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jeudi 27 février 2020

durer 5 / CAVALERUL, MOARTEA SI DIAVOLUL


Le Chevalier, la mort et le diable. Gravure de Albrecht Dürer de 1513


On désignait autrefois par le mot « garçons » les serviteurs et valets qui marchaient à la suite des hommes d'armes, des chevaliers et des chefs de corps, pour leur rendre les services qu'exigeaient les circonstances. « Ces garçons, que l'on appela plus tard des « goujats », formaient des bandes de pillards, d'assassins, dont la présence et les actes criminels désolaient les campagnes et ruinaient les habitants ; alors on leur donnait le nom de « mauvais garçons ».
Philippe Le Bas, Augustin François Lemaitre, France : Dictionnaire encyclopédique, vol. 10, Firmin Didot frères, 1843



Albrecht Dürer, Étude d'un Reître, 1498
Albrecht Dürer, Étude d'un Reître, 1498


Albrecht Dürer, Le Chevalier, La Mort et le Diable

Décryptage de la gravure par Pierre Vaisse invité par Anne Jouffroy
Albrecht Dürer est un des rares artistes de la Renaissance allemande qui nous soit bien connu et pourtant quelques mystères demeurent... Pierre Vaisse a étudié la célèbre gravure "Le chevalier, la Mort et le Diable" et nous aide à la mieux comprendre en la replaçant dans la conscience collective allemande.
Dürer (1471-1528), qui fut tout à la fois peintre et dessinateur, théoricien d’art et mathématicien, graveur sur bois et sur cuivre, s’est employé à laisser des traces (consistantes) sur sa vie en général et ses voyages en particulier. Il a signé, daté ses œuvres, ses autoportaits ; il a tout fait pour que son art, associé à son image lui survive...
Mais pourtant quelques mystères demeurent. Ses titres sont soit absents soit liminaires et les historiens d’art en sont réduits à chercher une interprétation avec tous les risques que cela comporte : subjectivité, désinformation, inventions pures et simples etc…
C’est le cas pour la célèbrissime gravure Le Chevalier, la Mort et le Diable (Ritter, Tod und Teufel) réalisée en 1513. Pierre Vaisse auteur d’une étude intitulée Reître ou Chevalier ? Dürer et l’idéologie allemande, aux Editions de la Maison des sciences de l’homme, propose une histoire et une analyse de la place singulière de cette œuvre dans l’histoire de l’art et dans la conscience collective allemande.
Albrech Dürer, <i>Le Chevalier, la Mort et le Diable</i>
Albrech Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable
1514 Gravure sur cuivre, burin H. 24 cm ; L. 18,1 cm Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg Inv. 77.998.0.4
Dans un paysage accidenté passe, de droite à gauche, un cavalier en armure portant la lance et ceint de l’épée. A gauche, la Mort montée sur un pauvre cheval et tenant un sablier semble s’apprêter à lui couper le chemin ; à droite, derrière lui, un diable debout lève sa main griffue comme pour s’emparer de lui. Un chien l’accompagne ; un lézard (ou une salamandre) rampe sous son cheval ; dans l’angle gauche, un crâne repose sur un tronc d’arbre coupé contre lequel est posé un cartellino qui porte la date de 1513 précédée d’un S et le monogramme de l’artiste. On aperçoit dans le lointain une ville ou un château. Cette desciption ne cherche pas à interpréter la gravure et évite, ainsi, les dérives évoquées plus haut.
Si l’on excepte les mentions de sa gravure par Dürer lui-même le plus ancien texte connu qui la concerne est un passage de Vasari dans ses Vies d’Artistes au milieu du XVIè siècle. S’il y voit une allégorie du courage de l’homme, il s’attache moins à signification qu’à la maîtrise avec laquelle Dürer a su exprimer par le burin l’éclat des armes et la robe du cheval.
Ce cavalier en arme a symbolisé un chevalier chrétien, un chevalier brigand, un reuther (un « routier »), un héros germanique, et, selon Nietzsche, un « philosophe solitaire ». LeTroisième Reich l’a récupéré pour glorifier les valeureux soldats allemands ; les marxistes s’en sont servis pour critiquer la bourgeoisie. L’Histoire et la société allemandes toutes entières se retrouvent dans ce cavalier.
Albrech Dürer, <i>Adam et Eve</i>
Albrech Dürer, Adam et Eve
Gravure sur cuivre, burin H. 24 cm ; L. 18,1 cm Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg Inv. 77.998.0.4
Pierre Vaisse rappelle que Dürer s’est préoccupé, très tôt et jusqu’à sa mort, de la construction du corps humain et de celle du cheval. Il est probable que cette gravure n’ait d’autres ambitions que de répondre à ce souci constant chez l’artiste : illustrer les proportions idéales du cheval.
Pour Dürer, c’est sur un savoir scientifique que devait se fonder l’art de peindre et c’est ce qui l’élevait du rang d’un simple artisanat à un art libéral, comme en Italie depuis la Renaissance. Par ses recherches théoriques l’artiste souhaitait amener les peintres allemands à égaler leurs concurrents italiens. Chrétien, brigand, mercenaire ou philosophe, ce Reuther est assurément une allégorie nationaliste.
Le Musée Jenisch, à Vevey, expose un maître absolu de la gravure. Virtuose et raffiné, l’art de Dürer tisse des liens entre la Renaissance italienne et les traditions nordiques.
Dürer-Mélancolie
Par Eric Bulliard
C’est la grâce, la richesse de la gravure, mais aussi l’obstacle à surmonter pour pleinement l’apprécier: elle demande de la patience, presque du recueillement. Une approche en douceur, une observation minutieuse. Même quand il s’agit d’un maître absolu comme Albrecht Dürer (1471- 1528): l’exposition que lui consacre le Musée Jenisch, à Vevey, ne révèle toutes ses splendeurs qu’au visiteur attentif, prêt à se laisser imprégner pour découvrir en détail cet ensemble exceptionnel.
Mise sur pied pour les 25 ans du Cabinet cantonal des estampes, La passion Dürer a puisé dans les collections de trois Vaudois: William Cuendet (1886-1958), Pierre Decker (1892-1967) et Alexis Forel (1852-1922). A travers également des gravures qui ont précédé Dürer (celles de Martin Schongauer en particulier) et quelques artistes contem­porains, c’est toute la place de Dürer dans l’histoire de l’art et de l’estampe qui se trouve évoquée ici.
DÅrer, La NativitÇ 2Un génie ne naît jamais ex nihilo. Formé en Allemagne puis à Bâle, Dürer a également puisé dans la tradition méditerranéenne: il se rend en Italie pour la première fois en 1494 et y séjourne deux ans en 1505-1507. Son œuvre restera marqué par cette dualité, l’attrait pour la Renaissance se combinant par exemple avec les scènes de genre typiquement nordiques. L’extraordinaire Nativité de 1504 mêle ainsi le traitement de la perspective et des raccourcis qui rappellent l’Italie de Mantegna et un décor (la maison à colombages en ruines) caractéristique du Nord.
Trilogie de chefs-d’œuvre
Au cœur de ce parcours, les trois Meisterstiche de 1513-1514 forment une trilogie magistrale, insurpassable. Dans Le chevalier, la mort et le diable, Saint Jérôme dans sa cellule et La Mélancolie, Dürer atteint sa plénitude. Dans la technique (le rendu de la lumière et du plafond de bois du Saint DÅrer, Saint Jerìme dans sa cellule_lightJérôme, par exemple), comme dans l’iconographie complexe de La Mélancolie, peut-être la plus célèbre gravure de l’histoire de l’art. On y resterait des heures à découvrir de nouveaux détails, à se plonger dans cette profusion, cette extraordinaire inventivité.
Avant ces chefs-d’œuvre réalisés au burin, Dürer s’est initié à la gravure par le bois, notamment à Bâle. Très vite, sa personnalité s’affirme: en 1498, à 27 ans, il publie deux éditions de L’Apocalypse (en allemand et en latin), avec des gravures grand format. Pas des illustrations du texte commandées par un éditeur: pour la première fois, un livre est entièrement conçu et publié par un artiste, qui invente une nouvelle manière d’articuler texte et gravures.
Proche du «sfumato»
Au fil des ans, Dürer expérimente encore d’autres techniques: le Musée Jenisch présente ainsi quelques eaux-fortes et gravures à la pointe sèche. Dont un somptueux Saint Jérôme près d’un saule (1512), d’une douceur qui n’est pas sans rappeler le sfumato de Léonard de Vinci.
Graveur virtuose et raffiné, Dürer excelle dans le traitement des clairs-obscurs, des volumes, des détails d’une minutie extrême. Mais son audace n’apparaît pas toujours au premier coup d’œil. Ainsi de La Cène (gravure sur bois de 1523), qui intègre le débat théologique de la Réforme: le décor est simple, le repas frugal. Et, surtout, l’action se déroule après le départ de Judas; il ne reste que onze disciples à table.Dürer - la cène
Les notices sur les murs du musée demeurant très succinctes, mieux vaut se munir de la brochure explicative remise à l’entrée pour goûter ce genre de subtilités. Voire de l’imposant catalogue, où une quinzaine de spécialistes proposent une synthèse des rapports de Dürer à la Suisse.
Echos contemporains
En écho aux gravures de Dürer, le Musée Jenisch expose en outre quelques œuvres d’artistes contemporains. Sans surprise, c’est La Mélancolie qui les a d’abord inspirés. Philippe Decrauzat (né en 1974) présente ainsi une magnifique sculpture, Melencolia, qui reprend le fameux polyèdre de la gravure originale, resté inexpliqué. Il y ajou-te d’autres subtiles références, par exemple à Andy Warhol et au Velvet Underground.
A l’étage, Vera Molnàr (née en 1924), crée un effet surprenant avec son Jeu du pair et de l’impair, (2014) en traçant des lignes pour relier les nombres du «carré magique» de La Mélancolie. De son côté, Alain Huck (né en 1957) renvoie également à la plus célèbre gravure de Dürer, en glissant la figure de l’ange comme en filigrane de son Ancholia (2011). Encore faut-il, pour l’artiste vaudois comme pour Dürer, prendre le temps d’observer et de se laisser emporter…
Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 1er février. Du mardi au dimanche, 10 h-18 h, jeudi jusqu’à 20 h. www.museejenisch.ch
Philippe Decrauzat
Albrecht Durer Knight Death and the Devil / Ritter Tod image 0
Posté le  par Eric dans Beaux-ArtsExposition

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