Archives du blog

mardi 25 février 2020

Léonard de Vinci La Vierge aux rochers

ŒuvreLa Vierge aux rochers

https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-vierge-aux-rochersDépartement des Peintures : Peinture italienne
Peintures
Peinture italienne
Auteur(s) :
Séverine Laborie
Œuvre emblématique de Léonard au contenu symbolique complexe, La Vierge aux rochers célèbre le mystère de l’Incarnation à travers les figures de Marie, du Christ et de saint Jean. Les figures divines, baignées d’une douce lumière, prennent place pour la première fois dans un paysage animé par les saillies des rochers. Cette iconographie résolument nouvelle connut un succès immense, attesté par le grand nombre de copies contemporaines du tableau.

Un historique complexe

Le tableau du Louvre aurait du orner la partie centrale d’un polyptyque commandé à Léonard et aux deux frères de Predis en 1483 par la Confraternité de l’Immaculée Conception pour une chapelle de l’église San Francesco Grande à Milan. L’existence d’une seconde version, aujourd’hui à la National Gallery de Londres mais qui provient bien de cette chapelle, ainsi que plusieurs documents d’archives, indiquent que le tableau du Louvre n’y a jamais pris place. Sa présence dans les collections royales françaises est attestée à partir de 1627, mais plusieurs indices plaident pour une arrivée beaucoup plus précoce.
Selon l’hypothèse la plus convaincante, l’œuvre réalisée entre 1483 et 1486 n’aurait pas donné totale satisfaction aux commanditaires, ce qui aurait permis à Louis XII de l’acquérir vers 1500-1503. Une seconde version (celle de Londres) aurait été peinte sous la conduite de Léonard par Ambrogio de Predis entre 1495 et 1508 pour la remplacer.

Une iconographie ambiguë

La comparaison des deux versions de La Vierge aux rochers montre bien les ambiguïtés du programme iconographique de la première, qui a été beaucoup commenté par les spécialistes. L’identité des personnages peut en effet paraître obscure du fait de l’absence d’attributs et de la prééminence du petit saint Jean, placé aux côtés de la Vierge, désigné par le doigt de l’archange Gabriel et béni par Jésus. Le traditionnel désert où se situe la rencontre des deux enfants de conception divine, est remplacé par un décor surnaturel de caverne et de roches, d’eaux et de végétaux. C’est le mystère de l’Incarnation qui est célébré, à travers le rôle de Marie et celui du Précurseur, lequel est considéré selon une tradition florentine comme un compagnon de jeu de Jésus, déjà conscient du sacrifice à venir. Cette préfiguration de la Passion semble également contenue dans la représentation du précipice au bord duquel se tient l’Enfant et dans la végétation symbolique qui l’entoure (aconit, palmes, iris).

Une composition totalement novatrice

Première réalisation connue de Léonard à Milan, La Vierge aux rochers se rattache stylistiquement aux œuvres de la fin de son premier séjour florentin, L’Adoration des Mages (Florence) et le Saint Jérôme (Rome), dont elle développe les conceptions esthétiques. Outre le fait que l’ordonnance serrée de la composition géométrique pyramidale n’entrave pas les mouvements des personnages, l’orchestration minutieuse de leur gestuelle (la superposition des mains, le jeu des regards) prend une intensité nouvelle grâce à la lumière diffuse qui estompe naturellement les contours sans affaiblir le modelé des chairs.
Le naturel des attitudes des figures ainsi que la forte présence du paysage dominé par les éléments minéraux, sont très novateurs si on les compare aux architectures feintes et aux poses assez hiératiques des retables de cette époque. Cependant, il faut attendre 1501 et l’exposition à Florence du carton de La Sainte Anne (voir INV 776) pour voir ces principes mis en œuvre par d’autres artistes.

Bibliographie

Léonard de Vinci, Traité de la Peinture, trad. André Chastel, Club des libraires de France, Paris, 1960.

- BEGUIN S., Léonard de Vinci au Louvre, Editions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1983.

- ARASSE Daniel, Léonard de Vinci, Le rythme du monde, Hazan, Paris, 1997.

- MARANI Pietro. C., Léonard de Vinci, Gallimard/Electa, Paris, 1996.

- VIATTE Françoise (dir.),  Léonard de Vinci. Dessins et manuscrits, catalogue de l’exposition, Musée du Louvre, 5 mai-14 juillet 2003, éd. Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2003, pp. 127-132.

Léonard de Vinci La Vierge aux rochershttps://alcibiade.skyrock.com/3274291466-Leonard-de-Vinci-La-Vierge-aux-rochers.html


Ce célébrissime tableau existe en deux versions, l'une au Louvre, la seconde à la National Gallery de Londres, offrant des variantes importantes. Sa signification profonde demeure obscure.


Léonard de Vinci  La Vierge aux rochers


Son histoire, déjà, est compliquée. Peinte dans les années 1483-1486, l'oeuvre répond à la commande que
la confrérie de l'Immaculée Conception passa à Léonard de Vinci et aux frères De Predis pour une chapelle de l'église San Francesco Grande à Milan.
Elle devait être le panneau central d'un triptyque, dont les volets représentant des anges musiciens furent peints par les De Predis, et être le « tableau de couverture » d'une Vierge à l'Enfant sculptée, dans une niche sous-jacente.
Il est probable que le tableau de Léonard ne donna pas satisfaction, car il s'ensuivit une longue procédure entre artistes et commanditaires, et qu'une seconde version fut peinte, celle de Londres, et mise en place,alors que la première version, l'« originale », devait très rapidement quitter l'Italie pour intégrer les collections royales
françaises.
Qu'est-ce qui avait déplu ? En dehors des différences de style, les principales différences entre les deux versions sont l'ajout d'auréoles, d'une croix de bois tenue par le petit Baptiste pour renforcer son identité, et la suppression de la main de l'ange pointée sur ce même personnage.
Autrement dit, la seconde version corrige la prééminence du petit saint Jean, protégé par la Vierge, béni par Jésus et désigné par l'ange, au détriment de Jésus lui-même.
Ambiguïté fondamentale Pourquoi cette prééminence ?
Le Baptiste étant un saint de première importance pour cette confrérie, il pourrait en quelque sorte représenter cette dernière,symboliquement gratifiée des protections divines que montre le tableau. On a aussi dit que
le tableau aurait pu être peint à Florence, avant que l'artiste ne quitte cette ville pour se rendre à Milan, car saint Jean est le saint patron de Florence ; le peintre aurait ainsi « casé », moyennant quelques retouches,
une oeuvre préexistante, auprès de ses clients milanais...
Ceci expliquerait la thématique décalée de l'oeuvre et le mécontentement des clients.
D'ailleurs, quel est-il, ce thème ? Il s'agit de la rencontre de Jésus avec son cousin Jean, qui, d'après les sources apocryphes, aurait eu lieu dans un désert pendant le voyage en Égypte.
La présence, sous le tableau, de la Vierge à l'Enfant sculptée, et la présence de l'archange Gabriel, qui annonça Marie et ici désigne le Précurseur (celui qui annoncera), tout cela relève d'une symbolique de l'Incarnation.
Mais rien, aucune explication ne peut réduire l'ambiguïté fondamentale du tableau, et de tout l'art de Vinci, ambiguïté qui a sans doute à voir avec le caractère multidirectionnel de sa pensée et avec la question de
l'inachèvement de la peinture.
L'oeil est littéralement saisi par d'inoubliables points d'intensité : le visage de l'ange, d'une beauté qui excède l'humaine beauté ; ou ce paysage incroyable de roches, eaux, plantes, et brouillards, ce paysage bruissant des plus profondes rumeurs de la terre et du ciel.
Manuel Jover

https://youtu.be/jxVp-7LYppo
vierge-rochers-1.jpg"La Vierge aux rochers" de Léonard de Vinci


Analyse de la vierge aux rochers
Marie Blanchet


La Renaissance  a été la toile de fond d’une production d’œuvres à caractères religieux d’une qualité inégalée dans l’histoire. Les artistes utilisaient une quantité de symboles dans leurs toiles qui permettaient à l’observateur de comprendre du premier coup d’œil la signification profonde de l’œuvre. Il est intéressant d’étudier la marque personnelle de chaque artiste. Léonard de Vinci, en particulier, avait une manière peu commune d’utiliser les symboles religieux sans ses toiles. Est-ce que ses désagréments occasionnels avec l’autorité religieuse de l’époque ont influencé son traitement du sujet? On peut d’emblée soumettre l’hypothèse que sa frustration contre le clergé l’a poussé à ignorer les normes et demandes qui lui étaient imposées. Il peignait les scènes bibliques non pas comme l’Église le lui demandaient, mais bien comme lui les imaginaient. Bref, il n’en faisait qu’à sa tête.

Pour comprendre l’œuvre de Léonard de Vinci et de quelle manière ses désagréments avec l’Église l’ont influencé, il faut d’abord comprendre la nature de ces désagréments.  De Vinci était religieux dans le sens où il croyait en Dieu, mais il n’adhérait pas à une doctrine en particulier. Dans la première édition de la biographie de Léonard de Vinci de Giorgio Vasari, publié en 1550, il écrit « sa mentalité était tellement hérétique qu’il n’adhérait à aucune religion, pensant peut-être qu’il valait mieux être un philosophe qu’un Chrétien. [1]» L’auteur a par la suite retiré cette affirmation controversée de la deuxième édition de son livre. Pourtant, il est clair que De Vinci était en conflit d’opinion avec le Clergé de son époque. Le célèbre peintre lui-même accuse plus d’une fois le manque de moralité, de valeurs et d’éducation des autorités ecclésiastiques dans ses notes et carnets, par exemple :




(Sur les Églises et habitations des Moines)

Plusieurs seront qui abandonneront le travail et l’ardeur et la pauvreté de la vie et des biens, et iront vivre parmi l’abondance dans de maisons splendides, déclarant que c’est  là la manière de se rendre acceptables à Dieu.[2]

De plus, De Vinci possédait un esprit scientifique rare pour son temps. Il croyait en ce qu’il pouvait observer et analyser plus qu’il croyait en ce que l’autorité lui assurait était la vérité et certains de ses travaux les plus ambitieux allaient clairement à l’encontre des enseignements de l’Église, comme par exemple ses travaux sur les fossiles. [3] Or, Da Vinci vivait à une époque où critiquer l’Église à voix haute signifiait le suicide social et il avait besoin de vendre ses œuvres. Ses commandes les plus importantes lui venant de monastères et d’églises, il est tout à fait possible que Da Vinci ait été tenté de représenter ses opinions à travers son art. Le professeur d’histoire de l’art contemporain Marco Rosci écrit de lui en 1976 : « Nous savons que Leonard prônait de plus en plus une ‘philisophie non-chrétienne’ concernant l’homme et la nature et s’adonnait à l’imagerie symbolique durant la première décade du nouveau siècle. [4]» Il ajoute qu’il agissait en  « réjection totale des valeurs culturelles et idéologiques prônées par la cour papale. [5] » et spécule qu’il existait un conflit dans l’esprit du grand peintre entre les idées traditionnelles religieuses et ses découvertes scientifiques. On peut imaginer le peintre tentant d’incorporer ces nouveaux concepts dans ses toiles et scènes bibliques afin de combler le chasme entre science et religion. Une telle entreprise étant, évidemment, condamnée par l’Église.

Une des œuvres les plus controversées de De Vinci est La Vierge aux Rochers, dont la première version fut peinte en 1483. Il s’agissait d’une commande d’un groupe de Franciscain nommés «la Fraternité de l’Immaculée conception » pour leur chapelle dans une église de Milan. Deux versions furent réalisées de cette toile, un fait extraordinaire pour un artiste comme De Vinci qui avait horreur de revisiter son propre travail. Alors pourquoi une deuxième version? L’histoire veut que la première toile, livrée à la Fraternité fin 1484, fût sujet de désaccord entre l’artiste et le client. Léonard et un autre artiste ayant travaillé sur le projet, Ambrogio de Predis, maintenaient que la toile valait plus que ce qui avait été payé pour, alors que la Fraternité clamaient que l’œuvre avait été livrée non-terminée[6]. Plusieurs années, un appel au Duc de Milan et au roi de France et quelques complications plus tard, le conflit se termina par la livraison et l’installation de  la seconde copie en 1508. Mais pourquoi Léonard aurait-il livré une toile non terminée et laisser la dispute durer une vingtaine d’année et nécessiter l’intervention d’un roi? Dans son article sur le sujet, Charles Hope théorise que le problème était d’une origine différente. La toile n’était pas incomplète, mais plutôt « [elle] n’avait pas été complétée selon les termes du contrat. Au lieu de montrer la Vierge et l’Enfant avec des anges, comme il était convenu, [la toile] montrait la Vierge de l’Enfant avec un ange et Saint-Jean.[7] » L’œuvre avait de quoi choquer, car elle violait toutes les règles de l’iconographie religieuse de l’époque. Elle présentait, entre autre, l’enfant Jean assis plus haut que Jésus et à droite de la toile, une place traditionnellement réservée au Christ (la droite mentionnée est en réalité la gauche de l’observateur. Or, en iconographie Chrétienne, c’est la droite et la gauche des personnages qui est importante[8]). De plus, la Vierge a un bras affectueux passé autour des épaules de Jean alors qu’elle étend une main qui hésite au-dessus de la tête de Jésus. Le Christ et l’ange (généralement considéré comme étant Gabriel mais parfois interprété comme étant Uriel) sont séparés des autres personnages. Pour couronner le tout, l’ange pointe vers Jean et Jésus le béni, faisant de lui le personnage le plus important de la toile. Toute l’attention de l’observateur est redirigée vers lui car la posture et l’attention des autres personnages sont centrées sur lui. Mais pourquoi faire de Jean le personnage central d’une toile sur l’Immaculée conception? En fait, pourquoi le mettre dans la toile en premier lieu? Contrairement à ce qu’on pu en dire certains auteurs de Best-sellers américains, la fracture de De Vinci avec les thèmes traditionnels dans cette toile ne signifie pas son appartenance à quelque société secrète. Dans son essai sur le sujet, James Kettlewell avance « Léonard lui-même a pu vouloir créer une nouvelle sorte d’iconographie pour l’Immaculée Conception. […] La majorité de ses représentations de sujets Chrétiens différaient radicalement de représentations traditionnelles. [9]» Avant de continuer à analyser la signification possible de la toile, il est bon de mentionner que le concept Chrétien de l’Immaculée Conception ne réfère pas à la naissance de Jésus mais bien à celle de Marie. À cette époque, tous les canons de l’Église que nous connaissons aujourd’hui n’avait pas tous encore été reconnus par le Vatican et deux théories faisaient l’objet d’un chaud débat, c’est-à-dire si Marie avait été absolue du Péché originel dès sa conception (L’Immaculée Conception) ou seulement plus tard. Dans ce contexte, La Vierge au Rocher prend un sens didactique. C’est une œuvre qui fut créée dans le but d’argumenter un point. Diane Apostolos-Cappadona, dans son article Léonard : sa foi, son art, écrit : « [Léonard] a ultimement créé une fusion extraordinaire de références personnelles et de signification théologique. Il semble [être parvenu à] sa propre réflexion sur la signification de l’Immaculée Conception […] [10]» Kettlewell nous explique que l’inclusion de Jean dans la toile rappelle un argument théologique qui va comme suit : Il est écrit dans l’Évangile de Luc que Jean fut libéré du péché originel dans le ventre de sa mère. Marie, étant la mère de Dieu, est naturellement plus importante que Jean. Il est donc logique qu’elle ait été libérée du Péché à un point antérieur de sa vie, c’est-à-dire à sa conception.[11] En mettant l’emphase sur le personnage de Jean, Léonard de Vinci rappelle cet argument. Pourtant, lorsqu’il livra la toile terminée aux Franciscains, ils la refusèrent. Kettewell commente que même en prenant en compte la signification de l’œuvre, « Dans le contexte de la peinture religieuse du 15e siècle en Europe [il s’agit d’une peinture] extrêmement radicale à la fois pour son effet général et pour l’arrangement des personnages ». En effet, sa représentation du sujet exclu les halos et tous les symboles traditionnellement religieux, créant une confusion entre l’identité de l’enfant Jésus et celle de Jean. L’image est sombre et les couleurs sobres, rompant avec la tradition de représenter les sujets sacrés avec des couleurs vives. Bref, Léonard a réalisé une œuvre radicalement différente de ce qui lui avait été commandé et qui rompait avec tous les canons de l’iconographie religieuse de l’époque. Il a choisi d’illustrer le sujet non pas comme on le lui avait prescrit, mais bien comme lui-même l’imaginait. Lorsque la Fraternité lui demanda de refaire sa toile, une toile dans laquelle il s’était si personnellement invertit, Léonard choisit de la refaire presque exactement pareille, à la grande frustration de ses clients. Ils n’eurent d’autre choix que de l’accepter telle quelle. Clairement, Léonard De Vinci ne se laissait pas marcher sur les pieds par l’Église, particulièrement lorsqu’il était question de son art.

Comme mentionné plus haut, De Vinci dérogeait plus souvent qu’autrement aux codes établis de la symbolique religieuse dans ses toiles. Dans sa biographie du célèbre peintre, Freud écrit : « il a dépouillé les images religieuses de leur dernier reste de raideur sacrée, les humanisant dans le but de les présenter avec de grands et beaux sentiments humains[12] ». Léonard de Vinci cherchait à démystifier les scènes bibliques. Contrairement au Clergé et aux autres artistes de l’époque qui idéalisaient les personnages sacrés, lui les représentaient « [sans] halos; [il] dispensait l’inclusion de l’or, l’azur, et autres couleurs dispendieuses; [il] évitait les costumes élaborés pour Marie et les (arch)anges; […] [13]» Il a été mentionné précédemment que De Vinci éprouvait de la frustration envers les membres du Clergé qui vivaient des richesses des autres. Il est possible qu’il aille voulu représenter les personnages bibliques plus proches de l’humain pour manifester contre cette tendance de l’Église de vouloir se détacher de la masse. De plus, comme Rosci note dans ses recherches, Léonard de Vinci considérait l’homme non pas comme « un simple ‘instrument’ de son Créateur » (Le point le vu prôné par l’Église à l’époque), mais bien comme « une ‘machine’ d’une extraordinaire qualité et capacité et donc preuve de la rationalité de la nature[14] ». L’homme étant la preuve de Dieu, Léonard faisait le pont entre les personnages saints de ses œuvres et les humains. L’absence des halos et la beauté grecque de ses figures, particulièrement évidentes dans Le Dernier Repas, trahissent un effort de l’artiste de joindre le concept de l’homme et du divin. À la fois artiste, inventeur et scientifique, De Vinci voyait la preuve de la main de Dieu dans le fonctionnement du monde. Il considérait que le vrai fondement du savoir se trouvait dans les mathématiques et la géométrie[15], et il était porté à croire en ce qu’il pouvait observer plus qu’en ce qu’une autorité arbitraire lui assurait était la vérité. Lorsqu’il peignait, il tendait donc à capturer la preuve de Dieu en ce qu’il voyait plutôt qu’en utilisant des symboles traditionnels.  Edmondo Solmi, un célèbre historien de l’art, disait de Léonard que « une telle transfiguration de la science et la nature en émotion ou, on pourrait dire, en religion, est un des traits caractéristiques des manuscrits de De Vinci […] [16]»

Pour conclure, il est vrai que De Vinci ne s’entendait pas toujours avec l’Église. Il cherchait à trouver ses propres réponses et se rebellait contre l’idée d’un Clergé qui répand une « vérité » toute faite et étouffait la pensée critique. Ce conflit de valeurs est présent dans ses œuvres, particulièrement ses œuvres à thème religieux, si on sait regarder. Il y uni des thèmes à la fois religieux et humains, mythiques et scientifiques. Il représente les scènes et concept bibliques d’une manière très personnelle. On peut y voir son interprétation personnelle et non celle de l’Église, malgré les problèmes que cela lui a occasionnés. Ses œuvres sont descendus dans l’histoire pour cette même raison : alors que les autres artistes de la renaissance se limitaient à des symboles et des icones connues et « approuvées », Léonard de Vinci nous livrait son âme.



[1] VASARI, Giorgio. Life of Leonardo da Vinci, in Lives of the Most Eminent Painters, Sculptors, and Architects, traduit par Gaston DeC. De Vere, Londres, les publications Philip Lee Warner, 1912-1914,  [Site web de l’Internet Medieval Source Book], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.fordham.edu/halsall/source/vasari1.html>
[2] DE VINCI, Léonard. The Notebooks of Leonardo Da Vinci, traduit par Jean Paul Richter (1888), [Site web du Projet Guttenberg], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.gutenberg.org/cache/epub/5000/pg5000.html>
[3] « Fossils and the flood », [Article sur le site web du American Museum of Natural History], consulté le 4 décembre 2012, <http://www-v1.amnh.org/exhibitions/codex/fossils.html>
[4] ROSCI, Marco. The Hidden Leonardo, Publié par Rand McNally, 1977, 191 pages.
[5]  Ibid.
[6] MARANI, Pietro C. Leonardo da Vinci: the Complete Paintings, New York, 2003
[7]  HOPE, Charles. « The Wrong Leonardo », [article sur le site de The New York Review of Books], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.nybooks.com/articles/archives/2012/feb/09/wrong-leonardo/?pagination=false>
[8] KETTLEWELL, James. « Leonardo da Vinci's Virgin Of The Rocks: The Subject Matter Explained»,  [article sur son site web], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.jameskettlewell.com/virgin.html>
[9]  Ibid.
[10] APOSTOLOS-CAPPADONA, Diane. « Léonard : sa foi, son art », [article sur le site Beliefnet.com], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.beliefnet.com/Entertainment/Movies/The-Da-Vinci-Code/Leonardo-His-Faith-His-Art.aspx>
[11]  KETTLEWELL, James. « Leonardo da Vinci's Virgin Of The Rocks: The Subject Matter Explained »,  [article sur son site web], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.jameskettlewell.com/virgin.html>
[12] FREUD, Sigmund. Leonardo da Vinci:  A Psychosexual Study of an Infantile Reminiscence, traduit par A. A. Brill, Publié par Moffat, Yard et Compagnie, 1916 [Via le Projet Guttenberg], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.gutenberg.org/files/34300/34300-h/34300-h.htm>
[13]  KETTLEWELL, James. « Leonardo da Vinci's Virgin Of The Rocks: The Subject Matter Explained »,  [article sur son site web], consulté le 4 décembre 2012, <http://www.jameskettlewell.com/virgin.html>
[14] ROSCI, Marco. The Hidden Leonardo, Publié par Rand McNally, 1977, 191 pages.
[15] Ibid.
[16] SOLMI, Elmondo. La Resurrezione dell'opera di Leonardo, Publié par Fratelli Treves, 1910, p. 11.

Léonard de Vinci, maître géologue

Le décor de La Vierge aux rochers conservée au Louvre témoigne, chez Léonard de Vinci, d’une connaissance approfondie de la géologie.
LOÏC MANGIN|  |  https://www.pourlascience.fr/sr/art-science/leonard-de-vinci-maitre-geologue-18047.php

La Vierge aux rochers de Léonard de Vinci.


Dans les années 1480, Léonard de Vinci, arrivé de Toscane, s’installe à Milan, au service du puissant duc Ludovic Sforza. à cette époque, il reçoit la commande de la confrérie de l’Immaculée Conception : le panneau central d’un retable d’une nouvelle chapelle montrant la Vierge Marie, son enfant, des anges et deux prophètes. Il n’en fera qu’à sa tête et remplacera les prophètes par un saint Jean-Baptiste enfant : c’est La Vierge aux rochers, exposée au Louvre, à Paris. Les commanditaires refusent l’œuvre, sans doute à cause de l’importance prise par le saint dans la composition. Une seconde version plus conforme aux attentes sortira de l’atelier du maître, conservée à la National Gallery de Londres, mais dans quelle mesure le maître y a-t-il participé ?
Laissons la Vierge à son enfant, et penchons-nous avec la géologue et historienne de l’art Ann Pizzorusso sur les rochers, ceux de la version du Louvre. Selon elle, le décor est en parfait accord avec ce que l’on peut voir dans la nature. La précision géologique est remarquable. L’essentiel des parois est constitué de grès, une roche sédimentaire, sauf dans la partie supérieure et à droite du tableau où les formations rocheuses sont différentes, plus nettes dans leurs contours et brillantes au soleil. On reconnaît de la diabase, une roche dite métamorphique d’origine volcanique. On distingue même sur la toile les fissures qui se forment quand la lave a refroidi.
De même, les fleurs sont parfaitement réalistes et ne sont installées que là où le grès s’est suffisamment érodé pour autoriser un enracinement. On identifie une ancolie commune, des cyclamens, des iris… Le symbolisme n’est pas oublié, et plutôt que de peindre une rose blanche, souvent choisie pour représenter la pureté du Christ, mais impensable dans une grotte, Léonard opte pour une primevère, sous le bras levé de Jésus, dont les fleurs blanches évoquent la vertu.
Qu’en est-il de La Vierge de Londres ? Les libertés prises avec le réalisme interrogent. Par exemple, la fleur d’une jonquille est conforme à la réalité, mais la morphologie des feuilles est inexacte. De même, les rochers ressemblent plus à du calcaire qu’à du grès, ce qui n’a aucun sens dans ce contexte géologique précise Ann Pizzorusso. À l’arrière-plan, un lac glaciaire ou peut-être un fjord détonne, car il n’y a pas de fjords en Italie, et les lacs glaciaires en Lombardie ne seraient pas cernés par un relief aussi escarpé. Le tableau devrait beaucoup plus à Ambrogio de Predis, ami du maître, qu’à ce dernier. Mais cette fois, la confrérie l’avait acceptée !
===========================

Léonard de Vinci : de "L'Homme de Vitruve" à "La Scapigliata", cinq chefs-d'oeuvre de l'exposition du Louvre

De "L'Homme de Vitruve" au "Musicien", découvrez quelques-unes des oeuvres exceptionnelles prêtées par les musées italiens pour l'exposition Léonard de Vinci au Louvre

Léonard de Vinci, \"Portrait de jeune homme tenant une partition\", dit \"Le Musicien\" (détail)
Léonard de Vinci, "Portrait de jeune homme tenant une partition", dit "Le Musicien" (détail) (© Veneranda Biblioteca Ambrosiana)
Il arpente les marchés aux animaux pour acheter des chats, des chiens et des oiseaux en cage afin de leur rendre la liberté. Et à Ludovic Sforza, duc de Milan, qui ose lui demander d’accélérer la cadence pour finir « La Cène » censée décorer le réfectoire du couvent Santa Maria delle Grazie, il répond avec panache, drapé dans sa cape de velours rose : « Les grands génies, moins ils travaillent, plus ils œuvrent ! » Magistral et fantasque Léonard de Vinci, capable d’inventer le futur à travers des dessins extraordinaires, de poursuivre des centaines de projets pour n’en terminer aucun, d’ébaucher des œuvres fabuleuses qui ne mènent qu’à l’essentiel : nous éblouir.
A l’image de sa peinture, sa vie est peuplée d’ombres et de mystères. Parmi les rares certitudes, sa date de naissance, le samedi 15 avril 1452, à la troisième heure de la nuit. C’est ce que note son notaire de grand-père, Antonio. Léonard est l’enfant illégitime de Piero, homme de loi actif et ambitieux, et de Caterina, sans doute une paysanne, dont on ne sait rien. Enfance campagnarde à Vinci, paisible village posé sur un coteau entre Florence et Pistoia. Ce gaucher, une particularité qu’on tient alors pour démoniaque, se montre très adroit pour le dessin. Ses belles aptitudes conduisent son père, en 1464, à le placer à Florence chez Andrea del Verrocchio, l’artiste favori de Laurent de Médicis. Son atelier est le plus bouillonnant de la Renaissance. On y pratique tout : sculpture, peinture, orfèvrerie… Le petit Léonard apprend la préparation des couleurs, esquisse des effets de draperie sur de fines toiles de lin pour s’entraîner à l’exactitude formelle.
Verrocchio a toujours plusieurs œuvres en cours et passe des nuits blanches pour terminer une commande, ce qui offre à Léonard une certaine tranquillité pour dessiner beaucoup et peindre très peu. Il réalise tout de même « L’annonciation » (1472), « La madone à l’œillet » (1473) et l’un de ses premiers portraits (1474-1476), celui de Ginevra de’ Benci, pour qui l’ambassadeur de Venise à Florence nourrit un amour platonique. Léonard représente la jeune Florentine la moue distante, en écho à sa vertu. A la manière de la peinture flamande, ses premiers tableaux sont soignés, descriptifs, et séduisent déjà. Mais ni sourires ni expressions troublantes n’émergent encore. Son apprentissage chez Verrocchio sera pourtant fondamental, notamment lorsque le maître s’attelle à « L’incrédulité de saint Thomas » (1478-1483), une sculpture en bronze de plus de 2 mètres de hauteur qui doit orner la niche de l’oratoire d’Orsanmichele. Sans doute impliqué dans la genèse de l’œuvre, le jeune Léonard n’oubliera jamais ce qui caractérise l’art de Verrocchio : le mouvement et le clair-obscur.
En 1476, le voici, à 24 ans, la cible d’une encombrante histoire. Une dénonciation anonyme, déposée dans un « tambour », sorte de boîte aux lettres à l’usage des délateurs, l’accuse de s’être adonné à la sodomie sur un modèle toujours vêtu de noir, Jacopo Saltarelli. Affaire classée sans suite ; mais, coïncidence, Léonard prend soin d’imaginer un drôle d’instrument capable d’« ouvrir un cachot de l’intérieur »... Pendant ce temps a débuté la décoration de la chapelle Sixtine du Vatican. Laurent de Médicis envoie ses meilleurs artistes : Michel-Ange, Botticelli. Pas Léonard. L’art de la fresque interdit le repentir. Or, ce qu’il aime, c’est corriger. Il s’attelle à deux œuvres qui resteront à l’état d’ébauche, « Saint Jérôme pénitent » (vers 1482) et « L’adoration des mages » (1481), commandée par les moines augustins de San Donato, à Scopeto.

Afin de célébrer l’entrée de François Ier à Lyon, il atteindra la perfection avec un automate, un lion mécanique capable de se dresser puis de s’avancer

« Grâce à l’imagerie scientifique, on a pu découvrir le processus créatif de son “Adoration” », expliquent les commissaires de l’exposition présentée au Louvre, Vincent Delieuvin, conservateur en chef au département des peintures italiennes, et Louis Frank, conservateur au département des arts graphiques. « Léonard a mis en place le fond en respectant une certaine géométrie. Mais il est revenu trois fois sur les personnages qui occupent le centre de la composition, tracés à main libre au carbone puis au pinceau, arrivant à des formes pratiquement incompréhensibles. Une sorte de magma dont allait sortir une clarification, mais qui est resté à l’état d’idées prometteuses, pleines d’énergie. » Léonard entre dans une nouvelle phase créatrice. Il ne cherche plus à reproduire parfaitement le corps humain ou la nature, il veut saisir le mouvement. Dans ses carnets de dessins, il déforme l’anatomie, superpose les membres, laisse sa main aller librement jusqu’au gribouillage. Il appelle ça « la composition inculte ».

« L’Homme de Vitruve », vers 1490. Pointe métallique, plume et encre brune sur papier.

« L’Homme de Vitruve », vers 1490. Pointe métallique, plume et encre brune sur papier.
© Virginie Clavières / Paris Match
Cap sur le duché de Milan, en 1483. A sa tête, la famille Sforza, dont on dit qu’elle consacre plus de la moitié de ses revenus aux dépenses militaires. Léonard est missionné pour réaliser une imposante statue équestre, « Il Cavallo », à la gloire de Francesco Forza, père et prédécesseur de Ludovic, qui restera à l’état d’argile. Humeurs guerrières. Léonard se consacre à ses inventions. Il imagine d’improbables canons à vapeur, mais aussi des plans de cités idéales, un réveille-matin à eau, des machines volantes façon planeurs, une rôtissoire mécanique, des grues, des crics, des clepsydres… En plus de cet inventaire à la Prévert, Léonard ingénieur met au point des machineries de théâtre qui émerveillent la cour ducale.
Bien plus tard, en 1515, afin de célébrer l’entrée de François Ier à Lyon, il atteindra la perfection avec un automate, un lion mécanique capable de se dresser puis de s’avancer solennellement vers le souverain pour faire tomber à ses pieds une gerbe de lys. Léonard pense en dehors des clous et choisit la voie de l’expérience. L’optique, l’hydraulique, la botanique, la géologie, la météorologie… il décortique à la manière d’un scientifique. S’il doit peindre une feuille, Léonard veut savoir comment l’arbre respire. Il l’affirme : la peinture est « cosa mentale », c’est-à-dire intellectuelle et divine. Le peintre ne doit pas donner l’illusion de la vérité mais la restituer, recréer les phénomènes de l’univers. Comme Dieu.
Milan, Mantoue, Rome, Venise… Léonard change de villégiature au gré des mécénats. Riche d’un savoir auquel peu de mortels accèdent, il captive, séduit, et les commanditaires acceptent qu’il ne finisse pas ce qu’il leur a promis. Quand Isabelle d’Este s’inquiète pour son portrait, un moine lui explique que « Vinci est trop occupé à peindre une sainte Anne ».

Pour sa traversée des Alpes, Léonard a pris soin de blottir dans une malle « La Vierge à l’enfant avec sainte Anne », « La Joconde » et « Saint Jean-Baptiste »

Anatomiste des sentiments, il capte la fugacité de l’instant, insuffle la vie à l’enfant Jésus comme aux tourbillons de l’eau. Il perfectionne la technique du sfumato, superposant des dizaines de glacis, des couches huileuses qui, à peine chargées de pigments, nécessitent plusieurs jours de séchage. Et il parvient à ce miracle : restituer les humeurs de l’âme. « On a longtemps perçu Léonard en tant qu’homme du dessin, poursuivent les commissaires de l’exposition. Or, s’il arrive très vite à l’idée, il prend tout son temps pour la réalisation car elle représente pour lui ce qu’il y a de plus important. » Pour « La Cène » (1495-1498), Léonard trouve la parade qui va lui permettre de retoucher également les fresques, ces œuvres peintes directement sur le mur. Au lieu d’utiliser une peinture humide, il imperméabilise la pierre au plâtre sec, puis utilise de la tempera et des huiles. Dans un texte repris par Giorgio Vasari, biographe de Léonard, Matteo Bandello, le neveu du prieur de Santa Maria delle Grazie, raconte : « Fréquemment, Léonard montait dès le petit jour sur l’échafaudage pour ne laisser tomber le pinceau de sa main qu’au crépuscule, sans penser à manger ni à boire. Puis des jours s’écoulaient sans qu’il y remît la main, parfois il s’attardait des heures entières devant la peinture et se contentait de l’examiner en son for intérieur. D’autres fois, il quittait la cour du château de Milan […] et allait tout droit au couvent pour donner quelques coups de pinceau à une figure, mais décampait ensuite sans délai. »
Lorsqu’il prend ses quartiers dans le manoir du Cloux (actuel Clos Lucé), près du palais royal d’Amboise, en 1516, c’est en tant qu’ingénieur, architecte et metteur en scène. Pour sa traversée des Alpes, Léonard a pris soin de blottir dans une malle « La Vierge à l’enfant avec sainte Anne », « La Joconde » et « Saint Jean-Baptiste ». Considérés aujourd’hui comme ses plus grands chefs-d’œuvre, tous sont marqués par le syndrome de l’inachèvement. Même s’il imagine encore des mécanismes fantastiques pour les fêtes de la cour, il ne produit plus grand-chose. Peu importe, car, pour François Ier, son protecteur, « personne ne vint au monde qui en sût autant que Léonard ». Miné par la maladie, il organise ses funérailles et dicte ses volontés à un notaire d’Amboise, en avril 1519 : il désire que « trois grandes messes avec diacre et sous-diacre » et « trente basses messes » soient célébrées dans la collégiale Saint-Florentin, au pied du château d’Amboise. Il s’éteint un mois plus tard, le 2 mai 1519, à l’âge de 67 ans. Sur une marge de son fameux « Codex Atlanticus », constitué de 1 119 feuillets, farfouillis de notes et de schémas, il avait griffonné : « Mon pauvre Léonard, pourquoi t’es-tu donné tant de mal ? »
« Léonard de Vinci », au musée du Louvre du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, uniquement accessible sur réservation, ticketlouvre.fr. A lire : « Léonard de Vinci », sous la direction de Vincent Delieuvin et Louis Frank, coédition musée du Louvre-Hazan.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire