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Louvre-Lens : trois clés pour comprendre "sa majesté" Rubens
Grandiloquent, exubérant, Rubens n'avait pas son pareil pour étancher la soif de grandiose des rois et des prélats. Décryptage.
Rubens est un artiste hors norme. Il règne sur la peinture d'Europe du Nord pendant une bonne partie du XVIIe siècle, éclipsant ses rivaux et écoulant des milliers de reproductions de ses œuvres (sous formes de gravures principalement, mais aussi de sculptures en ivoire, de tapisseries, de bronzes...). "Ce déferlement d'images est tel que les historiens d'art parlent entre eux d'Anvers, où se trouve l'atelier de Rubens, comme de l'Hollywood du XVIIe siècle", confie le commissaire de l'exposition, Blaise Ducos. Du 22 mai au 23 septembre, à travers plus de 170 œuvres, l'exposition "L'Europe de Rubens" permet de comprendre pourquoi et comment cet artiste flamand boulimique a pu séduire un continent.
Prince de la peinture et peintre des princes
Né en Allemagne (où sa famille se réfugie pendant les guerres de religion), Rubens est retourné à Anvers à l'âge de 10 ans. C'est dans la capitale des Flandres qu'il s'est formé et qu'il a passé la plus grande partie de sa carrière. Mais cet artiste nomade a beaucoup voyagé, restant longtemps en Italie pour copier les grands de la Renaissance (Raphaël, Michel-Ange, Léonard de Vinci). Proche des puissants, il est aussi devenu un agent chargé de collecter des renseignements dans les cours étrangères, et a participé à la négociation de paix entre l'Angleterre et l'Espagne. Les innombrables commandes qu'il reçoit sont d'abord passées par des princes.
Dans ce portrait d'Anne d'Autriche, il met tout son talent au service de celle qui est alors reine de France et de Navarre. Remarquez le beau contraste entre la peau blanche et le vêtement noir qui attire l'attention sur le visage et les mains. Peu de bijoux : quelques perles seulement. Mais la pompe royale est évoquée dans le décor à l'antique, à gauche, laissant apparaître la magnificence du palais. Et en observant bien dans les plis du tissu bleu, à droite, on distingue des fleurs de lys, emblème de la royauté française.
Rubens est un peintre "militant", qui défend non seulement les rois, mais aussi les papes. Comme les autres artistes baroques, il cherche à réaffirmer l'autorité de l'Eglise catholique face à la diffusion de la Réforme protestante.
Ses armes ? L'émotion et le réalisme. Avec ce Christ en croix, le peintre donne à voir un être à la fois sculptural, qui semble démesuré dans ce cadre serré, mais aussi très humain. L'expression du visage, les détails anatomiques, les petites tâches de sang tombant des poignets sur le tissu blanc (à gauche) rendent la scène convaincante et suscitent la compassion.
Metteur en scène du corps, hyperbolique et précis
Comme l'explique le commissaire de l'exposition, Blaise Ducos : "Le corps chez Rubens est excessif, puissant, héroïsé. Il se réfère à la fois à l'Antiquité, à la Renaissance, et à des sources contemporaines." L'artiste va par exemple s'inspirer de modèles romains en reprenant, pour un portrait du Christ, une figure sculptée antique de centaure, aujourd'hui conservée au Louvre. Mais c'est surtout sur les corps bodybuildés de Michel-Ange que lorgne l'artiste.
Observez ce Prométhée, condamné par les dieux à avoir le foie dévoré par un aigle pour avoir dérobé et offert aux hommes le "feu sacré". Ce buste en pleine torsion vous fait peut-être penser à une sculpture connue, celle du Laocoon, conservée à Rome dans les musées du Vatican. Ce mouvement donne beaucoup d'élan à la peinture, et cette dynamique est accentuée par la composition en diagonale. L'anatomie de Prométhée fait la part belle à la musculature, comme chez Michel-Ange (comparez avec les athlètes peints par l'Italien sur la voûte de la chapelle Sixtine). Mais Rubens va plus loin que ses prédécesseurs.
On voit, avec ce dessin préparatoire à la toile du dessus, qu'il cherche à aller au-delà de l'enveloppe. Le XVIIe siècle marque une grande évolution de la science médicale. Rubens, comme d'autres artistes de son temps, va se passionner pour les dissections. Il dessinera des "écorchés", des corps auxquels on retire la peau (par exemple ce dessin vendu aux enchères). De là le réalisme de ses anatomies qui laissent deviner, sous l'épiderme, le jeu des tendons et des veines.
Amoureux de la chair
Même si cet aspect de sa peinture ressort assez peu dans l'exposition du Louvre-Lens, Rubens s'est aussi imposé par la sensualité de ses tableaux.
Même dans ce gentil portrait de famille, où Hélène Fourment (seconde femme de l'artiste) apparaît avec ses deux enfants, on sent poindre l'érotisme. Le peintre représente une femme-trophée, tout en beauté... du moins pour l'époque, qui aimait les chairs potelées et nacrées. Le corsage de Madame Rubens dévoile beaucoup, mais l'artiste ira bien plus loin dans d'autres œuvres comme La Petite Pelisse, conservée au Kunst Historisches Museum de Vienne (voir la rubrique sur les peintures flamandes), qui montre son épouse tétons dressés, le dos recouvert d'une peau de bête !
Ce portrait de Vénus, ci-dessus, est peut-être la toile la plus ouvertement érotique de l'exposition (avec l'incroyable tableau montrant Léda prodiguant un baiser aux airs de fellation à un cygne... qui n'est autre que ce polisson de Zeus métamorphosé en volatile). Un peu maladroite, la déesse cherche à se couvrir le buste, mais révèle un sein blanc dont la rondeur est soulignée par le jeu des drapés. Le miroir décuple sa beauté. L'artifice a déjà été utilisé dans la peinture italienne, par exemple par Titien, dans sa Femme au miroir, conservé au Louvre. On est surtout saisis par le contraste des couleurs qui rendent la clarté de la peau. L'un des "secrets de cuisine" de Rubens consistait à mettre quelques pointes de bleu dans le rosé des chairs pour les rendre encore plus réalistes.
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