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vendredi 13 mars 2020

TITIAN 2 (1488/89-1576)

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Tiziano_Vecellio_dit_en_fran%C3%A7ais_Titien/146912


Tiziano Vecellio, dit en français Titien

Titien, Autoportrait

Peintre italien (Pieve di Cadore 1488 ou 1489-Venise 1576).

1. UN PEINTRE DE DIMENSION INTERNATIONALE

1.1. LA SOCIÉTÉ VÉNITIENNE




Titien appartient incontestablement à l'école vénitienne, dont il a été l'un des chefs de file au xvie s. Cependant, à la différence d'un Tintoret, voire d'un Véronèse, son activité ne s'est pas exercée entièrement dans le cadre de Venise ou de la Vénétie, et une visite de Venise ne permet pas d'en avoir une vue d'ensemble ; elle a débordé largement ce cadre, prenant des dimensions italiennes et même européennes. La société de Venise – gouvernement, familles patriciennes, églises, scuole – occupe une grande part dans l'œuvre de Titien.

1.2. LA FAVEUR DES COURS EUROPÉENNES




Toutefois, le renom du peintre, longtemps entretenu par la plume de l'Arétin, dont il fut l'ami, lui valut la faveur des cours : cours princières de l'Italie (Ferrare, Mantoue, Urbino) ; cours pontificale et de la famille Farnèse, à Rome et à Parme ; cour des Habsbourg surtout, à partir de 1530 environ, grâce à la protection de Charles Quint puis de Philippe II d'Espagne. Peintre de cour, et de stature internationale, Titien a fait des voyages lointains, notamment à Rome en 1545, à Augsburg en 1548 et en 1550. L'étendue de sa clientèle est pour beaucoup dans le fait que son œuvre se partage très largement entre les grands musées du monde, le Prado de Madrid et le Kunsthistorisches Museum de Vienne venant en premier lieu. Venise et les villes placées autrefois dans la sphère vénitienne ont gardé surtout les grandes peintures religieuses.
La carrière de Titien présente un autre trait dominant : sa longueur. Avec la capacité de renouvellement qui fut toujours celle du maître, on comprend que l'œuvre accuse une évolution très sensible.

2. À LA RECHERCHE D'UN STYLE

2.1. L'INFLUENCE DE DEUX MAÎTRES




Venu très jeune à Venise, Titien entra dans l'atelier de Giovanni Bellini ; puis il devint le disciple de Giorgione, avec qui il se mesurait dès 1508 dans la décoration à fresque, aujourd'hui à peu près disparue, du Fondaco dei Tedeschi. L'influence de ces deux maîtres, du second surtout, a évidemment marqué la formation de Titien.
Dès le début, cependant, celui-ci prit ses distances avec le giorgionisme, grâce à un tempérament robuste et plus enclin au ton héroïque qu'au lyrisme intime. C'est ce qu'atteste son premier grand ouvrage, de 1511, les fresques de la scuola del Santo de Padoue, qui illustrent trois miracles de saint Antoine et où les oppositions de tons accusent le relief des formes. Vers la même époque, avec le Saint Marc trônant entre quatre saints (église Santa Maria della Salute à Venise), Titien reprend avec plus d'assurance le schéma de la Pala de Castelfranco de Giorgione.

2.2. LA BEAUTÉ FÉMININE




D'autres compositions, comme le Concert champêtre longtemps attribué à ce maître (Louvre, Paris) ou le Noli me tangere (National Gallery, Londres), placent les figures au sein d'une nature poétique, dans l'esprit du giorgionisme, mais sans laisser une aussi grande part à l'imprécision du rêve. Des figures à mi-corps (vers 1515), Salomé (galerie Doria, Rome), Flore (Offices, Florence), chantent déjà voluptueusement la beauté féminine. Elles nous conduisent à un chef-d'œuvre, l'Amour sacré et l'Amour profane (galerie Borghèse, Rome), tableau dont le sujet reste mystérieux ; une lumière cristalline y baigne les figures, qui, appuyées à un sarcophage sculpté, se détachent harmonieusement sur le fond de paysage.

3. L'AFFIRMATION DU GÉNIE

3.1. LA GRANDE PEINTURE RELIGIEUSE




Commandée en 1516, inaugurée en 1518, l'Assomption du maître-autel de Santa Maria dei Frari, à Venise, est le premier grand tableau religieux de Titien, qui y trouva sa consécration officielle. Une impérieuse unité d'action, qui s'inspire peut-être de Raphaël et annonce le baroque, lie les différentes parties et marque la rupture avec les types traditionnels de composition ; la sonorité puissante du coloris exalte la vivacité de la lumière et impose au regard la densité des formes.
Ce souffle unitaire anime d'autres grands tableaux d'églises : la Madone apparaissant à deux saints et à un donateur (1520, Pinacoteca civica Podesti, Ancône), l'Annonciation de la cathédrale de Trévise, avec sa perspective architecturale éloignant vers l'arrière-plan la figure de l'archange.

3.2. L'EXALTATION PAR LA COULEUR

Dans le Polyptyque Ave roldi (Santi Nazzaro e Celsio, Brescia), peint à Brescia entre 1520 et 1522, la division, probablement voulue par le donateur, en cinq panneaux, dont le principal représente la Résurrection, est archaïque, mais la vivacité de la touche et des effets lumineux témoigne d'un esprit moderne.
Titien revint à la fresque en 1523 avec la figure de Saint Christophe, puissante et mouvementée, qui subsiste au palais ducal de Venise. Dans la Mise au tombeau (1525, Louvre), l'agencement des masses colorées se prête à l'expression de la douleur. Commandée en 1519, inaugurée en 1526, la Madone de la famille Pesaro fait écho, dans l'église dei Frari, au coup d'éclat de l'Assomption, tout en innovant par l'incorporation habile de portraits et par un dynamisme que traduit l'architecture en perspective. Un souffle encore plus convaincant animait le Martyre de saint Pierre Dominicain, des Santi Giovanni e Paolo de Venise (1528-1530), détruit en 1867 par un incendie.



Dans la même période, celle de l'exaltation de la forme par la couleur, Titien commençait sa carrière de cour en peignant pour le cabinet d'Alfonso Ier d'Este à Ferrare (1518 à 1523) des compositions mythologiques où l'humanisme est vivifié par une sève vigoureuse : l'Offrande à Vénus et la Bacchanale (Prado), Bacchus et Ariane (National Gallery, Londres).

4. LA CONSÉCRATION INTERNATIONALE

À partir de 1530 environ, la renommée italienne et européenne de Titien élargit le champ de son activité. La libération de la touche, l'atténuation des contours, la recherche d'accords plus subtils et l'étude des reflets marquent alors l'évolution de sa manière.
De brillants portraits accompagnent des tableaux de format modeste comme la Vierge au lapin (Louvre). La cour ducale d'Urbino commanda la Vénus d'Urbino (1538, Offices), dont la composition raffinée enveloppe un nu au modelé magnifique. Dans Alfonso de Ávalos haranguant ses troupes (Prado), une noblesse de bas-relief antique s'allie à la force du coloris.
Les grandes commandes vénitiennes ne cessaient pas pour autant. Si l'on ne connaît que par la gravure et des copies la vive animation de la Bataille de Cadore du palais ducal, brûlée en 1577, on voit encore à son emplacement d'origine – la scuola della Carità, devenue l'Accademia – la Présentation de la Vierge peinte entre 1534 et 1538, vaste composition en frise, de caractère plus narratif et plus analytique, où apparaissent des accents de réalisme familier.

5. L'INTERMÈDE MANIÉRISTE




Ouvert à toute expérience, Titien ne pouvait totalement ignorer ce mouvement du maniérisme qui triomphait en Italie et dans une partie de l'Europe, mais auquel Venise opposait une ferme résistance. Un court épisode de sa carrière, entre 1541 et 1545 environ, le montre tenté par une version mâle du maniérisme, dérivée de Michel-Ange et importée en Vénétie par le Pordenone.
La Vision de saint Jean l'Évangéliste, morceau central du plafond de la scuola di San Giovanni (National Gallery de Washington), et les trois scènes bibliques provenant du plafond de Santo Spirito a Isola (sacristie Santa Maria della Salute) témoignent de l'orientation nouvelle avec leur perspective oblique, leurs raccourcis, le jeu tendu des musculatures et la subordination de la couleur au dessin, évidente aussi dans des compositions non plafonnantes comme le Couronnement d'épines provenant de Santa Maria delle Grazie de Milan (Louvre).

6. LE RETOUR À LA COULEUR




Le tempérament vénitien eut cependant vite fait de reprendre l'avantage, si bien que la période allant de 1545 à 1560 environ semble continuer celle d'avant la « crise » maniériste. On y compte peu de grandes commandes religieuses (le Martyre de saint Laurent de l'église des Jésuites de Venise, 1559, nouveau par ses effets de clair-obscur).
Titien fut alors surtout le peintre des cours italiennes et européennes, confirmant sa maîtrise dans le portrait, le petit tableau religieux, le sujet mythologique où l'interprétation humaniste de la culture païenne se pare d'un coloris raffiné. Pour les Farnèse fut peinte en 1545 la Danaé (galerie nationale de Capodimonte, Naples), où la gamme, plus sourde, gagne en délicatesse ce qu'elle perd en éclat. Charles Quint et Philippe II multiplièrent les commandes : Vénus et l'Amour avec un organiste (Prado), thème repris deux fois avec des variantes (Prado et musée de Berlin) ; la Vierge de douleur (Prado) ; en 1553 Vénus et Adonis (Prado) ; en 1556-1559, Diane et Actéon, Diane et Callisto (National Gallery d'Édimbourg).

7. LA PÉRIODE FINALE

En 1560, Titien avait encore seize ans à vivre ; cela lui permit de confirmer sa faculté de renouvellement. La manière de sa vieillesse tend à l'effacement des contours. La forme se dilue dans une pâte lentement travaillée, et surtout avec les doigts ; les tons rompus et changeants, plus sombres mais traversés d'éclairs, sont d'une gamme à dominante chaude. C'est ce que fait apparaître vers 1560 une Diane et Actéon (National Gallery, Londres), scène au climat mystérieux et romanesque, peinte pour Philippe II comme l'Enlèvement d'Europe (1562, Gardner Museum, Boston).
Vers 1565, cette orientation se confirme avec un grand ouvrage vénitien, l'Annonciation de San Salvatore. À partir de 1570, l'éparpillement de la touche et l'ambiance crépusculaire achèveront de dissoudre la forme ; ce que montrent la Nymphe avec un berger (Kunsthistorisches Museum, Vienne), Tarquin et Lucrèce (Fitzwilliam Museum, Cambridge), enfin la tragique Pietà de l'Accademia de Venise, que Titien destinait à sa sépulture.

8.TITIEN PORTRAITISTE

8.1. UNE EXPRESSIVITÉ SAISISSANTE




D'un bout à l'autre de sa carrière, Titien a peint d'admirables portraits. Déjà, vers 1510, ceux d'un homme au pourpoint bleu sur fond bleu et d'une femme derrière un bas-relief (National Gallery, Londres) frappent autant par l'efficacité de la mise en page que par la maîtrise des accords de tons ; et dans le Concert du palais Pitti à Florence, attribué à Titien avec vraisemblance, la tête du musicien est d'une expressivité saisissante.
De plus en plus, Titien s'attachera à donner le sentiment de la vie par le choix de l'attitude, l'intensité du regard, la palpitation des chairs, et aussi par le soin apporté à l'étude des mains. Il est certes des portraits où l'économie des moyens renforce l'impression de présence du modèle : Vincenzo Mosti (palais Pitti, Florence) et l'Homme au gant (Louvre), de 1525 environ, avec leurs belles modulations de gris pour le premier, de noirs pour le second ; le Jeune Anglais (palais Pitti), de 1535 environ ; les autoportraits de la dernière période (Prado et Stiftung Staatlicher Museen, Berlin). Cependant, Titien, plus souvent, a voulu dépasser les limites du genre, faire du portrait un tableau.

8.2. L'IMPORTANCE DES ACCESSOIRES




En coloriste vénitien, il a tiré parti des somptueux costumes du temps : costumes des patriciens et des dignitaires de la République, comme en témoigne le doge Andrea Gritti (National Gallery de Washington) ; costumes de cour, surtout, car Titien fut le plus grand portraitiste de cour de son siècle, habile à faire concourir la mise en scène et les accessoires à la définition du modèle – comme le montre aussi la statuette tenue par l'antiquaire Jacopo Strada (Kunsthistorisches Museum, Vienne).
Frédéric II de Gonzague avec son chien (Prado), le cardinal Ippolito de Medici en habit hongrois (palais Pitti) précèdent les portraits peints entre 1536 et 1538 pour la cour d'Urbino : la Bella (palais Pitti) au corsage bleu, proche de la Jeune Femme à la fourrure (Vienne) ; Francesco Maria Della Rovere, à l'armure riche en reflets, et son épouse Eleonora Gonzaga (Offices). Rassemblés dans la Galerie nationale de Capodimonte, les portraits des Farnèse comprennent notamment celui de Paul III avec Alessandro et Ottavio Farnèse (1545).
Peint en 1538 d'après une médaille de Cellini, le portrait de François Ier (Louvre) ne fait pas oublier que Titien s'est surpassé dans ceux des Habsbourg conservés au Prado : Charles Quint debout avec un chien (1532), à cheval à la bataille de Mühlberg (1548), assis et méditatif ; Philippe II en pied, peint en 1551 à Augsbourg.
9. L'ART DE TITIEN ET SON RAYONNEMENT

9.1. PLÉNITUDE DE LA FORME




Dans la variété des manières successives, on discerne la continuité d'un métier peu spontané, réfléchi, fruit d'un long travail dont d'admirables dessins à la plume font connaître le point de départ. Contenu au début dans des formes arrêtées, puis de plus en plus libre, le maniement du pinceau joue un rôle qui n'avait pas encore eu autant d'importance dans l'histoire de la peinture. C'est lui qui fond, module ou oppose les couleurs dont l'accord, fait de l'équilibre des tons froids et des tons chauds (sauf dans la dernière période, où ceux-ci prédominent), donne à la forme sa plénitude.

9.2. VERS LE BAROQUE

Il ne faut cependant pas ramener la peinture de Titien à quelque chose d'uniquement sensoriel, malgré le regard voluptueux qu'il pose sur les êtres et sur les choses. Sa vision s'ordonne en compositions amples et dynamiques qui tranchent avec le cloisonnement traditionnel, évitent la complication maniériste et ouvrent la voie au baroque. Titien a su enfin plier son métier aux exigences du sujet et faire passer en celui-ci la flamme de l'esprit, qu'il s'agisse de portraits, de thèmes religieux ou de mythologie.



À Venise, de son temps, Titien a eu quelque influence sur des peintres secondaires, Palma il VecchioParis Bordone, Bonifacio De Pitati (1487-1553), et aussi sur le Tintoret et sur le Véronèse. Plus remarquable est cependant le rayonnement posthume de celui qui sera longtemps défini comme le porte-drapeau de la couleur face au dessin classique. Assimilé par l'académisme de Bologne, l'héritage de Titien a joué un rôle capital dans la formation de Vélasquez. Il apparaît essentiel aussi chez des maîtres de la couleur qui sont en même temps de grands portraitistes : Rubens, Van Dyck, Watteau, Reynolds, Renoir.






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Titien (Tiziano Vecellio, dit)

Peintre italien (Pieve di Cadore 1488/1489 – Venise 1576).
Deuxième des cinq enfants de Gregorio Vecellio, notaire d'origine cadorine, Titien naît en 1488 ou 1489 selon Dolce (1557) et Vasari (1568). La critique moderne (Morassi, 1966 ; Pallucchini, 1969) préfère cette date à la date traditionnelle antérieure (1477), due à d'autres sources (Anonimo del Tizianello, 1622 ; Ridolfi, 1648) et acceptée plus tard par Cavalcaselle (1877-1878), car elle correspond de façon plausible à l'évolution du style titianesque. Toujours d'après Dolce, Titien serait arrivé à Venise « à l'âge de neuf ans » et aurait commencé son apprentissage chez Sebastiano Zuccato ; les premiers rudiments acquis, il passe à l'atelier de Gentile Bellini. Mais, comme « il répugnait à suivre la manière sèche et vieillie de Gentile », le jeune Titien « se rapproche – dans le même atelier – de Giovanni Bellini... » (Dolce), dont il apprécie le goût plus moderne.

Titien et Giorgione

L'année 1508 est fondamentale dans l'histoire des débuts de Titien : à cette date, il est chargé avec Giorgione de décorer à fresque le Fondaco dei Tedeschi. Titien doit peindre la façade donnant sur les Mercerie, tandis qu'à Giorgione est confiée la façade principale, sur le Grand Canal. De ces travaux subsistent quelques fragments, conservés à l'Accademia et à la Soprintendenza ai Monumenti (Venise), et la série de gravures tirées par Zanetti au XVIIIe siècle. Si l'on en juge par ces maigres témoignages, Giorgione est le vrai et principal maître de Titien, qui lui emprunte sa manière de suggérer les formes plutôt que de les souligner ainsi que son sentiment de la nature. Mais il est vrai aussi que, dès les débuts, l'élève se différencie du maître, dont il ne partage ni le lyrisme contemplatif ni l'indifférence aux réalités terrestres. Doté d'un tempérament dramatique, d'une énergie fougueuse, Titien met à profit la leçon naturaliste du XVe s. vénitien et sa puissance dans les fresques de la Scuola del Santo, à Padoue (Miracle du nouveau-néSaint-Antoine guérit un jeune hommele Mari jaloux), exécutées en 1511. Dans ces scènes, il organise l'espace en une composition largement rythmée, que scande une succession de volumes enveloppés de couleurs contrastantes et hardies : là, des hommes et des femmes « vrais » vivent des passions précises dans un paysage traité comme un décor de théâtre, dans un espace dont ils sont les seigneurs, transcription d'un phénomène sans cesse changeant plutôt qu'atmosphère ineffable à la Giorgione. La critique actuelle considère antérieures à la période 1508-1511 ou contemporaines de celle-ci quelques œuvres où Titien révèle son détachement progressif du monde giorgionesque : appartiendraient aux débuts du maître quatre panneaux de cassonereprésentant la Naissance d'Adonis, la Forêt de Polydore (Padoue, Museo Civico), Endymion (Merion, Penn., Barnes Foundation) et Orphée et Eurydice(Bergame, Accad. Carrara). On y reconnaît déjà une sensibilité ouverte aux effets spatiaux et chromatiques, étrangère à Giorgione, dont Titien exploite cependant les nouveautés thématiques et la découverte de la couleur « constructive ». À cette période initiale appartiennent la Circoncision (New Haven, Yale University Art Gal.), la Fuite en Égypte (Ermitage), Jacopo Pesaro, présenté à saint Pierre par le pape Alexandre VI (musée d'Anvers) – où, dans une structure de composition encore quattrocentesque, les personnages assument une vitalité nouvelle (mais il faut peut-être penser à deux interventions successives) – et la Vierge et l'Enfant avec saint Antoine de Padoue et saint Roch (Prado), d'un giorgionisme si déclaré qu'il peut sembler intentionnel. Au sentiment pathétique du maître, Titien oppose une forte caractérisation dans les portraits (Gentilhomme s'appuyant sur un livre, Washington, N. G. ; la Schiavona, Londres, N. G.). Dans le Portrait d'homme, dit « l'Arioste » (Londres, N. G.), la présentation, encore giorgionesque, est simplifiée à l'extrême à l'aide de quelques plans monumentaux : l'ampleur de la manche violette, le gonflement du vêtement de satin, la projection de l'image par la coupe nette de la balustrade. Les affinités de la Suzanne(Glasgow, Art Gal.) avec les personnages du Miracle du nouveau-né (Padoue, Scuola del Santo) incitent à situer en 1510 cette œuvre toute en torsions et en raccourcis brusques atténués par des teintes transparentes. Avec la xylographie du Triomphe de la Foi (v. 1511) – le premier des cinq états est celui qui est conservé au cabinet des Estampes de Berlin –, cette œuvre représente un point culminant de la contestation antigiorgionesque. Mais, en octobre 1510, Giorgione meurt, son autre élève rebelle, Sebastiano del Piombo, part pour Rome, tandis que Giovanni da Udine et Morto da Feltre se rendent en Italie centrale ; Titien sait bien qu'il est le seul héritier de la leçon du maître, et cela, allié à la maturation naturelle d'un tempérament destiné à rester fougueux, le rend plus enclin à méditer l'art de Giorgione.
   De cette nouvelle attitude naissent des œuvres où la ligne de démarcation entre deux artistes est discutée ; le Concert champêtre (Louvre), reconnu au seul Titien par une majorité d'historiens, est encore attribué à Giorgione par certains. On discute aussi de la part prise par le jeune peintre dans l'exécution de la Vénus de Dresde (Gg). Mais pour le Noli me tangere (Londres, N. G.), le Concert (Florence, Pitti), l'Allégorie de la vie humaine (Édimbourg, N. G.), la Bohémienne (Vienne, K. M.) et le Portement de croix (Venise, Scuola di S. Rocco), tous imprégnés d'une atmosphère encore idéalement giorgionesque, la critique actuelle pense en général à la paternité de Titien seul.

Classicisme

Après le Baptême du Christ (v. 1512, Rome, Gal. Doria Pamphili) et la Sainte Conversation (v. 1513, Mamiano de Traversetolo, Fond. Magnani-Rocca), la personnalité artistique de Titien se caractérise par un sentiment figuratif nouveau qui le porte à la recherche et à la conquête d'une beauté majestueuse et sereine, emblématique de toute la Renaissance et telle qu'il la présente dans une série de Saintes Conversations(Munich, Alte Pin. ; Édimbourg, N. G. ; Londres, N. G.), dans Salomé (Rome, Gal. Doria Pamphili), Flore(Offices), la Jeune Femme à sa toilette (Louvre) et l'Amour sacré, l'amour profane (Rome, Gal. Borghèse), un des sommets du classicisme titianesque et une des plus hautes expressions – dans l'harmonie paisible du paysage et la beauté pure des personnages – de l'art de la Renaissance. Une harmonie égale caractérise d'autres Saintes Conversations (Prado ; Dresde, Gg), le Christ au denier (Dresde, Gg), la Vierge aux cerises et Violante (Vienne, K. M.).
   Dans le grand retable de l'Assomption, commandé à Titien en 1515 par le prieur de S. Maria dei Frari (Venise) et inauguré dans cette église le 20 mars 1518, le classicisme, qui vient de donner un chef-d'œuvre, cède le pas à un naturalisme et à une fougue tels que les Vénitiens, non préparés à tant d'audace, en sont déconcertés. Titien abandonne un peu de cette ardeur désinvolte pour exalter la joie païenne de vivre et le large souffle de la nature dans les trois toiles pour Alfonso Ier d'Este : l'Offrande à Vénus, la Bacchanale(1518-1519, Prado) et Bacchus et Ariane (1523, Londres, N. G.). Entre 1518 et 1520, Vecellio peint l'Annonciation (Trévise, Duomo) ; il signe et date en 1520 la Vierge et l'Enfant apparaissant aux saints François et Alvise et au donateur Luigi Gozzi (musée d'Ancône) et entre 1520 et 1522 le polyptyque Averoldi, en cinq panneaux, pour l'église SS. Nazaro e Celso (Brescia) ; dans toutes ces œuvres, et surtout dans la Résurrection du Christ du retable Averoldi, Titien déploie des sentiments d'une grande intensité dramatique et des accents vigoureux, révélateurs de son intérêt pour Raphaël et Michel-Ange. Une pénétration aiguë de la psychologie du modèle et une mise en page simple caractérisent le Portrait de Vicenzo Mosti (Florence, Pitti), celui de l'Homme au gant (Louvre), le Portrait de Federico II Gonzaga (apr. 1525, Prado). La Vierge de la famille Pesaro (1519-1526, Venise, S. Maria dei Frari) est au contraire très complexe avec ses grands effets d'architecture monumentale et de perspectives fuyant en profondeur. Bien qu'inspirée de Raphaël, la Mise au tombeau (Louvre) révèle, grâce à la lumière, une inquiétude toute titianesque. Il faut malheureusement déplorer la perte d'une autre œuvre capitale, le Martyre de saint Pierre, remise par Titien à l'église SS. Giovanni e Paolo le 27 avril 1530 et qui, d'après les descriptions enthousiastes de Vasari et de l'Arétin, concluait la période figurative qu'avait inaugurée l'Assomption. En effet, la Vierge au lapin (Louvre) et la Vierge et l'Enfant avec saint Jean-Baptiste et sainte Catherine (Londres, N. G.), toutes deux de 1530, sont plus sereines dans leurs paysages souplement modelés ; cette glorification de la beauté féminine trouve un accent plus spontané et presque familier dans le Portrait de jeune femme à la fourrure (v. 1535-1537, Vienne, K. M.) et dans la Bella(v. 1536, Florence, Pitti).

Titien (Tiziano Vecellio, dit) (suite)

La gloire européenne

La célébrité de Titien est dès lors à son apogée : les monarques et les aristocrates de la Renaissance s'identifient dans son art et y voient leurs aspirations sublimées. Aux rapports de l'artiste avec la cour d'Este ont succédé, dès 1523, les rapports avec les Gonzague et avec Francesco Maria della Rovere ; en 1530, Titien rencontre pour la première fois Charles Quint à Bologne ; trois ans plus tard, dans la même ville, l'empereur lui confère les titres de comte palatin et de chevalier de l'Éperon d'or, et lui manifestera de nouveau son admiration en l'invitant à la cour d'Augsbourg entre 1548 et 1550, puis en 1550-1551. Ce haut mécénat implique une activité intense de Titien dans le portrait, genre qui satisfait du reste pleinement ses tendances réalistes. Les portraits de Charles Quint (v. 1532-1533, Prado), du Cardinal Ippolito de' Medici (1533, Florence, Pitti), des Ducs d'Urbino (1538, Offices), de François Ier(1538, Louvre) et d'Alfonso d'Avalos (1536-1538, AXA, groupe d'assurances, en prêt au Louvre) répondent aux exigences de faste et de majesté de ses clients.

Tentations maniéristes

Le naturalisme, très poussé dans la Présentation de la Vierge au Temple (1534-1538, Venise, Accademia) et dans la Vénus d'Urbin (1538, Offices), cède à la vogue maniériste introduite à Venise dans ces mêmes années par Salviati et Giorgio Vasari, et qui a déjà dû impressionner Titien au cours de ses séjours dans la Mantoue de Giulio Romano : la tension plastique, propre au maniérisme, caractérise les douze Portraits d'empereurs romains – commencés en 1536 pour le salon de Troie au château de Mantoue, puis perdus et dont nous n'avons plus connaissance que par les douze gravures de E. Sadeler –, Alfonso d'Avalos haranguant ses soldats (1540-1541, Prado), le Couronnement d'épines (v. 1543, Louvre), l'Ecce homo (1543, Vienne, K. M.) et les trois plafonds – le Sacrifice d'AbrahamCaïn et AbelDavid et Goliath – pour l'église S. Spirito in Isola (1542, auj. à la sacristie de S. Maria della Salute à Venise). Dans le portrait, cette tension se résout dans la vigueur que Titien met pour « surprendre le caractère » de ses modèles, qu'il nous présente avisés ou sournois, arrogants ou dévorés d'une fièvre mystérieuse (Ranuccio Farnese, 1541-1542, Washington, N. G. ; le Pape Paul III, 1546, Naples, Capodimonte ; le Doge Andrea Gritti, Washington, N. G. ; Charles Quint à la bataille de Mühlberg, Prado ; Charles Quint assis, Munich, Alte Pin. ; Antoine Perrenot de Granvelle, 1548, Kansas City, W. R. Nelson Gal. of Art ; Philippe II, 1551, Prado), ou dévots fervents (Tableau votif de la famille Vendramin, 1547, Londres, N. G.).

Dernière période

Après 1550, Titien semble encore accélérer son rythme créateur : en moins de deux décennies, il exécute parallèlement des œuvres pour Venise (la Pentecôte, 1555-1558, peinte pour S. Spirito, maintenant à S. Maria della Salute ; le Martyre de saint Laurent, terminé en 1559, Venise, Gesuiti ; le plafond pour l'Antisala de la bibliothèque Marciana, avec la Sagesse, apr. 1560) et pour Ancône (le Christ en croix avec la Vierge, saint Dominique et saint Jean, 1558, église S. Domenico) ; et, pour satisfaire les goûts singuliers de Philippe II d'Espagne, il peint les fameuses « poésies » érotico-mythologiques (Danaé, 1554, et Vénus et Adonis, 1553-1554, toutes deux au Prado ; Diane et Actéon et Diane et Callisto, 1556-1559, coll. duc de Sutherland, exposées à Édimbourg, N. G. ; le Châtiment d'Actéon, v. 1559, Londres, N. G. ; l'Enlèvement d'Europe, 1562, Boston, Gardner Museum) ainsi que des sujets sacrés (Sainte Marguerite, à l'Escorial, 1552, et au Prado, 1567 ; la Mise au tombeau, 1559, Prado ; le Christ au jardin des Oliviers, 1562 ; le Martyre de saint Laurent et Saint Jérôme, 1565, Escorial). Dans toutes ces œuvres, l'expression repose sur le pouvoir suggestif de la couleur, liquide, coulante, dans laquelle les formes semblent se dissoudre comme par autocombustion. Titien arrive maintenant à la dernière phase de son activité : la représentation d'une vision naturaliste ou la célébration d'un idéal classique déjà ébranlé ne l'intéressent plus ; il inaugure donc un style détaché à la fois du dessin et de la plastique, synthétique et brut, peut-on dire, où personnages et nature se matérialisent en taches, grumeaux, « balafres » de couleur, où seuls comptent les spectres informels qui peuplent sa réalité de créatures vouées à une autre existence. De la désagrégation fumeuse de la matière surgissent les étincelles d'or de l'Annonciation (1566, Venise, S. Salvador), les empâtements crépitants de Vénus bandant les yeux de l'Amour (1560-1562, Rome, Gal. Borghèse), de Saint Sébastien (v. 1570-1572, Ermitage) ou du Couronnement d'épines (Munich, Alte Pin.), l'éclairage rougeâtre du Tarquin et Lucrèce (1570-1571, Cambridge, Fitzwilliam Museum), plus dramatique encore dans la version de l'Akademie de Vienne, le ciel brouillé et mélancolique de la Nymphe et le berger(1570-1576, Vienne, K. M.), avant que n'explose le grand incendie qui baigne de pourpre le Supplice de Marsyas (1570-1576, Kromerí, château archiépiscopal). C'est cet « impressionnisme magique » (Pallucchini) qui caractérise aussi les derniers portraits : celui de Francesco Venier (1554-1556, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza), celui de l'Antiquaire Jacopo Strada (1567-1568, Vienne, K. M.), celui de l'Artiste par lui-même(1568-1570, Prado), où de la matière agglutinée se dégage une image spectrale, ultra-terrestre. Quand, le 27 août 1576, Titien meurt à Venise de la peste dans sa maison de Birri, il laisse inachevée la Pietà (Venise, Accademia), une composition troublante et complexe qu'il destine à sa sépulture, à S. Maria dei Frari, et que terminera son disciple Palma il Giovane.

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