Archives du blog

samedi 15 février 2020

Jan Van Eyck, le Flamand flamboyant (article)

https://www.parismatch.com/Culture/Art/Jan-Van-Eyck-le-Flamand-flamboyant-1673858

Jan Van Eyck, le Flamand flamboyant

« L’adoration de l’Agneau mystique », 1432.
« L’adoration de l’Agneau mystique », 1432.
H.Maertens / KIK – IRPA / Lukasweb.be / Art in Flanders
Gand rend justice au plus révolutionnaire de ses peintres, Jan Van Eyck. Un génie avant-gardiste qui n’a rien à envier aux maîtres italiens de la Renaissance. 
« Renaissance italienne », « Renaissance italienne »… L’histoire de l’art n’a que ce concept aux lèvres. Pourquoi pas ? Le monde entier reconnaît sa dette à l’égard de Giotto, Masaccio, Fra Angelico ou Piero della Francesca. Seule une région du monde s’énerve : les Flandres. Et si vous voulez achever de les agacer, parlez de leurs propres peintres comme des fameux « primitifs flamands ».
Comment ça, « primitifs » ? Ils le prennent très mal. C’est une mauvaise plaisanterie. Pas question d’oublier qui a développé en premier la peinture à l’huile. Pas question non plus d’ignorer que la perspective en peinture doit plus à Bruges et Gand qu’à Florence ou Sienne. Si vous en doutez, filez à Gand. On y rend en ce moment hommage à Jan Van Eyck (1390-1441).
A l’époque, vers 1420, Gand étincelle. Au confluent de la Lys et de l’Escaut, couverts de vaisseaux, elle compte 60 000 habitants. Après Paris, qui en abrite 80 000, c’est la plus grande ville européenne au nord des Alpes. C’est ici que naîtra Charles Quint en 1500. Pour l’instant, c’est son arrière-arrière-grand-père, Philippe le Bon, qui y tient volontiers sa cour, somptueuse entre toutes. Duc de Bourgogne, il a été élevé dans la cité. C’est le souverain le plus riche d’Occident. Ses terres vont de Dijon à Amsterdam. Tout le textile d’Europe passe entre ses mains. Bruxelles, Bruges, Louvain, Anvers lui paient tribut. Il fait même la loi en France, où il a mis sur la touche le roi Charles VI, ravagé par ses accès de folie. C’est lui, par exemple, qui vendra Jeanne d’Arc aux Anglais. Honte à lui !
Mais Gand s’en moque. La ville ne pense qu’au commerce et s’en porte fort bien. Eglises, cathédrale, beffroi, tours, monastères, hôtels particuliers… Par ici, le Moyen Age a des douceurs de pure laine. Inutile de dire que les artistes s’y prélassent comme des serpents dans l’herbe. Ils sont légion. Bourgeois, artisans aisés, nobles, marchands, banquiers, églises et couvents leur adressent commande sur commande. De Gerard David à Hans Memling en passant par Rogier Van der Weyden (un Français, de son vrai nom Rogier de La Pasture) ou Robert Campin, la liste de ceux qui fréquenteront la ville est interminable. Le plus célèbre, le plus doué, le plus innovateur s’appelle Jan Van Eyck.

L’exposition au Musée des Beaux-Arts de Gand présente aussi des portraits de la haute société bourguignonne et d’autres scènes religieuses

En fait, il est de Bruges, juste à côté. Vite repéré par le duc, il est son protégé et lui servira plusieurs fois d’ambassadeur – comme, plus tard, Titien pour Charles Quint ou Rubens pour Philippe III d’Espagne ou Ferdinand II de Habsbourg. En 1432, lors de l’inauguration de son œuvre la plus célèbre, le retable de « L’Agneau mystique », dans une chapelle de la cathédrale Saint-Jean (qui deviendra plus tard Saint-Bavon), le duc est là, bien entendu. Impossible de ne pas assister au triomphe de son protégé. Le polyptyque est éblouissant. Sur les panneaux du haut, le ciel avec Dieu le Père. Sur ceux du bas, la terre avec l’Agneau mystique symbole de Jésus, les martyrs, les philosophes, les prêtres, les apôtres, les chevaliers et les pèlerins. Au-dessous, sur la prédelle aujourd’hui disparue, il y avait l’enfer.
En tout, il y a 144 personnages. Un seul d’entre eux rit : le diable. Tous les autres observent et admirent l’agneau au flanc percé représentant le Christ se sacrifiant pour la rédemption des hommes. Quand on referme les battants de l’œuvre, on voit saint Jean et saint Jean-Baptiste peints en grisaille ainsi que Joost Vijdt, le premier échevin de la ville, marguillier de la cathédrale et commanditaire de l’œuvre, et son épouse. Une chose saute aux yeux : la finesse de tous les traits, le soin apporté aux costumes, l’exactitude des perspectives. A l’époque, c’est une révolution optique. On entre dans le tableau. Tout semble naturel. Soudain, la peinture antérieure paraît figée. Un réalisme nouveau est né. Et avec une précision révolutionnaire. La peinture à l’huile nous fait passer de l’ombre à la lumière. On n’avait jamais vu un tel éclat sur du bois. Grâce aux liants qu’utilise Van Eyck, tout devient lumineux, vernis, transparent, net et nuancé. Les fidèles sont hypnotisés.
Du jour au lendemain, le peintre entre en pleine gloire. L’exposition au Musée des Beaux-Arts de Gand présente aussi des portraits de la haute société bourguignonne et d’autres scènes religieuses. Avec un vice délicieux, les conservateurs se sont fait un plaisir de mettre côte à côte des œuvres peintes exactement en même temps par Masaccio ou Fra Angelico. Disons que c’est un manque flagrant de charité. Voilà d’où vient sans doute l’expression « flamands rosses ».

SC_SC_affiche
« Van Eyck. Une révolution optique», jusqu’au 30 avril au MSK de Gand.

SC_SC_81BVidpiV6L
« L’agneau mystique – Van Eyck », 368 pages, 60 euros.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire