Contexte artistique : vers un « style français », le « Grand style ».
-> XVIIe : Siècle de questions stylistiques sur le double héritage antique et de la Haute Renaissance.
– Débat : « classicisme » ou « baroque » (terme qui vient de l’orfèvrerie (perles irrégulières) ? Le Baroque lui même n’est-il pas la suite du maniérisme (découvert dans les années 1920 ) ?
– ou même aujourd’hui on parle d’ « atticisme » (imitation de l’Antiquité grecque)
Mieux vaut de parler du « Grand Style », sorte de mise en ordre des héritages : grec (mais Ve ou hellénistique ?), romain (Auguste ou Bas-Mpire ?), classique de la Haute Renaissance ou du second XVIe (maniérisme) ?
Poussin revient à Raphaël et au Titien, Bernin ne pense qu’aux leçons de Michel-Ange.
Les artistes du XVIIe maîtrisent parfaitement tous ces héritages, ils deviennent eux mêmes classiques. Le XVIIe met de l’ordre dans l’immense héritage du XVIe siècle.
En France début du XVIIe : domine le grand atelier de Simon Vouet (1590-1649), mais aussi Nicolas Poussin (1594-1665), des flamands travaillent aussi en France en particulier Philippe de Champaigne (1602-1674) portraitiste attitré de Richelieu. La deuxième partie du siècle est dominée par Charles le Brun,
Le séjour à Rome est un passage obligé pour tous les maitres français.
Essor de la peinture « héroïque », des scènes mythologiques, une vision « pathétique » des scènes religieuses, goût des drapés luxueux, des décors somptueux. On parle de « rhétorique architecturale » car le débat est vif sur l’héritage classique.
Poussin érigé en maître par Le Brun définit le classique « français » : lettre du 1er mars 1665 à M. de Chambray.
En voici l’essentiel :
« La matière doit être prise noble, qui n’ait reçu aucune qualité de l’ouvrier. Pour donner lieu au peintre de montrer son esprit et industrie, il la faut prendre capable de recevoir la plus excellente forme. Il faut commencer par la disposition, puis par l’ornement, le décoré, la grâce, la vivacité, le costume, la vraisemblance et le jugement partout. Ces dernières parties sont du peintre et ne se peuvent apprendre. C’est le rameau d’or de Virgile que nul ne peut trouver ni cueillir s’il n’est conduit par la fatalité. »
– C. Jouanny, Correspondance de Nicolas Poussin, Archives de l’art français, Paris, 1911.
Virgile est là pour rappeler l’antique et la nécessité de l’inspiration que l’on croirait volontiers exclue par les classiques, costume = tout ce qui fait la présence de l’individu (la bienséance). Le classicisme français précède Versailles.
En Architecture
Comme les peintres se tournent vers Raphaël et le Titien, les architectes se tournent vers Bramante, Palladio ou Michel-Ange. Son héritage en Architecture est mis en question : Vasari est élogieux notant que « les artistes lui doivent gratitude sans fin pour avoir brisé le nœud des chaînes qui leur faisait suivre indéfiniment la voie de l’habitude ». Mais Palladio dénonçait les colonnes baguées, les frontons brisés, les cartouches ces ornements librement inventés « bien qu’ils plaisent à tous ».
Le second classicisme du XVIIe français pourrait, en quelque sorte, se symboliser par deux entreprises : la colonnade du Louvre et Versailles.
1. Le concours du Louvre
Plusieurs projets lui sont présentés à Versailles comme pour le Louvre :
Chantelou et Bernin
En 1665, Louis XIV, par l’intermédiaire de son ministre Colbert, appelle Bernin à Paris dans le cadre du projet de restructuration du Louvre. Le roi désigne Paul Fréart de Chantelou (1609-1694) (collectionneur français du XVIIe siècle. Il a fréquenté et encouragé des artistes majeurs de l’époque, en particulier Nicolas Poussin (1594-1665) et Gian Lorenzo Bernini :1598-1680), pour l’accueillir et l’accompagner durant son séjour parisien.
De cette rencontre naît un « Journal » que Chantelou a voulu très précis, et qu’il a rédigé quasiment au jour le jour, depuis l’arrivée de Bernin à Paris au début de juin jusqu’à son départ, cinq mois plus tard. Initialement destiné à son frère qui habitait en province et n’avait pu assister à cette rencontre, ce Journal est devenu un document de premier plan, tant d’un point de vue artistique qu’historique.
En effet, il nous renseigne non seulement sur la personnalité de l’artiste et sa conception de l’art, mais également sur la vie quotidienne des gens de cour ; cette confrontation entre le roi de France et l’artiste italien le plus renommé de son temps révèle ainsi toute sa portée politique.
Le Bernin avait aussi concouru, il plaisait à Louis XIV, mais c’est Colbert qui a gagné). Arrivé en France en 1665, il est refusé par Colbert et Perrault. On lui reproche d’être une simple façade car il ne comprend pas que les architectes s’occupent d’autres choses que la façade (en particulier de l’aménagement intérieur). Eh bien pour Versailles le roi l’emporte, le palais est tel que le roi le voulait : jardins aménagés selon les plan de Le Nôtre l’édifice par Le Vau, le concepteur de Vaux-le-Vicomte (alors qu’il avait été critiqué par les autres architectes).
Deux conceptions de l’architecture s’affrontent donc pour le Louvre (sobriété classique, magnificence d’une part et variété maniériste ou baroque de l’autre)
qui devient le quartier général des fabricants de l’image du roi. (Académie française)
La première, dont la portée a été infiniment moindre, a paru, peut-être à tort, essentielle pour une définition du classicisme français.
Colbert, devenu en 1664 surintendant des Bâtiments, y a attaché son nom, non sans dessein de favoriser le Louvre aux dépens de Versailles. Pour éliminer Louis Le Vau qu’il n’aimait point, il fit procéder à la consultation d’architectes français, d’architectes italiens, il appela Bernin qui vint en 1664, donna des plans pour le Louvre, mais l’architecte italien repartit en 1665 et ses projets ne furent pas réalisés.
Cet échec de Bernin a été présenté comme une victoire du classicisme français sur le baroque italien. En vérité, Bernin qui, à une séance de l’Académie, avait insisté sur la nécessité de s’inspirer des Anciens, succomba à la coalition des architectes français qui invoquaient de tout autres raisons que des raisons de style. Colbert, fort embarrassé, établit un
« Petit conseil » qui,
sous la direction de Le Brun et de Charles Perrault, fit faire par
Claude Perrault, frère de ce dernier, un projet qui combinait les caractéristiques des projets précédents, surtout celui de François Le Vau et de son frère Louis.
Ainsi naquit la colonnade, ouvrage d’une monumentalité décorative qui sera un modèle pour des générations d’architectes.
– Borromini (1599-1667) voir Saint Charles aux Quatre Fontaines (1638-1641) chef d’œuvre du baroque romain, refusé.
– Bernin refusé,
– Jules Hardouin-Mansart, refusé.
Chantelou dit au Bernin :
« Michel-Ange avait fait de grandes choses mais il a introduit le libertinage dans l’architecture par une ambition à faire de choses nouvelles et de n’imiter aucun de ceux qui l’ont précéd, étabnt auteurd e cartouches, des mascarons, des resseutements de corniches dont il s’est servi avec avantage, lui possédant un dessin profond, ce que n’ont pas fait les autres QUI L’ONT VOULU L’IMITER ET N’AVAIENT PAS CE MÊME FONDEMENT DE SCIENCE. »
– Paul Fréart de Chantelou, Journal du cavalier Bernin en France, éd. L. Lalanne, Paris, 1885 ; rééd. Pandora, Aix-en-Provence, 1981.
Un index des sujets évoqués où vous pouvez télécharger page par page (clic droit et enregistrer sous, si l’extension .pdf n’apparaît pas ajoutez la manuellement). Vous pouvez télécharger l’ouvrage (250 pages, 19 Mo) sur
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Le concours pour la façade orientale du Louvre vers 1664-65 montre bien ces questionnements. Finalement la variété des solutions est tout aussi présente à partir du même langage classique.
Mais dans la suite des grands monuments du XVIe, on peut parler de style français comme application des modèles italiens. Dans l’urbanisme : places royales (voir cours sur le premier XVIIe) visions de cités idéales héritées de Filarete et des humanistes du Quattrocento (Pienza) comme par exemple la place royale de Paris (actuelle place des Vosges) inaugurée en 1615 pour le mariage d’Anne d’Autriche et de Louis XIII. Elle devient lieu d’habitation de la noblesse française. Il faut inscrire ce concours dans l’héritage des grands édifices depuis le XVIe.
2. Vers le Grand style à Versailles.
Deux exemples parmi d’autres, dont le second a été à l’origine de Versailles.
-> Le chef d’œuvre du premier XVIIe est le Château Maisons-Laffitte près de Saint Germain en Laye au bord de la Seine de François Mansart (1598-1666)
Le second est le
château Vaux-le-Vicomte (Seine et Marne) (1656-1661)
de Louis le Vau (1612-1670) pour le
surintendant Nicolas Fouquet, premier mécène du royaume.
Ordre colossal, style français, construit en pleine régence avant le gouvernement personnel, rythmé par grandes masses, recours au dôme (baroque italien). La construction du château de Vaux-le-Vicomte, près de Melun, au sud-est de Paris, peut être considérée comme la
première étape de la réalisation de Versailles.
Louis XIV reprit en effet dans son intégralité l’équipe réunie par son surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, notamment l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun et André Le Nôtre qui dessina les jardins, quand il résolut de transformer le « château de cartes » de son père en une résidence permanente.
Vaux représente également l’aboutissement d’une longue évolution, remontant à la Renaissance, au cours de laquelle se mettent en place peu à peu les différents éléments du château classique à la française :
– une maison de plaisance, isolée de la campagne par ses abords, en particulier un jardin et un parc (c’est à Vaux que Le Nôtre établit définitivement les principes du jardin à la française), et dont ont disparu tous les dispositifs de défense, souvenirs des châteaux fortifiés.
À cela s’ajoute, à Vaux, la richesse particulièrement recherchée de la décoration intérieure (voir
panoramiques sur le site de l’Université de Columbia) ; la demeure qui doit manifester à la fois la puissance et le rang de son commanditaire, acquérant ainsi une fonction de représentation (le rez-de-chaussée est consacré aux pièces de réception alors que les appartements privés sont à l’étage).
Hôtels particuliers à Paris corps doubles nouvelles charpentes -> architectes Français -> intérêt croissant pour les appartements, l’agencement intérieur.
L’avènement de Louis XIV en 1661 ouvre une ère nouvelle dans laquelle les acquis stylistiques de la Renaissance et du Baroque sont transposés dans un contexte politique et national.
Louis XIV a été élevé par Mazarin dans une époque de troubles, il a fallu donc donner une visibilité très forte au pouvoir royal, d’où une nécessité vitale de l’image. Cependant, Louis XIV s’inscrit dans la continuité de la politique « culturelle » de mise en scène du pouvoir royal instaurée par François Ier au XVIe et par Henri IV au début du XVIIe.
C’était de la communication : de véritables « cérémonies de l’information », une anticipation de la communication en politique .
Il s’agit d’une véritable « stratégie » (Burke) fondée sur des discours, pour une minorité de la société française, et pour la majorité, d’une rhétorique très complexe de l’image, des symboles, etc.
Mazarin est le premier initiateur de cette stratégie : il théâtralise beaucoup la pompe à la romaine. Il a compris que l’autorité politique doit passer par une « propagande » et en priorité par les arts visuels (peinture mais aussi monnaies, effigies, gravures), l’architecture et même le théâtre et la musique. Il fallait contrôler l’image et la diffuser vers les sujets.
Très tôt, on a par exemple représenté le jeune roi comme le vainqueur des factions et des frondeurs figurés par des monstres, des ragons etc.
Mazarin initie personnellement Louis XIV aux spectacles. Il est lui-même un
amateur de théâtre et d’opéras baroques.
Le jeune roi est physiquement au centre du spectacle : il s’offre à voir dans une mise en scène qui doit éblouir. (cf; Conférence de Madama Ledroit, « Louis XIV metteur en scène »)
En 1653, il se produit dans un ballet d’
Isaac de Benserade : le
Ballet de la Nuit. Le roi est l’astre du jour, qui triomphe du chaos et des ténèbres. (cf. architecture de Versailles : le centre du château symbolise le roi).
Le roi devient un danseur émérite. Très vite, il est présenté en Apollon et le ballet reproduit de façon allégorique les rouages politiques.
C’est un tournant politique dans la représentation du pouvoir avec la fusion du religieux et du politique. C’est l’émergence de l’art politique qui repousse l’art sacré dans la sphère religieuse.
La royauté est centrée sur l’homme, d’où des mises en scène qui utilisent la mythologie, les fables, et mettent le roi au centre de tous les dispositifs scéniques, que ce soit dans les jardins, dans la peinture, dans l’architecture de Versailles et sur les places royales (le roi s’offre à voir même dans la rue).
Louis XIV renverse le schéma médiéval de soumission du pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Désormais, le souverain accroît son espace politique tout en s’annexant la tradition sacrée. Le corps du roi unique (au lieu des deux corps du roi) devenu objet de représentation de soins (danse, repas, lever, coucher), c’est la fusion du religieux et du politique. Le roi n’a des comptes à rendre qu’à Dieu, plus, il est Dieu sur terre (Bossuet).
Cette révolution correspond au passage à une société moderne où l’individu n’est plus enserré dans des liens féodaux. La communication politique s’adresse ainsi à tout un chacun directement sans passer par des corps intermédiaires.
L’individu est confronté au XVIIe siècle à toute une mise en scène du pouvoir politique qui contrôle toutes les créations artistiques et les productions deviennent des sémiophores (Pomian).
L’exercice du pouvoir change au XVIIe. Le pouvoir a besoin d’un spectacle pour l’ordre politique qu’il met en place. Ex : toute la politique de Louis XIV est fondée sur la représentation, comme sa propre vie (cf. La Prise de pouvoir par Louis XIV de Rossellini).
3. Versailles : un palais, un concept, une mise en scène du pouvoir absolu.
Après ses victoires, au lendemain du traité d’Aix la Chapelle avec l’Espagne (1668) France récupère (Lille, Douai…) il charge Le Vau de construire un « château neuf » dont l’architecture serait à la hauteur de sa gloire.
Ainsi le roi se tourne vers la « Maison de Versailles » construite par son père dans les années 1620. Il charge le Vau de plans d’agrandissement contre l’avis de Colbert (il disait que c’était un lieu de plaisirs et non pas digne de sa gloire).
Louis XIV prend sa revanche sur Colbert en privilégiant la magnificence Jardins le Nôtre, Château Le Vau, intérieur Le Brun)
Mais hésitation sur le sort du vieux château de Louis XIII.
-> Décision finalement d’agrandir à partir de l’existant. Mais le roi change encore d’avis et décide d’y construire un palais contre l’avis de Colbert, il le confie à Jules Hardouin Mansart en 1678 l’agrandissement du château en Palais.
Le nouveau palais est réaménagé après la paix de Nimègue 1678 (fin de la guerre de Hollande et celle dite de Dévolution qui visait à substituer au pouvoir espagnol après la mort de Philippe IV, un pouvoir français sur les Pays-Bas au nom du droit de dévolution, une coutume du Brabant qui, dans les successions privées, donne la priorité aux enfants, même filles, nés du premier lit sur les enfants, même garçons, nés du second lit. Louis XIV prétendit étendre ce droit aux affaires publiques. Il exigea pour sa femme Marie-Thérèse d’Autriche ,fille aînée du roi d’Espagne Philippe IV, les provinces que les Espagnols possédaient au nord de la France, le nouveau roi d’Espagne Charles II étant né d’un second lit. Ce fut l’origine de la guerre de Dévolution qui donne à la France la Franche-Comté et l’Artois.
Une décennie de paix suit, c’est le moment choisi par Louis XIV pour dépenser plus librement dans la restructuration du château de Versailles comme d’ailleurs du Louvre (qu’il ne fréquentait pas beaucoup jusque là préférant Fontainebleau ou Chambord).
Il y transfère la cour officiellement en 1682 et s’y installe définitivement à partir de 1683-84.
On a pu dire que le roi décide après la mort de Mazarin à pratiquer un gouvernement personnel (Louis XIV parle de « métier du roi » au dauphin) et que Versailles symbolise cette décision.
3. Versailles s’inscrit dans un véritable système de représentation politique.
Peter Burke décrit de façon magistrale ce système (il parle même de l’appareil de glorification du roi). Pour Colbert, le roi, comme Auguste, doit devenir le plus grand mécène. Lettres, médailles, tapisseries et le meuble (Gobelins), la cristallerie (faubourg Saint-Antoine) fresques, gravures, monuments, pyramides, arcs triomphaux, bustes et statues équestres etc.
Colbert était responsable du patronage royal des arts. Sans avoir été un grand mécène, en 20 ans il fait plus pour les artistes que Mazarin qui pourtant était un mécène brillant. En général les artistes étaient recommandés au roi (clientèle).
Il faut devancer le concurrent Nicolas Fouquet, qui vers 1660-65 était le premier mécène du royaume. (Château de Vaux-le-Vicomte).
-> Mise en place du système des institutions officielles au service du prince : réseau d’intendants, d’inspecteurs, de directeurs mais aussi des institutions artistiques
, les Académies (se rappeler du modèle italien instauré par Cosme Ier, duc de Toscane au XVIe siècle).
Danse
Peinture
Architecture
Musique
Académie française de Rome
Manufacture royale des Gobelins (tapisseries de l’histoire du roi).
Les Académies siégeront au Louvre qui finalement est abandonné par le roi. Les écrivains étaient aussi sollicités (théâtre, littérature) en particulier les historiographes comme
André Félibien « historiographe des bâtiments du roi » avec descriptions officielles des peintures, tapisseries, fêtes, constructions ordonnées par le roi.
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