Huit panneaux restaurés de L’Agneau mystique sont exposés au Musée de Gand, en Belgique, avec dix autres œuvres de Jan Van Eyck. Un hommage exceptionnel au génial primitif flamand.
Cet Adam, à taille humaine, nu comme un ver et prêt à sortir du cadre, le pied pointé vers nous, jamais il n’avait paru si proche !
Un maniaque pourrait même s’amuser à compter les poils de ses jambes, peints avec précision par Jan Van Eyck !
Habituellement, Adam trône dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand (Belgique), tout en haut à gauche du monumental retable de L’Agneau mystique, les yeux tournés vers Ève qui lui tend un cédrat, l’amer fruit du péché.
C’est l’origine du récit dénoué dans le panneau central où l’agneau christique verse son sang devant une foule de saintes, d’évêques et de pieux personnages, sur une prairie verte comme l’espérance.
Pour saluer la restauration des deux premiers tiers de ce retable, achevée en 2019 à la vue du public, le Musée des beaux-arts de Gand a conçu une exposition remarquable autour des huit panneaux des volets extérieurs, plus l’Adam et l’Ève au revers, et dix autres peintures de Jan Van Eyck, soit la moitié de son corpus connu.
En regard, des œuvres de ses suiveurs ou contemporains italiens attestent de l’impact foudroyant de cette comète flamande à l’aube du Quattrocento.
Car s’il n’a pas inventé la peinture à l’huile, le peintre de Philippe Le Bon la maîtrise, pour la première fois, en virtuose.
Par ses fins glacis, il excelle dans le rendu des textures, des transparences et des reflets. En comparaison, les couleurs à la détrempe d’un Masaccio ou d’un Fra Angelico paraissent bien naïves.
Le souci d’exactitude du Flamand est tel que le professeur Maximiliaan Martens, de l’université de Gand, a réussi à dater les rayons du soleil éclaboussant L’Agneau mystique, magnifiquement révélés par l’enlèvement de repeints du XVIe siècle .
« Cette lumière, qui arrivait par une fenêtre au Sud dans la chapelle de Joos Vijd, le commanditaire du retable, correspond à celle du début d’après-midi, vers le solstice d’été », affirme-t-il.
Or Jan Van Eyck ne pouvait bénéficier de cet éclairage naturel, en permanence dans son atelier. Seules de solides connaissances scientifiques – attestées par ses contemporains – lui ont permis de le recréer.
Regardez ce trompe-l’œil : le panneau de Saint Jean Baptiste, peint sous une arcature gothique comme une statue de marbre, dont le poli luisant invite à la caresse !
Voyez encore, dans le panneau de L’Annonciation, cette carafe d’eau pure, métaphore de la virginité de Marie, traversée par un rayon céleste !
Chez Van Eyck, la lumière symbolise l’illumination divine, aussi miraculeuse que les lois de l’optique qui distillent partout reflets, réfractions et points focaux, sur les armures et les brocards, les perles et les pierres précieuses…
L’acuité visuelle du peintre explose encore dans maints détails. Le manuscrit des Heures de Turin-Milan conserve ses rares enluminures, témoins de son art du minuscule.
Sa perspective reste aérienne, loin de celle à point de fuite unique qui se répand alors dans les ateliers italiens.
Mais dans ses lointains bleutés, des montagnes enneigées ou des monuments de Jérusalem mêlés aux façades à pignons et aux clochers dentelés de Bruges, interrogent sur les « voyages secrets » que notre peintre espion accomplit pour le prince des Pays-Bas bourguignons.
La Lune, avec ses taches observables à l’œil nu, se détache parfois sur ses ciels, à côté de stratus, ou cirrus dignes d’un bulletin météo.
Dans deux petits Saint François recevant les stigmates, Van Eyck a peint les rochers avec la même curiosité savante, détaillant leurs strates, leurs veines et leurs fossiles.
Sur les volets intérieurs de L’Agneau mystique conservés à la cathédrale, il a semé aussi 75 espèces de végétaux dont 48 identifiés par les botanistes.
Leur diversité semble entonner un hymne à la Création, tout comme le chœur polyphonique des anges au-dessus, grimaçant des vocalises.
La même expressivité se retrouve dans le Christ joueur de la Vierge à la fontaine que copiera plus tard Gérard David ou dans l’ange rieur de L’Annonciation prêtée par la National Gallery of Art de Washington.
Dans le diptyque du Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid, Marie, changée en statue de pierre, n’en lève pas moins des yeux surpris vers l’oiseau qui vient de rentrer dans sa chambre, interrompant sa lecture.
À la fin du parcours, une série de portraits intenses confirment l’apport révolutionnaire de Van Eyck.
De face ou de trois quarts – quand les Italiens peignent encore des profils en médaille – ces hommes et femmes fascinent par leur réalisme.
L’un arbore des rides profondes, l’autre (Joos Vijd) une collection de verrues, un troisième (peut-être le compositeur Gilles Binchois) un beau regard humide, tandis qu’un quatrième à la barbe naissante pose sa main sur le cadre pour pénétrer dans notre espace. Ils ont traversé près de six siècles. On jurerait les avoir croisés hier.
Les étapes d’une renaissance
Les étapes d’une renaissance
2012-2016. Restauration des volets extérieurs de L’Agneau mystique par l’Institut royal du patrimoine artistique de Belgique. 2016-2019. Restauration du registre inférieur central.
2020. Jusqu’au 30 avril, exposition « Van Eyck. Une révolution optique » au Musée des beaux-arts de Gand (vaneyck2020.be).
22 septembre. Création dans la cathédrale d’une composition d’Arvo Pärt sur L’Agneau mystique. 8 octobre. Déménagement du retable dans une nouvelle vitrine de la chapelle d’axe.
Ouverture d’un centre d’interprétation dans la crypte sur l’histoire de l’œuvre et de l’édifice. 2021-2024.
Restauration du registre supérieur du retable.
La lumière retrouvée de Jan Van Eyck
Sabine Gignoux
Sabine Gignoux
Un magnifique site à visiter
« Van Eyck. Une révolution optique »
Musée des beaux-arts de Gand (Belgique)
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