrigué les analystes du tableau. Notre œil acéré d'aujourd'hui, bien plus habitué à la lecture d'images, nous fait deviner qu'il s'agit d'un crâne fortement déformé par une anamorphose, mais il est probable qu'on n'en faisait pas une lecture aussi immédiate autrefois. On notera cependant que ce type d'images déformées était à la mode dans l'Angleterre des Tudors, la National Portrait Gallery de Londres possède d'ailleurs un portrait d'Édouard VI d'Angleterre par William Scrots qui utilise aussi une déformation par anamorphose que l'on corrige en regardant la surface du tableau au travers d'un trou dans son cadre.
Ces deux éléments conjugués évoquent plusieurs Saint Jérôme, celui de Joos van Cleve de 1525, et ceux de Dürer, en particulier l'huile sur panneau de bois de 1521, actuellement au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne. Dans cette dernière œuvre, le regard de Jérôme vers le crâne suit un axe assez proche de celui qui permet de lire l'anamorphose du crâne des Ambassadeurs. L'association entre le crâne et le crucifix évoque la passion du Christ, le golgotha - le mot hébreu pour crâne - et le calvaire - calvaria étant le mot latin avec la même signification. On trouve d'ailleurs fréquemment dans les représentations de la crucifixion, un crâne au pied de la croix, sur lequel coule parfois le sang du Christ qui lave ainsi, par son sacrifice, le péché originel.
On notera aussi que hohle bein signifie en allemand «os creux» et qu'ainsi ce crâne pourrait aussi être une référence au nom de l'artiste, une sorte de signature.
Le contraste de ce crâne avec le sujet principal de cette peinture qui représente deux hommes importants, un ambassadeur de France auprès de la cour d'Angleterre, dont le frère est lui-même ambassadeur auprès de la papauté et un évêque issu d'une famille de riches marchands, en fait une vanité, une œuvre qui symbolise que ce qui est important sur terre ne l'est pas dans le royaume des cieux, que ce qui a fait notre vie, la mort le défait.
Le crucifix, à moitié caché, dans une position intermédiaire entre ce qui est devant le rideau, le monde des hommes et ce qui est caché à leur regard, l'inconnu derrière la tenture, symbolise la position du Christ intermédiaire entre l'ici-bas et l'au-delà. Certains ont d'ailleurs vu dans ce tableau l'impossible représentation de Dieu.
Citation
« Un singulier objet, pareil à un os de seiche, flotte au-dessus du sol : c’est l’anamorphose d’un crâne qui se redresse lorsqu’on se place tout près, au-dessus, en regardant vers la gauche. Un sens caché et une solennité pèsent lourdement sur toute la scène.
Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses, ou Thaumaturgis opticus, Flammarion.
Car le secret de ce tableau, dont je vous ai rappelé les résonances, les parentés avec les vanitas, de ce tableau fascinant de présenter, entre les deux personnages parés et fixes, tout ce qui rappelle, dans la perspective de l’époque, la vanité des arts et des sciences, - le secret de ce tableau est donné au moment où, nous éloignant légèrement de lui, peu à peu, vers la gauche, puis nous retournant, nous voyons ce que signifie l’objet flottant magique. Il nous reflète notre propre néant, dans la figure de la tête de mort. Usage donc de la dimension géométrale de la vision pour captiver le sujet, rapport évident au désir qui, pourtant, reste énigmatique. »
Jacques Lacan, Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil
Détail des ambassadeurs
Jean de Dinteville, ambassadeur de France en Angleterre.
La dague sur lequel on peut lire l'age de Dinteville contraste avec le livre, ou l'on peut également lire une date, sur le quel est acoudé De Selve.
Bibliographie
▪ Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses ou magie artificielle des effets merveilleux, Paris, 1969
▪ Susan Foister, Ashok Roy, Martin Wyld, Making & Meaning: Holbein's Ambassadors, Londres, 1997
▪ Susan Foister, Ashok Roy, Martin Wyld, Making & Meaning: Holbein's Ambassadors, Londres, 1997
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