Reines du Moyen Âge – Sur la trace de célèbres inconnues
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En ce mois d’avril, le Royal Blog de Paris Match vous propose de mieux connaître les reines du Moyen Âge. Troisième épisode: l’historienne Sophie Brouquet, qui vient de signer un livre sur le sujet, répond à nos questions.
Belle idée que celle de l’historienne et historienne de l’art Sophie Brouquet, qui enseigne l’histoire médiévale à l’université de Toulouse II le Mirail, d’avoir consacré un livre «grand public» aux reines de France du Moyen Age. Publié en octobre 2015 aux éditions «Ouest-France», l’ouvrage richement illustré d’enluminures et autres documents anciens présente, avec plus ou moins de détails selon les connaissances actuelles, les 34 reines que le royaume de France a connues du XIe au XVe siècle. Dans une seconde partie, l’auteur traite du sujet thématiquement, parlant tour à tour de la façon dont les reines étaient choisies à l’époque, de leurs mariages, couronnements et funérailles, de leurs maternités, des personnes qui gravitaient autour d’elles, de leurs pouvoirs, de leurs mécénats…
Sophie Brouquet a répondu aux questions du Royal Blog de Paris Match
Paris Match. Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux reines de France du Moyen Âge?
Sophie Brouquet. Passionnée par le Moyen Age et l'histoire des femmes, j'ai constaté assez rapidement que les reines du Moyen Age demeurent, pour beaucoup de nos contemporains, des inconnues. Rares sont les ouvrages qui s'intéressent à elles, à l'exception de quatre «stars »: Aliénor d'Aquitaine, Blanche de Castille, Isabeau de Bavière et Anne de Bretagne, c'est très peu sur la trentaine de reines qui se sont succédé pendant cette longue période. En me penchant sur leur histoire, j'ai pu rencontrer des personnalités surprenantes et attachantes, des femmes fortes ou des victimes.
Pour connaître les reines, il faut souvent passer pour leurs royaux époux
De quelles sources dispose-t-on pour connaître ces reines qui vécurent du XIe au XVe siècle?
Pour enquêter sur les reines de France, il faut souvent passer par les rois qui disposent d'une importante documentation. Les chroniques de leurs règnes évoquent les événements essentiels de la vie des reines, mariage, naissances de leurs enfants, mort et funérailles. Elles permettent pour certaines d'approcher au plus près de la vie des reines comme par exemple la «Vie de saint Louis», de Jean de Joinville, un chroniqueur très proche de la reine Marguerite de Provence qui rapporte leurs discussions pendant la croisade du roi en Terre Sainte. Nous possédons aussi des lettres des reines à leur famille ainsi que les comptes de leurs domaines qui évoquent leur train de vie.
Comment au Moyen Âge étaient choisies les futures reines, sur quels critères? S’agissait-il toujours de mariages «diplomatiques»?
Les fiançailles des futures reines de France sont souvent conclues dès leur plus tendre enfance entre leur père et celui de leur futur mari à des fins diplomatiques. Le roi de France est placé devant un dilemme, soit il choisit une princesse étrangère, une fille de roi, comme Blanche de Castille, pour sceller une paix ou conclure une alliance de prestige, mais ce choix peut aussi se révéler dangereux si la reine est suspectée par la suite de se désintéresser des affaires du royaume ou apparaître comme «l'agent de l'ennemi», comme Isabeau de Bavière, soit préférer une princesse française. Dans ce cas, le mariage est moins prestigieux, mais il peut être fort utile pour consolider le pouvoir du roi au sein de son royaume, comme l'a fait la femme d'Hugues Capet Adélaïde de Poitou.
Donner un héritier au roi ou être répudiée
Le rôle premier d’une reine était de donner des descendants et notamment un héritier mâle au roi. Mais quels étaient leurs liens avec leurs enfants? Était-ce elles qui les élevaient?
Dès son mariage, la reine est scrutée par la cour. Sa première fonction est effectivement de donner naissance à un héritier mâle et celles qui n'y parviennent pas comme Aliénor d'Aquitaine encourent le risque de la répudiation. Les rapports entre les reines de France et leurs enfants varient selon leur personnalité, l'époque et le rang de l'enfant dans la fratrie. Si l'on prend l'exemple de Blanche de Castille, tous les chroniqueurs soulignent sa proximité avec son fils aîné Louis, le futur saint. La reine se montre soucieuse de son éducation religieuse, mais aussi sévère, tandis qu'elle est très indulgente envers son dernier né Charles d'Anjou, dont elle a accouché après la mort de son mari Louis VIII. Si les fils sont rapidement confiés à des précepteurs, le plus souvent des clercs, les princesses de France restent souvent très proches de leur mère et partagent son quotidien jusqu'à leur mariage.
Certaines de ces reines du Moyen Âge ont-elles eu un vrai pouvoir politique au côté de leur mari ou comme régente de leur fils?
Si le miracle Capétien a fait que chaque roi de France a eu un fils pour lui succéder jusqu'aux «rois maudits», puis sous les Capétiens Valois, et donc que la reine n'est pas la souveraine mais la femme d'un roi, cela ne veut pas dire que les reines n'ont pas eu l'occasion d'exercer un pouvoir, comme gardiennes du royaume (le terme de régente n'apparaît qu'au XIVe siècle). Si les régences de Blanche de Castille et d'Isabeau de Bavière sont bien connues, il existe aussi d'autres façons de régner. Au début de la dynastie, la reine de France est associée aux actes du roi comme «consors», un terme qu'il vaut mieux traduire par l'adjectif «partenaire», plutôt que consort. Leur avis est écouté, elles agissent en particulier en matière de diplomatie.
La deuxième femme de Philippe Auguste, une reine au bien curieux destin
Parmi toutes ces reines que vous avez étudiées, quelle est celle que vous préférez et pour quelles raisons?
Parmi toutes les reines que j'ai étudiées, ma préférée n'est pas la plus connue, mais son histoire est sans conteste la plus étrange, il s'agit d'Ingeburge de Danemark. Son origine est déjà un sujet d'étonnement, elle est la seule reine française de naissance scandinave, mais ce sont surtout ses démêlés avec son mari, le grand Philippe Auguste qui demeurent un mystère pour les historiens. Elle est la deuxième femme du roi qui, devenu veuf, a désiré conclure une alliance avec le Danemark. A peine arrivée en France, elle est mariée au roi, couronnée le lendemain et le jour même, son mari veut la répudier. Pendant plus de vingt ans, Ingeburge, malgré toutes les pressions qui sont exercées contre elle par le roi de France, refuse de céder. Tenue prisonnière dans un monastère, elle ne faiblit pas, fait appel au pape qui prend sa défense, et au terme d'un long combat, elle a gain de cause et revient à la cour, quelques années avant la mort de Philippe Auguste.
En pratique
«Reines du Moyen Âge» par Sophie Cassagnes-Brouquet, éditions Ouest-France, octobre 2015. 144 pages et 100 illustrations. En vente en librairie au tarif de 30 euros.
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