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lundi 24 février 2020

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mardi 27 décembre 2011


Les Ambassadeurs - Hans Holbein le Jeune.

http://histoireontheway.blogspot.com/2011/12/les-ambassadeurs-hans-holbein-le-jeune.html

Les ambassadeurs, tableau d'Hans Holbein le Jeune, peint en 1533 et visible aujourd'hui à la National Galery de Londres.

Les deux diplomates représentés ici sont, selon les historiens de l’art, les Français Jean de Dinteville et Georges de Selve. Jean de Dinteville, est richement habillé d'un manteau orné de fourrure. Autour du cou, il porte le collier de l'ordre de Saint-Michel,un ordre de chevalerie, fondé à Amboise le 1er août 1469 par Louis XI. Il porte un béret où est accrochée une broche représentant un crâne. Sous son manteau noir, il porte une riche chemise de soie rouge.


Jean de DintevilleJean de Dinteville est seigneur de Policy (dans le département actuel de l'Aube, près de Bar-sur-Seine).Georges de SelveGeorges de Selve, porte un costume sobre de couleur noire, mais richement doublé de fourrure. Il est évêque de Lavaur (dans le Tarn) et est issu d'une riche famille de parlementaires. Son père, Jean de Selve, nommé premier Président du Parlement de Bordeaux puis du Parlement de Paris par François Ier, a rempli, au service du roi les missions diplomatiques les plus délicates, comme la négociation à Madrid de la libération de François Ier, capturé par Charles Quint à Pavie (1525). Son fils Georges entreprend à son tour une brillante carrière au service de la monarchie : ambassadeur à Londres (1533) puis à Venise (1534-1536), enfin à Rome auprès de la papauté (1536-1539) et auprès de l'empereur Charles Quint en 1539-1540. Une mort précoce alors qu'il n'a que 33 ans met fin à cette brillante carrière en 1541. L'un des ambassadeurs appartient donc à la petite noblesse, l'autre est donc ecclésiastique. Ils sont jeunes et dans la force de l'âge comme le montre le tableau. Jean de Dinteville tient ainsi dans sa main droite une dague rangée dans un fourreau où est inscrit son âge, vingt-neuf ans.

Le contexte politique


Hans Holbein le Jeune, Henry VIII, vers 1536, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Les deux hommes sont ambassadeurs en Angleterre en 1533, à un moment historique précis, l'année du mariage secret entre Henry VIII et Ann Boleyn. Henry VIII tente alors d’obtenir le soutien de François Ier face au pape Clément VII, à moins que ce ne soit le contraire, François Ier tentant d'arracher le soutien d'Henry VIII contre Charles le Quint.


Sebastiano del Piombo, Portrait de Clément VII, 1526, Museo di Capodimonte, Naples.Le contexte européen est alors plus que troublé. Quelques années après le sac de Rome (1527) par les lansquenets allemands qui ont laissé la capitale de la papauté hagarde, ayant perdu la majorité de ses habitants suite aux massacres puis à la peste, le pape Clément VII (Jules de Médicis, neveu de Laurent le Magnifique) tente de restaurer la puissance de la papauté.

Le Titien, Charles Quint, 1548, Pinacothèque de Munich.
Charles Quint doit, lui, affronter la coalition hétéroclite de ses ennemis: d'une part, les luthériens allemands qui se sont unis militairement dans la Ligue de Smalkade et, d'autre part, François Ier, roi de France, souverain très chrétien qui n'a pas hésité à solliciter l'alliance de Soliman le Magnifique, sultan ottoman (première capitulation signée en 1529, l'alliance militaire étant concrétisée en 1536). On peut comprendre que, dans ces circonstances, l'alliance de Henry VIII représente un atout déterminant pour François Ier.

Anonyme, Anne Boleyn, portrait vers 1533-1536, National Portrait Gallery, Londres.Mais le roi d'Angleterre a ses propres problèmes à régler. Depuis son accession au trône en 1509, Henry VIII est en effet marié à Catherine d’Aragon, fille des rois catholiques d’Espagne. Or, il souhaite répudier sa première femme pour épouser sa favorite, Anne Boleyn. De son union avec Catherine, Henry VIII a eu une fille, Marie, la future Marie Tudor mais pas de fils, ce qui a déçu le roi d’Angleterre. L’attitude extrêmement ferme du pape qui s’oppose officiellement au divorce du souverain anglais en 1530, pousse Henry VIII a brusquer subitement les évènements en 1533, l’année du tableau d’Hans Holbein le Jeune. Avec le soutien de l'archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage avec Catherine d'Aragon, il épouse secrètement Anne Boleyn alors enceinte, avec le soutien de l’archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, qui annule le mariage du roi d’Angleterre avec Catherine d’Aragon.
Michel Sittow, portrait de Catherine d'Aragon, vers 1503, Kunsthistorisches Museum, Vienne.François Ier, désireux d’obtenir le soutien d’Henry VIII contre Charles Quint, empereur et roi d’Espagne (dont Catherine d’Aragon est la tante), soutient le souverain anglais. Le 1er juin 1533, Anne Boleyn est couronné à l’abbaye de Westminster. L’affaire a de lourdes conséquences politiques : Clément VII excommunie Henry VIII en 1534 et, en riposte, l’Eglise d’Angleterre décide, non sans crise, de rompre avec la papauté en ralliant le roi. Henry VIII se proclame « Chef Suprême de l'Église et du Clergé d'Angleterre » . Le schisme entre le pape et l’Eglise d’Angleterre consacre la naissance de l’Eglise anglicane. François Ier prendra, en définitive, ses distances avec Henry VIII, car l’affaire des Placards qui éclate en France en 1534, montre la puissance des idées de la Réforme luthérienne dans son propre royaume. François Ier décide de réprimer violemment les luthériens au moment où l’Eglise anglicane amorce son rapprochement avec les idées de Luther. En définitive, la mission diplomatique de Jean de Dinteville et de Georges de Selve est un échec. Henry VIII reste fidèle à son alliance avec Charles Quint. En 1544, les troupes anglaises s'emparent de Boulogne que l'armée française du nouveau roi Henri II, parvient à reconquérir en octobre 1547. Durant tout le règne de François Ier, l'armée anglaise aura continué de peser comme une menace potentielle à l'ouest, véritable alliance de revers pour Charles Quint. Henry VIII disparait le 28 janvier 1547, précédant de deux mois seulement dans la mort François Ier qui meurt le 31 mars de la même année.Le peintre : Hans Holbein le Jeune (1497-1543)Hans Holbein le Jeune est né en terres allemandes, à Augsbourg dans le Saint-Empire romain germanique, vers 1497. Il est le fils du peintre Hans Holbein l’Ancien très connu de son temps pour ses peintures de retable mais aussi pour son œuvre de graveur puisqu’il illustra des livres aussi célèbres que l’Eloge de la Folie d’Erasme (1516). Hans Holbein le Jeune voyage beaucoup, en Italie et en France notamment où il découvre les tableaux de la Renaissance.

Hans Holbein le Jeune, Portrait de Sir Thomas More , 1527. Huile et tempera sur chêne,Frick Collection , New York.Il peint les célébrités de l’époque dont Erasme qui le recommande à son ami Thomas More en Angleterre. Hans Holbein s’installe en Angleterre en 1526 pour un premier séjour puis définitivement en 1532. L’Angleterre est alors à un tournant de son histoire politique et religieux. Hans Holbein prend alors ses distances avec les milieux humanistes. Thomas More est officiellement rentré en dissidence en 1532 en s’opposant au mariage entre Henry VIII et Anne Boleyn et en démissionnant de sa charge de chancelier. Au contraire, Holbein travaille pour le clan Anne Boleyn-Thomas Cromwell qui influence la politique du roi. Il devient peintre du roi Henry VIII en 1535.Hans Holbein le Jeune, Portrait du marchand Georg Gisze de Dantzig, 1532, Gemäldegalerie, Berlin.Hans Holbein peint aussi des portraits de marchands allemands de la Hanse en poste à Londres dans leur quartier du Steelyard, au nord de la Tamise, ainsi que des hauts personnages comme nos ambassadeurs.

Hans Holbein le Jeune, Portrait de Thomas Cromwell. 1532-1633, Frick Collection. New York.

Dans la cour d’Angleterre, la hache tombe très vite sur le coup des ex-favoris. L’ancien chancelier du roi, Thomas More est exécuté en 1536 de même que Anne Boleyn décapitée en même temps que cinq co-accusés pour adultère, inceste, hérésie, entreprises contre la vie du Roi et haute trahison. La plupart des historiens considèrent que ces accusations sont infondées et sont plutôt le produit de l’imagination d’Henry VIII, souverain cruel et débauché. En 1540, ce sera au tour de Thomas Cromwell de finir la tête sur le billot.


Hans Holbein le Jeune, portrait de Jeanne Seymour, vers 1536-1537, Kunsthistorisches Museum, Vienne.Holbein poursuit son travail de peintre du roi et fait le portrait de Jeanne Seymour, la nouvelle épouse du roi d’Angleterre. Mais celle-ci meurt en 1537 après avoir donné naissance au futur Edouard VI. En 1538, Holbein voyage pour le compte d’Henry VIII qui est à la recherche d'une nouvelle épouse. Holbein se rend dans les cours européennes, peint les portraits des jeunes filles à marier comme Christine de Danemark. Les tableaux sont ensuite présentés au roi d'Angleterre, qui peut ainsi avoir une idée précise du physique des candidates potentielles.



Hans Holbein le Jeune, Portrait de Christine de Danemark, duchesse de Milan en deuil. 1538, National Gallery, London.En 1539, Hans Holbein le Jeune fait le portrait de Anne de Clèves. Henry VIII a la vue de ce portrait fut enthousiaste mais il fut très déçu lorsqu’il vit la future mariée. Il divorcera très vite. Il est vrai que le roi lui-même devait faire peur à plus d’une jeune princesse avec ses 136 kilos, son tour de taille d’1,37 mètre sans compter un ulcère sur sa cuisse qui dégageait une odeur nauséabonde.

Hans Holbein le Jeune, Anne de Clèves,1539, Musée du Louvre, Paris.Quoi qu’il en soit, Hans Holbein qui venait de perdre son protecteur, Thomas Cromwell, exécuté en 1540 pour hérésie et trahison, n’est pas tombé en disgrâce, restant peintre du roi jusqu’à sa mort en 1543.

Hans Holbein le Jeune, portrait miniature de Catherine Howard, vers 1541, Royale Collection.Les têtes continuent de tomber à la cour d’Angleterre. La cinquième épouse du roi, Catherine Howard (cousine d’Anne Boleyn), marié au roi en 1540, est décapitée en 1542 pour adultère et trahison à la Tour de Londres. Il est vrai que la jeune reine, dégouttée par l’apparence physique répugnante du roi, lui avait préféré Thomas Culpeper, un séduisant favori d’Henry. Les deux amants supposés de Catherine furent exécutés ainsi que l’entremetteuse qui organisait les rendez-vous galants,Lady Rochford, la veuve de George Boleyn, frère d'Anne Boleyn lui-même exécuté en 1536 en même temps que sa soeur Anne.

Hans Holbein le Jeune, portrait d'Henry VIII, 1539-1540, Palais Barberini, Rome.
En 1543, Henry VIII épouse sa sixième femme, Catherine Parr, qui sera aussi la dernière. Catherine échappa miraculeusement à une arrestation en 1546 pour hérésie, sauvant sa tête du même coup. Elle aura la bonne idée d'attendre la mort de son mari, en 1547, pour épouser son amour de jeunesse, Thomas Seymour, l'année suivante. Mais la naissance de leur fille entraîna des complications et la mort de Catherine Parr eut lieu six jours après son accouchement (1548). Seymour qui avait été très proche de la future reine Elisabeth, peut-être son amant, fut accusé un an plus tard de trahison et exécuté.

Analyse du tableau
Le tableau représente la rencontre de ses deux ambassadeurs de François Ier en 1533. Georges de Selve arrive de France sans doute pour rappeler à Jean de Dinteville quelle est la position de François Ier dans la crise entre Henry VIII et le pape Clément VII. François Ier souhaitait obtenir l’alliance du roi d’Angleterre contre Charles Quint, l’adversaire acharné du roi de France. Georges de Selve, catholique fervent mais critique à l’égard de la corruption de l’Eglise romaine, est aussi là pour réconcilier l’Eglise d’Angleterre et le pape.

Le tableau est rempli de références symboliques : les ambassadeurs posent devant les symboles de leur culture et de leur érudition : des livres, un cadran solaire, un globe terrestre, une sphère céleste, des instruments de mesure, un luth et des flûtes. A leurs pieds, sur un luxueux carrelage, on distingue au premier plan une forme étrange déformée par anamorphose. L'anamorphose consiste à déformer un élément, mais cet élément se reconstitue quand on le regarde de la bonne position ou si on utilise les bons outils. Il s’agit ici de la représentation d’un crâne humain que l’on peut voir en rasant le tableau ou en l’inclinant. C’est donc une « vanité » qui rappelle la fragilité de la vie aux hommes, souvent pressés d’afficher leur réussite et leur puissance éphémère, au risque du péché d’orgueil.

Les deux ambassadeurs sont positionnés de part et d’autre du tableau. Ils s’appuient sur un meuble remplis d’objets à haute portée symbolique. Les deux ambassadeurs, de par leur position, nous invitent à contempler ces objets qui se rapportent à l’astronomie, la mesure du temps, la géographie, la musique ou l’arithmétique sans compter les objets religieux. A l’étage supérieure du meuble, on distingue :

- une sphère céleste constellée d’étoiles et de signes du zodiaque.

- une horloge solaire cylindrique (ou cadran de berger).
Le cadran de berger, parfois appelé montre de berger est un cylindre surmonté d'un chapeau tournant équipé d'un style perpendiculaire. On tient le cadran suspendu par une ficelle ou un anneau afin qu'il reste vertical, et on tourne le chapeau jusqu'à la marque correspondant à la date du jour. En orientant ensuite le cadran en direction du soleil, l'ombre projetée donne l'heure solaire.

- Un torquetum.
Le torquetum ou le turquet est un instrument de mesure astronomique médiéval servant à fixer l’heure et la date par rapport à la position de corps célestes dont on a déterminé un ensemble de coordonnées au moyen de cet instrument.
Il serait l’œuvre de Jabir Ibn Aflah, un mathématicien et astronome andalou du XIIe siècle. Cet instrument composé de disques et de plateaux a été abandonné lorsque Galilée a eu l'idée de la lunette astronomique.
- divers cadrans.

- un livre, sur lequel Georges de Selve a le coude posé, dont la tranche indique l’âge de Jean de Dinteville, 29 ans.A l’étage inférieure du meuble, on peut distinguer :

Le globe terrestre (ici retourné) du tableau.
- un globe terrestre. Il montre l'Afrique et l'Europe. On distingue au coeur du royaume de France la localité de Policy dont Jean de Dinteville est le seigneur.



- un livre de mathématiques à demi ouvert par une équerre, L’auteur en serait le mathématicien, Peter Apian, un allemand travaillant à l’université d’Ingolstadt. Il était aussi imprimeur et à ce titre, imprima les œuvres de Johann Eck, l’un des grands contradicteurs de Luther. Favori de Charles Quint, qui l’anoblit en 1535, il est donc adversaire des idées réformées.

- un luth dont l’une des cordes est cassée.
- sous le luth, un compas.
- un livre de cantiques ouvert qui présente sur la page de gauche, un hymne de Martin Luther et, sur la page de droite, une version des Dix Commandements proposée par le même Luther. Il est vrai que Georges de Selve à l’époque est très critique envers l’Eglise romaine et ses idées ne sont pas très éloignées de celles de Luther. Tolérant, il est aussi favorable à une réforme de l’Eglise.
- quatre flûtes dans leur étui.
Derrière les deux hommes, une tenture verte avec des motifs végétaux. A la droite du tableau, un crucifix accroché au mur est à demi-caché par la tenture.

Conclusion: au total, à travers une œuvre qui représente la réussite et la richesse apparentes de deux notables français du XVIe siècle, on peut aussi entrevoir les interrogations de l’artiste et des deux personnages sur leur époque. Le tableau incarne à la fois la célébration des valeurs de la Renaissance avec l’avancée de la science et des arts ou la montée en force de la bourgeoisie parlementaire et de la petite noblesse au service du roi, mais aussi les inquiétudes liées au troubles politiques et religieux du temps avec la progression des idées de la Réforme luthérienne et des divisions de l’Eglise. La corde du luth cassé (le luth étant lui symbole d’harmonie), le mot "Dividirt" signifiant la division) sur la page entrouverte du livre de Peter Apian, le livre de cantiques présentant sur ces deux pages des écrits de Luther, le Christ à demi-caché derrière le rideau vert, et surtout la vanité et sa représentation ambiguë en anamorphose, peuvent aussi être vu comme des évocations de la peur qui saisit les hommes à la recherche de leur salut dans une époque aussi troublée.

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