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mercredi 26 février 2020

H.BOSCH

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Jérôme Bosch fascinant : moraliste ou subversif (1)

Jérôme Bosch, mort il y a 500 ans, a été décrit par des historiens d'art comme un moraliste : dans le contexte du Moyen-Âge, sa peinture aurait été destinée à jouer sur les peurs récurrentes pour dissuader les populations de s'adonner aux plaisirs et ainsi éviter les foudres du Tout-Puissant et les bûchers de l'Enfer. Pourquoi, alors, son art nous fascine ?


Le Jardin des délicesLe Jardin des délices
On a accusé l'artiste de Bois-le-Duc, au cœur du Brabant, d'être fou, ou sorcier, ou initié, faisant commerce avec le Diable. C'est ainsi que le peintre Jan Gossaert, son contemporain, a écrit de Bosch qu'il était "faizeur de diables". Dans un roman d'aujourd'hui, sensé livrer les confidences de son épouse, Aleyt de Meervenne, on découvre un mystique, habité par un univers hallucinant et des visions obsédantes. Il était régulièrement envahi par des "idées noires" (1), nous dit-on. 
Puis cette thèse a été contestée par Wilhem Fränger (2), historien d'art allemand. Selon lui, le peintre de Bois-le-Duc ne produisait pas des enfantillages mais avait une vision globale. Il n'avait pas d'intention religieuse orthodoxe mais vulgarisait plutôt des cultes pseudo-religieux, sans doute un culte adamite, c'est-à-dire prônant l'amour libre (c'est sûr que la nudité explosive du Jardin des délices a troublé bien des observateurs). La preuve qu'il ne travaillait pas pour une congrégation ecclésiastique, c'est qu'il est virulent envers l'Église et se moque copieusement des moines et des nonnes (montrés dans des attitudes scandaleuses), mais aussi des prêtres des rites païens. Manifestement, pensait Fränger, Bosch appartenait à une secte militante (les Homines intelligentiae ou les Frères et Sœurs du Libre Esprit) qui prêchait l'accomplissement spirituel par un ars amandi, un amour charnel épuré.
Jérôme ou Hiéronymus Bosch, par Jacques Le Boucq, BM d'Arras.Jérôme ou Hiéronymus Bosch, par Jacques Le Boucq, BM d'Arras.

D'autres avaient considéré que cette thèse de la secte était corroborée par son appartenance à une confrérie, la Confrérie de Notre-Dame, à Bois-le-Duc. Cette confrérie avait pignon sur rue, et il était traditionnel, pour un membre de l'élite catholique de la ville, d'y adhérer. Alors on a supputé que pour avoir une telle imagination et représenter tant d'excentricités c'était certainement parce qu'il adhérait à un mouvement mystique, peut-être une confrérie nommée Les Frères de la Vie en commun, dont un ordre aurait prospéré à Bois-le-Duc. Ses exégètes ne manquent pas eux-mêmes d'imagination : il se pourrait bien qu'il ait été alchimiste, puisque sa femme avait un parent… pharmacien.
Bref, cet homme intrigue, parce que ses représentations, ses personnages, ses décors sont considérés comme des images effrayantes, fantastiques, démoniaques.
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 Statue de Jérôme Bosch sur la place centrale de Bois-le-Duc : derrière lui, façade verte, la maison de son enfance, celle de ses parents ; la maison mitoyenne s'est effondrée récemment alors qu'elle devait abriter un musée ; l'atelier des Bosch était situé sur cette même place et Bosch lui-même demeurait, adulte, sur cette place [Photo YF].
 Enfer et damnation
Il est vrai qu'au siècle précédent, l'humanité, en tout cas dans nos contrées, a été soumise à rude épreuve : la grande peste de 1348 a décimé les populations (selon les villages, la perte a été d'un tiers, parfois de la moitié des habitants). Ces malheurs ont été présentés comme châtiments de Dieu. Il a fallu chercher des boucs émissaires, qui empoisonnent les puits et répandent les maladies (les Juifs, les errants, les vagabonds). Les danses macabres, l'Apocalypse alimentent une culture de la peur.
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dscf2707La cathédrale gothique Saint-Jean de Bois-le-Duc, construite quelques dizaines d'années avant la naissance de Bosch, comporte, comme tant de ses congénères, des statues de pierre d'hommes de métier ou de petits monstres. On a dit que l'artiste avait pu s'en inspirer : si un Saint-Jean, qu'un diable empêche d'écrire, est bien visible sur le porche d'entrée, les autres statues qui chevauchent les arcs-boutants ne peuvent être vus que par les visiteurs d'aujourd'hui parce que le Lion's Club a eu la bonne idée d'installer un échafaudage, d'accès payant bien sûr, permettant d'avoir une vue plongeante sur ces sculptures. Penser que le foisonnement du Jugement dernier ou du Jardin des délices a sa source dans ces êtres fantastiques, compagnons des gargouilles, est sans doute aller vite en besogne.
Statues sur les arcs-boutants de la cathédrale de Bois-le-Duc [Ph.YF]Statues sur les arcs-boutants de la cathédrale de Bois-le-Duc [Ph.YF]

Des fresques, dans beaucoup de cathédrales, ont exploité le jugement dernier pour affoler les fidèles et les inciter à se soumettre aux préceptes de l'Église (telles la cathédrale Saint-Guy de Prague ou Sainte-Cécile d'Albi).
Cathédrale Sainte-Cécile d'Albi, Tarn : la roue infernale pour les damnés [Ph. YF]Cathédrale Sainte-Cécile d'Albi, Tarn : la roue infernale pour les damnés [Ph. YF]





Cathédrale Saint-Guy, à Prague, extérieur : les élus peuvent sortir de leur tombeau pour rejoindre le Paradis, les autres sont condamnés [Ph. YF]Cathédrale Saint-Guy, à Prague, extérieur : les élus peuvent sortir de leur tombeau pour rejoindre le Paradis, les autres sont condamnés [Ph. YF]
D'autres peintres, moins connus, ont montré ce qui attendait les pêcheurs : leurs œuvres sont, elles, véritablement terrifiantes. C'est le cas de Hans Memling ou de Roger Van der Weyden, pour ne prendre que ces deux exemples. Rien à voir avec les couleurs chatoyantes de Bosch, sa composition, sa vivacité, ses personnages plus doucereux, ou, s'ils sont monstrueux, ils le sont excessivement ou de façon caricaturale. Et son excentricité confine le plus souvent à l'humour.

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Le Jugement dernier de Hans Memling (peint en 1471-1473) est assez effrayant. Il est d'une composition assez proche de celle de Roger Van der Weyden. Il n'a pas la fraîcheur de Bosch.
Manifestement, des peintres représentaient des corps nus, mais là ils sont crus, ils n'ont pas la poésie de ceux de Bosch, qui peint des visages plus floutés. Un personnage, sexe à l'air, est à l'envers, mais celui que Bosch le facétieux, a peint dix ans plus tard, est drôle, au point qu'il a été reproduit dans les rues de Bois-le-Duc. On imagine mal une telle initiative pour les torturés de Memling.
 [détail du Jugement dernier de Memling]


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Le Jugement dernier de Roger Van der Weyden (polyptyque) peint entre 1443 et 1452 Exposé dans la "grande salle des pôvres" aux Hospices de Beaune. En 1802, les religieuses ne supportant plus ces corps nus, elles les ont faits recouvrir, par un peintre local, de bures pour les élus et de flammes pour les damnés (une restauration a supprimé ces cache-sexes). À noter que les personnages noirs sont des diables qui poussent les damnés vers l'Enfer (alors que Bosch ne leur attribue pas de telles fonctions).
[détail du Jugement dernier de Vand der Weyden]
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Cette "contextualisation", tant réclamée par les experts, ne prend pas en compte le fait qu'entre le milieu du XVème siècle jusqu'en 1520, les divers fléaux et calamités s'estompent, la vie redémarre et l'économie repart (du fait même de la tragédie qui a précédé, si paradoxal que cela puisse paraître). Or c'est justement la période de vie de Jérôme Bosch (1450-1516).
En 1598, à la mort de Philippe II, roi d'Espagne, qui possédait la plus grande part des tableaux de Bosch, un moine fut sollicité pour prendre sa défense car on l'accusait d'être hérétique. L'acte de défense était de nier la moindre hérésie et la preuve fournie était la suivante : jamais le roi n'aurait accueilli ces tableaux en son domaine s'ils avaient été opposés aux préceptes de l'Église. Le combat était rude, car un autre moine accusait l'auteur du Jardin des délices d'être un excentrique qui non seulement ne méprisait pas les plaisirs mais au contraire les recherchait.
Ce peintre hors du commun a été longtemps oublié, puis il a refait surface à la fin du XIXème siècle et entre les deux guerres mondiales. Malheureusement, des œuvres sont perdues, il n'en reste qu'à peine plus de vingt. Les surréalistes l'ont récupéré, affichant une véritable dévotion à son égard. Ils voient en lui "un peintre marginal en proie à ses tourments intérieurs" (3). Mais c'est finalement le cantonner dans une expression torturée.
Certains ont bien voulu concéder qu'il était moderne, admettant qu'avant lui il fallait faire le bien et que sa modernité était de dire qu'il ne faut pas faire le mal. Pas sûr que présentée ainsi, cette morale soit vraiment moderne. Peu importe, ce qui compte c'est de le tirer vers une posture de prédicateur, sermonnant ses ouailles.
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J'ai compulsé beaucoup d'ouvrages, d'autant plus nombreux que le 500ème anniversaire de la mort du Maître a boosté l'édition. Grosso modo, la thèse du moralisateur domine, mais l'on concède quelques fois que ses tableaux sont "des livres de grande Sagesse et de grand art", pour tout de même rappeler qu'il s'agit d'une "satire peinte des pêchés et de l'inconstance des hommes" et que "ses peintures exsudent une foi d'une nature extraordinaire" (4).
Chris Will, dans Entre Ciel et Enfer, indique clairement, dès le titre, qu'il importe de détourner les frères humains des abysses terrifiants pour les inviter à choisir les voies du Paradis (5). Mais il avoue que "nous sommes fascinés par [les] fantastiques créations" de Bosch et son "monde fabuleux".
Antonin Artaud a vu dans l'œuvre de Bosch un "théâtre de la cruauté", qui mettrait en lumière le côté obscur de notre inconscient.  Même Umberto Eco, dans Histoire de la laideur, évoque des "allégories moralisantes sur la décadence à son époque", considérant que "des scènes d'apparence plaisante, sensuelle, idyllique" conduisent finalement à l'Enfer. Dans cette explosion de saynètes souvent joyeuses, il n'a pas vu que cela pourrait faire lien avec la Renaissance qu'il a pourtant explorée. Il concède cependant d'une part que Bosch représente des créatures amusantes, carnavalesques (ce qui est peut-être plus "insidieux" que des monstres) et qu'il s'agirait de décrire "non tant des visions de diables existants dans les abysses de la terre, mais plutôt des images des vices de la société où il vivait".
 © La Tentation de Saint-Antoine (musée Arte Antiga de Lisbonne), extrait.© La Tentation de Saint-Antoine (musée Arte Antiga de Lisbonne), extrait.
Deux grands historiens d'art actuels ont été convoqués pour nous parler de Jérôme Bosch en ces temps de commémoration : Alain Tapié et François Elsig. Le premier, conservateur en chef du patrimoine, très attaché aux symboles, décrit doctement au profane ce qu'il faut penser de chaque objet, de chaque signe livrés par le grand maître de Bois-le-Duc (comme l'entonnoir, exprimant, comme chacun sait, la folie). Invité par France Culture le 17 avril (Les Regardeurs), il évoque "le peintre de la raison", qui a des "convictions spirituelles" et une "dévotion moderne". Il soutient la thèse d'une "exigence morale", pire, "il construit une morale sociale" : de façon quelque peu pédante, Tapié insiste sur le fait que si le désir est présent chez ce "stoïcien" c'est pour inciter à le maîtriser. "Entre énonciation et dénonciation, il est dans l'admonestation". Et conforme à l'art de son temps.
François Elsig (6) est plus modéré et fait charnière entre une lecture traditionnelle et une approche moderne pouvant expliquer notre fascination : c'est "une peinture à mi-chemin entre le religieux et le profane", écrit-il. Tandis que Tapié ne cesse de renvoyer aux textes de l'époque (sur lesquels Bosch s'appuierait), Elsig renvoie au contexte : son maître mot est "contextualiser". Il ne s'agit pas pour moi de contester les avis de ces sommités, d'autant plus que François Elsig nous donne des clés (nous le verrons dans le second billet) pour répondre à la (seule) question qui vaille et que je posais en introduction, et qui motive mon envie d'écrire ce billet : pourquoi cet artiste nous fascine tant ?
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                                      Détail du Jardin des délices
L'homme moderne ne regarde pas ses tableaux comme ceux d'un autre temps, comme ceux d'une époque mortifère : il est sensible à son originalité, son ingéniosité et ce fourmillement de vie qui empreigne son art. Il a eu des "suiveurs", des imitateurs, mais personne n'a peint comme lui, ni avant, ni après (sinon Pieter Bruegel l'Ancien dans certaines de ses œuvres).
Dans un second billet, je tenterai d'aborder ce qui explique peut-être cet engouement déjà ancien pour Jérôme Bosch. Pour ma part, je rêvais depuis longtemps de voir son œuvre rassemblée. Ce fut possible début avril car une exposition internationale était organisée aux Pays-Bas à Bois-le-Duc : elle a pris fin dimanche dernier.
[suite dans le billet suivant, n° 260]
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JÉRÔME BOSCH, HIERONYMUS VAN AKEN, HIERONYMUS BOSCH (1453-1516)

L’homme est né à Bois-le-Duc, ‘s-Hertogenboschou Den Bosch en néerlandais, « le bois du duc », ville du Brabant hollandais, d’où son pseudonyme. En 1526, la ville compte quelque 24 000 habitants. Elle doit sa richesse grâce au commerce avec la région rhénane et les villes des Pays-Bas. Jérôme est vu par ses contemporains comme un peintre bizarre doué d’une imagination démentielle. Un dément qui voit mieux que les autres, englués dans leur ordinaire. L’homme du Moyen-âge est plus libre que ne l’est l’homme des temps modernes ensevelissant tout questionnement sous un déluge de réponses. C’est en perdant les questions que nous perdons les réponses.

L'escamoteur, 1480
Le nom Bosch revient une trentaine de fois dans les archives. C’est peu. Certitude, il est enterré un 9 août 1516 à Bois-le-Duc, les frais étant supportés par ses amis. L’année de la grande peste. Il devait avoir une soixantaine d’années, on ne sait rien de son lieu ni de sa date de naissance. Un temple de suppositions. L’homme intrigue. Autre date certaine, 1504, la commande de Philippe le Beau d’un jugement dernier. Son nom de famille Aken signifie Aix-la-Chapelle, une origine lointaine ? Il appartient à une famille de peintres établie à Bois-le-Duc depuis la moitié du XVè siècle. C’est là qu’il s’initie à son métier. On pense que c’est en 1481 qu’il s’établit comme peintre, probablement en remplacement de son père. Il n’est pas seul, ses oncles et ses frères sont également peintres.
Jérôme épouse en 1481 Aleyt, fille de Goyart Van den Meervenne (morte en 1523), âgée de quelque 20 ans de plus que lui. Sûrement des enfants, on l’ignore. Une famille aisée avec un statut social élevé puisqu’elle habite une grande maison, mais rien ne dit qu’elle ne vienne pas d’un héritage, de sa famille et de celle de sa femme qui dispose d’une fortune personnelle. On sait qu’il paye des impôts plus importants que la moyenne le situant parmi les riches de la ville. Cet abri du besoin explique l’originalité du peintre moins soucieux de plaire que de produire une œuvre originale. On suppose que c’est en 1488, suite à un grand repas qu’il organise, qu’il devient membre de la confrérie Notre-Dame. Une tradition familiale depuis 1455.

Le voyageur
La confrérie Notre-Dame en l’honneur de la Vierge date du XIVè siècle. Du temps de Bosch, la confrérie compte de nombreux adeptes. Elle est vouée au culte de Marie et se donne pour but de secourir les pauvres. Il faut payer une cotisation pour y appartenir et faire de fréquentes donations. Elle fait appel à la générosité des argentés. Ses membres, des hommes et des femmes, appelés zwanenbroeders, « frères des cygnes », sont astreints à une discipline rigoureuse surtout lors des grandes fêtes de la Vierge. Jérôme donne beaucoup d’argent pour couvrir les besoins de la confrérie. Il n’est pas sûr que cette confrérie ait un but seulement religieux, elle fournit aux églises des œuvres d’art d’où l’intérêt des peintres à y appartenir.
Un homme qui se cache derrière son œuvre. Il est unique, un phare éclairant ceux qui le veulent, celui qui s’abreuve à cette lumière pénètre un univers d’où il ne ressortira plus jamais. Bosch navigue dans l’imaginaire de l’humanité. Il fascine. Bruegel en est un continuateur, lui-même en est fier, même s’il a son chemin à suivre. Qui ne serait fier d’une pareille trajectoire ? Il aura beaucoup d’imitateurs. Philippe II possède plusieurs tableaux du maître qu’il devait admirer. Cet intérêt prestigieux contribue à sa renommée internationale.

Saint Jérôme en prière
Le maître du grotesque. La technique qu’il utilise fréquemment est l’inversion des proportions. Certains objets, végétaux, fruits, animaux, etc., apparaissent démesurément grands à côté de figures humaines ridiculement amoindries, soit intégrées à l’élément, soit nettement séparées. Un jeu d’inversion pratiqué par la littérature de l’époque dont celle de Rabelais et dont le succès ne se dément pas jusqu’à nos jours.
Le peintre connait la bible, l’Ancien et le Nouveau Testament, qu’il met en scène. À l’évidence, il s’agit, à chaque fois, d’un prétexte. Tout le monde connait ces scènes, elles permettent au spectateur d’entrer dans la peinture. Elles ne sont jamais une fin en soi. Son propos est spirituel, mais en conservant un pied dans le quotidien des gens. Il y a un aspect moralisateur dans les histoires qu’il décrit. Chaque attitude a sa conséquence. Mais ce qui domine l’œuvre est son symbolisme, son ésotérisme. La force de sa peinture est de sous-tendre une réalité non directement accessible. Bosch ne cherche pas à innover, mais à approfondir. Il décortique les croyances de son temps.

Concert dans l’œuf
Le mouvement artistique de la Renaissance ne l’intéresse pas. La beauté ne le fascine pas, peut-être même la méprise-t-il. La vision accessible de son œuvre fait qu’on s’y arrête, chausse ses lunettes pour apercevoir qu’il y a beaucoup d’autres choses. On se sent floué d’une œuvre d’art quand il n’y a rien à découvrir. Une forme majestueuse est impressionnante, elle lasse quand elle est vide. Bosch est un homme cultivé, obsédé par l’idée de dépasser l’immanence du monde. Le peintre plonge dans les méandres de l’imaginaire, là est le sens de son œuvre. À l’opposé des inquisiteurs, il ne joue jamais sur la peur. Il manie avec une dextérité exceptionnelle la farce de la vie et des suppositions.

Excision de la pierre de folie, 1480
La Pierre de folie, sans doute une œuvre de jeunesseLe texte flamand en caractère gothique, Meester snijt die keye ras / Mijne name is Lubbert Das, « Maître coupe vite cette pierre, mon nom est Lubbert Das. » La pierre dont il s’agit, la folie. Ce fou, un paysan qui a soigneusement rangé ses sabots sous la chaise, est guéri par un autre fou, un entonnoir sur la tête (boire comme un entonnoir) alors que sa femme le regarde nonchalamment, un livre sur la tête. Quant aux injonctions du moine tenant un pichet de vin, on peut s’attendre au pire. Sur la tête du malade, en fait de pierre, une tulipe. Le patient, un homme gras et naïf regardant le spectateur, est attaché à la chaise, ce qui ne sert pas à grand-chose puisque la tête reste libre de ses mouvements. Une bourse bien garnie que l’homme maintient sous son bras révèle un homme fortuné, un gogo que l’église et le charlatan entourent d’attention dans l’espoir de gagner quelques sous. L’entonnoir est l’attribut fréquent chez Bosch des diables et des fêtards. Tout laisse penser à une entourloupe, mais rien n’est exprimé clairement. Tout est possible. Le peintre ouvre une porte, il laisse s’y engouffrer le voyeur qui achève le tableau.

La nef des fous, 1500
La Nef des fousNarrenschiff, un thème classique à l’époque depuis les poèmes satyriques de Sébastien Brant publiés en 1494, se moquer de cette folie qui mène aux pires excès. « Le monde vit dans une nuit noire… toutes les rues grouillent de fous. » La dérision est une arme qu’on utilise âprement contre ce qui est redouté. Le carnaval de la fin du Moyen-âge prend des proportions gigantesques d’irrespect qui inquiète les autorités. Le rire est une arme terrible qu’il convient de contrôler. Érasme a écrit son Éloge de la folie pour dénoncer les vices, les excès inhumains de l’humanité. On axe tout sur la folie comme le paroxysme de tous les excès dont se rendent coupables les individus n’agissant que pour leurs seuls intérêts. Le monde dans lequel nous vivons est fou si l’on n’en respecte pas les règles et les devoirs visant à protéger son voisin. L’époque de Bosch est dure, violente, excessive, un monde ouvert d’où tout peut surgir, le pire comme le moins pire. Dans le monde de la folie, il y a ceux croient tromper et ceux qui se laissent tromper, en réalité, tout le monde se trompe. C’est là un des points que s’ingénie à montrer le peintre, des êtres perdus et repliés sur eux-mêmes. Un bateau sans voile ni gouvernail qui ne va nulle part, des gestes qui n’aboutissent pas, des bruits qui n’ont aucun sens, des gens réunis par leur seule absurdité sous la conduite d’un bouffon buvant son vin. Un moine franciscain chante accompagné au luth par une religieuse. On a beaucoup mangé et bu, un des hôtes vomit à l’avant du bateau. Des baigneurs quémandent un peu de boisson et de nourriture. Tout le monde a l’air joyeux, des gestes insensés, ils braillent et chantent, ne se soucient de rien d’autre que de ce qu’ils ont dans la tête. Puisqu’il s’agit de folie, rien à comprendre. Bosch s’évertue à condenser dans un petit espace un ensemble d’attitudes loufoques prêtant à confusion. Le monde est comme un œuf, un symbole alchimique.

Le couronnement d'épines
Le Couronnement d’épines, un chef-d’œuvre. Ponce Pilate demande à Jésus : « es-tu le roi des Juifs ? » « Tu le dis », lui répond Jésus. Alors les soldats « ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête en lui disant : salut, roi des Juifs ! » Dans ce tableau, le Christ ne montre aucune souffrance, son vêtement est blanc, il est serein, presque amusé. Une scène intime avec cinq personnages silencieux, mais éloquents par leur expression. Un soldat sur sa droite lui place la couronne, la main protégée par un gantelet de fer, le visage tendu, insensible à la souffrance qu’il cause. Un autre, sur sa gauche, lui posant la main sur l’épaule révèle une inquiétude, un doute ?Il porte un collier de chien avec des pointes. Devant, deux personnages plus petits aux visages burlesques, l’un, encapuchonné de rouge orné d’un croissant juif, lui prend la main en le toisant d’un regard moqueur et méchant, l’autre, plus petit, semble vouloir lui arracher sa tunique. Par son intensité, l’ensemble captive, comme si on croisait Jésus en personne.

Ecce Homo
Ecce Homo, Ponce Pilate présente Jésus au peuple juif. Jésus est dévêtu avec sa couronne d’épines et un manteau bleu. Son corps est couvert de sang. Il a les mains liées. Les vêtements portés par ses bourreaux sont pour le moins exotiques. Jésus fait face à une foule de visages clownesques et méchants. Aucune femme n’est présente, une affaire d’hommes en colère, des hommes d’armes animés par leur seule haine devant une victime incapable de se défendre. En bas et à gauche, des formes humaines apparaissent en filigrane sur le mur, le donateur sans doute, suivi par un moine s’exclamant « sauvez-vous de nos pêchés » et des enfants. En haut, sur la droite, une scène urbaine paisible, indifférente, une rivière séparant les deux scènes. Sans son environnement, impossible de comprendre l’être, impossible de pénétrer son âme.

Le portement de croix
Le Portement de croix, une œuvre d’une force inouïe grâce à sa composition unique et à la densité des expressions. Une toile en forme de carré légèrement plus large que haut. Le panneau est enduit d’une légère strate à base de craie et de colle animale. Le peintre esquisse ses personnages puis il applique sa peinture en couche fine. Le résultat, malgré la lourdeur des expressions, est fluide. Jésus, au centre du tableau, le visage large, bien en chair, légèrement penché, les yeux fermés déambule au milieu d’une foule de 17 visages dont certains sont hideux et vociférants. Deux mains soulèvent la croix. Sur la gauche, en bas, le visage d’une femme, Véronique, est ravi du drap qu’elle tient sur lequel apparaît le visage du Christ après lui avoir épongé le front. Bosch peint l’indifférence, des êtres attachés à eux-mêmes ne voyant rien de ce qui se passe autour d’eux. Aucun regard ne se penche sur Jésus, le Christ lui-même semble replié dans son univers délaissant le monde des humains. Une scène apocalyptique si ce n’est qu’elle est traitée de façon cruelle et drôle, un rire jaune où l’on entend le grincement des âmes dans un monde qui s’achève.

La tentation de Saint Antoine (fermé)
Le Triptyque de la Tentation de saint Antoine, peut-être achevé en 1505, une œuvre démentielle où le peintre dévoile un génie qui ne va cesser d’exploser en tout sens jusqu’à atteindre son apothéose. Saint Antoine est un saint particulièrement adoré pour la guérison de maladies, notamment la peste. Il chasse les démons et protège le bétail. Il apparaît sous la forme d’un vieillard barbu. Le retable fermé, sur la gauche, on discerne une scène du Christ tombant à terre en sortant du jardin des oliviers. Le calice est posé en évidence au sommet d’un monticule. Des soldats gesticulent. Le personnage qui s’éloigne tête basse et dont on voit la bourse pendue de dos au cou est Judas. Au premier plan, Saint-Pierre lève l’épée qui tranche l’oreille de Malchus, le garde du grand prêtre chargé d’arrêter Jésus. Sur le côté droit, Jésus, un genou à terre, porte la croix alors que Véronique s’apprête à lui essuyer le visage. Des enfants assis regardent la scène, impassibles. Un des larrons, les yeux bandés, est libéré, un autre, déjà libéré, écoute les invocations d’un moine.

La tentation de Saint Antoine
Ouvert, le retable offre au milieu les scènes de la tentation. Une imagination hors du commun avec des personnages étranges sortis d’on ne sait où. Une messe noire ? Mais à y bien regarder, aucun dégoût, des personnages terrifiants qui ne sont en rien menaçants. Derrière eux, dans l’encoignure d’une tour en ruine, une espèce de Christ devant la statue d’un Christ crucifié les observe. À gauche, le saint est ramené sain et sauf par ses compagnons après les épreuves des tentations : « la foule des démons le maltraita si affreusement que ses compagnons le croient mort. » En dessous du pont, trois démons lisent une lettre, un autre, un entonnoir sur la tête en forme d’oiseau apporte une missive en patinant. Un évêque montre à des personnages étranges dont un à tête de cerf un homme coincé dans une maison de terre trop petite avec une flèche planché sur son front. Un bordel avec le visage d’une femme à la fenêtre. À gauche, un poisson, doté d’une carapace de sauterelle, surmonté d’une tour d’église avale un petit poisson. Dans le ciel, le saint est emporté par des démons pour ses pêchés passés alors qu’un ange intercède en disant que ses péchés sont effacés depuis longtemps. Sur la droite, le saint est en train de lire paisiblement dans des scènes infernales. Dans le ciel, un couple chevauche un poisson volant. Les cinq éléments fusionnent, le bleu du ciel, le rouge du feu, le vert de la terre créent une harmonie envoutante dans un monde rempli d’hallucinations terrifiantes.

Messe noire
Dans le Nouveau Testament, Jésus ne rit jamais. Le rire, assimilé au plaisir bestial, est diabolique. Bosch, plein d’humour, nous invite sans cesse à sourire. Dans ce monde de visions horribles, le rire reste le moyen de rester en vie. Certains disent que le diable se ridiculise pour provoquer le rire afin de tenter le saint. Il y a sûrement du vrai. Mais réduire le génie du peintre à cette possibilité est une façon de le transformer en moralisateur soucieux d’orthodoxie, ce qui réduit considérablement son impact. La farce fait rire pour dénoncer les travers de l’humain, pas ceux du diable. La folie humaine est autrement plus redoutable que les coups d’un diable que l’on ne voit jamais. Bosch montre en détail des monstruosités qui ont un visage humain.

La tentation de Saint Antoine
C’est en suscitant la peur qu’on fait des adeptes, une loi simple et efficace utilisée depuis la nuit des temps. Effrayer pour convaincre est le b a ba des prêcheurs en tout genre. Ils fuient le rire qu’ils redoutent, le ridicule tue les menteurs. Le rire sous-jacent à l’œuvre de Bosch montre combien il n’est pas un donneur de leçons. Cette passion à décrire les monstres, à les ridiculiser, sa puissance narrative faisant que l’on navigue d’une histoire à une autre, ces contrastes saisissants entre ce qui paraît normal et l’anormal fusionnant dans une réalité poignante, le travail d’un homme érudit qui n’est pas prêt à sombrer dans la première peur venue. Non pas un homme à leçons, un artiste se jouant de tout ce dont il dispose pour créer un univers si vaste qu’on n’en finit de le découvrir.

Triptyque du chariot de foin
Le triptyque du Chariot de foin, fermé, présente l’image d’un vagabond agressé par un chien au collier clouté devant une scène de trois voleurs dépouillant un homme attaché à un arbre, un joueur de cornemuses faisant danser deux villageois et un gibet au loin. Ouvert, à gauche, le paradis où Ève est tentée et chassée par un ange alors que des anges rebelles s’échappent du ciel, à droite, une scène infernale où des diables bâtissent une tour, au centre un chariot avec un énorme tas de foin, une multitude de personnages de tous les groupes sociaux dont un évêque, un roi, des nonnes et des moines gesticulant autour. Le foin étant source de richesses, on peut considérer cette foule comme les bénéficiaires du travail des paysans, des parasites essayant de prendre leur part. Un proverbe hollandais dit : « le monde est comme un chariot de foin, chacun en arrache ce qu’il peut. » Tout ça pour rien, le monde est vain. Au sommet du foin, un autre monde, un joueur de luth, une dame qui chante, un couple d’amoureux, un ange en prière et un diable jouant d’une longue flute au bout de son nez. Les profiteurs sont condamnés à l’enfer, mais pourquoi avoir ajouté cette scène au-dessus qui contredit ce que l’on voit en dessous ?

Le chariot de foin
Un espace plein, aucun vide nulle part. Un espace surchargé où tout est imbriqué en tout. Le retable du Jardin des délices, d’après sa forme, une œuvre religieuse destinée à un autel. Il n’en est rien, une œuvre religieuse nous conduit dans un endroit précis où tous se retrouvent dans la même foi. Le jardin est un labyrinthe. Un retable, un paradis et un enfer, la forme religieuse est détournée de sa fonction. Bosch est un pourfendeur d’apparences. Non seulement il utilise une symbolique complexe, mais il la détourne de son sens. Dans une œuvre artistique, on peut faire prédominer l’élément religieux, Bosch s’engouffre dans l’élément artistique. Un peintre de la liberté de l’esprit.

Triptyque du jardin des délices (fermé)
Un chef-d’œuvre dont il est impossible de se lasser, une variété infinie ordonnée de façon magistrale par un maître non seulement de la peinture et des formes, mais aussi de la pensée. Tout est fouillé d’une façon incroyablement intelligente. Fermé, le retable présente un dessin non peint représentant une terre dans une sphère cristalline où siège tout en haut, à gauche, un Dieu perdu dans sa solitude juste après sa création. Il paraît triste et semble avoir froid puisqu’il est couvert de manteaux. Il tient de sa main gauche un livre, un mode d’emploi ? Tout en haut, un écrit, le Psaume 33, le 3èjour de la création, « Il parle, cela arrive, il commande, cela existe. » La terre est une entité flottante dominée par le végétal et le minéral. Une cornue d’alchimiste où se déroulent toutes les transformations.

Le jardin des délices
Ouvert, le triptyque présente sur sa gauche le paradis terrestre où le Christ (selon une tradition de l’époque) vient de créer Adam et Ève. Un point de départ, tout ce qui est à venir se trouve déjà ici. En hauteur sur la droite, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, une espèce de palmier portant des fruits où se tient enroulé un serpent. Au centre, la fontaine de jouvence peinte en rose. À côté des personnages, sur la gauche un arbre aux formes étranges chargé de fruits dont des pommes, sans doute l’arbre de vie, symbole d’immortalité. Le tableau est dominé par le vert, le bleu et le rose. Au milieu, le jardin des délices. En plus de trois couleurs précédentes, l’ocre et le rouge font leur apparition. Sur le côté droit, l’enfer musical, des tortures par des instruments de musique, ce qui est pour le moins déconcertant. Dominent le bleu et le rouge, le vert se faisant plus rare. Affirmer que la musique est rattachée à la luxure, c’est oublier que la musique a un aspect religieux. La musique accompagne une œuvre religieuse ou une scène d’amour, pas une débauche. Même si certains religieux voient la musique comme une perversion diabolique, placer la musique au cœur de l’enfer n’a aucun sens. Le peintre donne la clé pour une autre lecture.

Le jardin des délices
On se promène dans ce tableau porté par la fascination sans que l’on puisse réellement comprendre quoi que ce soit, un tissu d’énigmes. Sans doute l’un des tableaux les plus célèbres de tous les temps. L’impression qu’il laisse est infinie de même que l’interprétation qu’il suscite. On lie son destin à lui sans savoir pourquoi. Le thème chrétien récurrent chez Bosch, la dénonciation des péchés, dont la luxure, l’orgueil et la cupidité, sert de cadre à l’ensemble de l’œuvre pour la rendre accessible. Si l’on ne reconnaît pas, on n’entre pas, on n’ose pas. Mais si, en forçant un peu, on peut tout ramener à une iconographie chrétienne, il est tout aussi aisé de s’en détacher. Finalement le monde chrétien reste rationnel, un enchevêtrement de logiques dont Jésus se veut l’ultime maître. Le tableau de Bosch échappe à la rationalité, il est truffé d’invraisemblances. Un retournement de la raison, ce que l’on croit raisonnable est folie alors que la folie nous ouvre vers la véritable raison du monde.

Le jardin des délices
La scène centrale du paradis est truffée de couples dénudés dont, sur le côté gauche, un couple dans un bulle sur une curieuse fleur occupée par un homme regardant un rat par une ouverture en verre. Dans cette bulle, le couple semble parfaitement harmonieux devant un personnage dont on ne voit que les jambes écartées la tête dans l’eau, une espèce de fruit entre ses jambes avec deux oiseaux. Beaucoup d’autres couples seuls ou en groupe, blancs, mais il y a plusieurs noirs mélangés aux blancs, dont un homme blanc tenant tendrement une femme noire. Au centre, juste en dessous de la source vitale d’où coulent quatre lits, chacun marqué par une tour, un trou d’eau où se trouvent des femmes, le principe féminin, et, tournant autour, des groupes de cavaliers, des adolescents en effervescence montés sur des animaux mythiques, griffons et licornes, exotiques, dromadaires, lions, des animaux des forêts, cerfs, sangliers et des animaux domestiques. Des oiseaux et des poissons font également partie de la procession, le règne animal.

Le jardin des délices
Le règne végétal et minéral participe également à cet enthousiasme. L’humain perd son statut de centre du monde. La lumière rayonnante, symbole masculin, s’unit à l’eau, principe féminin. L’abondance d’amour est un débordement d’énergie. Bosch ne pas une fin en soi, un moyen pour aller ailleurs. Une transformation alchimique par la voie de l’amour. Les oiseaux symbolisent l’élévation. Une voie mystique.

Le jardin des délices
Tout en bas et à droite du jardin des délices, un personnage radieux, se démarquant des autres par son réalisme, sortant tout habillé d’une caverne montrant du doigt une femme le précédant et tenant une pomme de sa main droite, une Ève moderne. Juste derrière lui, une tête accolée à la sienne, celle d’un homme, le teint basané. Un amour homosexuel ? Ce personnage n’est pas sans évoquer l’homme-arbre du panneau de l’enfer musical, Bosch lui-même ou son commanditaire ? Le fait de sortir de la terre peut signifier qu’il vient de l’enfer. Qu’est-il en train de nous dire ? Le peintre veut-il nous signifier qu’il a réussi son entreprise alchimique de fusion, avec un homme ou une femme ? Veut-il dire que de leur union est né tout ce monde foisonnant qu’est le tableau ?

L'enfer musical
Comme tous les grands mystiques, Bosch est panthéiste. Chaque élément appelle son contraire pour entraîner la dynamique lui permettant de surmonter sa condition et de la transcender en valeur spirituelle. Aussi horrible que soit l’enfer, il est nécessaire à l’épanouissement de l’être. L’être perdu dans sa vérité unique est dérisoire, petit et perclus de péchés qui sont autant de freins à son développement. L’enfer est musical en ce qu’il réunit les êtres, leur permet de dépasser leurs erreurs. Passer par l’enfer est nécessaire pour atteindre l’élévation spirituelle. Les nombreuses chouettes que l’on voit dans ses tableaux rappellent qu’il faut atteindre le sens caché pour réaliser sa plénitude. En niant la nature, on s’en rend esclave.

L'homme-arbre
Bosch s’oppose à l’église voyant dans le célibat une condition indispensable à la spiritualité. Si l’enfer est un manque d’amour, l’enfer de Bosch n’évoque pas cette idée. La musique lie les êtres entre eux et ne les sépare pas. L’homme-arbre au centre du tableau dont le visage, peut-être celui de Bosch lui-même, n’a rien de diabolique, au contraire. Une forme d’œuf cassé laisse voir des personnages attablés. Selon la légende, il existe des tavernes où les âmes des condamnés font halte en attendant d’affronter l’enfer. Bosch montre une auberge où l’on se prépare à affronter les pires avanies de l’enfer auxquelles on doit sortir victorieux pour réaliser la plénitude de son être.
Un cheminement nécessaire à l’instar des mandalas bouddhistes que chacun réalise selon son penchant naturel, l’ange et le démon qui sont en nous. À cette différence, aucune route n’est tracée, chacun suivant son propre cheminement comme il l’entend. Tout en bas et à gauche, l’enfer du jeu, le hasard est incompatible avec la croyance en dieu. Thème religieux récurrent, le hasard est un aveuglement. Ouvrir les yeux, une condition à l’élévation. Dans cet endroit, la seule trace de végétal, les deux troncs morts formant les jambes de l’homme-arbre reposant sur deux embarcations dans une rivière noire. Le brasier supérieur laisse place à une eau gelée où l’on voit des patineurs. Quant au minéral, il brûle et ne soutient plus rien.

L'enfer musical
Alors qu’il y a dans l’Éden le mal du monde, il y a dans l’enfer, le bien qui permet d’en échapper. Le diable à tête de rapace en bas à gauche avale des humains qui renaissent sous forme de défécation, les corps blancs sont intacts, une nouvelle personnalité. Tout en bas à droite, un cochon avec le voile d’une nonne tente d’embrasser un homme dégoûté afin de lui faire signer un papier par lequel il donne ses biens à l’église. Le peintre condamne cette église qui prend et ne donne rien. En haut et à gauche de l’homme-arbre, les deux oreilles avec un couteau menaçant sont sans doute le symbole que celui qui sait écouter affute son esprit. Trancher est le fondement du discernement. L’enfer s’achève sur un brasier consumant la matière humaine en une nuit mystique préfigurant la nuit obscure de Jean de la Croix.

L'enfer musical
Ce n’est pas un homme à secte, ni à idées fixes. Chacune de ses œuvres est distincte avec un message différent. La folie (Excision de la pierre de folieLa nef des fous), la tromperie (L’escamoteur), l’indifférence (Le portement de croix), la méchanceté (Le couronnement d’épines), l’avidité (Le chariot de foin), le péché (Les sept péchés capitaux), la démence des foules (Ecce Homo), l’amour (Le jardin des délices), etc., des thèmes qui révèlent un esprit élaboré et réaliste. Une critique acerbe à laquelle nul n’échappe. Les personnages qui peuplent son œuvre ne sont pas tous des créations, certaines sont connues dans les enluminures du Moyen-âge. Son originalité n’est pas dans la représentation de monstres, mais dans leur mise en scène.
Une démystification de l’enfer. Un enfer non pour effrayer les esprits, le lieu d’une transformation. Le mal existe, il est en nous. Le feu infernal réalise les métamorphoses alchimiques, elles sont vitales à la réalisation de l’être. Ne pas passer par l’enfer, c’est se couper d’une partie de soi. Une notion d’égalité, tout le monde passe par l’enfer, un traitement identique pour tout le monde quelque soit sa condition sociale. Nul n’a le monopole de la libération et de la vérité. Le religieux à tête d’oiseau symbolise le prêcheur dont le discours équivaut aux piaillements d’un oiseau. La vérité ne peut être qu’en soi. Nous devons nous soutenir les uns et les autres, nous ne devons pas plus abdiquer à nous-mêmes qu’aux autres. L’enfer enferme l’être dans ses plaisirs et ses vérités. L’oreille attentive tranche pour garder la musique lui permettant d’atteindre l’illumination libératrice. Tout ce qui est séparé doit fusionner, l’unité sans laquelle rien n’est possible.
En 1517, le tableau est exposé dans le palais des comtes Nassau à Bruxelles, un endroit visité par de nombreux invités de marque. On pense qu’il aurait été commandité par Henri III (1483-1538), général et favori de Charles Quint, gouverneur de Hollande et héritier des Nassau en 1504. Il est réputé amoureux des plaisirs de la vie et se passionne pour les arts. L’œuvre intrigue et exalte.

Triptyque du jugement dernier (fermé)
Le triptyque du Jugement dernier ne présente pas les mêmes qualités picturales que les précédents. Une œuvre lourde aux couleurs ternes. Fermé, le triptyque présente l’image à gauche de Saint Jacques le Majeur, à droite de Saint Bavon sous l’apparence d’un seigneur faisant l’aumône. Ouvert, il offre au milieu la scène du jugement dernier. Tout paraît plus classique, plus prévisible même si l’imaginaire endiablé est là. Une œuvre plus sage dominée par un Christ triomphant entouré de la Vierge, de Saint-Jean-Baptiste, des apôtres et des anges. Les élus sont très peu nombreux. L’ensemble du panneau est dominé par les démons punissant chaque faute. À droite, une scène apocalyptique. Des historiens pensent qu’il s’agit d’un pastiche, malgré tout très proche du maître dans la représentation des démons, plus éloigné par la qualité des couleurs et la mise en scène du paradis. Une œuvre commencée par Bosch sans doute terminée par un de ses élèves ?

Le jugement dernier
L’idée de Bosch qui est au centre de toute son œuvre, où se trouve la limite entre deux états opposés, la folie et la raison, le juste et l’injuste, le beau et le laid, le paradis et l’enfer ? Ce tableau montre que dieu règne sur un enfer qui ne peut être aussi laid qu’il y parait. Un temple de la justice où l’on doit reconnaître des torts que l’on niait jusqu’ici. En payant pour ce que l’on fait, on se transforme, on change d’état. Bosch n’est fasciné ni par le bien, ni par le mal, mais par le passage de l’un à l’autre. La vision pessimiste du peintre implique une attitude qui conduit immanquablement à l’enfer, le lieu de toutes les transformations. L’enfer devient l’équivalent de ce qui se passe sur terre, obligation de se dépasser.

Visions de l'au-delà
La Vision de l’au-delà, quatre panneaux, probablement une œuvre de vieillesse, la chute des damnés, l’enfer, l’entrée du paradis et le paradis, des scènes puissantes dont l’ouverture du paradis, des démons torturant les âmes en peine et un personnage assis mesurant le poids de ses fautes entrainé par un démon. La lumière est particulièrement bien travaillée dans les scènes infernales. Une vision classique pour un monde en transition. La boucle est bouclée, le peintre peut retourner à son silence.

Visions de l'au-delà
Bosch ne se contente pas de montrer, il évoque le passage entre deux mondes. Ses visions sont extraordinaires parce qu’elles ont un sens. Nous avons oublié lequel. Le peintre raconte une histoire avec une multitude de messages que les gens de l’époque devaient comprendre, sinon à quoi bon ? Une écriture au style d’une rare subtilité. Le triptyque, un livre que l’on doit ouvrir, ouvrir ses sens. Un sens disparait, reste l’art, l’ultime fusion s’opère entre l’œuvre et soi, il faut s’y perdre, s’y abandonner pour s’y trouver.Wanderer
Museum Boymans van Beuningen (Rotterdam) dates "The wanderer" approximately 1500-m year, but bogovidenie highly reputable and steady is the point of view that the painting was created, 10 years, or even 15 later and hence it is one of the last works of Bosch, a kind of final reflection of the artist about his past life.


The image is inscribed in a circle. I believe that originally the painting had a rectangular format which was later converted into an octagonal (presumably in the seventeenth century).
The second title, sometimes applied to the picture – "The prodigal son". It refers to the relevant biblical parable, the iconography of which was made up of three parts: "Leaving home", "Scene in tavern" and "Return to my father's house". However, Bosch does not adhere to this traditional scheme. In the background of the hero really waiting for the tavern, but there is no certainty that the prodigal son, repentant, returns to his father's arms. However, in a spiritual sense every Christian is a pilgrim, a stranger, wandering among hostile realities in search of the lost heavenly homeland.

Travelers-doubles

"The wanderer" from Rotterdam is very similar another traveler by Bosch with external shutters of the triptych "the hay" (Prado, Madrid). But, in the apparent similarity of the Central figures and the General composition, there are significant differences in semantic nuances.

Rotterdam "the wanderer", in comparison with the character of the Madrid triptych, seems to be more broken and more confused. His knee sticking out of the ripped pants, and ankle of the other foot bandaged. It could indicate not only the physical disease: damage to the feet in a symbolic sense, meant debauchery. Distinguished shoes left and right feet, shoes and slipper, indicates promiscuous.

It is unclear what should symbolize the two hats of hero – one at the head and another in his hand. Big straw box behind hints at hardship. To the side of the box attached a large spoon and cat skin, symbols of Vice. Specialists in medieval culture point out that beating a dead cat was considered one of the most shameful punishments.

From the dangers of the temptations

Pilgrim with outer flaps of the "hay" was surrounded by a continuous danger: he threw the dog next over gnawed bones the circling crows, the robbers robbed near the passer, and on the horizon stood the gallows. But the hero of "Wanderer" from Rotterdam moving in the environment is not so hostile. The dog is not aggressive and the stranger does not need to be driven away with staves. Rather, the dog symbolizes libel and slander that accompanies a traveler on life's journey. The landscape in Rotterdam "the Wanderer" contains nothing particularly sinister. On the contrary: it is believed that this is one of the most delicate and beautiful landscapes of Bosch, beige-grey palette which perfectly conveys light and air cloudy Dutch day.

Obvious and grave dangers of "hay" in "the Wanderer" from Rotterdam confront the more subtle spiritual threat of temptation. The major point of attraction for the traveler is getting the tavern. There is no consensus of whether a character from it or fighting with himself to not collapse. But the tavern in the picture is Bosch definitely looks disgusting refuge of brutality, filth and depravity. Her torn roof, broken Windows and rickety shutters are crying about the deviation from healthy lifestyles. Pigs to the trough with food, and chicken on a pile of garbage associated with the visitors hot spots, one of which defecate on view, and two others without embarrassment hug in the doorway. In the hands of women and at the top of the house depicts the pitcher, symbolic "vessel of sin".

Indecisive pose and confused face "Traveler" makes a more logical assumption that he's experiencing an inner struggle and has a chance to avoid temptation, but expected by many researchers is the resemblance of the hero by Bosch allows you to see in the picture is a personal confessional. Kind of pathetic hero makes clear that he is a sinner, but still not completely fallen, like heroes of many eschatological paintings of Hieronymus Bosch, about the end of the world and the last judgment, and having the prospect of salvation. Owl on the tree, a symbol of evil and death, does not sleep and is closely monitoring the traveler. But the peaceful field in front and a cow behind a wooden gate on the right, perhaps is an indication of the correct path and safe return home. "There is even reason to see in this gate and fields that open behind it, some connection with the words of Christ, who in the gospel of John says: "I am the door: if anyone enters by Me, he shall be saved, and shall go in and out, and find pasture" (Jn.10:9)"" writes Walter Bosing, author of the book "Hieronymus Bosch. Between Hell and Paradise."

Author: Anna Yesterday

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